De la langue russe dans le culte catholique/V

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V

Venons maintenant aux quatre mémoires mentionnés plus haut. Inutile de dire que la plupart des considérations auxquelles s’y livrent les auteurs ne sauraient être approuvées par un catholique ; aussi, je me garderai bien de reproduire même pour les réfuter, toutes les calomnies qu’elles contiennent contre l’Église romaine. Il n’y a rien d’étonnant que des hétérodoxes tiennent un tel langage à soit égard ; et c’est précisément ce qui donne de la portée à leurs protestations contre la mesure adoptée par le gouvernement. Ils sont unanimes à rejeter l’introduction du russe dans le culte catholique, tout en se montrant très-hostiles à la nation polonaise ; ils admettent également la nécessité de russifier le pays dont il s’agit, quoiqu’ils ne s’accordent pas sur les moyens d’atteindre ce but. Ainsi l’un d’eux conseille de supprimer le chant des catholiques en polonais et de le remplacer par le chant latin ! Un autre trouve que le chant est tout à fait inutile et même, anticanonique en quelque langue qu’on l’exécute. Ces divergences viennent de la diversité des points de vue auxquels se placent les auteurs des mémoires pour envisager la question. MM.  Samirine et Bezsonov considèrent l’usage du polonais comme la cause principale du mal et en demandent la suppression comme condition nécessaire à la russification du pays. MM.  Derevitski et Kouline placent la source du mal dans le catholicisme lui-même, dont le polonais, disent-ils, est inséparable. Quant aux motifs qu’ils font valoir contre l’introduction du russe dans l’Église catholique, on peut les réduire aux deux suivants : 1° le moyen choisi est inefficace ; 2° il est préjudiciable à la religion dominante de l’empire. Le premier de ces motifs nous fournira plus d’un argument en faveur de notre thèse ; quant au second, s’il ne la favorise pas, il n’a rien non plus qui présente une objection sérieuse, ainsi qu’on le verra plus loin.

Avant d’entrer dans des détails, je dois indiquer la source où ont été puisées les données qu’on va lire. N’ayant pas, à mon grand regret, le texte original des quatre mémoires, il a fallu me contenter des citations qu’en a faites le Messager russe dans sa livraison de septembre 1867 (p. 316-392), où il en fait une critique aussi détaillée que partiale.

I. — Commençons par le mémoire de M. Samarine[1], portant la date du 7 mars 1866.

L’auteur débute par faire ressortir le tort que, selon lui, le maintien du polonais causerait à l’œuvre de la russification des provinces occidentales. Il voit dans la langue polonaise non seulement un instrument de propagande catholique, mais encore le symbole d’une nationalité ennemie, rappelant sans cesse au peuple les souvenirs de la domination passée de la Pologne, un anneau qui rattache ces provinces par un lien organique à Varsovie, centre de leur gravitation. Aussi applaudit-il à la mesure par laquelle le gouvernement a exclu le polonais du programme scolaire de ses établissements ; toutefois il estime que la mesure était insuffisante puisqu’elle laissait intact l’usage du polonais dans la sphère religieuse. Or, reconnaître le polonais comme langue de la prière publique et de la prédication, c’est en assurer le maintien absolu, c’est paralyser toutes les autres mesures tendant à restreindre l’usage de cet idiome. Il conclut donc à la nécessité de le défendre absolument dans le culte public. En même temps, il s’oppose formellement à ce qu’on substitue au polonais la russe. D’après lui, l’introduction de la langue russe dans l’Église catholique ne ferait que maintenir le fanatisme religieux dans le peuple ; elle assurerait au catholicisme le terrain qu’il occupe déjà et lui servirait de moyen de propagande au grand préjudice de l’orthodoxie russe.

M. Samarine professe une aversion profonde pour le chant des hymnes et des cantiques exécuté par les fidèles : « Ce qui attire le peuple dans les églises catholiques, dit-il, c’est d’abord leur nombre et leur magnificence, qui font un si grand contraste avec la pauvreté des temples orthodoxes ; c’est ensuite la musique de l’orgue comparée au misérable chant des Russes ; c’est enfin la satisfaction qu’éprouve le peuple de pouvoir prendre part au chant des cantiques, pour ne pas parler de la confession, de la prédication et des autres moyens dont disposent les ministres de la religion pour gagner les gens. Comment voulez-vous, s’écrie-t-il, que, dans une telle situation des choses, l’orthodoxie prospère et le catholicisme ne domine pas ? (P. 331.) Pour placer l’orthodoxie dans des conditions plus avantageuses, le concours du gouvernement est indispensable, pourvu qu’on n’aille pas introduire Ie russe dans les églises, car ce serait travailler de la manière la plus efficace non à la russification du pays, mais à la propagation du catholicisme dans les provinces occidentales, autant que dans l’intérieur de l’Empire. » (P. 332.)

La conclusion de M. Samarine est que la religion catholique n’étant, d’après les lois fondamentales de l’Empire, que tolérée, doit conserver son titre de culte étranger, et en cette qualité avoir à son usage une langue étrangère et non celle de la religion officielle, ni le polonais qu’il s’agit de proscrire. Reste le latin, et c’est ce que propose l’auteur du mémoire à la place des deux autres langues.

Ce n’est pas que M. Samarine méconnaisse les avantages de la russification du culte public. Il admet volontiers que c’est un moyen de rompre le lien qui unit le catholicisme à la nationalité polonaise et d’assurer à l’idiome officiel le rang qui lui convient ; malgré cela, il le rejette à cause des immenses périls dont serait menacée l’orthodoxie russe et qu’il ne croit pouvoir conjurer qu’en permettant de chanter seulement en latin. Encore ne fait-il cette concession que pour ne pas effaroucher les fidèles, habitués au chant de l’église, sans quoi il l’aurait tout simplement supprimé.

II. — L’auteur du second mémoire commence par réfuter les conclusions de M. Samarine qu’il trouve insuffisantes puisqu’elles laissent intacte la prédication en polonais ; puis, envisageant la question au double point de vue du polonisme et de l’orthodoxie russe, il s’attache à prouver que le premier ne recevra de l’introduction du russe qu’un tort apparent, tandis que la seconde en éprouvera un dommage réel et certain : selon lui, la source du mal qu’on veut combattre n’est pas dans le polonisme, mais bien dans le catholicisme, qu’il désigne le plus souvent sous le nom de latinisme ou de papisme. Partant de ce principe, dont la fausseté est manifeste, M. Derevitski, auteur du mémoire, prouve d’abord que l’introduction du russe dans le culte ne saurait nuire au polonisme et ses preuves méritent d’être remarquées. Elles procurent plus d’un argument en faveur de nos conclusions, en ce qu’elles démontrent l’inefficacité de la mesure décrétée par le gouvernement. Voici ces preuves.

La première est fournie par la nouvelle génération des Polonais recevant leur éducation dans les établissements publics des capitales, par conséquent dans un milieu et sur un sol éminemment russe, où la doctrine religieuse leur est enseignée non en polonais, mais dans la langue du pays. Eh bien ! malgré cela, leur polonisme est demeuré intact et ce sont eux qui ont donné les partisans les plus ardents et les plus influents à la cause de la propagande révolutionnaire. Aux yeux de l’estimable conseiller d’État, comme de tant d’autres Russes, le polonisme est synonyme de révolution. Quelque peu fondée que soit cette prévention, l’auteur a parfaitement raison d’affirmer l’impuissance du remède qu’on voudrait apporter à ce prétendu mal. On lui a objecté que les étudiants polonais dont il parle continuaient à entendre les sermons en polonais et à chanter à l’église dans la même langue. L’objection n’est pas sérieuse. Elle se réfute d’ailleurs par l’exemple de la Samogitie.

La Samogitie est un pays éminemment catholique, où tout le monde, sans exception, professe la religion romaine. Quelque longue et universelle qu’ait été l’influence que les Polonais ont exercée sur le pays, ils ne parvinrent pas à introduire leur langue ni dans l’usage populaire ni dans le culte religieux ; les prières publiques et les chants s’y font toujours en samogitien, ainsi que les sermons que prêchent des prêtres sortis presque exclusivement du sein de la nation samogitienne. Cela n’empêche pas le Samogitien de montrer à l’égard de tout ce qui est russe et « orthodoxe » plus d’hostilité que n’en témoignent peut-être les Lithuaniens avec leur langue polonaise. C’est que le catholicisme est à ses yeux la seule religion véritable et que le schisme et l’hérésie lui inspirent une profonde aversion qu’il exprimera en n’importe quelle langue, — ce qui est parfaitement vrai.

Ajoutez que, d’après M. Derevitski, dans les provinces nord-ouest, les deux tiers de la population catholique romaine sont composés de Samogitiens et de Lithuaniens qui ne font pas usage du polonais. La mesure dont il s’agit n’atteint donc qu’imparfaitement le but qu’on se propose, en substituant au polonais le russe ; elle ne concerne que le dernier tiers de la population catholique parlant le ruthénien et obligée d’apprendre le polonais afin de pouvoir comprendre, en partie au moins, les offices qui se font à l’Église.

Après l’exemple des Samogitiens vient celui des jésuites, qui aurait mieux trouvé sa place dans la seconde partie du mémoire où l’auteur montre les dangers de la propagande catholique s’exerçant au moyen de la langue russe ; dangers qui nous paraissent exagérés, ainsi que nous le dirons plus loin.

L’exemple de l’Union, qui ne diffère du catholicisme romain que par le rite est plus heureux. M. Derevitski prétend que les Grecs-Unis ont rendu aux Polonais des services signalés, tandis que son censeur, la Gazette de Moscou, voit en eux des auxiliaires de la cause russe et attribue à la langue slavone, dont les Grecs-Unis se servent dans les offices de l’Église, la facilité avec laquelle ils ont passé à l’Eglise dominante du temps de l’empereur Nicolas.

Tout le monde sait aujourd’hui ce que cette facilité a coûté à ceux des Grecs-Unis qui voulaient persévérer dans la soumission au Saint-Siège, et ce qui leur en coûte encore de nos jours dans le diocèse de Khelm.

En soi, l’Union n’est pas plus hostile à la Russie que ne l’est le catholicisme romain, puisque c’est la même religion ; mais il est tout naturel que les Grecs-Unis sympathisent davantage avec leurs coreligionnaires polonais et cette sympathie doit être d’autant plus vive qu’elle sera plus dégagée des tendances nationales ou politiques.

Aux arguments qui précèdent ou pourrait ajouter celui tiré de l’influence que le prêtre exercera au confessionnal et que la langue russe ne saurait empêcher.

Si les preuves par lesquelles l’auteur du mémoire établit l’insuffisance de la mesure dirigée contre le polonisme ne manquent pas de justesse et de force, celles qu’il produit pour établir la seconde assertion méritent à peine d’être mentionnées. En effet, voulant prouver que l’introduction de la langue russe dans le culte Catholique créerait un immense danger à l’Eglise dominante, il répète la calomnie, mille fois réfutée, que le catholicisme est destructif de tout ordre et de tout pouvoir politique, que la langue russe n’empêchera pas le prêtre de faire de la propagande politique au tribunal de la pénitence, qu’elle deviendrait entre les mains du clergé latin un moyen légal de propagande religieuse, — droit qui appartient à l’Eglise dominante à l’exclusion de tout autre culte étranger ; enfin, qu’elle tuerait dans son germe l’idée de la nécessité et de l’utilité de passer à l’orthodoxie, et arrêterait le mouvement déjà commencé vers l’Eglise officielle. L’unique moyen d’affaiblir le catholicisme dans le pays en question consisterait, d’après M. Derevitski, à relever l’Eglise dominante, en laissant au culte catholique sa langue polonaise, — comme héritage inaliénable de l’hérésie, et en se bornant à user de mesures administratives mais implacables et systématiques, contre tout prêtre qui s’écarterait tant soit peu de l’accomplissement entier des devoirs de son ministère. Telle est la conclusion du second mémoire, le moins défectueux de tous. Passons au suivant.

III. — Après un court préambule, M. Kouline arrive aux difficultés qu’il voit dans la substitution du russe au polonais et qui lui paraissent énormes, insurmontables. Il s’agit, dit-il, de séparer ce qui a été uni durant des siècles et d’unir ce qui a été séparé jusqu’à présent. Il s’agit de traduire en russe tous les manuels de doctrine catholique, tous les livres de prières en usage chez les catholiques ; il faudra leur donner en russe tout ce qu’ils ont l’habitude de lire, d’entendre, de chanter en polonais, sous peine d’exciter de justes mécontentements de leur part ; il faudra organiser la prédication et la confession en russe, l’introduire dans l’enseignement de l’académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg. En un mot, il s’agit de créer toute une littérature théologique et historique, première difficulté (p. 351).

Une autre difficulté vient de ce qu’on sera obligé de traduire en russe les offices composés en l’honneur de certains saints, tels que Josaphat, archevêque de Polotsk, et André Bobola, jésuite, que les Russes considèrent comme persécuteurs de leur religion.

Voici une nouvelle difficulté. Combien d’années ne faudra-t-il pas consacrer à ces travaux, et où trouver des hommes qui voudraient s’en charger ? M. Kouline est convaincu qu’aucun Russe vraiment « orthodoxe » ne consentira à se mêler d’une pareille besogne, et qu’elle sera faite par des catholiques dévoués au pape avec le concours du P. Martinov, Petchorine[2] et de leurs semblables. Plût à Dieu qu’on me fît l’honneur de m’associer à une si belle œuvre, et qu’ainsi fussent comblés les vœux les plus chers à mon cœur et que je ne suis pas seul à nourrir.

Après avoir parlé des difficultés qu’offrent ces travaux déclarés égyptiens et indignes d’un orthodoxe, l’auteur passe aux qui résulteraient de l’introduction du russe dans l’Eglise catholique. Les développements dans lesquels il entre à ce sujet ne diffèrent de ceux des mémoires précédents que par la forme et aussi par une nuance plus prononcée de slavophilisme.

Une des erreurs de la coterie slavophile consiste à dire que la nation russe ne petit être qu’orthodoxe, que l’orthodoxie (c’est-à-dire le schisme grec) est un élément constitutif de la nationalité russe ! M. Kouline déclare formellement qu’un hétérodoxe peut bien être un sujet fidèle de Sa Majesté Impériale, mais qu’il n’aura jamais l’esprit russe. Il en conclut que les Ruthènes catholiques des provinces occidentales doivent revenir à la religion dominante : « Voilà, s’écrie-t-il, notre tâche à la fois sublime et simple, intelligible et chère à tous ! En introduisant l’usage du russe dans le culte, nous abandonnons cette tâche aux papistes, ennemis, tandis que nous avons ici sur tous les points de la contrée des milliers d’hommes prêts à se dévouer à l’œuvre des conversions. » (p. 361.)

Voulez-vous savoir quels sont ces ouvriers dévoués de l’orthodoxie russe ? — Écoutez ce qui suit : « Si les popes, les juges de paix, les commandants militaires, les chef de la gendarmerie, les agents de sûreté, les employés d’accise, les maîtres d’école, etc., agissaient de commun accord, chacun dans sa sphère et s’entraidaient mutuellement, si au moins les zélateurs de l’orthodoxie ne rencontraient pas d’empêchement de la part des Russes indifférents, — on verrait sous peu un grand fait historique accompli ! » Les singuliers apôtres !

D’après les calculs de M. Kouline, cinq ans suffisent pour décatholiciser, par ce moyen, tous les Russes de l’Ouest ; il pense même que ces conversion en masse se feraient avec moins de difficulté que celles des Ruthènes-Unis, en 1839. « On rêve un nouveau Siestrencievitch, et on oublie qu’en fin de compte ce métropolitain n’a fait rien d’utile pour la Russie ; ce qu’il nous faut maintenant, c’est un second Siemaszko. » (p. 362.)

Hélas ! le ciel dans sa justice vient de l’envoyer à Khelm, et, à l’heure où je trace ces lignes, le second Siemaszko y achève l’œuvre infernale du premier.

La conclusion de l’auteur du mémoire est facile à deviner : employer les efforts les plus énergiques à ramener le peuple ruthène à l’ « orthodoxie. »

Toutefois, par un reste de pitié, il consent à ce qu’on permette d’enseigner la doctrine catholique en russe dans les écoles laïques, et qu’on imprime à l’usage du peuple un recueil de prières dans la même langue, mais seulement à titre provisoire, puisque dans cinq ans il ne doit plus y avoir de catholiques d’origine russe. — Quant à la prédication, M. Kouline ne voit pas ce qu’on gagnerait à la proscrire en polonais ; il demande uniquement qu’on veille à ce que le prédicateur polonais n’avance rien qui puisse blesser les intérêts de l’État ou de l’Église officielle.

IV. — Il faut renoncer à vouloir reproduire le texte du quatrième mémoire, élucubration la plus volumineuse de toutes. Le langage en est tellement boursouflé, le flux des paroles si exubérant, qu’on a toutes les peines du monde d’en dégager les pensées que l’auteur a voulu exprimer. On dirait qu’il a horreur de la clarté et du naturel. D’ailleurs, la plupart des considérations, noyées dans une phraséologie diffuse, sont puisées dans le fond commun du parti slavophile, dont M. Bezsonov est un des adeptes les plus ardents, et dont il partage par conséquent les errements et les exagérations.

Laissant de côté les réflexions qu’il développe longuement sur l’inefficacité de la mesure en question, sur les maux imaginaires que causerait le maintien du polonais, ne fût-ce que dans un seul verset, d’un hymne quelconque ou dans une seule page de sermon, arrêtons-nous à celles qui lui sont particulières ou auxquelles il a donné un plus grand relief.

Ainsi que ses trois autres collègues, M. Bezsonov s’oppose formellement à la substitution du russe au polonais, quelque hostile qu’il se montre envers ce dernier. « Ce serait, dit-il avec raison, quitter le terrain de la politique ou de la littérature et entrer sur celui de la religion et de l’Eglise » On le sait, un des griefs les plus graves que le parti slavophile, d’accord en cela avec les starovères, ne cesse de formuler contre le pouvoir séculier, c’est son ingérence dans les affaires de la conscience et ses empiétements sur l’autorité spirituelle de l’Église.

M. Bezsonov parle aussi des dangers qui en résulteraient inévitablement pour l’Eglise officielle ; mais il insiste d’une façon particulière sur les difficultés inhérentes à la traduction des livres catholiques et qui lui paraissent presque insurmontables.

C’est tout un traité qui remplit près de la moitié de son mémoire et qui tend à prouver que, pour accomplir cette tâche, il faudra d’abord créer une langue à part, ce qui demanderait les efforts réunis des université, et des académies entières ; qu’il faudrait en second lien, établir une académie spéciale et entreprendre ce travail égyptien avec le concours de centaines des meilleurs écrivains, durant un siècle et plus.

Qu’il y ait de l’exagération, c’est ce dont nous convenons volontiers. On ne peut pas cependant méconnaître que le fond de la difficulté ne soit vrai. La littérature catholique en langue russe est réellement encore à créer. « Notre langue profane, écrit l’auteur, n’est pas assez mûre pour rendre toutes les nuances de la théologie et de la science ecclésiastique ; elle aurait, pour cela, besoin d’un puissant concours du slavon ; or, la langue slavonne est l’orthodoxie, et nous sommes fiers de n’avoir, jusqu’à présent, aucun écrit catholique composé en cette langue » (P. 376.) Ce langage nous parait trop absolu pour être exact. Il existe plusieurs ouvrages catholiques écrits en slavon. Sans parler des livres glagolitiques totalement ignorés des Russes, il suffit de citer les ouvrages répandus parmi les Grecs-Unis, quoique, à vrai dire, la langue dans laquelle ils sont écrits ne brille ni par l’élégance ni même par la pureté. L’assertion de M. Bezsonov serait plus fondés si elle se bornait à la langue russe moderne, celle qu’on parle aujourd’hui à Moscou ou dans la capitale, et qu’on veut introduire dans le culte catholique.

En résumé, bannir le polonais du culte accessoire, ne rien écrire en russe à l’usage des catholiques, leur ouvrir les portes de l’Eglise officielle à deux battants, — telles sont les conclusions principales que l’auteur du mémoire maintient catégoriquement.

Toutefois pour ne rien brusquer et ne pas abolir immédiatement l’usage du polonais, M. Bezsonov veut bien consentir à ce qu’on fasse quelque chose pour les catholiques ruthènes, mais uniquement à titre de mesure provisoire, d’accord en cela avec l’auteur du mémoire précédent et tous ceux qui préfèrent aux mesures violentes et radicales le système plus modéré d’agir peu à peu, système qui a prévalu dans les sphères supérieures de l’administration au grand mécontentement des russificateurs à outrance.

Tel est, en résumé, le contenu des quatre mémoires officiels touchant la question qui nous occupe. Nous allons maintenant faire connaître les résultats obtenus dans le domaine littéraire.

  1. Il ne faut pas le confondre avec M. Georges Samarine, publiciste renommé.
  2. Vladimir Petchorine est un Russe converti. Helléniste distingué, il occupait autrefois une chaire à l’université de Moscou ; aujourd’hui il remplit les fonctions de prêtre en Irlande. On a de lui de charmantes poésies en russe.