De la manière de négocier avec les souverains/XII

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Chapitre XII
DES INSTRUCTIONS.



Chapitre XII.[modifier]



L’Instruction eſt un écrit qui contient les volontez principales du Prince ou de l’Etat qui en charge ſon Negociateur afin qu’il y ait recours pour ſoulager ſa memoire & pour regler ſa conduite, cet écrit doit être ſecret & eſt fait ſeulement pour celui qui en eſt chargé, il y a quelquefois des occaſions où il a ordre de le communiquer ou d’en faire voir quelques articles au Prince vers lequel il eſt envoyé, ou à quelqu’un de ſes plus confidens Miniſtres pour leur marquer la confiance du Maître qui l’envoye, il arrive auſſi qu’on fait quelquefois de deux ſortes d’inſtructions, une qu’on appelle Oſtenſive, c’eſt-à-dire faite pour être montrée, & une ſecrete qui contient les veritables & dernieres intentions du Prince ou de l’Etat, qui la donne ; mais toutes les inſtructions ſont ſouvent changées en divers articles par les dépêches journalieres que reçoit le Negoeiateur, qui doivent être regardées comme autant de nouvelles inſtructions ſur les avis qu’il a donnez du pays où il eſt & ſur les évenemens qui changent la ſituation des affaires & celle des eſprits & des volontez des Princes & des Miniſtres de qui elles dépendent.

On ne peut ſans violer le droit des gens, forcer un Miniſtre public à montrer ſon inſtruction, &: il ne la doit jamais communiquer cans un ordre exprès de ſon Maître, il n’a pas becoin d’autre titre pour faire ajoûter foi aux paroles qu’il porte de ſa part que la Lettre de creance qu’il a preſentée ou le plein pouvoir qu’il a communiqué.

Les inſtructions quelque judicieuſes qu’elles puiſſent être ſont plus ou moins utiles à proportion du dégré d’intelligence de ceux qui en ſont chargez, un habile Negociateur ſait non ſeulement executer avec dexterité les ordres de ſon Maître, mais il lui donne inceſſamment des avis & des expediens pour profiter des conjonctures favorables qui ſe preſentent de faire réüſſir ſes deſſeins ; un homme ſans capacité ne profite de rien, il execute mal les ordres qu’on lui donne & quelque clairs qu’ils puiſſent être, il eſt ſujet à s’y tromper, il fait à contre tems ou d’une maniere peu convenable les propoſitîons dont il eſt chargé, il laiſſe échaper les occaſions propres à les faire réüſſir, & au lieu de faire proſperer les affaires de ſon Maître, il avance ſouvent celles de ſes ennemis.

Il eſt ſurprenant de voir l’inégalité qui ſe trouve ſouvent dans la conduite des hommes, il n’y a point de Miniſtre qui ayant deſſein de faire bâtir une maiſon ne cherchent avec ſoin le meilleur Architecte & les meilleurs ouvriers pour les y employer, & il s’en trouve pluſieurs qui ayant des affaires de la derniere importance à faire negocier, & deſquelles dépend ſouvent le bonheur ou le malheur public les confient non pas à des Architectes ; mais à des maſſons en cet art, c’eſt-à-dire à des gens ſans genie & ſans la capacité & la dexterité ſi neceſſaire à ces ſortes d’emplois.

Ceux qui ont part à la confiance, du Prince ou du Miniſtre ne ſont pas excuſables de leur propoſer des ſujets incapables pour traiter les affaires étrangeres, parce que les fautes qu’ils y ont attirent après elles de trop grands inconveniens, & c’eſt faire une faute pour un Negociateur que de ne pas découvrir & de ne pas prévoir des réſolutions préjudiciables aux interêts de ſon Maître & d’occuper la place d’un autre plus éclairé & plus appliqué, qui les auroit découvertes & qui en auroit empêché l’effet.

Les faures que commettent ceux qui ſervent un Prince au-dedans de ſon État ſe peuvent redreſſer par ſon autorité, mais comme il n’en eſt pas de même de celles qui ſe font dans les negociations avec des Princes Souverains, ou avec des États libres, le Miniſtre qui en a la principale direction ne peut être trop circonſpect ni trop appliqué à bien choiſir les ſujets qu’il y employe & à les connoître par lui-même, ſans avoir égard aux recommandations, ni à des raiſons de parenté & d’alliances, à moins qu’elles ne concourent avec le merite & la capacité des ſujets propoſez, parce qu’il eſt garant auprès de ſon Prince de ceux qu’il produit, que leurs bons ſuccès lui font honneur & que les mauvais retombent ſur lui qui a ſouvent beſoin d’épuiſer toute ſon induſtrie pour les reparer ; mais un principal Miniſtre eſt à plaindre lorſque par des intrigues & par des cabales qui regnent en diverſes Cours, on remplit ces ſortes d’emplois de mauvais ſujets, & qu’on lui ôte les moyens d’y employer les meilleurs ouvriers.