De la réforme de la philosophie première, et de la notion de substance

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De la réforme de la philosophie première, et de la notion de substance
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Die philosophischen Schriften (p. 468-469).


IV

De la réforme de la philosophie première, et de la notion de substance

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Je constate que la plupart de ceux qui se plaisent à étudier les mathématiques ont de l’aversion pour la métaphysique, car ils remarquent la lumière des premières, et l’obscurité de la seconde. Je suis d’avis que la cause la plus importante de cet état de chose est que les notions générales, et celles que l’on croient les plus connues de tous, sont devenues, par la négligence humaine et l’inconséquence de la reflexion, ambigües et obscures ; et que les définitions qu’on y rapporte communément ne sont même pas nominales, au point qu’elles n’expliquent rien. Et il n’est pas douteux que ce mal s’est insinué dans les autres disciplines qui sont subordonnées à cette science première et architectonique. Ainsi avons-nous, à la place de définitions claires, des distinctions ridicules, à la place d’axiomes vraiment universels, des règles de lieux communs qui sont souvent détruites par plus d’instances qu’il n’y a d’exemples pour les soutenir. Et pourtant, c’est à l’aventure que les hommes, par une sorte de nécessité, emploient les termes de la métaphysique, et, se flattant eux-mêmes, croient comprendre ce qu’ils ont appris à avoir toujours à la bouche. Et de fait, ce n’est pas seulement de la substance, mais aussi de la cause, de l’action, de la relation, de la similitude et de la plupart des termes généraux qu’il est évident que les notions vraies et fécondes sont communément cachées. D’où personne ne doit s’étonner que cette science principielle, à laquelle revient le nom de Philosophie Première et qu’Aristote appela désirée ou recherchée (ζητουμένη), soit restée jusqu’à ce jour parmi celles que l’on doit chercher. Il est vrai que Platon, ça et là en ses dialogues, cherche à dépister le sens de ces notions ; Aristote fait de même dans ses livres que l’on nomment communément Métaphysiques ; il ne semble pas cependant que des résultats furent obtenus. Les Platoniciens postérieurs trébuchèrent sur des monstruosités verbales ; le soucis des Aristotéliciens, et surtout des Scolastiques, fut davantage d’agiter des questions que de les résoudre. De notre temps, quelques hommes remarquables examinèrent également la Philosophie Première, mais sans grand succès jusqu’ici. On ne peut nier que Descartes lui ait apporté quelques contributions remarquables, et c’est à bon droit principalement qu’il a rétabli l’ardeur de Platon à détacher l’esprit des sens, et qu’il utilisa souvent d’une manière profitable le doute des académiciens ; mais bientôt, par une sorte d’inconséquence ou d’arbitraire dans ses affirmations, il se perdit dans des vétilles, et ne distingua pas le certain de l’incertain, et ainsi fit maladroitement consister la substance corporelle dans l’étendue, et il n’eut pas une bonne compréhension de l’union de l’âme et du corps, erreurs dont la cause fut qu’il ne compris pas la nature de la substance en général. Car il s’était avancé comme d’un seul bond vers les questions les plus difficiles à résoudre, alors qu’il n’avait pas expliqué les notions préliminaires. D’où il n’apparaît jamais plus combien ses Méditations Métaphysiques sont éloignées de la certitude que dans cet écrit où, exhorté par Mersenne et d’autres, il essaya en vain de les revêtir d’une forme mathématique. Je contaste également que d’autres hommes, excellents par leur pénétration, ont abordé la métaphysique, et médité avec profondeur quelques uns de ces aspects, mais ils l’ont à ce point enveloppée de ténèbres, que leurs réflexions semblent plus tenir de la divination que de la démonstration. Mais il me semble que la lumière et la certitude sont plus nécessaires en métaphysique qu’en mathématiques, parce que les objets mathématiques portent avec eux leurs critères de contrôles et leurs confirmations, qui sont la principale cause de leur réussite, mais en métaphysique nous sommes privés de cet avantage. C’est pourquoi une méthode particulière pour élaborer des propositions est nécessaire, et comme un fil dans un labyrinthe, par le moyen duquel les questions seraient pas moins résolues que par la méthode euclidienne de calcul, en préservant néanmoins la clarté qui le ne céderait en rien au langage populaire.

Mais l’importance de ces réflexions apparaîtra surtout en ce qui concerne la notion de substance, comme je la définis et qui est si féconde que l’on en déduit des vérités primordiales même sur Dieu, les esprits et la nature des corps, vérités dont certaines sont connues mais pas assez démontrées, d’autres inconnues jusqu’ici, mais qui seront de la plus grande utilité pour les autres sciences. Pour en donner un avant-goût, je dirai pour le moment que la notion de virtus ou de vis (nommée Krafft en allemand, en français la force), à laquelle j’ai dédié une science particulière, la Dynamique, apporte beaucoup de lumière pour comprendre véritablement la notion de substance.