De la sagesse/Livre I/Chapitre XXVIII

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Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 181-182).
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CHAPITRE XXVII [1].

Hayne.


SOMMAIRE. — La haine est une passion qui nous met en la puissance de ceux que nous haïssons, puisque leur vue nous tourmente, nous agite sans cesse. — Elle fait bien plus de mal à celui qui l'éprouve, qu'à celui qui est en l'objet.


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HAYNE est une estrange passion qui nous trouble estrangement et sans raison ; et qu’y a-t-il au monde qui nous tourmente plus que cela ? Par ceste passion nous mettons en la puissance de ce que nous hayssons, de nous affliger et vexer ; la veue nous en esmeut les sens, la souvenance nous en agite l’esprit, et veillant et dormant. Nous nous le representons avec un despit et grincement de dents, qui nous met hors de nous, et nous deschire le cœur, et par ce moyen recepvons en nous-mesmes la peine du mal que nous voulons à autruy ; celuy qui hayt est patient, le hay est agent, au rebours du son des mots ; le hayneur [2] est en tourment, le hay est à son aise. Mais que hayssons-nous ? Les hommes, les affaires ? Certes nous ne hayssons rien de ce que nous debvons ; car s’il y a quelque chose à hayr en ce monde, c’est la hayne mesme, et semblables passions contraires à ce qui doibt commander en nous : il n’y a au monde que cela de mal pour nous.

Advis particuliers contre ce mal sont liv. III, chap. XXXII.

  1. C'est le vingt-huitième de la première édition.
  2. Le haïsseur.