Dernière Terre (recueil)/Journée déchirante

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Andrée Vernay Dernière Terre

Journée déchirante


Journée où expire le dernier rêve.
Grand linceul hostile étendu sur la foi comme une neige.
Je promène mon âme déchue,
Âme vassale aux pensées d'esclave.
Doigts rudes touchant d'augustes blessures.
Le doute a mordu ce qui me restait d'espoir.
J'exalte un mal que j'épouse.
Je n'ai plus lieu d'attendre mais je n'ai rien perdu d'es-
    sentiel puisque je vis encore.
J'écoute les pulsations de mon cœur...
Nocturne divin que je contemple.
Ô délices d'être libre !
Récompense des heures de dépouillement : Nudité qui
    rend tellement léger, tellement libéré.
Je me délecte dans cette pauvreté obtenue avant tant de
    peine.
Abandon magnanime.
Trouvaille qui vient après que tout est passé.
Je joue dans le désert où ma soif me désaltère.
    Et finalement le dénuement me rend à moi-même.
Concert liquide et doux.
Argent tenace au fond du ciel.
Autant de sourires, autant de mansuétudes.
J'atteins à des plaisirs que nul ne pourra m'ôter.
Limpide magie intérieure... suavité... mystère...
Tout est insensé... Qu'importe...
En des prairies surnaturelles le Désir s'étire en paix.
Satisfaction plénières, sans d'autres appels.
Au lieu d'un paradis maussade, j'invente l'hymne trans-
    cendant de la Vie.
Paillette du Plaisir.
Cantique des jouissances...
            Consentement définitif à la joie.
        Il me faut le repos secret, le merveilleux
                              [relâchement intérieur...
Paradis immobile comme un tableau vivant.
    Des voix montent de la rue.
      Éternelle laideur. Éternelle condamnation au mal.
Déchéance : Orgueil !
    Oh ! s'enfuir !... fuir ceux qui parlent !...
    Fuir tous ceux qui sont !...
Nostalgique appel au silence.
Nuits désertes où je pourrais construire mes édifices...
     Nuits introuvables que j'aimerais...
    Mais c'est la journée déchirante où mourut le dernier
                                                   [rêve...


                                       Lompnes, 1935