Œuvres (Rimbaud)/Derniers vers/Fêtes de la patience

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Œuvres, Texte établi par Paul Hartmann, Mercure de France (p. 129-136).


Fêtes de la patience

1 Bannières de mai
2 Chanson de la plus haute Tour
3 Éternité
4 Âge d’or

Bannières de mai


Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.


Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
− Ah moins seul et moins nul ! − je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
meurent à peu près par le monde.

Je veux bien que les saisons m’usent.
À toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.

Mai 1872.


Chanson de la plus haute Tour


Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.

J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.


Ainsi la Prairie
À l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent !

Mai 1872


L’Éternité


Elle est retrouvée.
Quoi ? — L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.


Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.

Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.
Quoi ? − L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Mai 1872


Âge d’or


Quelqu’une des voix
Toujours angélique
— Il s’agit de moi, —
Vertement s’explique :

Ces mille questions
Qui se ramifient
N’amènent, au fond,
Qu’ivresse et folie ;

Reconnais ce tour
Si gai, si facile :
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !

Puis elle chante. Ô
Si gai, si facile,
Et visible à l’œil nu…
− Je chante avec elle, −

Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !… etc…


Et puis une voix
— Est-elle angélique ! —
Il s’agit de moi,
Vertement s’explique ;

Et chante à l’instant
En sœur des haleines :
D’un ton Allemand,
Mais ardente et pleine :

Le monde est vicieux ;
Si cela t’étonne !
Vis et laisse au feu
L’obscure infortune.

Ô ! joli château
Que ta vie est claire !
De quel Âge es-tu,
Nature princière
De notre grand frère ! etc…

Je chante aussi, moi :
Multiples sœurs ! Voix
Pas du tout publiques !
Environnez-moi
De gloire pudique… etc…

Juin 1872