Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre X

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 56-58).

CHAPITRE X.

DES INTERROGATIONS SUGGESTIVES.


Nos lois interdisent les interrogations suggestives, c’est-à-dire celles qui portent sur le fait même du délit ; parce que, selon nos jurisconsultes, on ne doit interroger que sur la manière dont le crime a été commis, et sur les circonstances qui l’ont accompagné.

Mais un juge ne peut se permettre les questions directes, qui suggéreraient à l’accusé une réponse immédiate. Le juge qui interroge, disent les criminalistes, ne doit aller au fait qu’indirectement, et jamais en droite ligne.

Si l’on a établi cette méthode pour éviter de suggérer au coupable une réponse qui le sauve, ou parce qu’on a regardé comme une chose monstrueuse, et contre la nature, qu’un homme s’accuse lui-même, quel que soit le but que l’on s’est proposé en interdisant les interrogations suggestives, on a fait tomber les lois dans une contradiction bien remarquable, puisqu’en même temps on a autorisé la torture.

Est-il en effet une interrogation plus suggestive que la douleur ? Le scélérat robuste, qui peut éviter une peine longue et rigoureuse, en souffrant avec force des tourmens d’un instant, garde un silence obstiné, et se voit absous. Mais la question arrache à l’homme faible un aveu par lequel il se délivre de la douleur présente, qui l’affecte plus fortement que tous les maux à venir.

Et si une interrogation spéciale est contraire à la nature, en obligeant le coupable à s’accuser lui-même, n’y sera-t-il pas plus violemment contraint par les tourmens et les convulsions de la douleur ? Mais les hommes s’occupent bien plus, dans leur règle de conduite, de la différence des mots que de celle des choses.

Observons, en finissant, que celui qui s’obstinerait à ne pas répondre dans l’interrogatoire qu’on lui fait subir, mérite de subir une peine qui doit être fixée par les lois.

Il faut que cette peine soit très-grave ; car le silence d’un criminel, devant le juge qui l’interroge, est pour la société un scandale, et pour la justice une offense qu’il faut prévenir autant que possible.

Mais cette peine particulière n’est plus nécessaire, lorsque le crime est déjà constaté et le criminel convaincu, puisque alors l’interrogatoire devient inutile. Pareillement, les aveux de l’accusé ne sont pas nécessaires, lorsque des preuves suffisantes ont démontré qu’il est évidemment coupable du crime dont il s’agit. Ce dernier cas est le plus ordinaire ; et l’expérience montre que dans la plupart des procédures criminelles, les coupables nient tout.