Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Supplément au chapitre VII

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 40-42).

SUPPLÉMENT AU CHAPITRE VII.

DES COMMISIONS, etc.


« François Ier, étant à Marcoussi, devant le tombeau de Montagu, décapité sous Charles VI, il lui échappa de dire que c’était dommage qu’un tel homme fût mort par justice. Un moine, qui était présent, lui répondit : Sire, il ne fut pas condamné par justice, mais par commissaires.

» Le prince qui substitue des juges forcés aux organes ordinaires de la loi, annonce le dessein de satisfaire des vengeances ; et la seule différence qu’on puisse apercevoir entre les commissaires qu’il nomme et des assassins, c’est que les premiers se chargent d’infliger la mort, en la faisant précéder de la cérémonie d’une sentence, et que les derniers la donnent eux-mêmes, et sur-le-champ.

» Sous quelque couleur qu’on présente les tribunaux d’exception, quelque nom qu’on leur donne, sous quelque prétexte qu’on les institue, on doit les regarder comme des tribunaux de sang.

» N’attendez de ces tribunaux ni pitié, ni humanité, ni sentiment de justice ; ne vous reposez pas même avec confiance sur le caractère qu’ont pu montrer jusque-là les individus qui les composent. Tout homme assez lâche pour accepter une mission qui le mettra dans le cas de punir des actions qui ne sont réputées crimes que parce qu’elles déplaisent à un despote ou à une faction, fait le sacrifice de son honneur ; et dès ce jour, il est acquis à l’injustice.

» Il n’est que trop vrai que, lorsque les princes ou les factions veulent des assassins, ils en trouvent…, comme ils trouvent des juges lorsqu’on a besoin d’environner de certaines formes les vengeances qu’on a dessein d’exercer.

» C’est une règle aussi, que lorsque les princes ou les factions veulent des supplices, ils créent des commissions spéciales, ils nomment pour juges des bourreaux, et ils ont la certitude que tout homme, que tout magistrat qui acceptera ce lâche mandat, s’en rendra digne, et qu’il méritera son salaire.

» Mais un despote se sert des juges d’exception comme de vils instrumens, qu’il brise dès l’instant où il cesse d’en avoir besoin. L’iniquité de leurs jugemens a révolté les esprits ; et si le prince conserve quelque sentiment de pudeur, il ne peut désormais s’excuser qu’en rejetant sur eux ses propres excès.

» Si quelques-uns de ces juges d’iniquité ont échappé à la juste vengeance qui les poursuivait, considérez leur existence ignominieuse ; voyez-les, repoussés, méprisés ; interrogez votre cœur, et demandez-vous si leur supplice ne vous effraie pas !

» Ils vous diront qu’ils ont rempli leurs devoirs ; que la loi leur imposait de rigoureuses obligations ; que les circonstances…

» Mais entendez la voix bien plus puissante de la patrie et de l’humanité, qui leur répond : Vous êtes devenus coupables dès l’instant où vous avez consenti à être les ministres d’un pouvoir destructeur, les agens d’une faction qui voulait exterminer tout ce qui lui était contraire, les organes d’une loi de sang, et qui ne vous laissait d’autre tâche que celle de frapper d’innocentes victimes, ou de punir des opinions qui n’étaient pas les vôtres. » (Berenger, De la Justice criminelle en France, titre Ier, chap. 2.)