Des principes de l’économie politique et de l’impôt/Chapitre 31

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Des principes de l’économie politique et de l’impôt

CHAPITRE XXXI.

DES MACHINES[1].


Dans ce chapitre je me propose d’étudier l’influence que les machines exercent sur les intérêts des différentes classes de la société, question importante et qui ne me paraît pas avoir été suffisamment approfondie jusqu’à ce jour. Je me sens même d’autant plus entraîné à émettre mes opinions sur cette grave matière que ces opinions ont subi, sous l’empire de méditations prolongées, des changements adorables. Et quoique je ne sache pas avoir publié sur la question des machines une seule ligne que je doive rétracter, j’ai cependant pu soutenir indirectement des doctrines qu’aujourd’hui je crois fausses. C’est donc un devoir pour moi de soumettre à l’examen du public mes vues actuelles et les raisons qui les ont fait battre dans mon esprit.

Dès le moment où je commençai à étudier les questions économiques, je crus que toute machine qui avait pour effet d’introduire dans une branche quelconque de la production une économie de main-d’œuvre, produisait un bien général qu’altéraient seulement les crises qui accompagnent le plus souvent le déplacement des capitaux et du travail d’une industrie vers une autre. Il me parut que tant que les propriétaires auraient les mêmes rentes en argent, ils profiteraient de la diminution de prix survenue dans les marchandises qu’ils achetaient avec leurs rentes, — diminution que devait nécessairement entraîner l’emploi des machines. Il en serait de même, me disais-je, pour le capitaliste. Sans doute, celui qui découvre une machine ou qui en fait le premier l’application, doit, pendant quelques années, jouir d’avantages spéciaux et légitimes et de profits énormes ; mais l’emploi de sa machine se généralisant peu à peu, le prix de la marchandise produite descendrait, sous la pression de concurrence, au niveau des frais de production, et le capitaliste verrait baisser ses profits. Seulement il profiterait, à titre de consommateur, de l’avantage réparti à tous, et pourrait, avec le même revenu en argent, se procurer une somme plus considérable de jouissances et de bien-être.

Je croyais encore que les machines étaient une institution éminemment favorable aux classes ouvrières en ce qu’elles acquéraient ainsi les moyens d’acheter une plus grande masse de marchandises avec les mêmes salaires en argent : et je pensais, plus, que les salaires ne subiraient aucune réduction par la raison que les capitalistes auraient besoin de la même somme de travail qu’auparavant, quoique ce travail dût être dirigé dans des voies nouvelles. Si, par l’emploi de machines nouvelles, on parvenait à quadrupler la quantité de bas fabriqués, et que la demande de bas ne fit que doubler, il faudrait nécessairement licencier un certain nombre d’ouvriers ; mais comme le capital qui servait à les entretenir existait toujours et que l’intérêt des capitalistes devait être d’employer productivement ce capital, il me paraissait qu’il irait alimenter quelque autre industrie utile à la société. J’étais, en effet, et demeure profondément convaincu de la vérité de ces paroles d’Adam Smith. — « Le désir des aliments se trouve limité chez l’homme par l’étroite dimension de son estomac ; mais le désir du bien-être, du luxe, des jouissances, des équipages, de la toilette est infini comme l’art, comme le caprice. » Dès lors, comme je pensais que la demande de travail serait la même et que les salaires ne baisseraient pas, je pensais aussi que les classes inférieures participeraient, comme toutes les autres classes, aux avantages résultant du bas prix des marchandises, et par conséquent de l’emploi des machines.

Telles étaient mes opinions : telles elles sont encore relativement au propriétaire et au capitaliste ; mais je suis convaincu que la substitution des forces mécaniques aux forces humaines pèse quelquefois très-lourdement, très-péniblement sur les épaules des classes laborieuses.

Mon erreur provenait de ce que je faisais toujours croître parallèlement le revenu net et le revenu brut d’une société, et que tout prouve, au contraire, que les fonds où les propriétaires et les capitalistes puisent leurs revenus peuvent grandir tandis que celui qui sert à maintenir la classe ouvrière diminue. D’où il suit que la cause même qui accroît le revenu net d’un pays peut en même temps activer l’accroissement de la population, aggraver la concurrence des travailleurs et diminuer leur bien-être.

Supposons qu’un capitaliste spécule sur une somme de 20,000 l. st., et qu’il joigne aux fonctions d’un fermier celles d’un fabricant de denrées de première nécessité. Supposons encore que, sur ce capital, 7,000 l. st. soient engagées dans des constructions, des instruments, etc., et que le reste, soit employé, sous forme de capital circulant, à solder le travail. Supposons, enfin, que les profits soient de 10 %, et que les 20,000 l. st. rapportent régulièrement et annuellement 2,000 l. st.

Chaque année notre capitaliste, commence ses opérations en achetant la nourriture et les objets de consommation qu’il vendra dans le cours de l’année à ses ouvriers, jusqu’à concurrence de 13,000 l. st. Pendant tout ce temps il leur donne sous forme de salaires la même somme de monnaie, et ceux-ci lui restituent au bout de l’année pour 15,000 l. st. de subsistances, d’objets de première nécessité. Sur ces 15,000 l. st. il en est 2,000 qu’il consomme lui-même ou dont il peut disposer comme il lui plait. Le produit brut de cette année aura donc été de 15,000 l. st., et le produit net de 2,000 l. st. Supposons maintenant que l’année suivante le capitaliste emploie la moitié de ses ouvriers à construire une machine, et l’autre moitié à produire, comme auparavant, des subsistances et des denrées de première nécessité. Pendant cette année, encore, il dépenserait 13,000 l. st. en salaires, et vendrait à ses ouvriers la même quantité de nourriture et d’autres objets ; mais qu’arriverait-il l’année suivante ?

Le travail détourné vers la fabrication de la machine abaisserait de moitié la quantité et la valeur totale des subsistances et des denrées de première nécessité produites anciennement. La machine vaudrait 7,500 l. st. : les subsistances et autres objets 7,500 l. st. de sorte que la richesse du capitaliste serait absolument la même, car outre ces deux valeurs, son capital fixe serait toujours de 7,000 l. st., donnant en somme le fonds primitif de 20,000 l. st. joint aux 2,000 l. st. de bénéfice annuel.

Mais après avoir déduit pour ses dépenses personnelles cette somme de 2,000 l. st., il ne lui restera plus, pour continuer ses opérations, qu’un capital circulant de 5,500 l. Sa faculté de payer et maintenir des ouvriers se trouvera donc réduite de 13,000 l. st. à 5,500 l. st., et par conséquent tout le travail défrayé jadis par la différence, 7,500 l. st. se trouveraient en excès.

La quantité restreinte de travail que pourra occuper actuellement le capitaliste, devra, sans doute, grâce aux machines, et après la défalcation faite des frais de réparation et d’entretien, produire une valeur égale à 7,500 l. st. et reconstituer le capital circulant avec un bénéfice de 2,000 l. st. sur le fonds primitif ; mais s’il en est ainsi et si le revenu net n’est pas diminué, il importera fort peu au capitaliste que le revenu brut soit de 3,000, de 10,000 ou de 15 000 l. st.

Quoique la valeur du produit net n’ait pas diminué, et que sa puissance d’acheter d’autres marchandises se boit au contraire notablement accrue, le produit brut n’en aura pas moins été ramené, dans ce cas, de 15,000 l. st. à 7,500 l. st., et comme la faculté d’entretenir une population et d’employer du travail, dépend toujours du produit brut d’une nation, et non de son produit net, la demande de bras diminuera nécessairement, la population deviendra excessive et les classes ouvrières entreront dans une période de détresse et d’angoisses.

Cependant, comme le fonds qui grossit les éparses de chacun est proportionnel au revenu net, la diminution du prix des marchandises, — suite de l’introduction des machines, aurait pour résultat évident d’accroître la facilité d’épargner, de transformer des revenus en capitaux. Or, comme chaque accroissement de capital lui permettrait d’employer un plus grand nombre de bras, une fraction des ouvriers rejetés hors des ateliers par les engins mécaniques trouverait de nouveau à s’utiliser. Et s’il arrivait que, sous l’influence des machines, l’accroissement de la production fût assez grand pour fournir, sous forme de produit net, une quantité de nourriture et de denrées de première nécessité aussi considérable que celle qui existait auparavant comme produit brut, il resterait au service du travail un fonds tout aussi considérable et, par conséquent, on n’aurait pas à subir les maux d’une sur-population.

Tout ce que je tiens à prouver, c’est que la découverte et l’usage des forces mécaniques peuvent être suivis d’une diminution de produit brut : et toutes les fois qu’il en sera ainsi, la classe laborieuse souffrira, car elle deviendra excessive comparativement aux fonds destinés à la maintenir, et une fraction de ses membres se verra privée de travail et de salaires.

Le cas que j’ai choisi se recommande par son extrême simplicité ; mais les résultats eussent été absolument les mêmes si nous avions introduit, par supposition, les machines dans une manufacture, soit de drap, soit de coton. Si nous prenions l’exemple d’un fabricant de drap, nous verrions diminuer immédiatement la masse de ses produits ; car il n’aurait plus besoin de cette quantité de draps qui lui servait à payer un corps nombreux d’ouvriers. Il n’aurait plus qu’à reproduire une valeur égale à la détérioration des machines et aux profits légitimes sur le capital total. 7,500 l. st. feraient ceci tout aussi bien que le faisaient auparavant les 15,000 l. st., ce qui prouve qu’il n’y a aucune différence entre les deux hypothèses. On peut dire, cependant, que la demande de draps serait tout aussi grande qu’auparavant, et se demander comment s’approvisionnerait le marché.

Mais d’où viendront maintenant les demandes ? Des fermiers et des autres producteurs de denrées nécessaires, lesquels consacraient leurs capitaux à produire ces objets afin de les échanger contre du drap : ils fournissaient au marchand de draps du blé et des produits divers en échange de ses draps, et celui-ci les distribuait à ses ouvriers en échange du drap que leur travail lui fournissait.

Mais ce commerce cesserait. Le fabricant, ayant moins d’hommes à payer, moins de drap à vendre, ne demanderait plus de subsistances ni d’autres denrées. Les fermiers et ceux qui produisaient ces denrées typiquement en vue de les échanger, ne pouvant plus obtenir de drap, consacreraient directement leurs capitaux à en fabriquer ou les prêteraient à d’autres, afin que la société fût réellement approvisionnée de la denrée qui lui manque. Or, tout ceci nous conduit aux mêmes conclusions. La demande de travail diminuerait, et les marchandises nécessaires au maintien du travail seraient bien moins abondantes.

Si ces vues sont exactes, il en résulte : 1o que la découverte et l’application des forces mécaniques conduit toujours à l’accroissement du produit net du pays, quoiqu’il n’en augmente pas immédiatement la valeur ;

2o Qu’un accroissement dans le produit net d’un pays est parfaitement compatible avec une diminution du produit brut ; et qu’il suffit de savoir qu’une machine augmentera le produit net, tout en diminuant, comme cela arrive souvent, la quantité et la valeur du produit brut : — cela suffit, dis-je, pour décider de son adoption ;

3o Que l’opinion de, classes ouvrières sur les machines qu’ils croient fatales à leurs intérêts, ne repose pas seulement sur l’erreur et les préjuges, mais sur les principes les plus fermes, les plus nets de l’Économie politique ;

4o Que si l’impulsion donnée au travail par les machines pouvait tellement accroître le produit net, qu’il n’en résultât aucune diminution dans le produit brut, la situation de toutes les classes pourrait alors s’améliorer. Le propriétaire et le capitaliste profiteraient non pas de l’accroissement de leurs rentes ou de leurs profits, mais de la répartition des mêmes revenus sur des marchandises d’une valeur considérablement réduite. Quant à la condition de classes laborieuses, elle se trouverait aussi considérablement améliorée, 1o par une demande plus considérable de domestiques ; 2o par le stimulant que les revenus nets, abondants, communiquent toujours à l’épargne ; et 3o par le bas prix des articles de consommation que payaient leurs salaires.

Indépendamment de la question des machines que nous venons de traiter et d’approfondir, les classes laborieuses ont encore un grand intérêt à revendiquer dans la manière dont le produit du pays de trouve dépensé, quoique dans tous les cas cette dépense soit destinée à la satisfaction et aux jouissances de ceux qui y ont droit.

Si un propriétaire ou un capitaliste dépense son revenu à la manière d’un baron féodal, en s’entourant d’un grand nombre de serviteurs, de laquais, il emploiera bien plus de bras que s’il le consacrait à acheter de belles étoffes, de splendides ameublements, des voitures, des chevaux et tant d’autres objets de luxe.

Dans les deux cas le revenu net et le revenu brut seraient les mêmes ; mais le premier serait transformé en différentes marchandises. Si mon revenu était de 10,000 l. st. la même quantité de travail productif serait employée, soit que je m’en servisse pour acheter des objets de luxe, des velours, des tapis, soit qu’il fût consacré à acheter une certaine quantité de vêtements et de nourriture de la même valeur. Toutefois en transformant mon revenu en objets de luxe, je n’aurai pas nécessairement employé plus de travail, tandis que si je le consacrais à acheter des denrées nécessaires et à entretenir des domestiques, tous les individus que je pourrais entretenir avec mon revenu de 10,000 l. st. ou avec la nourriture et le vêtement que ce revenu me procure, devraient être considérés comme stimulant la demande de travail. Or, ce stimulant dépend uniquement de la manière dont il peut me plaire de dépenser mon revenu. Comme les ouvriers se trouvent ainsi intéressés dans la demande du travail, ils doivent naturellement désirer que l’on enlève aux dépenses de luxe les plus grandes sommes possibles pour les consacrer à l’entretien de domestiques.

De même un pays entraîné à travers les péripéties d’une guerre, et qui se trouve dans la nécessité de maintenir de larges flottes et de puissantes armées, emploie un nombre d’hommes bien plus considérable que celui qui sera employé au moment où la guerre cessera, et, avec elle, les dépenses qu’elle nécessitait.

Ainsi si les nécessités de la guerre ne m’avaient imposé une taxe annuelle de 500 l. st. destinée à entretenir des soldats et des matelots, j’aurais probablement dépensa cette somme en achat de meubles, d’habits, de livres, etc. Dans les deux cas la même quantité de travail resterait consacrée à la production ; car la nourriture et le vêtement du soldat et du matelot exigeraient la même somme d’industrie que celle nécessaire pour créer des objets de luxe. Mais il est à remarquer qu’en temps de guerre il se crée une demande additionnelle de soldats et de matelots ; et conséquemment, une guerre que défraie le revenu et non le capital d’une nation est, en définitive, favorable au développement de la population.

La fin de la guerre en me restituant une partie de mon revenu et me permettant de le consacrer de nouveau à acheter des vins, des ameublements et d’autres objets de luxe, doit cependant laisser sans ressources ces hommes qui combattaient l’ennemi. La population deviendra donc excessive : la concurrence des travailleurs s’aggravera ; les salaires descendront, et la condition des classes laborieuses s’abaissera notablement.

Il est important de citer encore un cas où l’augmentation du revenu net, et même du revenu brut d’un pays, peut très-bien s’allier avec une diminution de travail. Ce cas est celui où l’on substitue le travail des chevaux à celui de l’homme. Si j’emploie cent hommes sur ma ferme, et que je découvre que la nourriture distribuée à cinquante de ces hommes peut servir à entretenir des chevaux et me donner ainsi une plus grande somme de produits, j’écouterai la voix de mon intérêt, et je substituerai sans hésiter les chevaux aux hommes. Mais évidemment la condition de mes ouvriers serait gravement atteinte ; et à moins que mon accroissement de revenu ne soit assez considérable pour me permettre d’employer en même temps hommes et chevaux, il est évident que la population deviendra excessive et descendra d’un degré vers les privations et la misère. Il est évident, en tout cas, que ces hommes ne pourraient être employés en agriculture ; mais si le produit des terres était considérablement accru, ils pourraient trouver du travail dans les manufactures ou à titre de domestiques.

Il ne faudrait pas croire cependant que mes conclusions définitives soient contre l’emploi des machines. Pour éclaircir le principe, lui donner plus de relief, j’ai supposé que des machines nouvelles auraient été soudainement découvertes et appliquées sur une vaste échelle : mais dans le fait ces découvertes se font lentement, graduellement, et elles agissent plutôt en déterminant l’emploi des capitaux épargnés et accumulés, qu’en détournant les capitaux existants des industries actuelles.

À mesure que le capital et la population d’un pays grandissent la production devient plus coûteuse, et le prix des subsistances s’élève généralement. Or, la hausse des aliments entraîne la hausse des salaires, et la hausse des salaires tend à pousser plus activement le capital vers l’emploi des machines. Les forces mécaniques et les forces humaines sont en concurrence perpétuelle, et il arrive souvent que les premières ne sont employées qu’au moment où s’élève le prix des secondes.

En Amérique et dans un grand nombre d’autres pays où l’on pourvoit aisément à la nourriture de l’homme, les stimulants qui poussent à l’emploi des machines, sont loin d’être aussi puissants qu’en Angleterre, où la nourriture est chère et exige des frais de production considérables. La même cause qui élève les salaires n’élève pas la valeur des machines, et c’est pourquoi toute augmentation de capital aboutit au développement des engins mécaniques. La demande de travail continuera de s’accroître avec l’accroissement du capital, mais non dans le rapport exact de cet accroissement[2].

J’ai encore fait observer que l’accroissement du revenu net, évalué en marchandises, — accroissement qu’entraîne nécessairement l’emploi des machines, — doit conduire à de nouvelles épargnes, à de nouvelles accumulations. Ces épargnes, qu’on se le rappelle bien, sont annuelles, et doivent arriver bientôt à créer un fonds beaucoup plus considérable que le revenu brut détruit tout d’abord par la découverte des machines. Dès lors la demande de bras sera aussi grande qu’auparavant, et la condition du pays sera encore améliorée par l’accroissement d’épargnes que l’augmentation du revenu net lui permettra de faire.

Il serait toujours dangereux d’entraver l’emploi des machines, car si l’on n’accorde pas dans un pays, au capital, la faculté de recueillir tous les profits que peuvent produire les forces mécaniques perfectionnées, on le pousse au dehors, et cette désertion des capitaux sera bien plus fatale à l’ouvrier que la propagation la plus vaste des machines. En effet, dès qu’un capital est employé dans un pays, il y sollicite une certaine somme de travail ; et les machines ne peuvent fonctionner sans des hommes qui les surveillent, les guident, les réparent. Donc, si l’on consacre un capital à acheter des engins perfectionnés, on limite la demande de travail ; mais si on l’exporte on annule complètement cette demande.

D’ailleurs, le prix des marchandises se règle d’après les frais de production ; dès qu’on emploie des forces perfectionnées, on diminue les frais de production des marchandises et, par conséquent, on peut les vendre sur les marchés étrangers à des conditions réduites. Si cependant vous rejetez l’emploi des machines, vous serez obligé d’exporter de la monnaie en échange des marchandises étrangères, jusqu’à ce que la rareté du numéraire abaisse le prix de vos marchandises au niveau des prix du dehors. Dans vos relations avec les autres pays vous pourriez être amené à donner une marchandise qui vous aurait coûté deux journées de travail, pour une marchandise qui n’en aurait exigé qu’une au dehors ; et ce marché ruineux ne serait cependant que la conséquence de vos propres actes. En effet, cette marchandise que vous exportez et qui vous a coûté deux jours de travail, ne vous en aurait coûté qu’un, si vous n’aviez pas repoussé ces machines, dont les forces ont été si habilement utilisées par vos voisins.

  1. Ce chapitre est complètement neuf dans notre langue et ne figure dans les œuvres de Ricardo que depuis la quatrième édition (A. F.)
  2. La demande de bras dépend de l’accroissement du capital circulant et non du capital fixe. S’il était vrai d’ailleurs que la proportion entre ces deux genres de capitaux fût la même en tout temps et dans tous les pays, il s’ensuivrait naturellement que le nombre des ouvriers serait proportionné à la richesse du pays. Mais une telle proposition n’est pas soutenable. À mesure que les arts viennent épurer le goût des nations, que la civilisation s’étend, le capital fixe prend, relativement au capital circulant, des proportions de plus en plus vastes. La somme de capital fixe consacrée à la fabrication d’une pièce de mousseline anglaise est cent fois, probablement même mille fois, plus grande que celle qui, dans l’Inde, sert à fabriquer la même étoffe ; et, d’un autre côté, la somme de capital circulant est cent fois ou mille fois moindre. Il est facile de concevoir que dans de certaines circonstances la totalité des épargnes annuelles d’un peuple industriel peut être ajoutée au capital fixe, ce qui n’aurait aucun effet sur la quantité de travail à distribuer. Barton. Sur la situation des classes ouvrières, page 16.

    Il n’est pas facile de concevoir comment un accroissement de capital peut ne pas accroître la demande de travail : le plus qu’on peut dire, c’est que la demande va en proportion décroissante. M. Barton, dans l’ouvrage cité plus haut, me semble avoir, d’ailleurs, assez bien compris les effets produits par l’augmentation des capitaux engagés sur les classes laborieuses. Son Essai renferme à cet égard des vues utiles. (Note de l’Auteur.)