Description d’un parler irlandais de Kerry/5-7

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Cinquième partie, chapitre VII. La phrase verbal.


CHAPITRE VII
LA PHRASE VERBALE

§ 214. La phrase verbale se compose du verbe, de ses déterminants et de ses compléments. Tandis que la phrase nominale repose sur l’opposition de deux groupes nominaux la phrase verbale se confond avec le groupe verbal, pris au sens le plus large.

La phrase verbale peut se réduire au verbe seul : à celui-ci s’ajoutent cependant le plus souvent des éléments qu’on peut classer en déterminants, proclitiques ou enclitiques, porteurs de notions grammaticales analogues à celles qu’expriment par ailleurs les désinences, et compléments, mots pleins et autonomes du point de vue de l’accent.

On peut distinguer, parmi les déterminants :

1º les enclitiques, qui servent à exprimer ou à souligner la notion personnelle : pronoms sujets, particules personnelles emphatiques ;

2º les proclitiques, qui indiquent la valeur de la forme verbale : négations ; particules interrogatives, optatives, etc. ;

3º les éléments qui servent à la construction du verbe, et qui seront examinés avec la phrase complexe : relatif ; particule complétive ; conjonctions.

§ 215. Les enclitiques du verbe.

On a vu (§ 166) que l’expression de la personne est assumée indifféremment par désinence ou par pronom sujet. Lorsqu’il y a lieu d’insister sur l’expression de la personne (ainsi, lorsqu’il y a opposition) le pronom sujet est senti comme un mot plein et prend la forme emphatique (voir § 75). Une phrase comme B. O. II, aoo : do bhí sé agus an feirmeóir ag cainnt lé chéilig, litt. « il était, et le fermier, à parler ensemble » s’explique sans doute par le fait que l’opposition introduite par la suite de la phrase n’était pas présente à l’esprit quand le pronom sujet a été prononcé. Dans la forme à désinence personnelle, le même rôle est rempli par les mêmes particules personnelles emphatiques que l’on a après les pronoms (§ 75) : du:rtsə (dubhartsa) « je dis, moi ».

§ 216. Les proclitiques du verbe.

Les particules proclitiques (y compris la particule complétive) ont deux formes, l’une, terminée par ‑r, devant le prétérit et l’optatif négatif, l’autre, devant les autres temps du verbe (pour les formes prédicatives, cf. § 146 sq.) ; on a ainsi :

nʹi:‛ (ní) « ne ... pas », nʹi:r‛ (níor) ;

ən, əⁿ (an) « est-ce que ? », ər‛ (ar) ;

nɑ: (ná, nach) « est-ce que... ne pas ? », nɑ:r‛ (nár) ; de même kɑ:r‛ (cár) en face de kɑ:ⁿ (cá ?) « où ? » ;

goⁿ (go) « que », gœr‛ (gur) ; nɑ: (ná) « que... ne... pas », nɑ:r‛ (nár) ; dans des cas restreints : ər‛ (ar) en face du relatif əⁿ (a) ; de même sɑrər‛ (sarar) en face de sɑrəⁿ (sara) « avant que », et mɑrər‛ (marar) en face de mɑrəⁿ (mara) « où » ; voir §§ 227 et 228.

On a vu que quelques prétérits irréguliers prennent les particules sans ‑r : c’est le cas de rɑus (§ 181), rʹugəs (§ 182), du:rt (§ 185), fuerʹəs (§ 188), α (§ 190) ; en revanche hugəs (§ 183), ǥɑis (§ 186), χuələ (§ 191), hɑ:nə (§ 192), χuəs, dʹαis (§ 193), prennent les particules avec ‑r, comme font les prétérits réguliers.

La négation de l’impératif est nɑ: (ná).

La négation de l’optatif est nɑ:r‛ (nár), mais nɑ: (ná) devant le verbe d’existence (voir § 181).

A côté de la tendance qu’accuse le parler à employer les formes en ‑r devant les prétérits irréguliers comme devant le prétérit régulier, une tendance inverse à généraliser la forme sans ‑r s’indique, ainsi dans certains types de phrase nominale interrogative (§ 146) et, tout à fait sporadiquement, pour certaines particules, devant le prétérit ; kɑ: gʹαni:ʃ iəd (cá gceannuighis iad ?) « où les as-tu achetés ? » (observés chez des sujets jeunes). Le relatif aspirant a normalement la forme sans ‑r, même devant le prétérit (cf. § 226) ; le relatif nasalisant prend en revarche la forme en ‑r (cf. § 227, 228).

§ 217. Les négations requièrent la forme conjointe du verbe (§ 177) ; la négation non relative a la forme nʹi:‛ (ní), a tous les temps de l’indicatif, sauf au prétérit (et cf. § 216), nʹi:r‛ (níor) devant le prétérit régulier (pour la phrase nominale, voir § 146), nɑ: (ná), sans action sur l’initiale, à l’impératif, nɑ:r‛ (nár) à l’optatif (mais cf. § 216). Pour les formes et relatives, voir § 216. Pour la négation du interrogatives substantif verbal, voir § 244 nʹi: vʹi:n tʹrʹi:αn buən (ní bhíonn tréan buan) « ce qui est violent n’est pas durable (prov.) » ; nʹi: hikʹəχ ən kɑt tu (ní thuigfeadh an cat tú) « le chat ne te comprendrait pas » ou « ne t’aurait pas compris » (cf. § 158) ; nʹi:r osgəlʹ ʃi ǥo (níor oscail sí dhó) « elle ne lui ouvrit pas » ; nɑ: hɑbərʹ e: (ná habair é) « ne dis pas cela » ; nɑ: tikʹtʹər dœtʹ (ná tuigtear duit) « ne va pas penser » ; nɑ:r χʷirʹə dʹie er ə lʹαs e (nár chuirigh Dia ar a leas é) « que Dieu ne le fasse pas réussir » ; nɑ:r vʹi:αdi dʹie hu (nár mhéaduigh Dia thú) « que Dieu ne te fasse pas prospérer ».

§ 218. La particule interrogative requiert la forme conjointe du verbe (§ 177) ; formes : § 216 ; ə vʷilʹ ʃe ɑun (an bhfuil se ann ?) « est-il là ? » ; ər hugəʃ lʹαt e (ar thugais leat é ?) « l’as-tu apporté ? ».

Dans le tempo normal de la conversation la particule ə tombe le plus souvent ; l’interrogation n’est plus marquée que par la nasalisation de l’initiale et par l’emploi de la forme conjointe, là où celle-ci existe : vʹekʹən ʃivʹ (an bhfeiceann sibh ?) « voyez-vous ? » ; dans les verbes dont l’initiale ne se prête pas à être nasalisée seule l’intonation marque l’interrogation : mαrʹən ʃe fo:s (maireann se fós ?) « il vit encore ? ».

La négation interrogative présuppose une réponse positive : nɑ: fʷilʹən tu trè:χ (ná fuileann tú traochta ?) « n’es-tu pas épuisé ? » ; elle s’employe, là où la réponse a toute chance d’être, négative, pour marquer l’insistance ou l’indignation : nɑ: hi:sfɑ: rœd e:gʹənʹtʹ (ná h‑íosfá rud éigin ?) « ne veux-tu pas manger quelque chose ? » ; nɑ: fʷilʹən tu sɑ:st əniʃ (ná fuileann tú sásta anois ?) « n’es-tu pas satisfait maintenant ? (il ne manquerait plus que cela !) ».

Pour les pronoms et adverbes interrogatifs, voir §§ 84 et 93.

L’interrogation indirecte s’exprime comme l’interrogation directe : nʹi αdər ə vʷilʹ ʃe egə bαlʹə nu: nɑ: fʷilʹ (ní fheadar an bhfuil sé ag baile nó ná fuil) « je ne sais s’il est à la maison ou non » ; níl a fhios agam cad a dhéanfad nó connus a eireochaidh sé liom « je ne sais ce que je ferai ni comment cela me réussira ».

§ 219. Accord dans la phrase verbale.

Il n’y a pas d’accord dans la phrase verbale (cf. § 97).

Le verbe ne s’accorde pas avec le sujet. Lorsqu’il y a un sujet, nom ou pronom, exprimé, le verbe est normalement à la troisième personne du singulier ; l’expression du nombre par le verbe peut être économisée, même là où, par suite du tour relatif, le sujet précède le verbe : nʹi: hiəd nə fʹirʹ vuərə ə vʷinʹən ən fo:r (ní h‑iad na fir mhóra a bhaineann an fóghmhar) « ce ne sont pas les hommes grands qui font la moisson » ; on entend aussi dans ce même proverbe la forme plurielle ə vʷinʹədʹ ; on peut au reste avoir un verbe au pluriel, avec un sujet pluriel exprimé : ə nʹerʹə ə godə hrœdʹədʹ nə kəˈlʹɑ:nʹ (i ndeireadh a gcoda throidid na coileáin) « leur pâtée finie, les petits chiens se battent (prov.) ».

Un sujet au singulier désignant une pluralité peut accompagner un verbe au pluriel : vʹi:dər ən vʹertʹ ri:u:lʹ dɑ: ilʹu:nʹtʹ ən è:n ri:hαχ əvɑ:nʹ (bhíodar an bheirt righeamhail dá oileamhaint i n‑aon rí-theach amháin) « le couple royal fut élevé (litt. « furent élevés ») dans la même demeure royale ».

§ 220. Il n’y a pas davantage accord entre le sujet et l’adjectif attribut du verbe d’existence, celui-ci, à la différence de l’adjectif épithète, étant invariable et non soumis aux mutations initiales (cf. § 137) : B. O. II, 377 : do bhíodh an bhean bhocht chríona clipithe cráite aige « la pauvre vieille femme était harcelée et tourmentée par lui » ; la non-aspiration de l’adjectif attribut prévient ici l’ambiguïté de construction qui pourrait résulter de celle suite d’adjectifs ; is maith le gach éinne na prátaí teó mar níl aon mhaitheas ionnta ach iad a bheith te « tout le monde aime les pommes de terres chaudes, car elles ne valent rien à moins d’être chaudes (litt. « chaud »).

A plus forte raison, d’une proposition à l’autre, lorsqu’il y a renvoi par un pronom, n’y a-t-il pas accord grammatical d’un terme à l’autre, mais accord avec le sens : R. C, 49, 412 : do léim an caitín glas... agus do thosnaigh sí ar... « le petit chat gris sauta... et elle commença... », etc. ; caitín est, comme tous les diminutifs en ‑i:nʹ (‑ín), du masculin, mais il s’agit en l’occurrence d’une chatte.