Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Chen si

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Scheuerleer (Tome Premierp. 219-226).


DIXIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE.

CHEN SI.


Cette province est partagée en deux parties, l’une orientale, et l’autre occidentale, qui contiennent huit fou ou villes du premier ordre, et cent six autres villes, tant du second que du troisième ordre, qui en dépendent ; sans compter un grand nombre de forts bâtis d’espace en espace le long de la grande Muraille.

Parmi ces places de guerre Kan tcheou et So tcheou sont très considérables. Il y a dans la première un viceroi qui y réside, et plusieurs autres mandarins, dont les principaux ne reçoivent leurs ordres que de la cour. La seconde est également forte, et le gouverneur est très puissant. Elle est divisée en deux parties : l’une est habitée par les Chinois, et l’autre par les étrangers qui y demeurent pour leur trafic.

L’air y est tempéré, le peuple doux, civil, traitable, et plus affectionné aux étrangers, que les autres Chinois plus septentrionaux. Le débordement des torrents et des rivières rendent la terre très fertile. Il y a de riches mines d’or qu’il est défendu d’ouvrir : on en trouve une si grande quantité dans le sable des rivières et des ruisseaux, qu’une infinité de personnes subsistent du gain qu’ils retirent en lavant ce sable, et en séparant l’or qui y est mêlé.

Ce pays est sujet à être infesté de sauterelles qui broutent l’herbe, et ruinent quelquefois les plus abondantes moissons. Il produit peu de riz, mais il est très abondant en froment et en millet : il y croît si promptement, que pendant l’hiver les laboureurs font brouter l’herbe par les brebis, et l’expérience leur a appris que c’est le moyen de la faire repousser au printemps avec plus de force.

Outre l’abondance des grains qu’on trouve en cette province, elle fournit quantité de drogues et surtout de la rhubarbe, du miel en abondance, de la cire, du musc, du cinabre, du bois de senteur qui ressemble au bois de sandal, du charbon de pierre, dont il y a des mines qu’on ne peut épuiser.

On tire d’un grand nombre de carrières une espèce de pierre molle, ou minéral appelé hiung hoang, dont on fait des vases en sculpture, et que les médecins regardent comme un souverain remède contre toutes sortes de venins, contre les fièvres malignes, et contre les chaleurs contagieuses de la canicule, ils font tremper ce minéral dans le vin avant que de s’en servir. Il est de couleur rouge tirant sur le jaune, et marqueté de petits points noirs : il ressemble assez à du crayon.

On y trouve aussi de petites pierres bleues qui tirent sur le noir, et qui sont semées de petites veines blanches. Les Chinois prétendent qu’étant broyées, et réduites en une poudre très fine, c’est un excellent remède, et même qu’il prolonge la vie.

Les cerfs et les daims y vont par troupeaux ; on y voit quantité d’ours, de bœufs sauvages, et d’autres animaux semblables à des tigres, dont les peaux sont fort recherchées ; des espèces de chèvres dont on tire le musc, des bêtes à laine, dont la queue est fort longue et fort grosse, et dont la chair est d’un fort bon goût, sans parler d’une espèce singulière de chauve-souris aussi grosse que les poules, et dont les Chinois préfèrent la chair à celle des poules les plus délicates.

De la laine des brebis, et du poil des chèvres, on fait une étoffe fort jolie et fort recherchée : on ne se sert que du poil qui croît à ces animaux pendant l’hiver, et qui étant plus près de la peau, est plus délicat. Des oiseaux fort estimés pour leur beauté, et qu’on nomme poules d’or, sont aussi dans cette province.

Enfin on y trouve toutes sortes de fleurs : il y en a une surtout qui est fort estimée des curieux, et qu’ils appellent la reine des fleurs : elle est assez semblable à la rose, mais elle est plus belle, et ses feuilles sont plus larges, quoique l’odeur n’en soit pas si agréable ; elle n’a point d’épines ; sa couleur est mêlée de blanc et de rouge, il y en a aussi de rouge et de jaune. L’arbrisseau qui les produit ressemble assez au sureau. On cultive cette fleur avec un grand soin dans tous les jardins des seigneurs, mais il faut avoir la précaution de la couvrir dans les lieux où le climat est trop chaud, pour la garantir des ardeurs du soleil.


PARTIE ORIENTALE
DE LA PROVINCE DE CHEN SI, Y TONG


Première ville capitale.
SI NGAN FOU.


C’est après Peking une des plus belles et des plus grandes villes à qui soient à la Chine : elle est située dans une grande plaine, et où réside le tsong tou des deux provinces de Chen si et Se


tchuen : c’est aussi la résidence du gouverneur de la partie orientale de cette province. Sa juridiction particulière contient six villes du second ordre et trente-une du troisième.

Cette ville a été pendant plusieurs siècles la Cour des empereurs chinois et est encore fort peuplée et fort marchande surtout en mules. Les habitants ont le talent de les nourrir et de les dresser si bien, qu’on en voit plusieurs à Peking lesquelles suivent au pas un cheval qui va le trot : car à la Chine c’est la coutume de tout ce qu’il y a de gens de distinction, de se faire précéder par un valet assez bien monté. Ces mules se vendent à Peking cinq ou six cents livres.

Les murailles dont cette ville est environnée, sont fort larges, fort élevées, flanquées de tours éloignées entr’elles d’une portée de flèche, entourées d’un bon fossé : elles n’ont pas plus de quatre lieues de circuit, quoiqu’on dise communément qu’elles égalent celles de Peking ; elles représentent assez bien un carré, les faces étant presque égales ; quelques-unes de ses portes sont magnifiques et remarquables par leur hauteur.

On voit encore dans la ville un vieux palais, où demeuraient les anciens rois de la province : l’étendue du pays dont ils étaient les maîtres, et la valeur de leurs peuples les rendaient très puissants. Le reste des bâtiments n’a rien de plus beau que ce qu’on voit ailleurs : les maisons y sont, selon la coutume de la Chine, fort basses et assez mal construites, les meubles moins propres que dans les provinces méridionales, le vernis plus grossier, la porcelaine plus rare, et les ouvriers moins adroits.

Les principales forces des Tartares destinées à la défense du nord de la Chine, sont en garnison dans cette place sous un tsian kiun ou général de leur nation, lequel avec ses soldats occupe les maisons d’un quartier séparé des autres par une muraille ; il est là comme dans une forteresse. Les premiers mandarins de la province y sont en grand nombre, et sont ordinairement Tartares.

Pour ce qui est des gens du pays, ils sont plus robustes, plus braves, plus faits à la fatigue, et même d’une taille plus avantageuse qu’ailleurs ; ce qui en rend les milices plus formidables, que celles de presque toutes les autres provinces.

Les montagnes qui se trouvent dans le territoire de Si ngan fou, sont très agréables ; on y prend quantité de cerfs, de daims, de lièvres, et d’autres bêtes fauves, de même que cette espèce de chauve-souris grosses comme des poules, dont j’ai déjà parlé. On en tire aussi une terre extrêmement blanche, qui est fort recherchée des dames : elles la détrempent dans de l’eau, et s’en servent pour se blanchir le teint.


YEN NGAN FOU. Seconde ville.


C’est dans une agréable plaine, et sur les bords du Yen ho que cette ville est située. Dix-neuf villes, dont trois sont du second ordre, et seize sont du troisième, relèvent de sa juridiction. Elle a dans l’enceinte de ses murailles une assez haute montagne, remarquable par la beauté de divers édifices qu’on y a construits. Ses montagnes distillent une liqueur bitumineuse, qu’ils appellent huile de pierre, et dont on se sert pour les lampes.

Le pays est riche en martres zibelines et en fourrures précieuses. On en tire aussi quantité de beau marbre, et de toutes les sortes. Presque partout on voit de ces arbrisseaux dont j’ai fait la description, qui produisent des fleurs, que les Grands de l’empire cultivent avec soin dans leurs jardins.


FONG TSIANG FOU. Troisième ville.


Un oiseau fabuleux, que les Chinois représentent avec une variété de couleurs admirables, et qu’ils peignent quelquefois sur leurs vêtements et sur leurs meubles, a donné le nom à cette ville, qui a sous sa juridiction une ville du second ordre et sept du troisième. Elle est grande, et les bâtiments en sont assez beaux. L’air y est tempéré et sain, tout le pays est bien cultivé, et rendu fertile, par les torrents, les ruisseaux, et les rivières.


HAN TCHONG FOU. Quatrième ville.


Cette ville est située sur la rivière de Han ; tout le pays qui en dépend, et qui consiste en deux villes du second ordre, et en quatorze autres villes du troisième, est arrosé de plusieurs bras de cette rivière. Elle est grande et peuplée ; les hautes montagnes et les forêts, dont elle est environnée, la rendent très forte, et lui servent de rempart. Les vallées en sont agréables, et fournissent abondamment tous les besoins de la vie.

On y trouve du miel et de la cire en quantité, beaucoup de musc et de cinabre. Les bêtes fauves y sont en grand nombre, surtout les cerfs, les daims, et les ours. Les pieds de ce dernier animal, surtout ceux de devant, sont pour les Chinois un mets délicieux.

Le chemin qu’on fit autrefois au travers des montagnes jusqu’à la capitale, a quelque chose de surprenant : plus de cent mille hommes furent employés à un ouvrage si extraordinaire, et il fut exécuté avec une promptitude incroyable. Ils égalèrent et aplanirent les montagnes, ils firent des ponts d’une montagne à l’autre, et lorsque les vallées étaient trop larges, ils y dressèrent des piliers pour les soutenir.

Ces ponts, qui sont une partie de ce chemin, sont en quelques endroits si hauts, qu’on ne voit qu’avec horreur le fond du précipice. Quatre cavaliers y peuvent marcher de front. Il y a des garde-fous des deux côtés de chaque pont pour la sûreté des voyageurs, et l’on a bâti à certaines distances des villages avec des hôtelleries pour leur commodité.

Il n’y a que dans le district de cette ville, et dans quelques cantons de la Tartarie, qu’on trouve un oiseau de proie fort rare nommé hai tsing. Il est comparable à nos plus beaux faucons pour la vivacité et le courage. Lorsqu’on prend quelqu’un de ces oiseaux, il est aussitôt destiné à la fauconnerie de l’empereur.


PARTIE OCCIDENTALE
DE LA MÊME PROVINCE Y SI.


PING LEANG FOU.Cinquième ville.


C’est sur un bras de la rivière Kin ho que cette ville est située ; tout s’y trouve en abondance : le climat est très doux, la vue des montagnes, dont elle est environnée, n’a rien que d’agréable et les eaux, dont le pays est arrosé, en rendent le séjour charmant. Elle a sous sa juridiction trois villes du second ordre, et sept du troisième.


KONG TCHANG FOU. Sixième ville.


C’est une ville marchande et fort peuplée, qui est bâtie sur les bords de la rivière de Hoei. Les montagnes presque inaccessibles dont elle est environnée, la rendaient autrefois une place importante à la sûreté de l’empire, lorsqu’on avait à craindre l’invasion des Tartares. On y voit un sépulcre, que les Chinois prétendent être celui de Fo hi : s’ils disent vrai, ce doit être le plus ancien monument qui soit dans le monde.

On y trouve quantité de musc ; on tire de presque toutes ses montagnes le minéral hiung hoang qui est, comme je l’ai dit, une espèce d’orpiment, dont on fait usage dans la médecine quand il est bien transparent, et qu’on emploie contre les morsures des insectes venimeux, et dans les maladies malignes et épidémiques, ou pour s’en guérir, ou pour s’en préserver. On y trouve de ces pierres bleues tirant sur le noir, et marquetées de petites veines blanches, qu’on réduit en une poudre très subtile et qui, à ce que disent les Chinois, est propre à conserver la santé. Cette ville a dans son ressort trois villes du second ordre, et sept autres du troisième.


LING TAO FOU. Septième ville.


Cette ville est sur les bords d’une rivière qui se jette dans le Hoang ho ou fleuve Jaune. La quantité d’or qu’on ramasse dans le sable des rivières et des torrents du voisinage, la rendent célèbre. Le pays est plein de montagnes, où se trouvent grand nombre de bœufs sauvages, et de certains animaux semblables aux tigres, dont les peaux sont fort recherchées, et dont on fait des habits d’hiver.

Les vallées sont couvertes de blé, et celles qui sont voisines des rivières, sont remplies de bestiaux, et surtout de bêtes à laine qui ont la queue fort longue, et dont la chair est très délicate. Enfin tout le territoire qui dépend de cette ville, est assez abondant ; il consiste en deux villes du second ordre, et trois du troisième.


KIN YANG FOU. Huitième ville.


On a toujours regardé cette ville à la Chine comme une place très propre à arrêter les incursions des Tartares. Les fossés qui l’environnent sont très profonds ; ses murailles sont également fortes. La rivière, dont elle est presque entourée, les divers forts élevés d’espace en espace, joints aux montagnes et aux rivières, dont elle est comme enfermée : tout cela en fait une place très forte, à la manière dont les Chinois ont accoutumé de fortifier leurs villes.

Les sources d’eaux et les rivières qui arrosent le pays, le rendent très fertile. On y trouve une certaine herbe nommée kin se, c’est-à-dire, soie dorée, qu’on regarde comme un excellent remède, et une espèce de fève, qui, à ce qu’on assure, est un spécifique admirable contre toutes sortes de venin. Cette ville n’a dans sa dépendance qu’une ville du second ordre, et quatre du troisième.


Ville célèbre du second ordre.
LAN TCHEOU


Quoique Lan tcheou ne soit qu’une ville du second ordre, et qu’elle dépende de la précédente, elle ne laisse pas de tenir un rang célèbre dans la province, parce que c’est la meilleure qui se trouve sur les bords du fleuve Jaune.

On ne peut pas dire que ce soit une grande ville ; cependant elle est la capitale de la partie occidentale de cette province, et le siège du gouverneur, parce que, vu sa situation, qui la rend voisine de la grande Muraille, et des principales portes de l’ouest, il est facile d’envoyer du secours aux soldats qui en défendent l’entrée.

Le commerce de cette ville se fait principalement en peaux qui viennent de la Tartarie par Si ning et To pa, par où il faut passer nécessairement, aussi bien qu’en étoffes de laine de plusieurs sortes : une espèce de sergette assez fine nommée cou jong, est la plus estimée : elle est presque aussi chère que le satin ordinaire, mais elle se gâte aisément, parce qu’on a de la peine à la défendre des vers ; on l’appelle co he lorsqu’elle est grossière.

On nomme pe jong une autre étoffe à poil court et abattu, qui est sujette au même inconvénient, et qui est aussi chère. Le mieou jong est fait de poil de vache : il est gros et presque aussi épais que la bure ; on en fait des habits propres à se défendre de la neige, car dans ce pays-là on n’a rien de meilleur.

On fait encore en quelque endroits de ces cantons une étoffe nommée tie he mien : elle est tissue de fil et de laine, et pourrait être comparer à notre droguet, si elle était aussi serrée et aussi fournie. Nonobstant tout ce commerce, Lan tcheou ne passe pas à la Chine pour une ville riche.