Description de la Chine (La Haye)/De la forme du gouvernement de la Chine

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Scheuerleer (2p. 26-51).


De la forme du gouvernement de la Chine, des différents tribunaux, des mandarins, des honneurs qu’on leur rend, de leur pouvoir et de leurs fonctions.



Gouvernement de la Chine.

Le gouvernement politique de la Chine roule tout entier sur les devoirs des pères à l’égard de leurs enfants, et des enfants envers leurs pères. L’empereur est appelé le père de tout l’empire, le viceroi est le père de la province qui lui est soumise, et le mandarin est de même le père de la ville qu’il gouverne. C’est sur ce principe général qui est très simple, qu’est fondé ce grand respect et cette prompte obéissance, que les Chinois rendent aux officiers, qui aident l’empereur à soutenir le poids du gouvernement.

On ne peut s’empêcher d’être surpris lorsqu’on voit qu’un peuple infini, naturellement inquiet, intéressé jusqu’à l’excès, et toujours en mouvement pour s’enrichir, est néanmoins gouverné et retenu dans les règles du devoir par un petit nombre de mandarins, qui sont à la tête de chaque province. Tant il est vrai que l’ombre seule de l’autorité impériale qui paraît dans leurs personnes, a tout pouvoir sur l’esprit de ces peuples.

Dès les premiers temps de la monarchie, les mandarins ont été partagés en neuf ordres différents : la subordination de ces ordres est si grande et si parfaite, que rien ne se peut comparer au respect et à la soumission, que les mandarins d’un ordre inférieur ont pour ceux qui sont d’un ordre supérieur.

Le premier ordre des mandarins est celui des colao ou ministres d’État, des premiers présidents des Cours souveraines, et autres premiers officiers de la milice ; c’est le plus haut degré auquel les gens de lettres puissent parvenir, à moins que pour des services importants rendus à l’empire, l’empereur ne jugeât à propos de leur donner des titres encore plus honorables, comme ceux de comtes, de ducs, etc.


Des tribunaux.

Le nombre des colao n’est pas fixé, mais il dépend de la volonté du prince, qui les choisit comme il veut, et qui les tire des autres tribunaux. Cependant ils ne sont guère que cinq ou six. Il y en a un d’ordinaire parmi eux qui est plus distingué que les autres, et qu’on nomme cheou siang : c’est lui qui est le chef du Conseil, et qui a surtout la confiance de l’empereur.


Tribunal des Colao.

Le tribunal de ces colao se tient dans le palais, à main gauche de la salle impériale, qui est le côté le plus honorable. C’est dans cette salle que l’empereur donne audience quand il paraît en public, et qu’il reçoit les respects et les hommages que les mandarins viennent lui rendre. Comme il a dans son palais plusieurs autres salles magnifiques et superbement ornées, on attribue une de ces salles à chacun d’eux, pour examiner les différentes affaires qui lui sont adressées en particulier ; et on lui donne le nom de cette salle, comme un titre d’honneur qu’on ajoute à son nom ordinaire, par exemple, un tel, colao, suprême salle du milieu.


Différences des ordres des mandarins.

Ce tribunal qu’on nomme nui yüen, c’est-à-dire, la cour du dedans, parce qu’il est au dedans du palais, est composé de trois ordres de mandarins. Les premiers sont à proprement parler les ministres d’État ; ce sont eux qui voient et qui examinent presque toutes les requêtes que les tribunaux souverains doivent présenter à l’empereur, soit pour les affaires d’État, et qui concernent la guerre ou la paix, soit pour les affaires civiles ou criminelles. Ils lisent ces requêtes, et après les avoir lues, ils permettent qu’on les donne à l’empereur, à moins qu’ils ne trouvassent quelque obstacle, dont ils avertiraient Sa Majesté, qui reçoit ou qui rejette leurs avis, comme il lui plaît, se réservant quelquefois à lui seul la connaissance des affaires, et l’examen des mémoires qu’on lui a présentés.

Les mandarins qui composent le second ordre de ce tribunal, sont comme les assesseurs des premiers : c’est de leur corps que se tirent les vicerois des provinces, et les présidents des autres tribunaux ; on leur donne le titre de ta hio se, c’est-à-dire, lettrés, ou magistrats d’une capacité reconnue, et on les prend dans le second ou le troisième ordre des mandarins.

Les mandarins du troisième ordre s’appellent tchong chu co, c’est-à-dire école des mandarins. Ils sont les secrétaires de l’empereur, et ont soin de faire écrire toutes les affaires dont on délibère dans le tribunal ; on les prend dans le quatrième, le cinquième, ou le sixième ordre des mandarins.


Conseil de l’empereur.

Ce sont là les officiers qui composent le Conseil de l’empereur, et c’est à ce tribunal que s’examinent et se décident la plupart des grandes affaires, à moins que l’empereur ne fasse assembler le Grand Conseil pour en décider. Ce Grand Conseil est composé de tous les ministres d’État, des premiers présidents et assesseurs des six Cours souveraines, et de ceux de trois autres tribunaux considérables. Car outre ce Conseil du dedans, il y a dans Peking six Cours souveraines qu’on appelle Leou pou, dont le pouvoir et l’autorité s’étendent sur toutes les provinces de l’empire. De tout temps il y a eu dans chacune un président, qui est d’ordinaire mandarin du premier ordre, et deux assesseurs qui sont du second ordre ; sans compter les tribunaux subalternes, au nombre de quarante-quatre, qui ont chacun un président, et au moins douze conseillers.

C’est ainsi que ces tribunaux ont été composés sous les empereurs chinois, mais depuis que les Tartares se sont rendus maîtres de la Chine, on a doublé les officiers, tant dans les Cours supérieures que dans les subalternes, et l’on y a mis autant de Tartares que de Chinois. Trait de politique dans le conquérant, qui a trouvé le moyen de faire entrer les Tartares dans l’administration de l’État, sans mécontenter les Chinois qui auraient eu lieu de se plaindre, si on les eût exclu des charges de l’empire.


De la Cour appelée Lij pou.

La fonction de la première de ces Cours souveraines qui s’appelle Lij pou, est de fournir de mandarins toutes les provinces de l’empire, de veiller sur leur conduite, d’examiner leurs bonnes ou mauvaises qualités, d’en rendre compte à l’empereur, afin qu’il récompense la vertu et le mérite des uns, en les élevant à de plus grands emplois, et qu’il punisse les autres en les dégradant lorsque par quelque endroit, ils se sont rendus indignes du poste où on les avait placés : ce sont à proprement parler des inquisiteurs d’État.

Cette Cour a quatre tribunaux subalternes. Le premier qui a soin de choisir ceux qui par leur science et leurs autres qualités méritent de posséder des charges dans l’empire. Le second qui examine la bonne ou la mauvaise conduite des mandarins. Le troisième qui doit sceller tous les actes juridiques, donner aux différents mandarins les sceaux convenables à leurs dignités et à leurs emplois, et examiner si les sceaux des dépêches qu’on envoie à la cour sont véritables ou supposés. Enfin le quatrième qui est chargé d’examiner le mérite des Grands de l’empire, c’est-à-dire, des princes du sang impérial, des régulos, de ceux qu’on a honoré de titres à peu près semblables à ceux de nos ducs, de nos marquis, et de nos comtes, et généralement de toutes les personnes d’un rang et d’une qualité distinguée.


De la Cour appelée Hou pou

La seconde Cour souveraine, appelée Hou pou, c’est-à-dire, grand trésorier du roi, a la surintendance des finances, et a le soin du domaine, des trésors, de la dépense, et des revenus de l’empereur ; elle expédie les ordres pour les appointements et les pensions ; elle ordonne les livraisons de riz, de pièces de soie, et d’argent qui se distribuent aux grands seigneurs et à tous les mandarins de l’empire ; elle tient un rôle exact de toutes les familles, de tous les droits qui doivent se payer, des douanes, et des magasins publics. Pour l’aider dans ce prodigieux détail, elle a quatorze tribunaux subalternes pour les affaires des quatorze provinces dont est composé l’empire, car la province de Pe tche li étant la province de la cour, et par conséquent supérieure aux autres jouit en beaucoup de choses des prérogatives de la cour et de la maison de l’empereur. La province de Kiang nan, dont Nan king est capitale, avait autrefois les mêmes privilèges, à cause de la résidence qu’y faisaient les empereurs : mais elle a été réduite en province comme les autres par les Tartares, qui ont changé le nom de Nan king, en celui de Kiang nan.


De la Cour appelée Li pou

Li pou est le nom de la troisième Cour souveraine, c’est-à-dire, tribunal des rits. Quoique le nom de cette Cour paraisse le même que celui de la première Cour, dont nous venons de parler, il y a cependant une grande différence dans la langue chinoise, et c’est la prononciation qui le détermine. Lij signifie mandarin, et pou tribunal, c’est ce qui exprime le tribunal des mandarins : au lieu qu’ici li signifie rit, et joint avec pou exprime le tribunal des rits. C’est à cette cour qu’il appartient de veiller sur l’observation des rits et des cérémonies, sur les sciences et les arts ; c’est elle qui a soin de la musique impériale, qui examine ceux qui aspirent aux degrés, et qui permet qu’on les admette aux examens ; c’est elle qui donne son avis sur les titres d’honneur, et sur les distinctions dont l’empereur veut gratifier ceux qui le méritent. De plus elle a soin des temples et des sacrifices que l’empereur a coutume d’offrir ; ce soin s’étend aux festins que le prince donne à ses sujets ou aux étrangers : c’est à elle à recevoir, à régaler, à congédier les ambassadeurs ; elle a la direction des arts libéraux, et enfin des trois lois ou religions qui ont cours, ou qui sont tolérées dans l’empire, savoir, des lettrés, des tao ssëe, et des disciples de Fo. Enfin c’est comme une espèce de tribunal ecclésiastique, devant lequel les prédicateurs de l’Évangile ont été obligés de comparaître dans le temps des persécutions.

Quatre tribunaux subalternes aident cette cour dans ses fonctions. Le premier a soin de délibérer sur les affaires les plus importantes, comme lorsqu’il s’agit d’expédier les brevets pour les plus grandes charges de l’empire, telles que sont celles des tsong tou ou des vicerois. Le second a soin des sacrifices que fait l’empereur, des temples, des mathématiques, et des religions approuvées ou tolérées. Le troisième est chargé de recevoir ceux qui sont envoyés à la cour. Le quatrième a la direction de la table de l’empereur, et des festins que donne Sa Majesté, soit aux Grands de l’empire, soit aux ambassadeurs.


De la Cour appelée Ping pou.

La quatrième Cour souveraine se nomme Ping pou, c’est-à-dire, le tribunal des armes. La milice de tout l’empire est de son ressort. C’est de ce tribunal que dépendent les officiers de guerre généraux et particuliers ; c’est lui qui les examine en leur faisant faire l’exercice, qui entretient les forteresses, qui remplit les arsenaux et les magasins d’armes offensives et défensives, et de munitions de guerre et de bouche, qui fait fabriquer toutes sortes d’armes, et qui a soin généralement de tout ce qui est nécessaire pour la défense et la sûreté de l’empire.

Elle a quatre tribunaux inférieurs. Le premier dispose de toutes les charges militaires, et veille à ce que les troupes soient bien disciplinées. Le second distribue les officiers et les soldats dans les divers postes, pour y maintenir la tranquillité, et a soin de purger les villes et les grands chemins de voleurs. Le troisième a la surintendance de tous les chevaux de l’empire, des postes, des relais, des hôtelleries impériales, et des barques destinées à porter les vivres et les autres provisions aux soldats. Le quatrième a soin de faire fabriquer toutes sortes d’armes, et à en remplir les arsenaux.


De la Tournelle.

On a donné le nom de Hing pou à la cinquième Cour souveraine. Elle est comme la tournelle ou la chambre criminelle de l’empire. Il lui appartient d’examiner ceux qui sont coupables de quelque crime, de les juger, et de les punir d’une manière conforme à ce que les lois ont sagement établi. Elle a quatorze tribunaux subalternes, selon le nombre des quatorze provinces de l’empire.


De la Cour appelée Cong pou.

La sixième et dernière Cour souveraine appelée Cong pou, c’est-à-dire, tribunal des ouvrages publics, a soin d’entretenir les palais, tant de l’empereur, que des tribunaux, des princes du sang, et des vicerois, les sépulcres des empereurs, les temples, etc. Elle a l’intendance des tours, des arcs de triomphes, des ponts, des chaussées, des digues, des rivières, et des lacs, et de tous les ouvrages nécessaires pour les rendre navigables, des rues, des grands chemins, des barques, et de tous les bâtiments nécessaires pour la navigation.

Cette Cour a pareillement quatre tribunaux subalternes. Le premier dresse les plans et les dessins des ouvrages publics. Le second a la direction de tous les ateliers, qui sont dans toutes les villes du royaume. Le troisième a soin d’entretenir les canaux, les ponts, les chaussées, les chemins, etc. et de rendre les rivières navigables. Le quatrième a soin des maisons royales, des jardins, et des vergers : il les fait cultiver et en perçoit les revenus.

Chacun de ces tribunaux inférieurs, a son palais particulier avec ses salles, et est composé de deux présidents, et de 24 conseillers, partie tartares, et partie chinois. On ne parle point d’une infinité de petits officiers qui sont attachés à chaque tribunal, tels que sont les écrivains, les greffiers, les huissiers, les courriers, les prévôts, les sergents, et le reste.

Comme il serait à craindre que des corps en qui réside tant de puissance, ne vinssent à affaiblir peu à peu l’autorité impériale, les lois ont prévenu cet inconvénient en deux manières.


Bornes de l'autorité des tribunaux.

Premièrement, il n’y a aucun de ces tribunaux qui ait un pouvoir absolu dans les affaires qui sont de son ressort, et qui n’ait besoin pour l’exécution de ses jugements, du secours d’un autre tribunal, et quelquefois de tous ensemble. Par exemple, toutes les troupes sont soumises au quatrième tribunal souverain, qui est celui de la guerre ; mais le paiement des troupes, est du ressort du deuxième ; les barques, les chariots, les tentes, les armes, etc. dépendent du sixième. Ainsi nulle entreprise militaire ne peut s’exécuter sans le concert de ces différents tribunaux. Il en est de même de toutes les affaires importantes de l’État.

Secondement, rien n’est plus capable de tenir en bride la puissance des magistrats, dont les tribunaux suprêmes sont composés, que la précaution qu’on a prise de nommer un officier, qui veille à ce qui se passe dans chaque tribunal. Son office est d’assister à toutes les assemblées, d’en revoir tous les actes qui lui sont communiqués : il ne peut rien décider par lui-même, il est simple inspecteur pour observer toutes choses, et en rendre compte à la cour : sa charge l’oblige d’informer secrètement l’empereur, des fautes que les mandarins commettent, non seulement dans l’administration publique des affaires de l’État, mais encore dans leur conduite particulière : rien n’échappe à leur vigilance, ils n’épargnent pas même la personne de l’empereur, lorsqu’il est répréhensible ; et afin qu’on ne puisse les gagner en leur faisant espérer une fortune plus grande, ni les intimider par des menaces, on les retient constamment dans leur emploi et on ne les en tire que pour les élever à une charge plus considérable.


Censeurs publics.

Ces sortes d’inspecteurs ou de censeurs publics, qu’on appelle co tao, se font extrêmement redouter, et il y a des traits étonnants de leur hardiesse et de leur fermeté. On en a vu accuser des princes, des grands seigneurs, des vicerois tartares, quoiqu’ils fussent sous la protection de l’empereur ; il est même assez ordinaire, que soit par entêtement, soit par vanité, ils aiment mieux tomber dans la disgrâce du prince, et même être mis à mort, que de se désister de leurs poursuites, quand ils croient qu’elles sont conformes à l’équité, et aux règles d’un sage gouvernement.

L’un d’eux ayant accusé au feu empereur Cang hi, quatre colao et quatre grands officiers, et les ayant convaincus de s’être laissés corrompre par argent, pour la nomination des charges, ils furent cassés sur-le-champ, et réduits à la condition de gardes, qui sont de petits officiers du menu peuple ; ainsi l’on peut bien dire des officiers de cette cour, ce qu’un courtisan de Perse disait de ceux de son prince : Ils sont entre les mains du roi mon maître comme des jetons, qui ne valent que ce qu’il veut les faire valoir.

Lorsque l’empereur renvoie selon la coutume les requêtes de ces censeurs aux tribunaux pour en délibérer, il est rare que les mandarins donnent le tort aux censeurs, par la crainte où ils sont d’être accusés eux-mêmes. C’est ce qui donne à ces officiers un grand crédit dans l’empire ; mais aussi c’est ce qui tient tout dans le devoir, et dans la subordination si nécessaire pour maintenir l’autorité impériale.

Cependant quelque déférence qu’aient tous les mandarins, non seulement pour les ordres, mais pour les moindres inclinations de l’empereur, ils ne laissent pas dans l’occasion de faire paraître beaucoup de fermeté. Lorsque l’empereur interroge les tribunaux, et qu’ils répondent selon les lois, on ne peut ni les blâmer, ni leur faire aucun reproche ; au lieu que s’ils répondent d’une autre manière, les censeurs de l’empire ont droit de les accuser, et l’empereur de les faire punir, pour n’avoir pas suivi les lois.


Tribunal des princes à Peking.

Il y a encore à Peking un autre tribunal, uniquement établi pour y traiter les affaires des princes ; on ne veut pas qu’ils soient confondus avec le commun du peuple. Les présidents et les officiers de ce tribunal sont des princes titrés ; on choisit les officiers subalternes parmi les mandarins ordinaires ; c’est à ceux-ci de dresser les actes de procédure, et de faire les autres écritures nécessaires. C’est aussi dans les registres de ce tribunal, qu’on inscrit tous les enfants de la famille impériale à mesure qu’ils naissent, qu’on marque les titres et les dignités dont on les honore, qu’on les juge, et qu’on les punit s’ils le méritent. Les regulos, outre leurs femmes légitimes, en ont ordinairement trois autres, auxquelles l’empereur donne des titres, et dont les noms s’inscrivent dans ce tribunal. Les enfants qui en naissent, ont rang après les enfants légitimes, et sont plus considérés que ceux qui naissent de simples concubines, que les princes peuvent avoir en aussi grand nombre qu’ils le souhaitent.

Je n’entrerai point dans un plus grand détail des divers tribunaux établis dans la ville impériale, il suffit d’avoir parlé un peu au long des six principaux auxquels ils sont subordonnés ; mais je n’en puis omettre un qui est singulier en son genre, et qui fait connaître le cas qu’on fait à la Chine des gens de lettres.


Des Lettrés

Tous les trois ans tout ce qu’il y a de kiu gin, c’est-à-dire de licenciés dans l’empire, se rendent à Peking pour parvenir au degré de docteur ; on les examine rigoureusement durant 13 jours, et il n’y en a qu’environ trois cents qui soient élevés à ce degré. On choisit parmi ces nouveaux docteurs, ceux qui ont fait paraître le plus d’esprit et de capacité, pour composer le tribunal dont je parle, et qui se nomme Han lin yuen ; c’est une espèce d’académie, qui ne compte parmi les membres, que les plus savants et les plus beaux génies de l’empire.

Ce sont ces docteurs qui ont l’intendance de l’éducation du prince héritier, et qui doivent lui enseigner la vertu, les sciences, les règles de la civilité, et le grand art de bien gouverner. Ils sont chargés d’écrire les évènements considérables qui méritent d’être transmis aux races futures et l’histoire générale de l’empire. Leur profession est de continuellement étudier et de faire des livres utiles. Ce sont proprement les gens de lettres de l’empereur ; il s’entretient avec eux des sciences, et c’est souvent de leur corps qu’il choisit des colao, et les présidents des tribunaux suprêmes. Les membres de ce tribunal sont dans une grande estime et en même temps fort craints et fort respectés.


Des gouverneurs de province.

C’est l’empereur qui nomme pareillement les mandarins, auxquels il donne toute autorité dans les provinces. Elles sont gouvernées par deux officiers généraux, dont dépendent tous les autres : l’un qui s’appelle fou yuen ; c’est ce que nous nommons en Europe viceroi, ou gouverneur de province ; un autre, dont la juridiction est bien plus étendue, puisque deux et quelquefois trois provinces lui sont soumises. Celui-ci se nomme tsong tou.

L’un et l’autre sont à la tête d’un tribunal suprême de la province, où toutes les affaires importantes, soit civiles, soit criminelles, se décident ; c’est à eux que l’empereur envoie immédiatement ses ordres, et ils ont soin de les signifier aussitôt dans toutes les villes de leur ressort.

Quelque grande que soit l’autorité du tsong tou, elle ne diminue en rien celle des vicerois particuliers : tout y est réglé de telle sorte, qu’il n’y a jamais parmi eux aucun conflit de juridiction. Ce tribunal suprême de chaque province a dans son département plusieurs autres tribunaux, qui lui sont subordonnés, et un certain nombre de mandarins inférieurs, qui aident le viceroi à expédier les affaires.

Dans toutes les villes capitales des provinces, on a établi deux tribunaux, l’un pour les affaires civiles, et l’autre pour les affaires criminelles : le premier s’appelle pou tching ssée ; il a un président et deux assesseurs : ils sont tous trois mandarins du second ordre. Le président l’est du premier degré, et les assesseurs du second degré ; Le tribunal criminel, qu’on nomme ngan tcha ssée, a un président du troisième ordre, et au lieu d’assesseurs il a deux classes de mandarins, qu’on appelle ta oli.

Ces mandarins sont les visiteurs des différents districts qui partagent chaque province, et ils y ont leurs tribunaux. Leur charge est d’en rendre compte à l’empereur, surtout quand dans la province il n’y a point de visiteur envoyé de la cour.

Les uns appelés y tchuen tao ont soin de l’entretien des postes, des hôtelleries royales, et des barques de leur département, qui appartiennent à l’empereur. D’autres qu’on nomme ping pi tao, ont inspection sur les troupes. D’autres veillent à la réparation des grands chemins, on les nomme tun tien tao : il y en a qui ont soin des rivières, et qu’on appelle ho tao ; et d’autres, dont l’emploi est de visiter les côtes de la mer, ils s’appellent hai tao. Ils ont tout pouvoir de faire châtier les criminels, et ils sont comme les substituts des six tribunaux suprêmes de la cour.

Pour ce qui est des villes particulières, comme elles sont de trois ordres différents, elles ont aussi leurs gouverneurs, et plusieurs mandarins qui rendent la justice.

Le mandarin des villes du premier ordre s’appelle tchi fou. Il est mandarin du quatrième ordre ; ses trois assesseurs sont mandarins du sixième et du septième ordre : il a encore sous lui un certain nombre de mandarins inférieurs, qui se multiplient à proportion de l’étendue de son territoire, et du nombre des villes qui sont de sa dépendance.

Le mandarin des villes du second ordre se nomme tchi tcheou, il est du second degré du cinquième ordre : ses deux assesseurs sont du second degré du sixième et du septième ordre.

Enfin toutes les autres villes de l’empire ont un tribunal, dont le président s’appelle tchi hien. C’est un mandarin du septième ordre qui a deux assesseurs, l’un du huitième, et l’autre du neuvième ordre.


Des mandarins particuliers.

Outre ces tribunaux qui sont communs à toutes les provinces, il y en a encore d’autres, qui sont propres de certains lieux, ou qui ont des fonctions particulières, tels que sont, par exemple, les mandarins du sel qui ont soin de le faire distribuer dans toutes les provinces par des personnes sûres, et d’empêcher que des marchands particuliers n’en débitent, et ne fassent tort aux droits du prince. Le président de ce tribunal s’appelle yen fa tao ; le mandarin général du tribunal du rit, qu’on nomme leang tao ; un autre mandarin général, lequel préside aux examens des étudiants de la province, et de tous ceux qui aspirent aux degrés de littérature, qui se nomme hio tao : et plusieurs autres qui ont des offices particuliers, et dont le détail serait trop long.

Le nombre de ces mandarins de lettres répandus dans tout l’empire, monte à plus de treize mille six cents : on en imprime quatre fois l’année un catalogue exact, où l’on marque leur nom, leurs titres, leur pays, et le temps auquel ils ont été gradués. Je parlerai ailleurs des mandarins d’armes ou officiers de guerre.

Les gouverneurs des villes, qui sont des mandarins inférieurs, ne règlent pas ordinairement par eux-mêmes les affaires importantes ; mais ils sont obligés d’en faire leur rapport aux mandarins supérieurs, c’est-à-dire, au pou tching ssée que les Européens appellent le trésorier général de la province, et au fou yüen, à qui nous donnons le nom de viceroi.

Ces deux grands mandarins ne reconnaissent au-dessus d’eux que les tribunaux de Peking. Pour ce qui est du tsong tou, qui est au-dessus des vicerois, et qui a le gouvernement de deux ou trois provinces, il est dépendant des mêmes tribunaux ; mais sa charge est si considérable, qu’on ne peut l’élever qu’en le faisant ministre d’État, ou président d’une des Cours souveraines.

Tous les mandarins sont infiniment jaloux des marques de leur dignité, qui les distinguent non seulement du commun du peuple, mais encore des autres lettrés, et de tous ceux qui sont d’un rang inférieur.


Leurs marques de distinction.

Cette marque consiste dans une pièce d’étoffe carrée qu’ils portent sur la poitrine ; elle est richement travaillée, et au milieu se voit la devise propre de leurs emplois : aux uns c’est un dragon à quatre ongles, aux autres un aigle, ou un soleil, et ainsi du reste. Pour ce qui est des mandarins d’armes, ils portent des panthères, des tigres, des lions, etc. Il y a pareillement de la distinction affectée aux ceintures qu’ils portent : autrefois avant que les Chinois eussent pris l’habit tartare, elles étaient divisées en petits carreaux, et s’attachaient par devant avec de grandes agrafes faites de cornes de buffle de rhinocéros, d’ivoire, d’écailles de tortue, de bois d’aigle, d’argent, d’or, et de pierreries : cette matière des agrafes était différente selon la diversité des emplois : il n’y avait que les colao qui pussent porter celle qui est de pierres précieuses, et c’est l’empereur qui la leur donnait, lorsqu’il les mettait en possession de leur charge. Maintenant c’est la ceinture de soie qui est toujours en usage.

Il y a une dépendance absolue entre ces diverses puissances qui gouvernent l’État. Le plus petit des mandarins a tout pouvoir dans l’étendue de son gouvernement, mais il relève d’autres mandarins, dont le pouvoir est plus grand ; ceux-ci dépendent des officiers généraux de chaque province ; ces derniers, des tribunaux de la ville impériale ; et les présidents des Cours souveraines, devant qui tremblent tous les mandarins, tremblent eux-mêmes devant l’empereur, en qui réside la souveraine puissance.


Distribution de leurs charges.

Voici comment se distribuent les charges des mandarins, c’est-à-dire, des officiers : quand des trois degrés de littérature, on en a passé au moins deux, on est en état de posséder des charges ; les noms de ces trois sortes de savants, c’est-à-dire, des sieou tsai ou bacheliers, des kiu gin ou licenciés et des tsing ssée ou docteurs, s’écrivent dans les registres du tribunal, appelé Lji pou, qui distribue les officiers chacun dans son rang et selon son mérite.

Lorsque leur temps est venu, et qu’il vaque des charges, ils se rendent à la cour : on ne les élève ordinairement, même les tsing ssée, qu’aux charges de gouverneurs de villes du second et du troisième ordre. Supposé que quatre de ces charges viennent à vaquer, on commence par en informer l’empereur ; et on appelle les quatre lettrés qui sont les premiers sur la liste ; puis dans une boîte élevée, où l’on ne peut atteindre qu’à peine avec la main, on met quatre bulletins, où sont écrits les noms des quatre gouvernements, ensuite chacun tire en son rang, et est fait gouverneur de la ville dont le nom lui est échu.

Outre les examens ordinaires, on en fait encore un autre, pour s’assurer de quelle sorte de gouvernement un lettré est capable ; et l’on dit que quand on a des amis, ou de l’argent à donner, les Chinois ne manquent pas de diverses adresses, pour faire tomber les meilleurs gouvernements, à ceux qu’ils ont dessein de favoriser.


Exactitude dans l'exécution de leurs ordres.

La facilité avec laquelle un seul mandarin, un tchi fou par exemple,

CORTÈGE D’UN VICEROY, TOUTES LES FOIS QU’IL SORT DE SON PALAIS.


gouverne un si grand peuple, est admirable. Qu’il publie ses ordres sur un simple carré de papier, scellé de son sceau, et affiché aux carrefours des villes et des villages, il est aussitôt obéi.

Une si prompte obéissance a pour base cette profonde vénération, et cette soumission sans réserve à l’égard des parents dans laquelle les Chinois sont élevés dès leur enfance : elle vient aussi du respect que ce mandarin s’attire, par la manière dont il conduit un peuple accoutumé à le regarder comme l’empereur, dont il représente la personne. Le peuple ne lui parle qu’à genoux lorsqu’il rend la justice dans son tribunal. Il ne paraît jamais en public qu’avec un grand appareil, et son train est majestueux. Il est superbement vêtu, son visage est grave et sévère ; quatre hommes le portent assis sur une chaise fort propre, découverte et dorée si c’est en été, et fermée d’un tour de soie si c’est en hiver : il est précédé de tous les gens de son tribunal, dont les bonnets et les habits sont d’une forme extraordinaire.


Cérémonies à la marche d'un mandarin.

Ces officiers marchent en ordre des deux côtés de la rue ; les uns tiennent devant lui un parasol de soie, les autres frappent de temps en temps sur un bassin de cuivre, et d’espace en espace ils avertissent à haute voix le peuple, de se tenir en respect à son passage. Quelques-uns portent de grands fouets, d’autres traînent de longs bâtons, ou des chaînes de fer ; le fracas de tous ces instruments fait trembler un peuple naturellement timide, et qui sait qu’il n’échapperait pas aux châtiments que lui ferait souffrir le mandarin, s’il contrevenait publiquement à ses ordres.

Ainsi dès qu’il paraît, tout le peuple, qui est dans les rues, lui témoigne son respect, non pas en le saluant, de quelque manière que ce soit, ce serait une familiarité punissable ; mais en se retirant à l’écart, se tenant debout, les pieds joints l’un auprès de l’autre, les bras pendants et serrés le long des côtes ; et il demeure dans cette posture la plus respectueuse, jusqu’à ce que le mandarin soit passé.

Si un mandarin du cinquième ordre, tel que le tchi fou, marche avec cette pompe, on peut juger quelle est la magnificence de la marche du tsong tou, ou du viceroi. Il a toujours pour le moins une centaine d’hommes qui l’accompagnent, et cette longue suite qui n’a rien d’embarrassant, parce que chacun sait son poste, occupe quelquefois toute une rue. C’est au milieu de ce cortège qu’il paraît revêtu de ses habits de cérémonie, et élevé sur une chaise fort grande et bien dorée, que huit hommes portent sur leurs épaules.

D’abord paraissent deux timbaliers, qui frappent sur des bassins de cuivre pour avertir de la marche : viennent ensuite huit porte-enseignes de bois vernissé, où sont écrits en gros caractères les titres d’honneur du viceroi ; quatorze drapeaux où l’on voit les symboles propres de sa charge, tels que sont le dragon, le tigre, le phénix, la tortue volante, et d’autres animaux ailés ; six officiers qui portent une planche, faite en forme de pelle fort large, élevée, et suspendue, où l’on lit en gros caractères d’or les qualités particulières de ce mandarin. Deux autres portent, l’un un parasol de soie jaune à triple étage, et l’autre l’étui où se conserve ce parasol ; deux archers à cheval qui sont à la tête des premiers gardes : des gardes armés de faux redressées et ornées de flocons de soie à quatre étages ; deux autres files de gens armés, les uns de masses à long manche, les autres de masses en forme de poignet au serpent de fer, et d’autres armés de grands marteaux, et de longues haches en croissant ; de nouveaux gardes portant les uns des haches d’armes au tranchant redressé, et les autres armés de faux droites comme les premières ; quelques soldats portant ou des hallebardes à triple pointe, ou des flèches, ou des haches ; deux porteurs chargés d’une espèce de coffre très propre, dans lequel est enfermé le sceau de sa dignité. Deux nouveaux timbaliers qui avertissent que le mandarin approche ; deux officiers armés de cannes pour tenir le monde en respect, qui sont couverts d’un feutre ombragé de deux plumes d’oie. On voit ensuite deux porte-masses à dragons de grosse sculpture dorés, et un grand nombre d’officiers de justice, les uns armés de fouets ou de bâtons plats pour donner la bastonnade, les autres armés de chaînes, de fouets, de coutelas, et d’écharpes de soie. Deux guidons, et un capitaine commandant cette escouade : tout cet appareil précède le viceroi porté dans sa chaise, et environné de ses pages et de ses valets de pied, ayant près de sa personne un officier qui porte un grand éventail en forme d’écran. Il est suivi de plusieurs gardes, dont les uns sont armés de masses polyèdres, et les autres de sabres à long manche ; après quoi viennent plusieurs enseignes et cornettes, avec un grand nombre de domestiques à cheval, qui portent chacun ce qui est à l’usage du mandarin, comme un second bonnet renfermé dans son étui, en cas que le temps l’oblige d’en changer, etc.


De la marche pendant la nuit.

Quand il marche pendant la nuit, on porte, non pas des flambeaux comme en Europe, mais plusieurs grosses lanternes très propres, sur lesquelles on a écrit en lettres cubitales, les titres et les qualités du mandarin, avec l’ordre de son mandarinat, pour imprimer à chacun le respect qui lui est dû, et afin que les passants s’arrêtent, et que ceux qui sont assis se lèvent respectueusement. C’est le gouverneur de chaque hien ou de chaque tcheou, qui est chargé d’administrer la justice, de recevoir le tribut que chaque famille doit à l’empereur, de visiter en personne les corps de ceux qui ont été tués dans quelques démêlés, ou que le désespoir a porté à se donner la mort.


Des audiences.

Deux fois le mois il doit donner audience à tous les chefs de quartier, et s’informer exactement de tout ce qui se passe dans son ressort : c’est à lui de distribuer les passeports aux barques et aux vaisseaux, d’écouter les plaintes et les accusations, qui sont presque continuelles parmi un grand peuple : tous les procès viennent à son tribunal, il fait punir à grands coups de bâtons celui des plaideurs qu’il juge coupable : enfin c’est lui qui condamne à mort les criminels ; mais sa sentence, de même que celle des autres mandarins qui sont au-dessus de lui, ne peut être exécutée, qu’elle ne soit ratifiée par l’empereur. Les causes de peu d’importance se jugent en premier ressort par les trois mandarins subalternes, dont les charges ressemblent à celles de lieutenants particuliers de nos présidiaux.

Quelque redoutable que soit l’autorité de ces mandarins, ils ne peuvent guère se maintenir dans leurs emplois, qu’en se faisant la réputation d’être les pères du peuple, et de n’avoir d’autre attention que celle de procurer leur bonheur.


Son but dans l'administration de sa charge

Aussi c’est à rendre le peuple heureux, qu’un bon mandarin doit mettre toute sa gloire. Tel d’entre eux a fait venir de son pays plusieurs ouvriers, pour apprendre à élever des vers à soie, et à faire des étoffes dans tout son district, et par ce moyen là a enrichi sa ville, et s’est attiré les plus grands éloges.

On en a vu un autre qui dans un temps d’orage, ne se contenta pas de défendre qu’on traversât la rivière, mais encore se transporta sur le rivage, et y demeura tout le jour, pour empêcher par sa présence, que quelque téméraire se laissant emporter par l’avidité du gain, ne s’exposât au danger de périr misérablement.

Un mandarin qui serait trop sévère, et en qui on ne verrait point cette affection pour le peuple qui lui est soumis, ne manquerait pas d’être noté dans les informations, que les vicerois envoient de trois en trois ans à la cour, et cette note suffirait pour le dépouiller de sa charge : si un prisonnier vient à mourir dans la prison, il faut une infinité d’attestations, qui prouvent que le mandarin n’a pas été suborné pour lui procurer la mort ; qu’il est venu le visiter lui-même ; qu’il a fait venir le médecin ; et qu’il lui a fait fournir tous les remèdes convenables, etc. car on doit avertir l’empereur, et lui rendre compte de tous ceux qui meurent dans les prisons, et de la manière dont ils sont morts ; et sur l’avis que l’empereur en reçoit, il fait faire souvent des informations extraordinaires.

Il y a surtout certaines occasions, où les mandarins affectent le plus de marquer leur sensibilité pour le peuple ; et c’est lorsqu’on craint que la récolte ne manque, ou par la sécheresse, ou par l’abondance des pluies, ou par quelque autre accident, comme par la multitude des sauterelles qui inondent quelquefois certaines provinces. Alors le mandarin soit par affection, soit par intérêt, ou par grimace, n’oublie rien pour se rendre populaire.

La plupart, bien qu’ils soient lettrés, et qu’ils détestent les idoles de Fo et du Tao, ne laissent pas de parcourir solennellement tous les temples, et cela à pied contre leur coutume, pour demander à ces idoles de la pluie ou du beau temps.


Fonction des mandarins dans les calamités publiques.

Ainsi lorsqu’il arrive de ces sortes de calamités, aussitôt le mandarin fait afficher partout des ordonnances, qui prescrivent un jeûne général : il est défendu aux bouchers et aux traiteurs de vendre de la viande, sous des peines grièves : cependant quoi qu’ils n’étalent pas la viande sur leurs boutiques, ils ne laissent pas d’en vendre en cachette, moyennant quelque argent qu’ils donnent sous main aux gens du tribunal, qui veillent à l’observation de l’ordonnance.

Le mandarin va au temple de l’idole, à pied, vêtu négligemment, quelquefois même avec des souliers de paille, et accompagné de ses mandarins subalternes : il est pareillement suivi des principaux de la ville ; il allume sur l’autel deux ou trois petites baguettes de parfums, après quoi tous s’asseyent : pour passer le temps, ils prennent du thé, ils fument, ils causent une ou deux heures ensemble, et enfin ils se retirent.

Telle est la cérémonie qu’ils observent pour demander de la pluie ou du beau temps. C’est, comme l’on voit, traiter assez cavalièrement l’idole. Si elle se fait trop prier pour accorder cette faveur, on la met quelquefois à la raison à grands coups de bâton, ce qui néanmoins arrive rarement.

On dit que cela se fit à Kiang tcheou, dans la province de Chan si. L’idole, pour avoir refusé de la pluie trop opiniâtrement durant la sécheresse, fut mise en pièces à force de coups, et cela par ordre des officiers. On juge bien que pendant cette exécution, il se chantait de beaux cantiques à sa louange.

Quand ensuite la pluie vint à tomber, on lui refit une autre statue, ce qui n’était pas difficile, car la plupart de ces statues ne sont que de terre ou d’une espèce de plâtre : on la promena en triomphe dans la ville, on lui fit des sacrifices, en un mot elle rentra dans tous les droits de sa divinité.

Le viceroi d’une province en agit de la même sorte avec une autre idole, qui ne se laissait point fléchir par ses demandes réitérées : il ne put contenir son impatience : il envoya un petit mandarin dire de sa part à l’idole, que s’il n’y avait pas de pluie à tel jour qu’il désignait, il la chasserait de la ville, et ferait raser son temple. Apparemment que l’idole ne comprit pas ce langage, ou qu’elle s’effraya peu de ces menaces, car le jour marqué arriva sans qu’il y eut de pluie.

Le viceroi offensé de ce refus, songea à tenir sa parole ; il défendit au peuple de porter son offrande à l’idole, il ordonna qu’on fermât son temple, et qu’on en scellât les portes, ce qui fut exécuté sur-le-champ. Mais la pluie étant venue quelques jours après, la colère du viceroi s’apaisa, et il fut permis de l’honorer comme auparavant.

Dans ces sortes de calamités publiques, c’est principalement à l’esprit tutélaire protecteur de la ville, que le mandarin s’adresse selon l’ancien usage, et voici la formule, dont il a accoutumé de se servir, pour implorer son secours :


Prière pour les temps de calamité publique.

« Esprit tutélaire, si je suis le pasteur et le gouverneur de cette ville, vous l’êtes encore plus que moi, tout invisible que vous êtes. Cette qualité de pasteur m’oblige à procurer au peuple ce qui lui est avantageux, et à écarter ce qui pourrait lui nuire ; mais c’est de vous proprement que le peuple reçoit son bonheur ; c’est vous qui le préservez des malheurs dont il est menacé. Au reste quoique vous soyez invisible à nos yeux, cependant lorsque vous agréez nos offrandes et que vous exaucez nos vœux, vous vous manifestez, et vous vous rendez en quelque sorte visible. Que si l’on vous priait en vain, le cœur n’aurait point de part aux honneurs qu’on vous rend. Vous seriez à la vérité ce que vous êtes, mais vous seriez peu connu : de même que moi qui suis chargé par état de protéger et de défendre le peuple, je ferais douter de mon mandarinat, si je n’agissais jamais en mandarin. Dans les calamités publiques auxquelles on ne voit point de remède, nous devons implorer votre secours, et vous exposer nos besoins. Voyez donc la désolation où est le peuple. Depuis le sixième mois jusqu’au huitième il n’est point tombé de pluie, on n’a encore recueilli aucun grain ; si tout périt, comment pourra-t-on ensemencer les terres ? C’est ce que je dois vous représenter, j’ai ordonné plusieurs jours de jeûne, les bouchers ont défense d’ouvrir leurs boutiques ; on s’interdit l’usage de la viande, du poisson, et même du vin ; on songe sérieusement à se purifier le cœur, à examiner ses défauts, et à s’en repentir. Mais nos vertus et nos mérites ne sont guère capables de fléchir le Tien. Pour vous, ô esprit gouverneur invisible de cette ville, vous approchez de lui, vous pouvez demander des grâces pour nous autres mortels, et le supplier de mettre fin à nos maux. Une telle faveur obtenue par votre entremise, mettra le peuple au comble de ses vœux ; je verrai accompli ce que mon emploi m’oblige de souhaiter avec ardeur ; votre culte croîtra de plus en plus dans cette ville, lorsqu’on verra que ce n’est point en vain que vous y présidez. »


Suite des fonctions des mandarins.

Comme le mandarin n’est établi que pour soutenir et protéger le peuple, il doit être toujours prêt à écouter les plaintes qu’on a à lui porter, non seulement quand il tient son audience, mais encore à toutes les heures du jour. Si c’est une affaire pressée, alors on va à son hôtel, et on frappe à grands coups sur une espèce de timbale, qui est quelquefois à côté de la salle où l’on rend justice ; mais presque toujours hors de l’hôtel même, afin que nuit et jour le peuple puisse y frapper.

À ce signal, qui ne se donne que dans quelque accident extraordinaire, le mandarin, quelque occupé qu’il soit, doit tout quitter sur l’heure, pour accorder l’audience qu’on lui demande. Il est vrai qu’il en coûte la bastonnade à celui qui donne l’alarme, à moins qu’il ne s’agisse de quelque injustice criante, qui demande un prompt remède.

Une de ses principales fonctions est encore d’instruire son peuple : il tient la place de l’empereur, lequel, disent les Chinois, n’est pas seulement empereur pour gouverner, et pontife pour sacrifier, mais qui est encore maître pour enseigner ; et c’est pourquoi de temps en temps il assemble à Peking tous les Grands de la cour, et tous les premiers mandarins des tribunaux, pour leur faire une instruction, dont le sujet est toujours tiré des livres canoniques.

De même le premier et le quinzième de chaque mois, les mandarins s’assemblent en cérémonie dans un lieu, où l’on fait une ample instruction au peuple. Cette pratique est ordonnée par un statut de l’empire : le gouverneur fait en cela l’office d’un père qui instruit sa famille. C’est l’empereur lui-même qui a assigné les matières qu’on doit traiter dans ces sortes de discours : elles sont comprises en seize ordonnances impériales, que je vais rapporter.


Ordonnances impériales.

Première ordonnance. Qu’on pratique avec un grand soin les devoirs que prescrit la piété filiale, et la déférence que le cadet doit à son frère aîné ; on apprendra par là à estimer les obligations essentielles, que la nature impose à tous les hommes.

Deuxième ordonnance. Qu’on conserve toujours un souvenir respectueux des ancêtres de sa famille ; on y verra constamment régner l’union, la concorde, et la paix.

Troisième ordonnance. Que l’union règne dans les villages ; c’est le moyen d’en bannir les querelles et les procès.

Quatrième ordonnance. Qu’on estime beaucoup la profession des laboureurs, et de ceux qui cultivent les mûriers dont on nourrit les vers à soie ; on ne manquera jamais de grains pour se nourrir, ni de vêtements pour se couvrir.

Cinquième ordonnance. Qu’on s’accoutume à une prudente économie par la frugalité, la tempérance, et la modestie, et ce sera le moyen d’éviter beaucoup de folles dépenses.

Sixième ordonnance. Qu’on ait grand soin de faire fleurir les écoles publiques, afin d’instruire les jeunes étudiants aux bonnes mœurs.

Septième ordonnance. Qu’on s’applique aux fonctions propres de son État ; c’est un moyen infaillible d’avoir l’esprit et le cœur en repos.

Huitième ordonnance. Qu’on extirpe les sectes et les erreurs dans leur naissance, afin de conserver dans sa pureté la véritable et solide doctrine.

Neuvième ordonnance. Qu’on inculque souvent au peuple les lois pénales établies par l’autorité souveraine ; la crainte retiendra dans le devoir les esprits grossiers et indociles.

Dixième ordonnance. Qu’on s’instruise parfaitement des lois de la civilité et de l’honnêteté ; les bonnes coutumes que la bienséance a établies, seront toujours exactement pratiquées.

Onzième ordonnance. Qu’on s’applique de toutes ses forces à donner une bonne éducation aux enfants et aux frères cadets ; on empêchera par ce moyen là qu’ils ne se livrent au vice et au dérèglement de leurs passions.

Douzième ordonnance. Qu’on s’abstienne de toute accusation calomnieuse ; l’innocence et la simplicité n’auront rien à craindre.

Treizième ordonnance. Qu’on se garde bien de receler les coupables, que leurs crimes obligent à mener une vie errante et vagabonde ; on évitera par ce moyen là d’être enveloppé dans leur malheur.

Quatorzième ordonnance. Qu’on soit exact à payer les contributions établies par le prince ; on sera à couvert des recherches et des vexations de ceux qui les exigent.

Quinzième ordonnance. Qu’on agisse de concert avec les chefs de quartier établis dans chaque ville ; c’est le moyen de prévenir les larcins, et de ne pas laisser échapper ceux qui en sont coupables.

Seizième ordonnance. Qu’on réprime les saillies de la colère ; on sera à couvert de tout péril.

Ce sont ces ordonnances qui servent de texte aux discours des mandarins. Le discours de l’un d’eux sur la troisième ordonnance, fera connaître la manière dont ils s’y prennent pour instruire le peuple : le voici.


Instruction d'un mandarin sur la troisième ordonnance.

L’empereur vous ordonne de conserver l’union dans les villages, afin d’en bannir les querelles et les procès : écoutez attentivement l’explication que je vais faire de cette ordonnance.

Lorsque vous demeurez dans un même lieu, parents ou non, peu importe, vous passez pour habitants de ce lieu ou de cette bourgade. Vous y vivez avec des parents ou des alliés et avec des personnes avancées en âge, et avec vos condisciples : Vous ne sauriez sortir sans vous voir : le matin et le soir, en tout temps vous vous rencontrez les uns les autres. Or cet assemblage de quelques familles réunies dans un même lieu, c’est ce que j’appelle un village : Dans ce village il y a des riches et des pauvres : il y en a qui sont au-dessus de vous, il y en a qui sont au-dessous, enfin vous y avez des égaux.

Ayez d’abord pour maxime, que votre crédit ne doit point être employé à vous faire redouter, qu’il ne vous est jamais permis d’user de ruses, et de dresser des pièges à vos voisins. Parler du prochain avec mépris, étaler avec pompe vos belles qualités, chercher à vous enrichir au dépens des autres, ce sont de ces choses que vous devez absolument vous interdire.

Un ancien a sagement remarqué que dans un lieu où il y a des vieillards et des jeunes gens, ceux-ci doivent respecter les premiers, et que sans examiner s’ils sont riches ou pauvres, savants ou ignorants, ils ne doivent avoir égard qu’au nombre des années.

Si étant à votre aise vous méprisez les pauvres, si étant dans l’indigence vous regardez les riches avec des yeux d’envie, les divisions seront éternelles. Quoi, dira ce riche orgueilleux, vous ne voulez pas me céder, et moi je vais vous écraser.

En effet si vous avez des terres ou des maisons, il tâchera de vous les enlever, il emploiera la force pour empiéter sur votre fond ; ni vos femmes ni vos filles ne pourront être à l’abri d’un pareil créancier ; comme vous êtes insolvable, il vous les ravira sous le titre spécieux d’une équitable compensation ; tantôt dans un mouvement de colère, il lâchera ses bœufs et ses chevaux dans vos campagnes, qui dévoreront vos terres nouvellement ensemencées : Tantôt dans la chaleur du vin il se livrera aux plus grands excès : les gens de bien ne seront point à couvert de ses insultes : les voisins poussés à bout, éclateront, ils s’adresseront aux gens de chicane, pour intenter un procès dans les formes ; ces esprits malins et artificieux ne manqueront pas de grossir les objets afin de les engager dans une affaire d’éclat : d’un étang ils feront une mer irritée, dont les flots écumants s’élèveront jusqu’aux nues : une bagatelle deviendra une affaire sérieuse. Cependant l’accusation sera portée dans tous les tribunaux, et les dépenses qu’on sera obligé de faire auront des suites dont on se ressentira le reste de ses jours.

Êtes-vous en voyage ? Si le hasard vous fait rencontrer un homme de votre village, à peine l’avez-vous reconnu à son langage, que rien n’est comparable au plaisir secret que vous ressentez : vous logez ensemble, vous vous aimez comme si vous étiez véritablement frères : et comment se fait-il que lorsque vous demeurez dans le même endroit, au lieu de maintenir la paix et le bon ordre, vous y excitez des querelles, vous y semez la division.

Ne parlez jamais mal des autres, on vous laissera en repos : ne vous brouillez avec personne ; cédez volontiers aux autres ; ayez une patience à l’épreuve des contradictions, et vous n’aurez point à craindre qu’on vous outrage, ou qu’on vous insulte.

Quand il s’élève un différend entre deux personnes, si des gens charitables s’approchaient pour les mettre d’accord ; quand le feu de la division s’allume dans une famille, si les voisins accouraient pour l’éteindre ; si lorsqu’un homme s’échauffe, quelqu’un le tirait à l’écart, et lui parlant avec douceur, tâchait de modérer sa colère, ce grand feu qui semblait menacer le Ciel, s’évanouirait dans le moment, et cette affaire importante qu’on voulait porter au tribunal des Grands, se terminerait avec autant de facilité, qu’on fond un morceau de glace, ou qu’on détache une tuile du toit. Mais si un boute-feu s’en mêle, semblable à une grosse pierre, qui tombant avec roideur brise tout ce qu’elle rencontre, il vous engagera par ses pernicieux conseils dans des chicanes qui vous conduiront au précipice.

Mais puisque je parle des suites funestes où engagent les querelles et les procès, écoutez attentivement ce que j’ai encore à vous dire.

Dès que le mandarin a pris connaissance de l’affaire, il faut que l’un ou l’autre succombe, ou vous, ou votre partie adverse : si vous avez du dessous, comme vous n’êtes pas d’humeur à céder, vous chercherez partout de l’appui et de la protection ; vous tâcherez de gagner les bonnes grâces de ceux qui ont la confiance du mandarin, et il faudra bien payer leurs démarches : vous voudrez mettre dans votre parti, et vous rendre favorables les gens de l’audience ; et combien de festins faudra-t-il leur donner ? Aurez-vous de quoi fournir à tous ces frais ?

Mais si vous tombez entre les mains d’un mauvais juge, qui pour vous perdre, emprunte les couleurs et les apparences de la droiture et de l’équité, en vain avez-vous intéressé ceux qui ont de l’accès auprès de lui, et pour qui il a de la considération ; en vain les gens de l’audience, ces âmes vénales, ces sangsues du peuple, se déclareront-ils en votre faveur : après bien des dépenses que vous aurez faites, vous pour opprimer votre ennemi, et votre ennemi pour se dérober à votre fureur, vous serez forcés d’en venir enfin tous les deux à un accommodement.

Si vous refusez d’y entrer, si ayant été condamné dans un tribunal subalterne, vous en appelez à une cour supérieure, on verra tous les jours des requêtes courir tous les tribunaux, le procès traînera en longueur bien des années par les artifices de la chicane, les témoins en souffriront, une infinité de personnes seront enveloppées dans votre affaire, les uns seront mis en prison, les autres seront punis par la justice, enfin la sentence ne sera pas encore portée, qu’une infinité de familles seront réduites à une honteuse mendicité.

Concluez de tout ce que je viens de dire, que quand vous auriez une montagne de cuivre et des mines d’or, à peine pourraient-elles fournir à de pareilles dépenses ; et que quand vous auriez un corps de fer, à peine pourriez-vous suffire aux fatigues qu’il vous faudra essuyer.

L’empereur dont la compassion pour son peuple n’a point de bornes, vous défend les procès, et a la bonté de vous donner lui-même des instructions, pour apaiser les troubles, qui pourraient s’élever parmi vous : il veut que vous viviez dans une parfaite union.

Pour y parvenir, respectez la vieillesse, honorez la vertu, ayez pour les riches de la déférence, et de la compassion pour les pauvres ; ne vous mêlez point de relever ce qui ne vous paraît pas dans l’ordre ; il vous vient des soupçons qu’on a voulu vous décrier : ne cherchez point à en tirer vengeance ; vous avez parmi vous des libertins, exhortez-les avec politesse et avec douceur à changer de vie ; dans les corvées publiques, qu’on s’aperçoive de votre union, par l’empressement que vous témoignerez à vous aider les uns les autres.

Voici un autre avis qui n’est pas moins intéressant ; vous êtes dans l’opulence : ne mettez pas votre gloire à faire bonne chère, ni à porter des habits somptueux ; vous avez de l’autorité et du crédit : ne vous en servez jamais pour opprimer des hommes faibles et sans appui. Ce que je vous demande, c’est que vous soyez modestes dans la prospérité, et également actifs et vigilants à remplir vos devoirs ; ce que je souhaite, c’est qu’éloignés de toute ambition, vous sachiez vous contenter de peu, c’est qu’on vous distingue par votre douceur, par votre modération, et surtout par votre économie.

Faites attention à ces années qui viennent de temps en temps, où les maladies populaires, jointes à la cherté des grains, portent partout la désolation ; votre devoir est alors, d’avoir pitié de vos chers concitoyens, et de les soulager de votre superflu.

Ce point mérite toute votre attention : il y va de votre intérêt, car par ce moyen vos laboureurs vous demeureront fidèles, vos campagnes ne seront point abandonnées, vos voisins veilleront à votre conservation, vos intérêts seront ceux du public. D’un autre côté, le Ciel par des voies qui vous sont inconnues, vous protégera, et vous comblera de biens.

Parlons maintenant aux artisans et à tous ceux qui sont employés aux ouvrages mécaniques. Quoique par les lois immuables d’une cause supérieure, ils soient nés dans la pauvreté et dans l’humiliation, leur bonheur consiste à vivre selon leur état, à ne point se chagriner de leur pauvreté, et à ne point envier aux riches leurs richesses.

Cette morale sera pour eux une source de paix et de consolation. Un homme de bien ne manque jamais de prospérer ; la vertu quand elle est solide, ne peut être longtemps dans l’obscurité.

Vous savez maintenant les intentions de l’empereur, c’est à vous à vous y conformer. Si vous le faites, comme je n’en doute point, vous en retirerez les plus grands avantages, vous contenterez le cœur paternel de Sa Majesté, on ne verra plus de divisions parmi vous, vous épargnerez aux mandarins la peine de multiplier les arrêts et les supplices, vous procurerez à l’empire le calme et la tranquillité. Quand vous serez de retour chacun chez vous, appliquez-vous sérieusement à la pratique d’une doctrine si utile. »

Telle est la manière, dont les mandarins instruisent deux fois chaque mois le peuple aux bonnes mœurs : c’est une partie si essentielle à son ministère que si l’on commettait dans son département des crimes d’une certaine espèce, on l’en rend responsable.


Obligation pour les mandarins de découvrir les voleurs.

Quand dans une ville il s’est commis un vol ou un assassinat, il faut qu’il découvre les voleurs ou les assassins, autrement il est destitué de sa charge. S’il se commettait un crime énorme, comme par exemple, si un fils était assez dénaturé pour tuer son père, le crime n’est pas plutôt déféré aux tribunaux de la cour, qu’on dépouille de leurs emplois tous les mandarins du département. C’est leur faute, dit-on : ce malheur ne serait pas arrivé, s’ils avaient veillé avec plus de soin aux bonnes mœurs. Il y a pareillement des cas extraordinaires, où par la même raison, on punit de mort les parents avec les enfants coupables.


Éloge des lois chinoises.

Rien ne serait comparable au bel ordre, que les lois chinoises ont établies pour le gouvernement de l’empire, si tous les mandarins, au lieu de suivre leurs passions, se conformaient à des lois si sages ; et l’on peut dire qu’il n’y aurait point d’État plus heureux ; mais comme parmi un si grand nombre, il s’en trouve toujours, qui bornent leur félicité aux biens de la vie présente, et à tout ce qui peut la rendre commode et agréable, ils font quelquefois peu de scrupule de ne pas suivre les lois les plus sacrées de la raison et de la justice, et de les sacrifier à leur propre intérêt.

Il n’y a point de ruses, ni d’artifices, auxquels quelques officiers inférieurs n’aient recours, pour tromper les mandarins supérieurs ; et parmi ceux-ci il ne laisse pas de s’en trouver, qui tâchent d’en imposer aux tribunaux suprêmes de la cour, et même de surprendre l’empereur. Ils savent si bien couvrir leurs passions, sous les expressions les plus humbles et les plus flatteuses ; et ils affectent, dans les mémoires qu’ils présentent, un tel air de désintéressement qu’il es difficile que le prince ne prenne souvent le mensonge pour la vérité.

D’ailleurs comme leurs appointements ne suffisent pas toujours pour entretenir leur faste et leur luxe, les injustices, pourvu qu’elles soient secrètes, ne leur coûtent guère : on a vu des ministres d’État, des premiers présidents des Cours souveraines, rançonner sous main les vicerois des provinces : et ceux-ci, forcés de se dédommager de la même manière sur leurs subalternes, ne manquent pas de tirer sur les peuples de quoi fournir à ces frais.


Injustices des mandarins.

Les lois ont prévu ce désordre, en y remédiant par diverses précautions, qui retiennent les mandarins dans le devoir, et qui mettent le peuple à l’abri des vexations. L’empereur régnant y a encore remédié plus efficacement, car il a augmenté leurs appointements, il a déclaré qu’il ne voulait recevoir aucun présent, et leur a défendu de rien recevoir au-delà de ce qui leur est dû, sous les peines portées par la loi, laquelle ordonne, qu’un mandarin qui aurait reçu, ou exigé injustement 80 onces d’argent, sera puni de mort.

Outre cela,

1° Il est difficile qu’il n’y ait du mouvement parmi le peuple quand il gémit sous l’oppression ; et le moindre soulèvement qui arrive dans une province, est imputé au viceroi ; s’il n’est promptement apaisé, il est presque sûr de perdre sa charge. Il est, disent les lois, comme le chef d’une grande famille ; si la paix est troublée, c’est sa faute : c’est à lui de gouverner les officiers subalternes, et d’empêcher qu’ils n’oppriment le peuple : quand le joug est doux, on ne le porte point à regret, encore moins cherche-t-on à le secouer.


On ne peut être mandarin dans sa propre ville

2° Les lois prescrivent, qu’on ne donne à personne aucune charge de mandarin du peuple non seulement dans sa propre ville, mais même dans la province où demeure sa famille ; et d’ordinaire il ne possède pas la même charge un grand nombre d’années dans le même lieu, mais on l’avance ; d’où il arrive qu’il ne contracte point de liaisons avec les gens du pays, qu’il n’a point l’occasion de se partialiser ; et que presque tous ses mandarins qui gouvernent avec lui dans la même province, lui étant inconnus, il est rare qu’il ait des raisons de les favoriser.

Si on lui donne un emploi dans une province qui confine avec la sienne, il doit être placé dans un lieu, qui en soit au moins éloigné de cinquante lieues. La raison est, qu’un mandarin ne doit penser qu’au bien public. S’il exerçait une charge dans son pays il ne manquerait pas d’être troublé par les sollicitations de ses proches et de ses amis et il serait dangereux qu’en leur faveur ou pour leur complaire, il ne commît quelque injustice dans ses jugements, ou qu’il n’abusât de son autorité pour perdre, ou pour opprimer par esprit de vengeance, ceux dont il aurait autrefois reçu quelque outrage, ou dans sa propre personne, ou dans celle de ses parents.

On porte même cette délicatesse jusqu’à ne pas permettre, qu’un fils, qu’un frère, qu’un neveu, etc. soit mandarin subalterne où son frère, son oncle etc. seraient mandarins supérieurs. Par exemple un tel est mandarin dans une ville du troisième ordre et l’empereur vient d’envoyer son frère aîné, pour viceroi de la même province ; le cadet doit aussitôt avertir la cour et la cour lui donne dans une autre province, un mandarinat de même degré, que celui qu’il avait dans la province, dont son frère a été nommé viceroi.

La raison de ce règlement est, qu’on doit craindre que le frère aîné supérieur, ne soit favorable à son cadet inférieur, qu’il ne tolère, qu’il ne dissimule ses fautes ; ou que le cadet ne se prévale de la dignité et de la protection de son frère pour exercer son emploi avec moins d’équité et d’exactitude. D’une autre part, il serait bien dur pour un frère, d’être obligé de porter accusation contre son propre frère.

Pour éviter ces inconvénients, on ne permet point qu’ils soient dans des emplois qui mettent entre eux quelque relation de dépendance : et ce que je dis d’un père, d’un frère aîné, d’un oncle mandarins supérieurs, doit s’entendre également d’un fils, d’un frère, d’un neveu mandarins supérieurs, à l’égard d’un père, d’un frère aîné, ou d’un oncle inférieur, en un mot de tous les proches parents.


Revue des mandarins par intervalles

3° De trois en trois ans on fait une revue générale de tous les mandarins de l’empire, et l’on examine les bonnes ou les mauvaises qualités qu’ils ont pour le gouvernement. Chaque mandarin supérieur examine la conduite que ses subalternes ont tenue, depuis les dernières informations qui ont été faites, ou depuis qu’ils sont en charge, et il leur donne à chacun des notes, qui contiennent des éloges ou des réprimandes. Par exemple, le premier mandarin d’une ville du troisième ordre a sous lui trois ou quatre petits mandarins : il leur donne ses notes, et les envoie au mandarin de la ville du second ordre duquel il dépend. Celui-ci qui a sous lui plusieurs mandarins, qui gouvernent les villes du troisième ordre, examine ces notes, et s’y conforme, ou en ajoute d’autres, selon les connaissances qu’il a.

Quand ce mandarin de la ville du second ordre a reçu les notes de tous les mandarins des villes du troisième ordre, il leur donne à eux-mêmes sa note, puis il envoie le catalogue de tous les mandarins de son département aux mandarins généraux de la province, qui demeurent à la capitale. Ce catalogue passe de leurs mains en celles du viceroi, qui après l’avoir examiné d’abord en particulier, et ensuite avec les quatre mandarins généraux, l’envoie en cour avec ses notes particulières afin que le premier tribunal ait une connaissance exacte de tous les mandarins de l’empire, et qu’il récompense ou punisse ceux qui méritent ou récompense, ou châtiment. On récompense un mandarin en l’élevant de quelques degrés, ou en le mettant dans une plus grande place ; on le châtie en l’abaissant de quelques degrés ou en le destituant de son emploi.

Pendant deux mois que dure cet examen, le viceroi ne voit personne, il n’admet aucune visite, et ne reçoit aucune lettre de ceux de son gouvernement. Il doit tenir cette conduite, afin de paraître intègre, et de montrer qu’il n’a égard qu’au seul mérite. Voici à peu près quelles sont ces notes, qu’on donne aux mandarins.

Au-dessous de leur nom, et du titre de leur mandarinat, on écrit : c’est un homme avide d’argent, il est trop sévère dans ses châtiments, il traite le peuple avec dureté : ou bien, il est d’un âge trop avancé, il n’est plus en état de faire ses fonctions. Celui-ci est fier, bizarre, capricieux, d’une humeur inégale ; celui-là est brusque, emporté, il ne sait pas se posséder : cet autre est faible dans la manière de gouverner, il ne sait pas se faire obéir ; ou bien il est lent, il n’expédie pas ses affaires, il est peu instruit des lois et des coutumes, etc.

Les notes favorables sont, par exemple, c’est un homme intègre, qui ne vexe pas le peuple, qui est attentif à tous ses devoirs ; ou bien, c’est un homme d’expérience, il est ferme sans dureté, et se fait aimer du peuple, il sait l’art de gouverner, etc.

Quand ce catalogue des notes est arrivé à Peking, le tribunal suprême auquel il est adressé, les examine, et le renvoie au viceroi, après avoir marqué la récompense, ou la punition, qu’il ordonne pour chaque mandarin de la province.


Punitions et récompenses pour les mandarins.

On casse de leurs emplois ceux qui ont de mauvaises notes, pour peu qu’elles intéressent le bon gouvernement; on élève ceux qui sont notés avec éloge à un mandarinat supérieur. Tel, par exemple, qui était mandarin d’une ville du troisième ordre, et qui a donné des preuves de sa capacité, est élevé au gouvernement d’une ville du second ordre, pour lequel il paraît avoir les talents nécessaires.

Il y en a d’autres qu’on se contente d’élever ou d’abaisser de quelques degrés. Les mandarins sont alors obligés de mettre à la tête de leurs ordonnances, le nombre de degrés qui les élèvent ou qui les abaissent : Par exemple, Moi, un tel mandarin de cette ville, élevé de trois degrés Kia fan kie, ou bien abaissé de trois degrés Kiang fan kie, fais savoir et ordonne etc. Par ce moyen le peuple est instruit de la récompense ou de la punition que le mandarin a mérité. Quand il est élevé de dix degrés, il a lieu de se flatter qu’il montera bientôt à un autre mandarinat supérieur : si au contraire il vient à être abaissé de dix degrés, il court risque de perdre son emploi.


Établissement de commissaires sur la conduite des mandarins.

4° Comme les officiers généraux pourraient se laisser corrompre par l’argent, que leur donneraient les gouverneurs particuliers des villes, et se rendraient faciles à conniver aux injustices des mandarins qui vexeraient le peuple, de temps en temps l’empereur envoie secrètement des inspecteurs dans les provinces, qui parcourent les villes, qui se glissent dans les tribunaux, pendant que le mandarin tient l’audience, qui s’informent adroitement des artisans, et du peuple, de quelle manière il se conduit dans l’administration de sa charge ; et lorsqu’après des informations secrètes, il s’est convaincu de quelque désordre, alors il découvre les marques de sa dignité, et se déclare envoyé de l’empereur.

Comme son autorité est absolue, il fait à l’instant le procès aux mandarins coupables, et les punit selon toute la sévérité des lois : ou bien, si les injustices ne sont pas si criantes, il envoie ses informations à la cour, afin qu’elle en décide.

Il y a quelques années, que l’empereur nomma de ces sortes de commissaires, pour la province de Canton : il s’agissait d’une affaire qui concernait le viceroi et le contrôleur général du sel, lesquels avaient envoyé à Peking des accusations l’un contre l’autre. Le peuple de la province, qui souffrait de la cherté du sel, dont le prix était augmenté considérablement, prenait le parti du viceroi contre le contrôleur ; et la plupart des mandarins généraux parlaient en faveur du dernier, contre le premier.

La cour attentive à ce démêlé, et voulant connaître le coupable, envoya à Canton en qualité de commissaires, le tsong tou des provinces de Tche kiang et de Fo kien, et le tsong tou des provinces de Kiang nan et de Kiang si.

A leur arrivée à Canton, ils refusèrent les honneurs que la coutume prescrivait pour leur réception, afin de ne donner aucun lieu de soupçonner, qu’ils se fussent laissés gagner par des présents. Ils n’eurent même avec les mandarins aucune communication, qu’à mesure qu’ils les citaient les uns après les autres, pour prendre les informations sur l’affaire qu’ils étaient venus examiner. C’est pourquoi sans recevoir ni faire de visite, ils allèrent droit à l’hôtel qui leur avait été préparé, et ils s’y tinrent renfermés, jusqu’à ce qu’ayant cité le viceroi et le contrôleur général, ils commencèrent le procès par des interrogatoires réitérés de ces deux mandarins, qui comparurent plusieurs fois devant leurs juges en posture de criminels.

Le viceroi pendant tout le temps que durèrent les informations, était obligé de quitter tous les matins son palais, pour se rendre dans un lieu près de l’audience, et y demeurer jusqu’à la nuit. En cela il était traité avec plus de distinction que le contrôleur général qui fut obligé pendant tout ce temps-là de s’absenter de son tribunal, et d’être continuellement à la porte de l’audience.

Toutes les boutiques furent fermées dans la ville, et le peuple par ses députés porta ses accusations contre le contrôleur ; elles furent reçues des commissaires, aussi bien que celles qui furent produites par les mandarins. Les informations étant finies, les commissaires les envoyèrent à Peking par un courrier extraordinaire ; après quoi ils reçurent les visites de tous les mandarins, excepté du contrôleur général.


Inspecteurs des provinces.

5° Quoi qu’on ne choisisse pour inspecteur des provinces, que des officiers considérables, et d’une probité connue, il se pourrait faire néanmoins, que quelques-uns abuseraient de leur pouvoir, et seraient tentés de s’enrichir aux dépens des coupables, dont ils dissimuleraient les injustices : c’est pour les tenir sur leur garde, que lorsqu’on s’y attend le moins, l’empereur prend quelquefois le parti de visiter en personne quelques provinces, pour écouter lui-même les justes plaintes que le peuple aurait à faire de ceux qui le gouvernent. Ces sortes de visites, où le prince affecte de se rendre populaire, font trembler les mandarins, dont la conduite est tant soit peu répréhensible.


Cang Hi visite quelques provinces.

En l’année 1689 feu l’empereur Cang hi fit un de ces voyages dans les provinces du midi : il passa par les villes de Sou tcheou, de Yang tcheou, et de Nan king. Il était à cheval, suivi de ses gardes du corps, et d’environ trois mille cavaliers : ce fut ainsi qu’il fit son entrée dans Nan king.

On vint le recevoir avec des étendards, des drapeaux de soie, des dais, des parasols, et d’autres ornements sans nombre : de vingt en vingt pas, on avait élevé dans les rues des arcs de triomphe, revêtus des plus belles étoffes, et ornés de festons, de rubans, de houppes de soie, sous lesquels il passait. Les rues étaient bordées d’un peuple infini, mais dans un si grand respect, dans un silence si profond, qu’on n’entendait pas le moindre bruit.

Il coucha dans sa barque à Yang tcheou, et le lendemain il fit son entrée à cheval : les rues étaient tapissées : il demanda si les mandarins leur en avaient donné l’ordre : les habitants répondirent que non, et que c’était de leur propre mouvement qu’ils avaient voulu donner ce témoignage public de leur respect envers Sa Majesté. Il leur en témoigna sa satisfaction. Les rues étaient si pleines d’hommes et d’enfants, qui s’échappaient au milieu des chevaux, que l’empereur s’arrêtait à tout moment, et paraissait y prendre plaisir.

A Sou tcheou on avait étendu des tapis sur le pavé des rues : l’empereur descendit de cheval à l’entrée de la ville, et commanda à sa cavalerie de s’arrêter, pour ne point gâter tant de belles pièces de soie qui appartenaient au peuple. Il marcha à pied jusqu’au palais qu’on lui avait préparé, et honora pendant deux jours cette ville de la présence.

C’est dans ces sortes de voyages, où l’empereur se déclare le protecteur et le père du peuple, que la justice est prompte et sévère à l’égard des mandarins, dont on a de justes sujets de plainte. Le père le Comte rapporte un de ces exemples de justice et de sévérité, par lesquels feu l’empereur Cang hi se rendit redoutable aux mandarins, et également aimable à son peuple.

« Ce grand prince s’étant un jour éloigné de sa suite, dit ce Père, aperçut un vieillard qui pleurait amèrement : il lui demanda le sujet de ses larmes : Seigneur, lui répondit cet homme qui ne le connaissait pas, je n’avais qu’un enfant qui faisait toute ma joie, sur lequel je me reposais du soin de ma famille ; un mandarin tartare me l’a enlevé, je suis à présent privé de tout secours, et apparemment je le serai toute ma vie ; car comment est-ce qu’un homme faible et pauvre comme moi, peut obliger le gouverneur à me rendre justice ? Cela n’est pas si difficile que vous pensez, lui dit l’empereur, montez en croupe derrière moi, et conduisez-moi à la maison de cet injuste ravisseur. Ce bon homme obéit sans façon, et ils arrivèrent ainsi tous deux après deux heures de chemin chez le mandarin, qui ne s’attendait pas à une visite si extraordinaire.

Cependant les gardes, et une foule de seigneurs, après avoir longtemps couru, s’y rendirent, et sans savoir encore de quoi il était question, entourèrent la maison, ou y entrèrent avec l’empereur ; alors ce prince ayant convaincu le mandarin de la violence dont on l’accusait, il le condamna sur-le-champ à perdre la tête. Après quoi se retournant du côté du père affligé, qui avait perdu son fils : pour vous dédommager entièrement, lui dit-il d’un ton sérieux, je vous donne la charge du coupable qui vient de mourir, ayez soin de la remplir avec plus de modération que lui ; et profitez de sa faute et de sa punition, de crainte qu’à votre tour, vous ne serviez d’exemple aux autres.


Excellence de la gazette chinoise.

6° Enfin rien n’est plus instructif et plus capable de maintenir les mandarins dans l’ordre, et de prévenir les fautes dans lesquelles ils pourraient tomber, que la gazette qui s’imprime chaque jour à Peking, et qui se répand de là dans toutes les provinces. On n’y insère que ce qui a rapport au gouvernement, et comme le gouvernement chinois est parfaitement monarchique, et que toutes les affaires tant soit peu considérables se rapportent à l’empereur, elle ne contient rien qui ne puisse beaucoup servir à diriger les mandarins dans l’exercice de leur charge, et à instruire les lettrés et le peuple.

On y lit, par exemple, le nom des mandarins qui ont été destitués de leurs emplois et pour quelle raison : l’un, parce qu’il a été négligent à exiger le tribut impérial, ou qu’il l’a dissipé ; l’autre, parce qu’il est trop indulgent, ou trop sévère dans ses châtiments : celui-ci, à cause de ses concussions ; celui-là, parce qu’il a peu de talents pour bien gouverner. Si quelqu’un des mandarins a été élevé à quelque charge considérable, ou s’il a été abaissé ; ou bien si on l’a privé pour quelque faute, de la pension annuelle qu’il devait recevoir de l’empereur, la gazette en fait aussitôt mention.

Elle parle aussi de toutes les affaires criminelles, qui vont à punir de mort le coupable ; on voit les noms des officiers qui remplacent les mandarins cassés de leurs emplois ; les calamités arrivées dans telle ou telle province, et les secours qu’ont donnés les mandarins du lieu par l’ordre de l’empereur ; l’extrait des dépenses faites pour la subsistance des soldats, pour les besoins du peuple, pour les ouvrages publics, et pour les bienfaits du prince ; les remontrances que les tribunaux supérieurs prennent la liberté de faire à Sa Majesté sur sa propre conduite, ou sur ses décisions.

On y marque le jour que l’empereur a labouré la terre, afin de réveiller par son exemple dans l’esprit des peuples, et d’inspirer à ceux qui les gouvernent, l’amour du travail, et l’application à la culture des campagnes ; le jour qu’il doit assembler à Peking tous les Grands de la cour, et tous les premiers mandarins des tribunaux, pour leur faire une instruction sur leurs devoirs. On y apprend les lois et les coutumes nouvelles qu’on établit ; on y lit les louanges que l’empereur a données à un mandarin, ou les réprimandes qu’il lui a faites : par exemple, un tel mandarin n’a pas une réputation saine ; s’il ne se corrige, je le punirai.

Enfin la gazette chinoise se fait de telle sorte, qu’elle est très utile, pour apprendre aux mandarins à bien gouverner les peuples : aussi la lisent-ils exactement ; et comme elle fait connaître toutes les affaires publiques qui se passent dans ce vaste empire, la plupart mettent par écrit des observations sur les choses qu’elle contient, et qui peuvent diriger leur conduite.

On n’imprime rien dans cette gazette qui n’ait été présenté à l’empereur, ou qui ne vienne de l’empereur même : ceux qui en prennent soin, n’oseraient y rien ajouter, pas même leurs propres réflexions, sous peine de punition corporelle.

En 1726 l’écrivain d’un tribunal et un autre écrivain qui était employé dans le bureau de la poste, furent condamnés à mort, pour avoir inséré dans la gazette quelques circonstances qui se trouvaient fausses ; la raison sur laquelle le tribunal des affaires criminelles fonda son jugement, c’est qu’en cela ils avaient manqué de respect à Sa Majesté, et que la loi porte, que quiconque manque au respect qu’il doit à l’empereur, mérite la mort.


Rigueur des lois de la Chine.

Au reste les lois interdisent aux mandarins la plupart des plaisirs ordinaires. Il ne leur est permis que de régaler quelquefois leurs amis, et de leur donner la comédie. Ils risqueraient leur fortune, s’ils se permettaient le jeu, la promenade, les visites particulières, ou s’ils assistaient à des assemblées publiques. Ils n’ont de divertissements, que ceux qu’ils peuvent prendre dans l’intérieur de leur palais.