Description de la Chine (La Haye)/Des cinq devoirs : des devoirs du père et du fils

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Scheuerleer (2p. 439-443).


CHAPITRE SECOND.


Des cinq devoirs.


PARAGRAPHE I.
Des devoirs du père et du fils.


Il cite le livre des rits, qui entre dans le plus grand détail de tout ce que doit faire un fils, pour marquer sa soumission et son amour à l’égard de son père et de sa mère. Il doit se lever de grand matin, se laver les mains et le visage, s’habiller proprement, afin de ne paraître devant son père que dans la décence convenable, entrer dans sa chambre avec une grande modestie, demander comment il se porte, lui donner de l’eau pour se laver les mains, et lui présenter la serviette pour les essuyer, enfin lui rendre tous les petits services qui marquent son attention et sa tendresse.

Quand un aîné est parvenu par son mérite à quelque dignité considérable, et qu’il va rendre visite au chef de sa famille, qui est d’une condition médiocre, qu’il n’entre point dans sa maison avec le faste et la magnificence convenable à son rang ; mais qu’il laisse ses chevaux et ses domestiques à la porte, et qu’il affecte un air très modeste, afin de ne point faire croire à cette famille qu’il veut lui insulter, en faisant parade de ses honneurs et de son opulence.

Tseng, disciple de Confucius, parle ainsi : si votre père et votre mère vous aiment, réjouissez-vous, et ne les oubliez pas ; s’ils vous haïssent, craignez, et ne les fâchez pas : s’ils font quelque faute, avertissez-les, et ne leur résistez pas.

On lit dans le livre des rits : si votre père ou votre mère fait quelque faute, employez les paroles les plus douces et les plus respectueuses pour les en avertir. S’ils rejettent vos avis, ne cessez pas de les respecter comme auparavant. Cherchez ensuite quelque moment favorable pour les avertir de nouveau car il vaut mieux être importun, que de les voir décriés dans toute une ville. Que si ce nouvel avis les irrite, et qu’ils en viennent jusqu’à vous frapper, ne vous fâchez point contre eux, et continuez de leur rendre le même respect et la même obéissance.

Un fils, à quelque état d’indigence qu’il soit réduit, ne doit jamais vendre les vases dont il s’est servi aux obsèques de son père : quoiqu’il soit tout transi de froid, il ne doit point se vêtir des habits qu’il portait à cette cérémonie, ni abattre les arbres plantés sur la colline où est le sépulcre de son père.


PARAGRAPHE II
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Des devoirs du roi et de son ministre.


Un roi doit donner ses ordres à son ministre avec douceur et avec bonté ; un ministre doit les exécuter avec promptitude et fidélité. Les disciples de Confucius rapportent de leur maître, que quand il entrait dans le palais, il se courbait jusqu’à terre, qu’il ne s’arrêtait jamais sur le seuil de la porte ; que quand il passait devant le trône du roi, on voyait dans son air et sur son visage le respect et la vénération dont il était frappé ; qu’il marchait si lentement, qu’à peine levait-il les pieds ; que lorsqu’il allait à l’audience du prince, aussitôt qu’il entrait dans la salle intérieure, il levait modestement sa robe, s’inclinait profondément, et retenait son haleine de telle sorte, qu’on eût dit qu’il avait perdu la respiration ; qu’en sortant d’auprès du prince, il précipitait ses pas, pour être au plus tôt hors de sa présence ; qu’ensuite il reprenait son air grave, et allait modestement prendre sa place parmi les Grands.

Si le prince fait présent à son ministre d’un cheval, il doit aussitôt le monter ; s’il lui fait présent d’un habit, il doit s’en revêtir sur l’heure, et aller au palais faire ses remerciements de l’honneur qu’il a reçu.

Un premier ministre trompe son prince, s’il connive à ses vices, et s’il est assez faible, pour ne pas l’avertir du tort qu’il fait à sa réputation. Un homme qui aspire aux premières charges de la cour, et qui n’y envisage que son propre avantage, n’est d’aucune utilité au prince. Il est dans une agitation continuelle, jusqu’à ce qu’il y soit parvenu : et quand il a obtenu cette dignité qu’il souhaitait si passionnément, il craint à tout moment de la perdre. Il n’y a point de crime dont un homme de ce caractère ne soit capable, pour ne pas déchoir de son rang.

Comme une femme chaste n’épouse point deux maris, de même un ministre fidèle se gardera bien de servir deux rois.


PARAGRAPHE III.
Des devoirs du mari et de la femme.


Le livre des rits parle ainsi : il faut chercher une épouse dans une famille qui ne porte pas le même nom que l’époux. Il faut agir avec sincérité dans les présents qui se donnent alors, et avoir soin que les promesses réciproques soient conçues en termes honnêtes, afin que la future épouse soit avertie et de la sincérité avec laquelle elle doit obéir à son mari, et de la modestie, et de la pudeur qui doivent être l’âme de sa conduite. Quand elle est une fois liée à un époux, cette union ne doit finir qu’à sa mort, et elle n’en doit point épouser d’autre. L’époux ira recevoir sa future épouse dans la maison paternelle, et la conduira chez lui : il lui offre un oiseau apprivoisé, soit pour lui marquer son amour, soit pour l’instruire de la docilité avec laquelle elle doit se laisser gouverner.

Il doit y avoir deux appartements dans la maison ; l’un extérieur pour le mari,  l’autre intérieur pour la femme. Un mur ou une bonne cloison sépareront ces deux appartements, et la porte en sera soigneusement gardée. Que le mari n’entre point dans l’appartement intérieur, et que la femme n’en sorte point sans quelque bonne raison. Une femme n’est point maîtresse d’elle-même ; elle n’a rien en sa disposition. Elle n’a d’ordre à donner que dans l’enceinte de son appartement ; c’est là que se borne son autorité.

Cinq sortes de filles auxquelles on ne doit point penser pour le mariage, 1° Quand elle est d’une famille où l’on néglige les devoirs de la piété filiale. 2° Quand sa maison n’est pas réglée, et que les mœurs de ceux qui la composent sont suspectes. 3° Quand il y a quelque tache, ou quelque note d’infamie dans sa famille. 4° Quand il y a quelque maladie héréditaire, et qui peut se communiquer. 5° Enfin si c’est une fille aînée qui ait perdu son père.

Sept sortes de femmes que les maris peuvent répudier. 1° Celles qui manquent à l’obéissance qu’elles doivent à leurs père et mère. 2° Celles qui sont stériles. 3° Celles qui sont infidèles à leurs maris. 4° Celles qui sont jalouses. 5° Celles qui sont infectées de quelque mal contagieux. 6° Celles dont on ne peut arrêter le babil, et qui étourdissent par leur caquet continuel. 7° Celles qui sont sujettes à voler, et capables de ruiner leurs maris. Il y a cependant des conjonctures où il n’est pas permis à un mari de répudier sa femme. Par exemple, si au temps que le mariage s’est contracté, elle avait des parents, et que les ayant perdus dans la suite, il ne lui reste plus aucune ressource ; ou bien si conjointement avec son époux, elle a porté le deuil triennal pour le père, ou pour la mère de son mari.


PARAGRAPHE IV.
Du devoir des jeunes gens à l’égard des personnes âgées.


Le livre des rits ordonne ce qui suit. Quand vous allez voir un ami de votre père, n’entrez point chez lui, et n’en sortez point qu’il ne vous en ait donné la permission, et ne parlez point qu’il ne vous interroge.

Quand vous vous trouverez avec un homme qui a vingt ans plus que vous, respectez-le, comme vous feriez avec votre père ; s’il a dix ans plus que vous, respectez-le comme votre frère aîné.

Lorsqu’un disciple marche dans la rue avec son maître, qu’il ne le quitte point, pour parler à une autre personne qu’il rencontre, et qu’il ne marche pas sur la même ligne que lui, mais qu’il se tienne un peu derrière. Si le maître s’appuie sur son épaule, pour lui dire quelque chose à l’oreille, que de la main il se couvre la bouche, pour ne point l’incommoder par son haleine.

Si vous êtes assis auprès de votre maître, et qu’il vous fasse quelque question, ne prévenez point par votre réponse ce qu’il a à vous dire, et ne lui répondez que quand il aura fini de parler. S’il vous interroge sur le progrès que vous avez fait dans votre étude, levez-vous aussitôt, et tenez-vous debout tout le temps que vous lui répondrez.

Quand vous êtes à la table de votre maître, ou d’une personne âgée, et qu’il vous présente une tasse de vin, tenez-vous debout pour la boire : ne refusez rien de ce qu’il vous donnera ; et s’il vous ordonne de demeurer assis, obéissez. Si vous êtes assis à côté d’une personne considérable, et que vous aperceviez en lui quelque inquiétude ; par exemple, qu’il se tourne de côté et d’autre dans son fauteuil, qu’il remue les pieds, qu’il examine l’ombre du soleil, pour voir quelle heure il est, prenez aussitôt congé de lui, en demandant la permission de vous retirer. Toutes les fois qu’il vous interroge, levez-vous pour lui répondre.

Si vous entretenez quelqu’un qui soit au-dessus de vous, ou par sa dignité, ou par ses grandes alliances, ne lui demandez point quel âge il a : si vous le rencontrez dans la rue, ne lui demandez point où il va : si vous êtes assis auprès de lui, soyez modeste, ne regardez point de côté et d’autre, ne gesticulez point, ne remuez point votre éventail. Les disciples de Confucius rapportent que quand leur maître assistait à quelque grand festin, il ne quittait la table, qu’après les personnes qui étaient plus âgées que lui.


PARAGRAPHE V.


Du devoir des amis.


Un homme qui veut sérieusement acquérir la sagesse, ne choisit pour amis, que ceux dont les discours et les exemples peuvent le faire avancer dans la vertu et dans les lettres.

Le devoir de deux amis consiste à se donner réciproquement de bons conseils, et à s’animer l’un l’autre à la pratique de la vertu.

Il y a trois sortes d’amis, dont la liaison et la société ne peuvent manquer d’être pernicieuses : des amis vicieux, des amis dissimulés, des amis causeurs et indiscrets. Quand vous recevez une personne dans votre maison, ne manquez pas à chaque porte de l’inviter à passer le premier. Quand vous êtes arrivé à la porte de la salle intérieure, demandez-lui la permission d’entrer d’abord, pour arranger les chaises ; ensuite venez le prendre, et conduisez-le avec honneur à sa place, qui sera toujours à votre gauche. L’hôte ne doit pas commencer l’entretien le premier ; les lois de la politesse veulent que ce soit le maître du logis qui entame le discours.