Description de la Chine (La Haye)/Extrait du chapitre des examens particuliers

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Scheuerleer (2p. 330-332).


Extrait du chapitre des examens particuliers des jeunes étudiants qui sont sieou tsai, ou qui prétendent à ce grade.


Le gouverneur de la ville assemblera de temps en temps les lettrés de sa juridiction, pour les examiner, en leur donnant lui-même des sujets de composition. Ces assemblées et ces examens ont deux fins. La première, est de faire fleurir les lettres, par l’estime qu’on témoigne en avoir : la seconde est de conduire les lettrés à ce point de droiture et de perfection, qui doit être le fruit principal de leur étude. Car enfin, par ces examens réitérés, ils s’affectionnent à leur devoir, surtout, lorsqu’ils voient que les mandarins du lieu, celui qu’ils honorent comme leur père, se fait un plaisir de juger de leurs pièces d’esprit ; qu’il marque de l’amitié à ceux qui se distinguent par la capacité, et plus encore par les bonnes mœurs.

Quant à ceux qui n’ont que le nom de lettrés, parce qu’au lieu d’étudier, ils passent les jours entiers à parcourir les audiences, pour un gain sordide et souvent injuste ; dans ces examens ils auront de quoi rougir du peu de progrès qu’ils ont fait, et cette honte les fera renoncer à ces indignes distractions. Voilà les avantages de ces examens de tous les mois. Mais aujourd’hui dans la secte littéraire, cette ancienne pratique est presque anéantie ; il importe de la remettre en vigueur.

Pour cela il faut que le gouverneur de la ville ordonne aux mandarins des lettrés, de déterminer chaque mois un jour, où l’on s’assemblera dans la salle des leçons, nommée Min lun tang[1]. Là on donnera le sujet des compositions, et on y travaillera tout le jour sous les yeux du mandarin. Si le collège de la ville a des terres qui lui soient attachées, on prendra sur les revenus de quoi fournir aux repas, qu’on y donnera aux lettrés le jour de l’examen. A chaque table il y aura quatre plats, deux de viandes, et deux de légumes : ils mangeront quatre à une table : à la collation du soir on donnera deux petits pots de vin pour chaque table. Je fais réflexion que les étudiants, dans un de ces examens de la ville, ne seront guère que quelques douzaines : ainsi la dépense pour une assemblée montera à peu près à deux taels : et comme au sixième mois à cause des grandes chaleurs, et au douzième à cause des grands froids, il n’y aura point d’académie, tous les frais d’une année, pour ces repas n’iront guère qu’à vingt taels. La somme n’est pas si considérable, qu’un gouverneur de la ville ne la puisse tirer de ses épargnes. C’est à lui à faire publier d’avance le jour qu’il y aura assemblée et examen : il en donnera avis au mandarin des lettrés, et l’invitera à s’y trouver. Tous les jeunes étudiants capables de faire une pièce d’éloquence, seront admis à cet examen.

La composition finie, et les pièces ayant été lues et examinées, on réglera les différents degrés de bonté : on placera hors de rang celles qui seront jugées parfaites ; et pour entretenir l’émulation, on choisira les belles compositions du premier rang ; on en fera graver la planche, et on les imprimera, afin que le travail louable, même d’un jour, ne demeure point sans fruit et sans récompense.

De plus le mandarin ne manquera pas de louer avec distinction, ceux qui à la capacité, joignent le mérite d’une vie polie et réglée. Si ce sont des riches, il leur donnera quelque témoignage honorable écrit de sa main. Si ce sont des gens pauvres, il joindra aux louanges quelque présent d’argent, afin qu’ils puissent se régaler. Cette conduite fera que les moins capables se reprocheront leur négligence, dont ils sentiront mieux la honte. Ils s’animeront, ils s’efforceront d’atteindre à la perfection des autres ; et par ce moyen ils parviendront à être d’excellents lettrés. Je ne vois guère de voie plus efficace pour faire fleurir les lettres ; les gouverneurs des villes en auront la gloire. C’est ainsi qu’ils fraieront le chemin, qu’ils l’aplaniront, et qu’ils y conduiront comme par la main, les étudiants de leur district.


Remarque sur le précédent chapitre.


Ces examens sont appelés particuliers, pour les distinguer des examens généraux, que fait une fois chaque année le mandarin d’une ville du second et du troisième ordre et ensuite le mandarin de la ville du premier ordre, dont ces villes dépendent. Ce double examen annuel se fait dans un district, pour choisir les jeunes étudiants, qui seront admis à composer cette année-là, devant le mandarin de lettres envoyé exprès de la cour, avec pouvoir de donner le grade de sieou tsai, c’est-à-dire de bachelier, à un certain nombre pour chaque ville, plus ou moins, selon l’étendue du district, ou plutôt selon la multitude des étudiants.

Le tao de la ville de Iao tcheou, qui est en même temps gouverneur, ou plutôt intendant de deux autres villes du premier ordre, n’ayant à juger que des affaires considérables, a plus de loisir : aussi fait-il régulièrement ces sortes d’examens particuliers. C’est par là qu’il se pique d’imiter les sages des siècles passés. De plus ces tao, ou surveillants de trois villes, qui feraient une grande province de France, n’ont pas communément occasion d’amasser beaucoup d’argent : ainsi s’ils n’ont pas à la cour un puissant appui, c’est par leur seule probité, qu’ils peuvent monter à un rang supérieur. Grand motif pour un Chinois de faire parade de sa vertu, et de son zèle pour le bien public.

On se plaint avec raison dans le chapitre précédent, que les sieou tsai ne songent qu’à parcourir les audiences, et à solliciter des procès dans les tribunaux : plusieurs ne vivent que de ce métier, et des grâces qu’ils demandent aux mandarins, dont ils peuvent approcher librement à cause de leur degré ; et de ces grâces qu’ils demandent, ils en font un trafic auprès du petit peuple. Certains mêmes ne visent au degré de lettrés, que pour pouvoir faire ce commerce. Les mandarins intègres, ou fort autorisés, se mettent au-dessus des sollicitations des gradués, refusent leurs visites et leurs requêtes. Les autres mandarins, ou par faiblesse, ou par crainte, les ménagent, de peur qu’ils ne révèlent leurs injustices secrètes aux mandarins supérieurs. Ainsi leur langue et leur plume sont redoutées.

L’empereur régnant bien instruit qu’il y avait en effet du désordre sur ce point, y a apporté le remède le plus efficace, pour les empêcher de se mêler d’aucune affaire, et de paraître dans les tribunaux sans de grandes raisons personnelles. 1° Ils doivent avoir quatre personnes qui répondent de leurs mœurs et de leur conduite. 2° Ils ne peuvent présenter au gouverneur des lieux aucune requête, même pour leurs propres affaires, qu’elle n’ait été vue et approuvée par le mandarin des lettrés, lequel, s’il usait de connivence, serait infailliblement cassé de son emploi.



  1. Elle fait partie de l’édifice de Confucius.