Deux Négociations de la diplomatie européenne - Pologne et Danemark, 1863-64/04

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Deux Négociations de la diplomatie européenne - Pologne et Danemark, 1863-64
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 56 (p. 725-766).
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DEUX NEGOCIATIONS
DE
LA DIPLOMATIE EUROPÉENNE

POLOGNE ET DANEMARK. — 1863-64.
Demnark and Germany : correspondence respecting the affairs of the duchies Holstein, Lauenburg and Schleswig, presented to both Houses of Parliament (mais-juin 1864). — Protocols of conferences held in London relative to the affairs of Denmark, presented to both Houses of Parliament (juillet 1864).— Exposé de la situation de l’empire et Documens diplomatiques, etc. (novembre 1868, mars 1864 et février 1865). — Papiers d’état communiqués au rigsraad de Copenhague (1864). — Pièces inédites, etc.

IV.
LES DUCHES DE L’ELBE ET LES INTERVENTIONS ANGLAISES[1]


I

Le 21 avril 1849 fut, dans les annales parlementaires de la Prusse, une de ces dates que l’histoire est appelée à recueillir à plus d’un titre. Ce jour-là, le roi Frédéric-Guillaume IV fit connaître son refus d’accepter la couronne impériale que lui avait décernée le parlement de Francfort, et le président du conseil vint lire à la tribune de la chambre de Berlin un manifeste écrit dans un style poétique bien connu du peuple, et qui contenait à la fin cette phrase demeurée célèbre : « Je reconnais la force de l’opinion publique, mais ce n’est pas une raison pour s’abandonner en aveugle aux courans et aux tempêtes ; jamais ainsi le vaisseau n’atteindrait le port, jamais, jamais !… » Au milieu du silence consterné qui accueillit ce triple jamais, un seul député se leva pour féliciter le gouvernement de sa résolution. « Je suis de la Marche de Brandebourg, dit-il, je suis du sol même où la monarchie prussienne a été bâtie, cimentée avec le sang de nos pères, » et cette considération lui suffisait pour ne pas vouloir troquer la couronne auguste de ses rois contre un jouet forgé par des professeurs de Francfort. Non content de blesser à ce point les sentimens de la majorité, l’orateur osait condamner sévèrement une autre convoitise de ses compatriotes encore plus chère à leurs cœurs, et il s’élevait avec force contre leurs prétentions sur les pays de l’Eider, alors que ces prétentions étaient soutenues par les armes et les vœux de l’Allemagne tout entière. Le député de la Marche de Brandebourg eut le courage méritoire de déplorer que « les troupes royales prussiennes fussent allées défendre la révolution dans le Slesvig contre le souverain légitime de ce pays, le roi de Danemark. » Il affirma qu’on faisait à ce roi « une véritable querelle d’Allemand, » qu’on lui cherchait noise « à propos de bottes » (um des Kaisers Bart), et l’orateur n’hésita pas à déclarer, au milieu d’une chambre frémissante, que la guerre provoquée dans les duchés de l’Elbe était « une entreprise éminemment inique, frivole, désastreuse et révolutionnaire[2]… »

L’homme qui prononçait en 1849 ces paroles remarquables n’était autre que M. de Bismark-Schœnhausen ; mais, pour rendre son jugement complet, l’honorable député de la Marche de Brandebourg aurait dû ajouter que cette entreprise constituait de plus un monument insigne de l’ingratitude du génie allemand envers une monarchie qui de tout temps l’avait comblé de ses bienfaits. On ne saurait l’oublier, l’agitation des duchés de l’Elbe a été surtout l’œuvre des savans et des écrivains de la Germanie ; l’idée même de Slesvig-Holstein n’est due qu’à leur esprit inventif. Les généraux de Wrangel, de Gablentz, et jusqu’au prince royal, le héros de Misunde, n’ont donné, à vrai dire, que le dernier assaut à une place qu’assiégeaient déjà depuis plus d’un quart de siècle les Dahlmann, les Arndt, les Falk, les Droysen, les Waitz, et les autres grands capitaines de la république des lettres. Historiens, publicistes, poètes et romanciers de l’Allemagne ont fait pendant plus de trente ans au Danemark une guerre sans relâche, une guerre de pamphlets et de livres, de chansons et de romans, d’archéologie passionnée, et de statistique haineuse ; pendant trente ans, ils ne se lassèrent pas de prêcher une doctrine qui finit par embraser les esprits teutons, par triompher même des scrupules de M. de Bismark, et la remarque a déjà été souvent produite, que le récent démembrement de la monarchie de Christian IX présentait, entre tant d’autres singularités, l’étrange spectacle d’une propagande littéraire aboutissant à une invasion armée. Ce qui a été moins remarqué à notre sentiment, c’est l’étrange manière dont le génie allemand s’est acquitté, dans tout ce différend, de sa dette de reconnaissance envers une dynastie étrangère jadis si tutélaire, si généreuse pour lui, et dont il avait si souvent célébré les bontés magnanimes.

Il y eut un temps où les docteurs et littérateurs de la Germanie furent loin d’avoir dans leur pays la considération et l’influence dont ils jouissent de nos jours ; ils étaient bien humbles au dix-huitième siècle, négligés et oubliés, et ils attendaient en vain un regard d’encouragement ou d’estime de leurs nombreux princes et souverains. Frédéric le Grand écrivait en 1780 son fameux libelle plein de mépris et de dédain pour sa langue nationale ; il demandait malicieusement à Mirabeau si le meilleur service à rendre aux lettres allemandes n’était pas de les ignorer ; il ne voulait reconnaître à ses compatriotes d’autres qualités que celles de savoir « manger, boire et batailler, » — et ni Marie-Thérèse, ni Joseph II, ni aucun des grands ou petits potentats du saint-empire d’alors ne songèrent à donner sur ce point de démenti au royal disciple de Voltaire. « Longtemps, lui disait le chantre de la Messiade dans des strophes demeurées célèbres, longtemps nous avons espéré que tu protégerais la muse allemande : les Gleim et les Ramler t’avaient imploré en sa faveur ; mais tu as répondu de manière à la faire rougir de honte ! Il est vrai que tu t’es chargé toi-même de nous venger de tes outrages ; tu as essayé de balbutier des sons dans une langue étrangère, et pour récompense on t’a répondu en ricanant que, malgré tout le lavage de tes Arouet, ton vers ne laissait pas de rester tudesque… » Combien différens par contre sont les accens du même Klopstock lorsqu’il parle des souverains du Danemark, de ce Frédéric V notamment qu’il aimait à placer en regard de son homonyme de Berlin ! Il opposait au conquérant ce prince « bien plus noble (der Edlere) qui, dans un temps de paganisme renouvelé, avait su demeurer chrétien, » et il lui faisait hommage de son poème du Messie. « C’est Frédéric le Danois, — lit-on dans la dédicace bien connue, — qui, devant tes pas, sème de fleurs les cimes où tu dois t’élever, ô ma muse ! » Il appelait ce prince l’honneur de l’humanité, il célébrait la nation Scandinave à l’égal de sa propre patrie, et, vieux encore, il décernait au peuple danois « la plus belle des palmes qu’ait jamais portées dans ses mains l’Immortalité ! »

C’est qu’à une époque où le goût français dominait tyranniquement et exclusivement dans les châteaux et les résidences des pays d’outre-Rhin, la cour de Copenhague, cette cour des Christian et des Frédéric, était la seule à cultiver les lettres allemandes, à honorer les talens de la Germanie, et, pour rappeler une autre expression encore du barde de Quedlinburg, « à faire signe au mérite silencieux et lointain. » Elle recueillait Klopstock errant et lui assurait une existence exempte de soucis ; elle attirait les Cramer, les Schlegel, les Sturz, les OEder, les Kratzenstein, tant d’autres écrivains et artistes d’au-delà de l’Eider, et les retenait par ses munificences. Les graves professeurs de Gœttingue portaient alors aux nues les Danos dona ferentes ; le grand Michaëlis prodiguait les éloges aux Mécènes Scandinaves, et c’est aussi le chargé d’affaires du Danemark près l’empereur d’Allemagne, Niessen, qui protégea la veuve et adopta les enfans du sublime compositeur de Don Juan, mort dans la misère, et à qui la ville impériale de Vienne n’avait su accorder d’autre tombe que la fosse commune de ses pauvres ! La tradition de ces libéralités s’est maintenue en partie jusque dans notre siècle : le poète dramatique le plus renommé de l’Allemagne contemporaine, Hebbel (le même qui plus tard, au fameux couronnement de Kœnigsberg, devait saluer Guillaume Ier de Prusse comme un « libérateur »), avait longtemps joui d’une pension que lui faisait le roi Christian VIII, et il n’est pas jusqu’au hargneux professeur Dahlmann qui n’ait rempli, à son heure quelque fonction lucrative à Copenhague ; ce père terrible du slesvig-holsteinisme avait même commencé par écrire dans cette langue danoise vouée depuis à tant de malédictions. Du reste, le gouvernement danois a bien autrement encore mérité, dans, ce XIXe siècle, du monde savant de la Germanie au moment des plus douloureuses épreuves, alors que le célèbre mémoire du conseiller russe Stourdza dénonçait, devant les souverains réunis au congrès d’Aix-la-Chapelle, les hautes écoles d’outre-Rhin comme les antres redoutables de l’esprit révolutionnaire, alors que le Bund instituait des commissions inquisitoriales contre les « menées démagogiques » de la jeunesse universitaire, et que la persécution était à l’ordre du jour contre les professeurs patriotes et les candides affiliés de la Burschenschaft. À cette époque si pleine de calamités pour les docentes et studiosi de la docte et studieuse Allemagne, seule l’alma mater de Kiel offrait asile et sécurité à la pensée fière et généreuse. Là, maîtres et élèves avaient libre carrière, là seulement ils étaient à l’abri des décrets de Carlsbad et des réquisitoires de Mayence. C’est que Frédéric VI de Danemark tenait à honneur de préserver son duché de Holstein de l’odieuse police fédérale, et de laisser à la science allemande toute indépendance et toute dignité au sein d’une grande école que lui et ses devanciers n’avaient cessé de protéger et de chérir.

C’est pourtant cette même université de Kiel qui, dès les premiers temps de la restauration, devint le berceau du slesvig-holsteinisme, l’officine où l’érudition germanique se mit à forger contre la monarchie danoise l’arme meurtrière qui passa ensuite aux mains des Wrangel et des Bismark, et jamais science cordialement accueillie n’a mieux justifié qu’à cette occasion et dans le sens de la fable son antique emblème du serpent. Dès 1815 s’établissait à l’université de Kiel et y préludait à son action fatale le futur O’Connell des duchés de l’Elbe, — un O’Connell tout d’étude et de plume, un Warwick faiseur de rois au moyen d’interminables dissertations sur la lex regia et la constitutio Vaîdemari, — ce même et célèbre Dahlmann qui, après avoir jeté les assises d’une nouvelle dynastie sur les bords de l’Eider, devait encore un jour, en 1849, relever le saint-empire romain à Francfort et venir à Berlin présenter la couronne de Charlemagne au romantique descendant des Hohenzollern. Frédéric-Christophe Dahlmann est un type remarquable de cette génération toute moderne de professeurs allemands dont les origines remontent aux guerres du premier empire, mais dont l’importance s’est surtout accrue depuis 1840, et qui, à l’heure qu’il est, domine souverainement dans les écoles, les chambres et les assemblées populaires de l’autre côté du Rhin, — génération d’esprits violens et acerbes, poussant parfois au délire, toujours à l’injustice, un patriotisme haineux et farouche, mettant une érudition infatigable, spécieuse, fallacieuse même, au service de toutes les passions et de toutes les convoitises du génie national, ne rêvant et ne prêchant qu’annexions, revendications et conquêtes, et assujettissant en imagination l’univers entier « à la majesté de l’idée germanique, professoria lingua regimen mundi exposlulans… Du reste, l’élu du Seigneur dans la Bible allait seulement à la poursuite des ânes de son père, et trouva une royauté sur sa route ; de même le jeune professeur de Kiel fit la découverte d’une Atlantide, de tout un pays à revendiquer pour la grande patrie, là où il n’avait d’abord cherché que des argumens pour les immunités et privilèges de l’ordre équestre du Holstein, dont il était le mandataire judiciaire[3], car ce n’est pas une des moindres bizarreries de ce débat lamentable que la cause qui devait passionner plus tard en Allemagne la démocratie et y enrôler sous sa bannière les partis les plus avancés ait eu son point de départ dans les prétentions obsolètes d’une caste féodale. Pour défendre ces prétentions, pour justifier certaines prérogatives réclamées par ses cliens « les prélats et chevaliers du duché de Holstein, » Dahlmann avait commencé par établir qu’il existait une communauté d’intérêts et de droits, — un nexus socialis, — entre la noblesse du Holstein et celle du Slesvig. Il creusa plus profondément le sillon, et finit par découvrir que le nexus s’étendait à l’ensemble des institutions, à « l’organisme même » des deux pays, et que « les duchés » étaient indissolublement a unis » l’un à l’autre, bien que l’un fût une terre fédérale et que l’autre n’eût jamais fait partie de l’empire. Le savant historien concluait de là que le Slesvig devait « partager » les institutions, la langue et « les destinées futures » du Holstein….. Ainsi se trouva formulé le credo du slesvig-holsteinisme, que l’ardent professeur ne se lassa pas de propager depuis et « d’élucider » dans maint mémoire, cours, livre, pamphlet et journal. Il invoquait les textes les plus obscurs, les chartes les plus poudreuses, des diplômes de 1326, de 1448 et de 1460 ; mais, si confuse et peu attrayante que fût la démonstration, les honnêtes patriotes de la Germanie saisirent parfaitement « le très bref sens du très long discours, » pour parler le langage de leur Schiller. Il y avait là évidemment une province à réoccuper, un magnifique port à acquérir, une mer à dominer ; plus tard, ils devaient même s’apercevoir qu’il y avait là aussi des frères à délivrer !

La belle découverte de Dahlmann ne put donc pas manquer d’être chaleureusement acclamée par toutes les universités de la grande patrie allemande. Dans le Holstein même, les idées de l’union descendaient peu à peu des « prélats et chevaliers » aux couchés populaires et y prenaient racine ; elles commençaient aussi à gagner une partie de la noblesse du Slesvig que nourrissait de son fait fortifiant l’alma mater de Kiel ; enfin tout bas on se disait encore que la nouvelle foi avait des confesseurs discrets, mais très zélés et très intéressés, jusque sur les marches du trône du bon Frédéric VI. Un des principaux points de la discussion soulevée par Dahlmann avait porté sur la lex regia, la loi salique du Danemark : le savant historien contestait la validité de cette loi pour plusieurs états du royaume ; il affirmait que, si l’ordre de succession était cognato-agnatique dans les îles et le Jutland septentrional il n’était par contre que purement agnatique dans le duché du Slesvig, qui, sous ce rapport aussi devait partager « les destinées futures » du Holstein. Les simples et les candides parmi les Danois ne comprirent d’abord rien au but de toute cette discussion, et ils crurent devoir charitablement prévenir les Allemands que leur ingénieux distinguo pourrait bien ne tourner qu’au profit de l’empereur Nicolas, qui n’avait déjà que trop de titres à faire valoir éventuellement comme descendant des Gottorp ; mais l’énigme s’éclaircit pour tout le monde alors qu’en 1837 parut à Halle une brochure anonyme sur la succession dans le Slesvig-Holstein. Cette succession dans les « duchés unis, » la brochure la revendiquait (dans l’éventualité, alors déjà très probable, de l’extinction de la ligne directe de la maison royale du Danemark) pour le duc Christian-Auguste d’Augustenbourg, beau-frère du roi régnant Frédéric VI. On ne tarda pas non plus à savoir que l’auteur du pamphlet ou plutôt du manifeste anonyme n’était autre que le duc d’Augustenbourg lui-même… Tous les voiles sont loin encore d’être levés sur la ténébreuse conduite tenue par le duc Christian et son frère, le prince Frédéric de Noer, pendant l’époque qui précéda la révolte de 1848 ; mais ce qu’on en sait déjà maintenant suffit, et au-delà, pour constater la félonie la plus patente qu’ait jamais eu à enregistrer l’histoire. Les papiers d’état publiés depuis par le gouvernement danois[4] prouvent, jusqu’à la dernière évidence, que les deux princes n’avaient cessé, dès l’origine, d’entretenir avec les meneurs du slesvig-holsteinisme les relations les plus intimes, d’alimenter l’agitation et de lui inspirer les plus décisives démarches, En même temps ils profitaient de la haute position qu’ils occupaient auprès du trône, de la faiblesse du roi envers des parens si proches, des assurances toujours renouvelées de loyauté et de dévouement, pour détourner le gouvernement de toute mesure prévoyante et préventive, pour recommander et obtenir la tolérance la plus excessive, la plus injustifiable, envers un mouvement dont ils se présentaient comme les habiles modérateurs. « Je reconnais pleinement, écrivait encore en date du 14 juillet 1845 le prince Frédéric de Noer au roi Christian VIII, je reconnais pleinement qu’il n’y a point d’état nommé Slesvig-Holstein, mais il me semble indifférent que tel journal l’affirme… » Et le prince de Noer continuait d’être investi de la dignité de commandant en chef de l’armée et de gouverneur dans les duchés ! Le double jeu fut ainsi joué jusqu’au bout, jusqu’au moment où l’un des frères s’emparait de la forteresse de Rendsbourg, et l’autre adressait au « peuple de Slesvig-Holstein » un appel aux armes. Encore le langage hypocrite n’était-il pas complètement dépouillé à ce moment même, et dans cet appel aux armes le duc Christian expliquait son acte de rébellion ouverte par le fait que le roi « était entouré de Danois violemment excités et n’avait pas la liberté de ses résolutions !… »

C’est de cette connivence (de ce connubio, diraient les Italiens) entre la science germanique avide d’annexions et une famille princière ambitieuse, — toutes les deux également comblées de faveurs par une dynastie généreuse et débonnaire, — que date la période active et vraiment politique d’une propagande dont les phases antérieures intéressent surtout l’archéologie et l’histoire littéraire. Le slesvig-holsteinisme eut, à partir de 1838, ses chefs influens, ses visées précises, son prétendant même plus ou moins avoué, et la longanimité du gouvernement danois pendant toute cette période envers une agitation d’un caractère si dangereux et d’une portée si évidente est un phénomène assurément fait pour surprendre, — qu’il devient presque impossible d’expliquer par le seul désir d’éviter les embarras et de conjurer une catastrophe. Il faut bien le dire, les vicissitudes contemporaines (les plus récentes même) du Danemark présentent ainsi plus d’un point encore demeuré obscur, et qui sait si, pour les éclairer tous, le futur historien ne devra pas faire le dénombrement de la classe gouvernante de la monarchie scandinave, étudier en détail les familles traditionnellement investies dans ce royaume des hautes charges de la cour et de la diplomatie, et dont une grande partie n’a peut-être pas complètement dépouillé une origine holsteinoise et des attaches allemandes ? Toujours est-il que le roi Christian VIII notamment[5] crut longtemps à l’efficacité d’un système d’indulgence et de tempéramens dont les princes d’Augustenbourg se faisaient auprès de lui les interprètes insinuans et perfides. Le prince de Noer assurait son auguste maître « que les fonctionnaires et habitans des duchés étaient animés envers sa majesté de sentimens beaucoup plus loyaux que ses propres sujets du Danemark, » et le souverain se plaisait à confier, sur la présentation de son cousin, les postes les plus importans du pays à des personnes enrôlées de longue date sous la bannière de l’union ; il accepta même un jour (1842), et en toute intimité, les excuses du duc Christian alors que celui-ci avait pris sur lui de faire supprimer une phrase significative dans le message royal à la diète de Slesvig, la phrase qui rappelait simplement que le duché de Slesvig était placé sous la couronne de Danemark ! On se doute bien que, sous un pareil régime, l’éclat, et la protection ne manquèrent pas non plus à la grande école de Kiel, veuve depuis longtemps de son Dahlmann, mais demeurée toujours le foyer principal de la propagande germanique sur l’Eider. Le gouvernement tint à honneur d’y réunir les maîtres les plus renommés de l’Allemagne pour leur science et leur patriotisme, les Droysen, les Waitz, se rendirent à l’appel, et ils ne furent pas plus tôt installés qu’ils se mirent à démontrer les droits sacrés de la grande patrie sur le Slesvig. Plus tard ils devaient siéger tous dans le gouvernement provisoire des duchés. Le croirait-on ? jusqu’en 1850, le Danemark maintint la bizarre loi nommée biennium universitatis, loi qui interdisait tout emploi, même dans le Slesvig, aux personnes qui n’auraient pas justifié d’un séjour de deux ans à l’université de Kiel !…

Grâce ainsi à la simplicité de Christian VIII et à la duplicité de ses « cousins, » le mouvement séparatiste se fortifiait de plus en plus dans les duchés, et ce qui ajoutait à la gravité de la situation, c’est que cette recrudescence coïncidait précisément avec une période où l’Allemagne, de son côté, avait pris un essor tout nouveau après de longues années d’engourdissement et d’apathie. Depuis l’alerte causée en 1840 au sujet du « Rhin allemand » et l’avènement de Frédéric-Guillaume IV en Prusse, les peuples de la Germanie, on s’en souvient, sont entrés dans une époque critique, dans cette époque d’agitation unitaire et réformiste dont rien encore n’annonce la fin. Or il arriva qu’alors, comme maintes fois plus tard, les aspirations de nos voisins vers l’unité et la liberté furent bien vite traversées, primées même, par ces vues d’agrandissement et de conquête qui semblent être l’épanouissement naturel du génie tudesque à son état d’exaltation. Les esprits en Allemagne commencèrent donc à être puissamment attirés vers l’Eider ; des publicistes ingénieux se demandèrent même si le Danemark n’était pas au fond appelé par la « politique rationnelle » à devenir « l’état-amiral » (Admiralsstaat) de la Germanie future, d’une Germanie libre, unie et régénérée ; l’hymne national du « Slesvig-Holstein enlacé par la mer (meer-umschlungen) » remplaça peu à peu dans toute réunion populaire la fameuse chanson de Becker sur « le Rhin allemand, » et quand le roi Christian VIII, averti enfin sur le danger, publia la célèbre lettre-patente du 8 juillet 1846, qui maintenait simplement les droits incontestables de la couronne de Danemark sur Le Slesvig, la grande patrie poussa déjà un long cri d’indignation et d’horreur. Les professeurs de Heidelberg élevèrent les premiers la voix contre « l’injure » faite à l’honneur et au droit de leur nation ; les universités de Bonn, de Leipzig, de Goettingue, suivirent cet exemple ; les chambres de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, retentirent d’imprécations violentes ; le duc d’Augustenbourg, le duc de Glücksbourg, le grand-duc d’Oldenbourg, protestèrent devant la diète de Francfort, et il n’est pas jusqu’à cette diète fédérale elle-même, — jadis si sourde à tous les mémoires de Dahlmann[6], — qui ne crût devoir maintenant, dans sa résolution du 17 septembre 1846, réserver « les droits de tous et de chacun, spécialement de la confédération germanique et des agnats, » et « reconnaître le sentiment patriotique qui s’est manifesté à cette occasion dans plusieurs états allemands. » Les événemens marchèrent vite dans ces mois fiévreux qui précédèrent la catastrophe de février. Alors du reste comme de nos jours la crise fut précipitée par un changement de règne à Copenhague, — la mort de Christian VIII et l’avènement de Frédéric VII, — et bientôt il y eut une émeute de plus dans cette année 1848, année de grâce et de révolutions. Le Holstein s’insurgea contre le souverain légitime, que les Danois tenaient prisonnier ; un gouvernement provisoire fut installé à Rendsbourg sous la direction des princes d’Augustenbourg, et les volontaires de l’Allemagne pénétrèrent dans le duché de Slesvig pour y délivrer « des frères opprimés. » L’armée danoise eut promptement raison de ces bandes indisciplinées des « corps francs ; » mais à leur suite vinrent les soldats de la Prusse et de la confédération, le général Wrangel s’avança jusque dans le Jutland, et il ne fallut rien moins que l’intervention de l’Europe pour faire cesser un pareil scandale, pour mettre fin à une entreprise que la conscience indignée de M. de Bismark a si bien qualifiée alors de frivole, d’inique et de révolutionnaire

Il faut rendre cette justice à la diplomatie européenne dans ces années agitées de 1848-49, qu’elle n’eut pas les moindres doutes touchant le caractère et la moralité de la « guerre de délivrance » sur l’Eider, et qu’elle agit dans ces occurrences avec une louable fermeté. L’Angleterre s’entendit alors avec la Russie et la France pour préserver le Danemark de l’agression germanique et maintenir dans son intégrité une ancienne et glorieuse monarchie. Peu porté déjà par ses principes et ses intérêts à favoriser cette Allemagne unitaire « dont la première pensée a été une pensée d’extension injuste, le premier cri un cri de guerre[7], » le tsar Nicolas sut également mettre de côté toute sensibilité intempestive pour son bien-aimé beau-frère le roi Frédéric-Guillaume IV, et il fut le plus ardent à provoquer le concert européen qui finit par arracher aux Prussiens la proie tant convoitée. Disons-le toutefois, la diplomatie se montra beaucoup moins résolue et surtout beaucoup moins prévoyante alors qu’après avoir fait cesser la guerre elle se mit à jeter les fondemens de la paix future ; dans ce moment décisif, elle ne sut point remédier à des inconvéniens pourtant bien sensibles, ni même porter la main sur le siège véritable du mal. Le mal, il était évidemment dans la position des rois de Danemark vis-à-vis du Bund comme suzerains du Holstein, et surtout dans l’équivoque qu’on avait laissé s’établir au sujet du Slesvig, formant d’un côté « partie intégrante de la monarchie danoise » et gardant de l’autre une « autonomie » qui le rapprochait du Holstein. À cette confusion déjà si nuisible en elle-même, l’Allemagne ajoutait encore la confusion qui lui était propre, — l’embarras de sa constitution fédérale, la multiplicité de ses arrangemens territoriaux, le mécanisme compliqué de ses souverainetés particulières et de sa diète unitaire, — et parvenait ainsi à envelopper le litige dans un réseau vraiment inextricable. Ce vice de son organisme qu’elle ne cessait de déplorer, cet état mal défini de ses relations extérieures qui faisait l’éternel sujet de ses plaintes, la Germanie le mettait précisément à profit dans ses démêlés avec le Danemark pour échapper à toute obligation ; elle semblait vouloir prouver à cette occasion la fameuse identité de l’être et du non-être que lui avaient enseignée ses grands philosophes, et, sommée de s’expliquer ou de répondre, elle posait toujours la question préalable de maître Jacques. Était-ce au cocher qu’on voulait parler ? Elle prenait alors la casquette du roi de Prusse. Était-ce au cuisinier ? Dans ce cas, elle mettait le bonnet de son Bundestag, et cocher et cuisinier ne se trouvaient jamais d’accord, ni présens sur les mêmes lieux pour les mêmes stipulations… C’est ainsi qu’un jour (1er juillet 1848) une suspension d’armes fut signée entre la Prusse et le Danemark sur la médiation de l’Angleterre ; mais le général Wrangel refusa péremptoirement d’exécuter l’armistice. Ce serviteur éprouvé de Frédéric-Guillaume IV, et qui devait bientôt diriger le coup d’état à Berlin, déclara en ce moment désobéir à son roi : il était soldat de la confédération, et n’avait d’ordre à recevoir que de l’archiduc Jean, le nouveau vicaire de l’empire[8]. De même plus tard la confédération germanique prétendait ne pas reconnaître le traité de Londres, vu que la Prusse et l’Autriche seules l’avaient signé, et qu’il n’avait pas été soumis à l’approbation de la diète de Francfort. Les « progressistes décidés, » les Brutus et honourable men de la grande association patriotique du National Verein devaient même bientôt affirmer[9] qu’il n’est pas jusqu’à l’Autriche et la Prusse qui ne pussent au besoin, et comme membres de la confédération germanique, « s’affranchir des obligations d’un traité qu’elles avaient signé uniquement en leur qualité de puissances européennes !… »

En face d’un problème à ce point confus et de la convoitise allemande si habile dans l’art de créer les ténèbres et de « fendre les mots[10], » les puissances appelées, en 1850 et 1852, à établir un arrangement définitif auraient donc dû rechercher surtout une combinaison nette et précise qui ne laissât aucune place à l’équivoque et mît hors d’emploi la chicane. Le plus simple à coup sûr, le plus sensé aussi, eût été de débarrasser complètement le Danemark de son fardeau du Holstein, de mettre ce duché à la disposition d’un de ces nombreux princes que la féconde Allemagne tient toujours prêts pour tout autel nuptial de haut lignage ou pour tout trône fraîchement décoré. On aurait ainsi rendu la monarchie scandinave à elle-même, brisé la chaîne qui la rongeait en la rivant au corps germanique. Un programme si rationnel concordait toutefois bien peu alors avec les vues routinières et intéressées d’une partie de la classe gouvernante à Copenhague ; il aurait paru excessif même à ce parti de l’Eider, qui ne voulait « qu’isoler » le plus possible le duché de Holstein des autres provinces de la monarchie ; il aurait enfin trouvé un obstacle invincible dans la mesquine obstination du tsar Nicolas et du prince Schwarzenberg à rétablir partout et en tout le statu quo absolu d’avant le bouleversement de février. Cependant, à défaut d’une solution vraie et radicale, tout devait au moins engager à ne laisser subsister aucun doute sur la nature du statu quo qu’on entendait maintenir. Le roi de Danemark pouvait continuer à être le suzerain du duché allemand de Holstein comme le roi de Hollande était le suzerain du duché allemand du Luxembourg ; mais il devait être bien établi que les provinces extra-fédérales de la monarchie danoise demeuraient aussi complètement étrangères au Bund que l’étaient les provinces néerlandaises du royaume des Pays-Bas. C’était du reste dans ces termes que le problème fut nettement et honnêtement posé dès l’origine par le roi Frédéric VII. Dès le 4 avril 1848, le monarque danois répondit à la députation que lui avaient envoyée les insurgés de Rendsbourg qu’il accorderait au Holstein tout ce qu’on pourrait désirer, et s’associerait, pour ce qui regardait ce duché, très franchement à l’œuvre de l’unité allemande qu’on allait tenter à Francfort, mais que le Slesvig était un patrimoine de la nation danoise qu’il n’avait « ni la volonté, ni le pouvoir, ni le droit » d’aliéner, — et rien assurément de plus légitime, de plus loyal que cette déclaration. Il importe bien de le rappeler : ni alors, ni depuis, ni à une époque quelconque de l’histoire, la couronne de Danemark n’a prétendu enchaîner le Holstein, peser de manière ou d’autre sur les destinées de ce pays fédéral, y « daniser » la moindre parcelle de terre. Ce qu’elle demandait, c’était de préserver ses provinces propres de l’envahissement toujours croissant du germanisme, de mettre à l’abri des empiètemens du Bund ce duché de Slesvig qui n’a jamais fait partie de la confédération allemande, de demeurer indépendante au-delà de ce fleuve qui, depuis les temps les plus reculés, depuis Charlemagne, a toujours constitué la frontière de la monarchie Scandinave : Eidora romani terminus imperii ! C’était donc là le statu quo que les puissances de l’Europe auraient dû établir en 1850 et 1852 dans les termes les plus précis et les plus clairs ; elles auraient dû hautement proclamer le droit de Frédéric VII d’être maître indépendant dans ses possessions au-delà de l’Eider, maître d’y introduire les changemens qu’il jugerait nécessaires au salut et à l’unité de ses états, maître en un mot d’incorporer pleinement et complètement dans la monarchie danoise ce duché de Slesvig qui, de l’aveu de tous, en était une « partie intégrante. »

Mais il y avait des Allemands de l’autre côté de l’Eider ! s’écrieront ici les défenseurs farouches du « droit nouveau, » les fanatiques de ce principe de nationalité devenu, à ce qu’on assure, le dogme souverain de « la politique de l’avenir, » l’arche sainte, la loi et les prophètes, l’ultima ratio des peuples… Sans doute il y avait et il y a en effet des Allemands de l’autre côté de l’Eider : grâce à la tolérance, à la sociabilité, à la sympathie traditionnelle des Danois pour cette race germanique dont ils avaient même maintes fois défendu les intérêts, les armes à la main ; depuis l’époque de Witikind, des colons, des émigrans teutons ont pu de tout temps s’établir dans le Jutland méridional ; appelé plus tard le Slesvig ; ils s’y sont établis et multipliés, ils y ont prospéré, comme ils ont également prospéré dans plusieurs provinces de la Pologne (dans celle de Posen notamment), où ils avaient jadis cherché refuge contre les persécutions politiques ou religieuses de leur saint-empire ; mais depuis quand le bienfait de l’asile accordé a-t-il pour conséquence légale ou morale la spoliation du bienfaiteur ? Depuis quand Tartufe, hospitalièrement reçu, est-il sérieusement admis à dire que la maison est à lui, et que c’est à l’honnête Orgon d’en sortir ? Le premier, le plus simple devoir de tout colon et émigré n’est-il pas de respecter les lois du pays qui l’accueille, de suivre les destinées de la patrie de son choix ? Et que dirait la France, si les nombreux Allemands domiciliés à Paris engageaient le Bund à procéder à une petite exécution fédérale dans le quartier de la Villette ? La population tudesque de Paris est pourtant assez près déjà d’atteindre ce chiffre des frères que le général Wrangel est allé « délivrer » dans le Slesvig ; et il est vraiment heureux que les grandis patriotes du National Verein se bornent pour le moment à gémir sur le sort de leurs « frères opprimés » dans l’Alsace et la Lorraine !… Hélas ! et pour parler plus sérieusement, l’histoire ne cite que trop de peuples broyés, anéantis et expropriés par ces Germains dont le bon Froissart disait déjà au XIVe siècle : « Allemans de nature sont rudes et de gros engin, si ce n’est à prendre leur proffit, mais à ce sont-ils assez experts et habiles ? item moult couuoiteux et plus que nulles autres gens, jà ne tiendroyent rien de choses qu’ils eussent promis ; telles gens valent pis que Sarrazins ne payens… » Humbles à la fois et présomptueux, sobres et prolifiques, expansifs et tenaces, pratiquant avec persistance leur ancien proverbe ubi bene, ibi patria, et gardant néanmoins toujours un âpre attachement à la mère-patrie, les Allemands s’infiltrent en tout pays, pénètrent dans toutes les régions, ne dédaignent aucun coin de la terre habitable. Ils ont leurs familiers et consanguins sur tous les trônes et dans tous les comptoirs du monde ; ils peuplent les centres industriels de l’Europe et les nouveaux territoires des États-Unis ; ils exproprient la Pologne et la Hongrie et administrent la Grèce ; ils décident la nomination du président Lincoln, ils fournissent le contingent le plus fort à la classe gouvernante dans le vaste empire des tsars, et l’esprit reste confondu devant les perspectives qu’ouvre sur l’avenir cette ubiquité du génie et de l’influence de la Germanie. À ne tenir compte que du présent, la langue tudesque « résonne[11] » déjà dans assez de pays demeurés jusqu’à ce jour en dehors du Bund pour que la doctrine qui vient de triompher sur l’Eider devienne l’objet de sérieuses réflexions. Cette langue domine dans la moitié des cantons suisses, persiste dans l’Alsace et fait journellement des conquêtes dans les districts flamands de la Belgique. Les provinces russes de la Baltique sont sans contredit bien plus germanisées que l’ancien Jutland méridional ; les habitans de Mittau et de Riga s’enorgueillissent même du plus pur accent allemand, et sans parler du Luxembourg, au sujet duquel le parlement de Francfort avait déjà en 1848 élevé les mêmes plaintes et prétentions qu’à l’égard des duchés de l’Elbe, nous ne voyons pas en conscience les raisons philologiques que pourraient faire valoir les Néerlandais pour ne pas subir le sort des Frisons du Slesvig, pour échapper un jour à l’honneur de former, eux aussi, un état-amiral de la grande confédération. « Au bas-allemand appartiennent les dialectes frisons, ainsi que le hollandais et le flamand ; » tel est l’arrêt de la plus irrécusable des autorités, de cet illustre Max Müller que l’université d’Oxford a su enlever à l’Allemagne, et qui n’a pas du reste négligé de faire, lui aussi, et devant les Anglais, son plaidoyer pour la Germanie[12] dans la question du Slesvig-Holstein. « les nations et les langues contre les dynasties et les traités, voilà ce qui a refait et ce qui refera encore la carte de l’Europe ; » a dit aussi le même savant dans son cours classique sur la science du langage, aux applaudissemens de l’auditoire exquis du Royal Institute, et il est à parier que ce mot fera encore fortune dans tel organe voué à la politique de l’avenir !… Pourvu, — ajouterions-nous humblement, — que ces langues ; idiomes et patois ne soient pas tournés contre les organismes vivaces, historiques et traditionnels des nations, pourvu que le despotisme né soit pas seul à trouver son compte au déchirement de ces traités, qui contenaient peut-être plus d’une stipulation favorable pour les pays opprimés, les dernières garanties des peuples malheureux, subjugués, et qui ne garderaient plus alors aucun lambeau, de droit pour couvrir leur corps meurtri : nudi in nuda !… Il est triste de penser que le principe tant prôné des nationalités n’a jusqu’ici rapporté de profits clairs qu’à l’absolutisme. L’Autriche s’est armée en 1848 de ce principe de la nationalité des Croates, des Slovaques, des Serbes, des Ragusiens, etc., pour en accabler la Hongrie défendant ses libertés antiques et sa constitution. À l’heure qu’il est, la Russie « protège et développe » dans le royaume de Pologne les nationalités « ruthène, allemande, israélite, lithuanienne, samogitienne et lette, » pour dissoudre la vie organique de la nation, écrasée jusque dans son dernier réduit. Enfin c’est M. de Bismark qui est le champion du droit nouveau sur l’Eider, ce même M. de Bismark qui n’en est pas à donner ses gages au libéralisme, et qui au début de sa campagne dans les duchés déclarait à lord Wodehouse qu’il n’y avait pas d’entente possible aussi longtemps que les institutions démocratiques seraient maintenues dans le Danemark[13] !… Qu’on y prenne garde, la politique a, tout aussi bien que la littérature, son history of fiction, et plût à Dieu que le futur Dunlop qui se chargerait d’écrire une telle histoire n’eût pas à consacrer tout un chapitre au principe sacré des nationalités comme à la plus désolante duperie du XIXe siècle !…

La grave diplomatie se montre d’ailleurs, elle aussi, bien souvent encline à d’étranges illusions. Elle avait cru par exemple mettre un terme au différend dano-allemand par les arrangemens qu’elle prit dans les années 1850-52. À première vue, il est vrai, tout dans ces arrangemens semblait dicté par une politique saine, désintéressée même, et on pouvait se flatter d’avoir procédé dans les formes voulues, selon les préceptes éprouvés de l’art. Un protocole signé à Londres, le 4 juillet 1850, par les représentans de l’Angleterre, de la France, de la Russie, de l’Autriche, de la Suède et du Danemark, établissait en principe le maintien, pour l’avenir, de « l’intégrité de la monarchie danoise » par le règlement de l’ordre éventuel de la succession, et il importe de constater que la Prusse elle-même avait donné dès lors (dans une convention secrète) son assentiment plein et entier, sans nulle restriction ni réserve, à ce principe capital[14]. Les puissances pensèrent ensuite à régler cet ordre éventuel de succession : elles reconnurent le prince Christian de Glücksbourg comme l’héritier futur, unique et légitime de tous les états de Danemark, et s’appliquèrent à mettre ses droits à l’abri de toute contestation ultérieure. À cet effet, l’empereur Nicolas déclarait, dans un protocole daté de Varsovie, 5 juin 1851, céder au prince de Glücksbourg et à ses descendans les titres que la branche aînée des Holstein-Gottorp pourrait faire valoir sur une partie quelconque des états de Frédéric VII. Une cession analogue fut également obtenue des autres branches agnatiques ou cognatiques (la vieille landgrave de Hesse, le prince Frédéric de Hesse, la princesse Marie d’Anhalt, etc.), et il n’est pas jusqu’au sujet félon, le duc d’Augustenbourg, dont la diplomatie n’ait alors songé à s’assurer le concours pour l’œuvre durable qu’elle croyait ainsi fonder. Prétendant désabusé et seigneur besoigneux, le duc Christian-Auguste, qui vivait alors dans l’exil à Francfort, voulut bien signer en 1852, et contre une forte somme que lui paya la cour de Copenhague, un acte solennel de renonciation : il s’engageait « pour lui et sa famille, sur l’honneur et la foi de prince, à respecter toutes les mesures prises ou encore à prendre par sa majesté le roi de Danemark concernant la succession. » Et par cette ironie du sort qui semble décidément devoir marquer la question du Slesvig-Holstein jusque dans les moindres détails, c’est M. de Bismark-Schoenhausen, alors plénipotentiaire de la Prusse près la diète fédérale, qui ménagea toute cette délicate transaction avec le chef des Augustenbourg et y attacha son nom ! Enfin, et pour donner à ces divers arrangemens « un gage additionnel de stabilité par un acte européen, » les puissances signataires du protocole du 4 juillet 1850, auxquelles vint s’adjoindre la Prusse, — cette fois ouvertement et publiquement, — proclamaient, dans le traité de Londres du 8 mai 1852 et d’une manière irrévocable, les : droits du prince de Glücksbourg à « succéder à la totalité des états actuellement réunis sous le sceptre de sa majesté le roi Frédéric VII, » et reconnaissaient en outre « comme permanent le principe de l’intégrité de la monarchie danoise[15]. »

Par malheur, bien plus permanent se montrait dès lors un autre « principe » qui devait tôt ou tard détruire l’œuvre de Londres. Les Allemands n’avaient cessé de camper sur le territoire danois pendant que la diplomatie européenne était occupée de ces laborieuses négociations ; Ils étaient entrés en 1848 dans les duchés pour les ravir au roi Frédéric VII : ils y restaient pendant les années 1850 et 1851 afin de rétablir dans le Holstein « l’autorité légitime » du même roi au nom de la confédération ! et ils ne se retirèrent définitivement au commencement de 1852 qu’après avoir obtenu de la cour de Copenhague certains « éclaircissemens » dont il était aisé de prévoir les conséquences fatales et désastreuses. Ce n’étaient, à vrai dire, que de simples explications ;[16], ou, si l’on veut, un échange « amical » d’idées, et le traité définitif de Londres n’en faisait aucune mention. Le tout s’était borné à quelques phrases insérées dans une correspondance du ministre danois avec les cours allemandes ; mais c’était assez pour fournir à l’adversaire une arme redoutable dont il se promit bien de faire usage au moment opportun. Dans cette correspondance malheureuse, il était parlé en effet des « intentions » de la cour de laisser au Slesvig son « autonomie, » d’y placer les deux nationalités (allemande et scandinave) « sur le pied d’une égalité parfaite, » et d’élaborer pour l’ensemble des états une constitution commune. Or, la non-incorporation du Slesvig dans le royaume était déjà une calamité immense, « l’égalité des deux nationalités » ouvrait les portes à toutes les interprétations et réclamations imaginables. ; mais que dire d’une « constitution commune » pour l’ensemble des états du Danemark ? C’était à la fois une monstruosité et une impossibilité qui ne pouvaient avoir pour effet qu’un déchirement intérieur permanent et un assujettissement final à l’omnipotence, du Bund étranger. Et ce sont là les conditions que dut subir le Danemark en 1852 malgré tant et de si puissans protecteurs, hélas ! et en partie sur l’insistance même de ces protecteurs ! Alors, comme plus tard, en 1863, lord Palmerston (il faut bien avoir cette vérité toujours présente à la mémoire) était fermement résolu à ne risquer aucun conflit sérieux avec les Allemands malgré leurs violences leurs audaces même, et il amenait le Danemark récalcitrant à des concessions déplorables[17]. De son côté, l’empereur Nicolas, tenait avec une étrange persistance au statu quo, et par conséquent à « l’autonomie » du Slesvig. En outre la charte très libérale accordée par le roi Frédéric à ses provinces danoises en 1849 portait ombrage au tsar : une nouvelle constitution « commune » qui passerait au creuset de M. de Manteuffel et du prince Schwarzenberg souriait bien plus à son esprit, -— et c’est ainsi qu’on se garda bien de retirer du corps meurtri de la nation les traits empoisonnés qu’y avaient laissés les Allemands au moment de partir.

Quelques mots suffiront à résumer toute cette situation. Après une guerre désastreuse interrompue par deux armistices et terminée par une paix entre les belligérans et un traité européen, « gage additionnel de stabilité, » après tant de conférences et de protocoles, l’intégrité de la monarchie danoise se trouvait en 1852, plus menacée que jamais : l’épée avait été tirée deux fois, et le nœud gordien n’était en fin de compte que bien plus compliqué, plus resserré encore. En vérité, à la vue de son impuissance si manifeste à résoudre ne fût-ce que cette « petite affaire » des duchés, quoi d’étonnant que la diplomatie européenne ait eu une juste méfiance d’elle-même, ait fini par se récuser complètement, alors qu’au mois de novembre 1863 une parole auguste la sommait soudain de régler hardiment et d’un coup les plus grosses affaires du monde, et de « reconstruire sur de nouvelles bases » tout l’édifice de l’humanité ?

« La paix que nous fit avoir l’Europe en 1852 n’a été en réalité qu’un armistice, » disait, dans la séance du rigsraad du 11 mai 1863, l’homme considérable qui avait lui-même, comme ministre danois, pris une part active dans les négociations d’alors. Cette parole de M. Bluhme est à la fois la définition la plus exacte et la critique la plus méritée des arrangemens que couronna le traité de Londres. La guerre était au fond même des stipulations de la paix, dans la fatalité de la situation qu’on venait de créer. Après une expérience si chèrement acquise, le Danemark devait bien naturellement, dans l’intérêt de son salut et de son indépendance, n’épargner désormais aucun effort pour « isoler » le Holstein autant que possible et pour resserrer en même temps les liens entre ses possessions extra-fédérales. Et il était non moins naturel que l’Allemagne se prévalût, elle, du statu quo malencontreusement restauré sur l’Eider, des « éclaircissemens » surtout de 1851, pour empêcher à la fois cet isolement d’une part et cette unification de l’autre, pour se plaindre tantôt de « l’atteinte portée à l’autonomie du Slesvig, » et tantôt pour exiger cette « constitution commune à tous les états du Danemark, » qui devait définitivement asservir « l’état-amiral » à la grande patrie. Ceci bien établi, nous nous dispenserons volontiers d’entrer dans les détails des interminables récriminations de l’Allemagne contre a la perfidie Scandinave, » de ses plaintes au sujet des « violences » exercées dans le Slesvig par les false Danish dogs, ainsi qu’on s’exprimait alors de l’autre côté du Rhin, en empruntant une citation à Shakspeare, apparemment pour mieux toucher le cœur de lord Palmerston. Les mêmes hommes qui, en violation audacieuse des traités, extirpaient l’élément national du grand-duché de Posen et proclamaient le Mincio « une frontière allemande » poussaient des cris de rage à la moindre apparition d’un nouveau pasteur ou maître d’école danois aux environs de Tondern ou de Flensborg. Il importe même de remarquer que le bataillon sacré des défenseurs de la « sainte cause » s’était notablement accru en Allemagne, depuis le rétablissement de la paix, de toute une classe de Holsteinois compromis dans l’insurrection, et qui trouvèrent ensuite dans les divers états germaniques un accueil enthousiaste et même les positions les plus hautes[18]. Disons-le toutefois : depuis 1852 jusqu’en 1858, le Danemark jouissait d’une paix relative du côté de ses redoutables voisins. La guerre des pamphlets et des journaux continuait, il est vrai ; mais les cabinets évitaient volontiers de reprendre le débat, et, si le Bund intervenait de temps à autre avec ses remontrances à Copenhague, c’était plutôt pour empêcher les libertés constitutionnelles de se développer à l’aise dans la monarchie de Frédéric VII que pour entamer « la grande œuvre. » Le vent soufflait alors à la réaction : M. de Manteuffel et M. de Buol avaient garde de se créer des embarras au dehors et d’exciter les passions à l’intérieur. Rien ne peint mieux les dispositions résignées des hommes d’état germaniques à cette époque que la réponse faite par M. de Pfordten le 23 mai 1853 à une députation des Holsteinois qui vinrent porter devant lui les doléances de leurs frères opprimés dans le Slesvig. « Les gouvernemens allemands, dit alors le premier ministre de Bavière, ont bien mal apprécié la cause des duchés, et par leur assistance n’ont fait qu’empirer la situation de ces provinces, que des avocats et des professeurs avaient agitées et entraînées. Les duchés sont la propriété du Danemark, et si j’étais ministre holsteinois, je daniserais le pays, dût une migration des peuples s’ensuivre[19]. »

Peu d’années s’écoulèrent, et M. de Pfordten vint tenir un tout autre langage ; il devait même se signaler parmi les avocats[20]les plus ardens, les plus intraitables de la sainte cause des duchés ! C’est que depuis 1859 les esprits de l’autre côté du Rhin avaient reçu une forte, impulsion, et que, selon une expression officielle, une « ère nouvelle » (Neue Aera) venait de commencer. Grâce aux événemens du dehors et de l’intérieur, à la guerre d’Italie et à la régence du prince Guillaume de Prusse, la Germanie reprenait son essor vers la vie politique, sa course éperdue à l’unité et à la liberté à travers les trente-huit barrières de ses trente-huit souverainetés, et, comme toujours, la pensée du Slesvig-Holstein finit par l’emporter bien vite sur toutes les autres idées de progrès et de réforme. Déjà, dans son discours d’ouverture devant les chambres de Berlin (12 janvier 1859), le prince-régent ne put se dispenser de toucher à la question des duchés ; son ministre le baron de Schleinitz ne tarda point à entamer avec M. Hall, le chef du cabinet à Copenhague, une correspondance de plus en plus aigre, et bientôt un haut fonctionnaire dans le Holstein portait dans un banquet public un toast chaleureux « à Guillaume le conquérant !… » L’Allemagne tressaillit d’aise et d’allégresse ; les chambres de Bade, de Bavière, de Wurtemberg, etc., retentirent d’accens belliqueux ; le Bund de Francfort redoubla de vigueur : il accabla le gouvernement de Copenhague de ses moniloria, excitatoria et inhibitoria. Au commencement de 1861, il prononçait déjà contre le Danemark une « exécution fédérale : » que personne, il est vrai, ne se pressa d’exécuter… Ce qui ajoutait aux espérances et rehaussait le cœur de tous les bons citoyens, c’était de voir le cabinet de Vienne lui-même venir rejoindre la croisade diplomatique, ce cabinet si lent d’ordinaire dans ses mouvemens, et qui avait jusque-là donné si peu de gages à la cause du Slesvig-Holstein ! L’Autriche, en effet, n’avait pris aucune part à la première « guerre de délivrance » sur l’Eider ; elle s’était même alors unie aux autres grandes puissances pour s’opposer à la convoitise prussienne, et son ambassadeur n’avait pas quitté Copenhague dans le courant de 1848. Dès cette époque toutefois, et pendant les négociations de 1851, le prince Schwarzenberg avait subitement « changé d’attitude ; » la prépondérance de la Prusse une fois écartée, la cour de Vienne voulut montrer qu’elle était aussi bonne gardienne du patriotisme germanique que sa rivale, et c’est surtout à la pression de la diplomatie aulique que Frédéric VII avait dû accorder des « explications » si grosses d’avenir. Ainsi avait agi déjà l’Autriche absolutiste de Schwarzenberg. De combien plus de zèle n’était donc pas tenue de faire preuve l’Autriche libérale de M. de Schmerling, l’empire des Habsbourg régénéré par le progrès, s’essayant dans la vie parlementaire et aspirant à l’hégémonie parmi les peuples de la confédération ! L’empereur François-Joseph, devenu souverain constitutionnel, ne put vraiment pas se dispenser d’entendre à son tour un grido di dolore ; il crut l’entendre très distinctement même du côté de la Baltique, et M. de Rechberg tint à honneur de ne pas se laisser dépasser par M. de Schleinitz dans l’amertume de son langage à l’égard de M. Hall. M. de Rechberg fut d’autant plus énergique dans ses paroles qu’il crut ne devoir jamais leur donner suite par les actes, — car il faut bien ne pas l’oublier : par toutes ces violentes démonstrations contre le Danemark, c’était plutôt et même exclusivement une expédition à l’intérieur qu’entendaient faire les différens gouvernemens de l’Allemagne. Les gouvernemens des petits états voyaient dans la question du Slesvig-Holstein un utile dérivatif à l’agitation unitaire si menaçante pour les souverainetés particulières des princes ; l’Autriche et la Prusse n’y cherchaient que le moyen de faire « des conquêtes morales en Allemagne, » selon le mot célèbre du prince-régent : de toutes parts on faisait les enchères du patriotisme avec des billets tirés sur le Danemark, et qu’on savait devoir être protestés. Quant à passer l’Eider et à renouveler l’expérience de 1848, certes MM. de Rechberg et de Schleinitz y songeaient aussi peu que MM, de Beust et de Pfordten. L’entreprise avait échoué à une époque bien autrement favorable, au moment d’une crise révolutionnaire universelle, alors que le monde était livré à toutes les angoisses d’une commotion politique et sociale : comment réussirait-elle en 1862, au milieu d’une paix générale et en face des puissances jouissant de la plénitude de leur liberté et de leur force ?

Ainsi pensaient tous les hommes sérieux, même en Allemagne ; ainsi pensait surtout le Danemark, et il ne s’effrayait pas outre mesure des démonstrations germaniques. Il avait confiance dans son droit, dans l’opinion et l’appui de l’Europe. La rivalité manifeste et toujours croissante entre l’Autriche et la Prusse, devenait d’ailleurs pour lui un motif de sécurité de plus. Du reste, depuis la fin de 1861, le grand flux libéral qui avait jusque-là porté les esprits en Allemagne perdait visiblement de son niveau, et avec lui devait inévitablement s’apaiser aussi l’agitation pour les duchés. L’ère nouvelle s’était déjà éclipsée ; le régent de Prusse, devenu le roi Guillaume Ier, était entré en lutte avec les « hommes du progrès » (Fortschrittsmänner), un conflit constitutionnel des plus graves avait éclaté, et le 24 septembre 1862 M. de Bismark venait d’être placé à la tête du cabinet de Berlin, Or on connaissais de longue date l’opinion de M. de Bismark sur la « querelle d’Allemand » faite au roi de Danemark, « souverain, légitime dans les duchés ; » on savait de plus que le parti auquel appartenait le nouveau ministre, et qui lui prêtait son appui indispensable, que le parti de la Croix avait toujours répudié le slesvig-holsteinisme comme une invention de la démagogie : on avait donc toute raison de croire à l’assoupissement prochain de ce que les diplomates de la Grande-Bretagne n’avaient cessé d’appeler a tedions and a vexed question. Telle était la situation dans l’automne de 1862, quand soudain, le jour même de l’arrivée au pouvoir de M. de Bismark, au moment le moins opportun et du quartier le plus inattendu, partit une dépêche incroyable qui fut accueillie en Allemagne avec les transports d’une joie frénétique, et remplit par contre Copenhague d’une stupeur et d’une consternation faciles à comprendre. La missive sonnait en effet le glas funèbre de l’intégrité du Danemark : elle déchaîna en Allemagne la tempête qui au bout d’un an devait engloutir la moitié des états de la monarchie Scandinave. La dépêche était datée : Gotha, 24 septembre 1862, et portait la signature de lord John Russell.


II

« La question des duchés, disait ingénument un mémorandum germanique du commencement de 1863[21], a donné matière à un entassement de pièces d’une abondance qui n’a été égalée par aucun procès politique ou civil des temps modernes, » et il est juste d’ajouter que la Grande-Bretagne n’a pas fourni le contingent le plus mince de cette formidable collection de papiers. Le cabinet de Saint-James n’a cessé de suivre attentivement, scrupuleusement le démêlé dano-allemand dans ses oscillations les plus fugitives, et d’intervenir à tout moment par des conseils, des remontrances et des notes. Lord Malmesbury n’a fait qu’un court passage au pouvoir dans l’année 1858, à l’époque relativement la plus calme du long différend : il a pourtant trouvé le moyen (ainsi que le racontait plus tard M. Layard, à la grande hilarité de la chambre des communes) pendant les quinze mois de son ministère d’enrichir le foreign-office de « sept nouveaux et gros volumes in-folio » de correspondance relative aux duchés. On se doute combien plus fertile a dû être dans les temps qui suivirent la plume remuante, diserte et volontiers dissertante de lord John : sa correspondance fut infatigable, intarissable, pragmatique, comme devait l’appeler plus tard « et sans malice » le très honorable M. Disraeli[22]. Toutefois, pour être plus agité et agitant, le comte Russell n’en gardait pas moins, jusqu’en l’automne 1862, l’attitude traditionnelle des ministres britanniques dans ce litige ; il suivait la ligne de conduite qu’avaient tenue avant lui lord Malmesbury et lord Palmerston. Il recommandait au Danemark la patience, la circonspection, et à l’occasion les sacrifices les plus pénibles ; mais en même temps il ne se lassait pas de faire aux cours allemandes de très vertes semonces sur leurs prétentions et empiétemens injustifiables. — Résumons pour la dernière fois ces prétentions germaniques et établissons-en la valeur. Au point de vue du droit international et des traités, elles n’en avaient aucune. La fameuse théorie de « l’union des deux duchés, » la théorie du slesvig-holsteinisme, n’ayant pas triomphé en 1852, ayant même été expressément abandonnée alors[23] la confédération n’avait pas l’ombre d’un droit écrit à invoquer pour une ingérence dans le Slesvig, et quant au Holstein, le gouvernement de Copenhague se gardait bien d’y donner sujet à une plainte sérieuse quelconque. À défaut de tout traité, l’Allemagne se prévalait donc des « éclaircissemens » fournis en 1851 par le ministère danois sur le régime futur dans les duchés, sur « l’intention » du roi de ne pas incorporer le Slesvig et de proclamer une constitution commune à tous les états de la monarchie. Ce terme Erläuterungen (« éclaircissemens »), les diplomates germaniques s’ingéniaient à le supplanter dans leurs factums par celui de Erklärungen, qui signifiait à la fois « explications » et « déclarations ; » à la suite et sous leur plume toujours glissante, les « déclarations » devenaient des « engagemens » (Verpflichlungen), des engagemens formels, solennels, sacrés, — des stipulations ! Mais outre que ces « explications » n’en demeuraient pas moins de simples pourparlers ministériels dépourvus de tout caractère juridique et obligatoire, le roi Frédéric VII s’y était conformé dans la mesure du possible et selon toute la rigueur de la lettre, sinon de l’esprit. Il n’avait pas incorporé administrativement le Slesvig, et quant à la constitution commune, il l’avait promulguée dès le 2 octobre 1855 ; mais l’essai avait été démontré si impraticable au bout de deux ans que la diète fédérale elle-même en avait demandé (2 novembre 1858) et obtenu la suspension pour le Holstein et le Lauenbourg. Il est vrai qu’après avoir exigé eux-mêmes la séparation qui venait de s’accomplir, les Allemands sommaient derechef le gouvernement de Copenhague de présenter une nouvelle constitution commune, capable de les satisfaire : c’était là procéder sans ambage à l’assujettissement définitif de la monarchie Scandinave aux volontés du Bund étranger, c’était prétendre tenir par le Holstein, non-seulement le Slesvig, mais le Jutland même et les îles ! Bien plus, avant d’absorber « l’état-amiral, » les Allemands voulaient encore le dissoudre. En attendant l’élaboration de la nouvelle constitution commune, ils demandaient que la charte du 2 octobre 1855 fût abrogée pour toutes les parties du royaume indistinctement, et remplacée par quatre assemblées législatives indépendantes (dans le Holstein, dans le Lauenbourg, dans le Slesvig, dans le Jutland et les îles), quatre assemblées qui discuteraient, chacune séparément, la future loi commune, et auraient, dans le provisoire, « une influence égale sur les intérêts généraux. » Or, pour faire voir la portée de pareilles exigences, il suffira de rappeler simplement les observations qu’elles suggérèrent, dans les premiers jours de 1862, au comte Russell lui-même. « L’Autriche, demandait excellemment le ministre britannique dans sa missive à lord Loftus du 6 janvier 1862, l’Autriche souffrirait-elle que la diète hongroise votât sa quote-part du budget de l’armée et de la marine, et la Prusse consentirait-elle à ce que son budget militaire fût soumis à une assemblée composée exclusivement de représentant de Posen ? Supposons que le Danemark fût sous le coup de quelque danger extérieur, serait-il conforme à l’intérêt de la nation de convoquer quatre assemblées diverses afin d’obtenir les subsides pour l’armée et la marine ? L’Autriche consentirait-elle à voir son armée et sa flotte dépendantes des votes séparés des diètes de Hongrie, de Bohême, de Galicie et de Vénétie ?… »

Ainsi parlait en janvier 1862 lord John Russell. Dès l’automne de cette année, le même homme d’état devait tenir un tout autre langage, un langage assurément bien étrange, en contradiction complète avec tout ce que le cabinet de Saint-James avait jusque-là soutenu et défendu ! Dans sa fameuse dépêche du 24 septembre 1862, le chef du foreign-office commençait d’abord par transcrire une récente note prussienne (du 22 août) pleine de récriminations contre le Danemark : il adoptait comme authentiques les faits allégués dans un document émanant du cabinet de Berlin ! Par un procédé encore plus inusité dans les traditions de chancellerie, et comme si sa majesté la reine Victoria n’avait pas eu d’ambassadeur officiel à Copenhague, lord Russell en appelait aux rapports de ses agens secrets sur l’Eider, rapports « dignes d’une parfaite confiance, » et qui attestaient la violente oppression que le gouvernement de Frédéric VII n’aurait cessé d’exercer sur la population allemande dans le Slesvig. On avait rempli cette province de fonctionnaires danois dans l’administration, de prêtres danois dans les églises et dans les écoles ; on avait laissé exprès en oubli la disposition du biennium universitatis c’est-à-dire qu’on, avait confié des emplois dans le Slesvig à des personnes que n’avait pas préalablement endoctrinées la grande et patriotique école de Kiel ; enfin on avait tyrannisé les particuliers et les familles : par des ordonnances vexatoires, Après avoir dressé cet acte d’accusation, étrange contre une puissance « amie, » le noble lord rappelait avec force les « explications » données autrefois en 1851 par le cabinet de Copenhague aux cours allemandes sur le régime futur des duchés. On a vu plus haut les périphrases diverses, toujours ascendantes et climatériques, que les diplomates de la Germanie avaient su employer pour le mot fameux de Erläuterungen ; le comte Russell inventa pour son usage une périphrase tout à fait nouvelle, celle de bounds of honour. Des « liens d’honneur, » affirmait-il, avaient été formés par le gouvernement danois en 1851, et, pour sauver cet « honneur, » le principal secrétaire d’état, ne trouvait rien de mieux à proposer au monarque que de souscrire à la perte de la monarchie. En effet, pour réparer le mal, lord John conseillait de détacher tout à fait le Slesvig, du Denmark proper, et de reconnaître à chacune des quatre provinces dont se composerait le royaume de Holstein, le Lauenbourg, le Slesvig, et le Denmark proper) une autonomie complète et une assemblée législative indépendante ! « En général, devait bientôt dire au sujet de cette conception ingénieuses, » mais peu originale et visiblement traduite, de l’allemand, un homme d’état scandinave, — en général les souverains de l’Europe trouvent déjà de la difficulté à manier un seul parlement ; le principal secrétaire d’état, fait au roi de Danemark assurément un grand honneur en le croyant capable, d’en manier jusqu’à quatre… » Il est vrai que, pour pallier les inconvéniens possibles d’une pareille « constitution, », l’imperturbable réformateur proposait d’établir en dehors des représentations provinciales, un budget annuel fixé pour dix ans[24] ; seuls, les crédits supplémentaires « inévitables » seraient votés « librement » par les quatre assemblées législatives !…

Telle fut la panacée merveilleuse découverte pour les maux de la situation et formulée « en quatre points » par le grand auteur du reform-bill, que M. Disraeli devait plus tard saluer en plein parlement comme le Sieyès contemporain de l’Europe. Ainsi, par sa missive célèbre du 22 septembre 1862, le comte Russell ne faisait pas seulement un acte manifeste d’intervention dans les affaires intérieures d’un état indépendant, mais il prenait en main la cause de l’Allemagne contre le Danemark, et se prononçait hautement pour les prétentions les plus excessives et les plus injustifiables de MM. de Beust et de Pfordten ! Le noble lord était subitement touché de la grâce du National Verein, et c’est une des belles allées du charmant parc de Gotha qui devint la route de Damas pour cette conversion foudroyante ! Certes il y a quelque chose de piquant, ou plutôt, comme on dirait de l’autre côté du Rhin, quelque chose de « symbolique » dans le fait qu’une note si mortelle pour le Danemark[25] ait été écrite le jour même de l’avènement de M. de Bismark et dans la ville qui a donné son nom au parti unitaire de la Germanie, sous les ombrages hospitaliers d’un patriote aussi ardent que le duc de Cobourg. Faut-il pourtant tout attribuer aux seules séductions du lieu et de l’entourage ? Ne doit-on pas accorder au noble lord les bénéfices d’une pensée un peu plus sérieuse et politique ? Rappelons-nous que depuis l’annexion de la Savoie l’Angleterre avait commencé à tourner ses regards vers l’Allemagne, à cultiver avec une certaine tendresse un grand peuple si rapproché par ses origines et sa foi, placé si providentiellement entre la France et la Russie. Les hommes d’état britanniques avaient pris l’habitude régulière de faire une tournée de vacance sur les bords du Rhin et d’y resserrer les liens d’amitié avec les princes et les ministres de la Germanie. Ainsi faisait chaque été lord Clarendon ; ainsi, en septembre 1862, fit lord John Russell, qui accompagna sa gracieuse majesté la reine Victoria dans son voyage à Cobourg. Or cette année 1862 était singulièrement tourmentée et ténébreuse ; l’explosion de la Pologne n’avait pas encore eu lieu, l’intimité entre les deux cabinets des Tuileries et de Saint-Pétersbourg devenait de jour en jour plus grande, et plus grande aussi l’inquiétude des autres puissances ; on parlait de vastes projets en l’air pour le remaniement de la carte de l’Europe, tant à l’occident qu’à l’orient, et lord Palmerston déclarait en plein parlement que la situation lui semblait « grosse au moins d’une demi-douzaine de guerres respectables[26]. » Serait-ce donc l’appréhension de pareilles éventualités qui aurait converti de la sorte le ministre britannique à la foi du National Verein, et aurait-il voulu s’assurer le concours futur de l’Allemagne dans des occurrences redoutables par cette concession faite à sa passion la plus chère ? Dans une telle hypothèse, lord John pourrait du moins plaider les circonstances atténuantes de sa démarche incroyable, et prétendre avec le bon Polonius que la folie n’avait point manqué de méthode[27]. Il aurait ainsi, en septembre 1862, abandonné le roi Frédéric VII pour s’attacher la Germanie en face de l’alliance franco-russe, comme il devait l’année suivante sacrifier la Pologne pour sauver le traité de Londres et lâcher de nouveau le traité de Londres devant l’épouvantail d’un congrès européen à Paris. Singulier piloté dans tous les cas, dont tout l’art de navigation consisterait à jeter invariablement par-dessus le bord une partie de sa cargaison à la moindre annonce d’une tempête !

Quoi qu’il en soit, la dépêche de Gotha devint le signal d’une recrudescence violente du slesvig-Holsteinisme de l’autre côté du Rhin, et c’est d’elle, à dire vrai, que date diplomatiquement le démembrement de la monarchie danoise ; Le chef du foreign-office fut si glorieux de son œuvre qu’il s’empressa de la communiquer à tous les cabinets intéressés ;… il n’y eut d’exception que pour les deux puissances scandinaves. Le gouvernement de Copenhague n’eut connaissance officielle de la note que le 14 octobre ; quant à la Suède, bien que signataire du traité de Londres, elle fut dédaigneusement laissée à l’écart, ce qui donna au comte Manderstroem l’occasion d’écrire « qu’il était tenté de féliciter le ministre anglais d’un silence si opportun, ses dépêches paraissant écrites à l’adresse des cours ennemies du Danemark ou fort ignorantes de ses affaires, et la cour de Stockholm n’étant dans l’un ni dans l’autre cas. » Par contre, les cours allemandes, celles de Vienne et de Berlin notamment, ne manquèrent pas d’adresser au cabinet de Saint-James leurs complimens sincères : le débat « ramené à ces ; termes, » elles l’acceptaient de grand cœur ! Il faut bien noter ceci : les « quatre points » et les quatre parlemens de. la note anglaise du 24 septembre devaient être, pendant toute l’année 1863, le mot d’ordre de la diplomatie germanique dans la question des duchés. Le ministre du Hanovre, comte Platen, ne tarissait pas aux mois de mars et d’avril de cette année, en éloges sur les ingénieuses propositions de lord Russell ; il tenait absolument à les introduire « de manière ou d’autre » dans la motion qu’il préparait pour la diète fédérale ; il les mit enfin en préambule[28] ! Le comte Rechberg avait au mois de janvier 1863 une grande confiance dans les « puissans argumens employés par le principal secrétaire d’état ; » en avril et encore en juin, il regardait la dépêche de Gotha « comme la meilleure base pour une entente véritable[29]. » M. de Bismark ne manqua point non plus (dans sa dépêche à M. de Balan du 15 avril) de s’emparer de l’expression anglaise de bounds of honour et de reprocher au Danemark d’avoir résisté dans l’automne passé « à la médiation d’une puissance amie et impartiale. » Dans le rapport présenté à la diète fédérale au nom de sa commission exécutive, M. de Pfordten insérait tout au long les passages principaux du document britannique, et dans les résolutions du 9 juillet le Bund lui-même faisait au comté Russell l’honneur de proclamer sa proposition de septembre 1862 « une base acceptable pour un arrangement. » La diplomatie germanique se maintint jusqu’au bout dans la position que lui avait livrée si inconsidérément lord John Russell ; encore à la veille de l’invasion, le président de la diète fédérale se déclarait prêt à traiter sur le terrain de la note du 24 septembre[30], et c’est la dépêche de Gotha en mains : que l’Allemagne devait s’avancer jusqu’à la ligne du Danevirke.

En Angleterre, l’œuvre du principal secrétaire d’état eût un succès bien moins durable. Dans une nouvelle dépêche du 20 novembre 1862, lord Russell avait, il est vrai, maintenu encore et même développé son projet de Gotha. « Nul argument ab inconveniente, y disait-il, ne peut être admis à prévaloir contre des stipulations positives et des engagemens d’honneur. » Il insistait déjà plus faiblement dans une missive du 21 janvier 1863 ; mais depuis il se tut, et lord Palmerston devait bientôt venir déclarer à la chambre des communes que le projet de son noble ami était aussi excellent qu’impraticable. D’ailleurs les complications de Pologne commençaient dès lors d’absorber toute l’attention du cabinet de Saint-James ; peut-être aussi le résultat immédiat de ces complications, le refroidissement de l’entente franco-russe, rendait-il les hommes d’état britanniques moins soucieux maintenant des bonnes grâces de la Germanie et plus favorables au Danemark. Le gouvernement de Copenhague, de son côté, voulut évidemment profiter de la nouvelle tournure des affaires, du tolle diplomatique surtout que venait de soulever, contre M. de Bismark sa fameuse convention militaire, avec la Russie (février 1863), afin de tenter un coup décisif « pour sortir d’une position intolérable, et qu’il ne pouvait prolonger à moins de courir le risque d’une dissolution complète de la monarchie[31]. » Déjà, par un décret du 12 novembre 1862, le roi Frédéric VII avait essayé de rendre l’autonomie du Holstein bien plus complète en établissant un gouvernement local au sein même du duché ; il convoqua l’assemblée législative de ce pays fédéral, afin d’arriver à un arrangement amiable ; mais, selon l’expression même de l’ambassadeur anglais, M. Paget (dépêche du 18 février 1863), les prétentions des états du Holstein, n’allèrent à rien moins « qu’à faire passer dans leurs mains l’administration de toute la monarchie, » Enfin le 30 mars, le gouvernement danois, publia la célèbre patente à laquelle l’Allemagne devait répondre bientôt par un long cri de guerre. La patente n’était cependant qu’à l’adresse du Holstein et lui faisait les concessions les plus larges ; une indépendance législative absolue, un ministère des finances particulier, une armée séparée et formant à elle seule le contingent pour la confédération germanique.

Examinant la proclamation du 30 mars à tous les points de vue, l’ambassadeur anglais, M. Paget (dépêche du 29 avril), arrive à la conclusion « qu’elle n’est ni blessante pour les intérêts du Holstein, ni calculée de manière à placer ce duché dans une position inférieure à l’égard des autres parties de la monarchie danoise. Je crois au contraire que c’est là la création d’un état de choses dont peu de contrées en Europe seraient disposées à se plaindre, et dont le Holstein lui-même devrait être satisfait, si ses pensées se bornaient à ses intérêts légitimes et à son bien-être national. » Et l’ambassadeur ajoutait que, « si la Germanie voulait désormais moins tenir à la lettre des engagemens, elle pourrait faciliter l’amélioration pratique d’un état de choses dont elle s’est si souvent plainte avec tant de véhémence. » La véhémence de la Germanie redoubla précisément à cause de ces concessions mêmes. Ce n’est pas l’autonomie du Holstein que demandaient les Allemands, mais le maintien d’une situation qui leur permît toujours d’intervenir à propos de ce duché dans les affaires de l’état-amiral. Les cabinets de Vienne et de Berlin adressèrent aussitôt à Copenhague (13 et 15 avril) des protestations énergiques contre la patente du 30 mars, et ils en référèrent à la diète de Francfort, qui remit immédiatement l’examen de la cause à ses « comités réunis. » Déjà le 9 mai sir A. Malet appelait de Francfort l’attention du gouvernement britannique sur la gravité de ces événemens, tout en indiquant avec une rare sagacité l’automne de 1863 comme l’époque décisive de la crise. La diète, pensait-il, traînerait avec intention les affaires en longueur jusqu’au moment où la saison rigoureuse ne permettrait plus aux Danois de faire usage de leur marine, qui seule pourrait devenir dangereuse aux Allemands, et c’est dans le même sens que s’exprimait quelques jours plus tard lord Loftus dans une dépêche du 26 mai datée de Munich.

En face de pareilles éventualités, lord Russell se décida enfin à sortir de la réserve qu’il avait gardée dans le différend dano-allemand depuis le commencement de l’année[32], et il écrivit, sous la date du 27 mai, une missive identique à l’adresse des cours de Vienne et de Berlin, dont il fit remettre aussi une copie au président de là diète fédérale, le baron Kübeck. Le ministre britannique voulait sans doute, par ce premier acte d’intervention, réparer le grand mal qu’il avait fait au Danemark ; mais ce qui le préoccupait surtout, c’est que ce nouvel incident ne compliquât la situation générale, assez aggravée déjà par les affaires de Pologne. « Sans discuter la déclaration du roi de Danemark du 30 mars, » il se bornait donc à exprimer « combien il serait désirable que rien ne vînt augmenter les dangers déjà existans et les complications de l’Europe. » En même temps il faisait observer que les affaires du Slesvig regardaient la politique internationale, « et ne pouvaient être décidées par la diète de Francfort. » Quelques jours plus tard (9 juin), il demandait au baron Kübeck si la diète entendait ne discuter que les affaires du Holstein, en ajoutant que « d’autres puissances, non germaniques, faisaient une grande distinction entre le Holstein et le Slesvig. » La diète répondit en insérant dans le rapport de son comité (18 juin), avec force éloges, les principaux passages de la dépêche de Gotha, et en la proclamant même dans ses résolutions une « base acceptable d’arrangemens » (9 juillet) ; mais le principal secrétaire d’état avait garde maintenant de passer par cet arc de triomphe qui ressemblait trop bien à des fourches caudines, et il maintenait son importante distinction avec d’autant plus de force que la diète de Francfort, par ses dernières résolutions, avait sommé le gouvernement de Copenhague de retirer la patente du 30 mars, et d’informer le Bundestag, dans un délai de six semaines, des préparatifs qu’il aurait faits pour l’établissement d’une constitution commune, — faute de quoi il serait procédé à une exécution fédérale.

La cause en réalité n’était ni des plus claires, ni traitée avec toute bonne foi et décence. La majorité des états composant la confédération germanique avait accepté le traité de Londres, mais la confédération elle-même déclarait ne pas reconnaître ce traité ! Tout en ne reconnaissant pas « ce gage européen de stabilité, » elle en appelait cependant « aux éclaircissemens » auxquels avait donné lieu la négociation du traité, et ces éclaircissemens, elle entendait les expliquer suivant ses convenances ! Elle voulait l’autonomie du Slesvig, et pour y arriver plus sûrement, elle prétendait imposer aux états du Danemark une constitution plus unitaire ! Enfin elle voulait procéder à une exécution fédérale au sujet d’un pays qui n’était pas un pays fédéral ! Les ténèbres cimmériennes qui enveloppaient « le droit » s’étendaient aussi jusqu’à la mesure par laquelle on voulait « le rétablir. » Qu’était-ce par exemple que la mesure dont le Danemark était menacé ? « Une exécution fédérale ne signifie pas la guerre, » disait le comte Rechberg à lord Blomfield, l’ambassadeur anglais à Vienne. Le sous-secrétaire d’état à Berlin, M. Philipsborn, « niait pertinemment (denied) qu’une exécution fédérale dans le Holstein pût signifier une invasion dans le Slesvig. » Le plus rassurant fut sans contredit le comte Platen, ministre du Hanovre. Selon cet homme d’état, « la mesure serait exécutée de manière à empêcher un conflit, et le tout se bornerait à l’envoi d’un commissaire assisté seulement d’une escorte ou d’une brigade. » C’était, comme on le voit, la question banale de quatre hommes et un caporal. Le prix toutefois de la lucidité dans le langage, c’est, comme de juste, M. de Bismark qui l’emporta ; le ministre prussien déclarait dans sa note à M. de Katte, chargé d’affaires à Londres, « qu’il ne voyait pas les complications ultérieures qui pourraient résulter de la mesure fédérale ; mais si la guerre en résultait néanmoins, ce serait alors une guerre offensive de la part du Danemark contre la confédération germanique[33] ! »

Pour introduire un peu de clarté dans le débat, le chef du foreign-office fit le 31 juillet une seconde démarche officielle auprès des deux grandes puissances allemandes. Dans une dépêche à l’adresse du comte Rechberg et dont copie fut ensuite donnée à M. de Bismark, lord Russell demandait d’abord qu’on voulût bien indiquer les défauts (defects) trouvés à la patente du 30 mars, et il insista surtout pour qu’on séparât la question holsteinoise de celle du Slesvig, qui ne pouvait dépendre que d’une négociation européenne. « Si l’Allemagne, poursuivait le ministre britannique, persiste à confondre le Slesvig avec le Holstein, d’autres puissances de l’Europe pourraient bien confondre le Holstein avec le Slesvig et lui contester le droit de se mêler des affaires de l’un comme de l’autre. Une telle prétention pourrait devenir aussi dangereuse à l’indépendance et à l’intégrité de l’Allemagne que le serait une invasion du Slesvig à l’indépendance et à l’intégrité du Danemark. » Ce langage était significatif et cachait presque une menace. C’est que l’opinion en Angleterre commençait à s’émouvoir des procédés de la Germanie et que des interpellations pressantes se produisaient au sein du parlement, Lord Derby, qui blâmait sévèrement de cabinet pour son intervention diplomatique en Pologne, s’exprimait d’une manière toute différente au sujet de ses efforts pour la monarchie Scandinave. « L’intégrité de la monarchie danoise, disait le chef du parti tory, est d’une importance vitale pour notre pays ; il est de notre intérêt de soutenir (support) le Danemark contre toute prétention mise en avant par des nations ambitieuses : je répugne à la guerre, mais si la question était posée, si le Danemark devait être détruit ou lésé dans son intégrité, il ne pourrait exister alors aucun doute sur le devoir de l’Angleterre. » Aussi lord Palmerston faisait-il, le 23 juillet, dans la chambre des communes, la déclaration hautaine et depuis si souvent rappelée « que ceux qui voudraient s’attaquer à la monarchie de Frédéric VII pourraient bien ne pas avoir en définitive le Danemark seul à combattre ! »

Plus tard, quand l’opposition reprochait au gouvernement anglais avec tant d’amertume la dépêche du 31 juillet et les fières paroles qui l’avaient précédée de quelques jours au parlement, les ministres britanniques devaient expliquer qu’en affirmant que le Danemark ne serait pas seul à lutter pour son intégrité, ils avaient cru qu’il serait secouru par… la Suède[34] ! Sans doute le comte Manderstroem intervenait alors activement en faveur du gouvernement de Copenhague. « Nos intérêts les plus chers, disait une note du cabinet de Stockholm, ne pourraient guère nous permettre de voir d’un œil tranquille écraser nos voisins sous des prétextes qui plus tard pourraient mettre en danger notre propre indépendance[35]. » Sans doute aussi la Suède aurait dû se trouver à côté du Danemark au moment du danger, elle aurait dû affronter une défaite même certaine (peu périlleuse cependant), ne fût-ce que dans un intérêt purement égoïste, en vue de l’avenir et de « l’union scandinave, » qui tente, à ce qu’on affirme, plus d’un esprit élevé sur le bord du Mælar, car il est bon, dans l’occasion, de combattre non-seulement, mais d’essuyer même un revers « pour une idée, » et le Piémont en est un exemple éclatant. Toutefois il sera bien permis de chercher ailleurs que dans ce secours espéré des Suédois les raisons qui faisaient tenir aux ministres britanniques un langage si affirmatif quant à la sécurité du Danemark. Ces raisons, elles étaient évidemment dans la bonne entente avec la France et le malaise de l’Allemagne elle-même à l’approche de la crise.

Depuis l’insurrection de Varsovie, on pouvait remarquer un peu plus de cordialité dans les rapports entre les deux cabinets de Saint-James et des Tuileries ; le spectre de l’alliance franco-russe s’était évanoui, les deux gouvernemens faisaient des efforts communs pour la Pologne, et de même la France appuyait les démarches de l’Angleterre dans le différend dano-allemand. Sans prendre en effet dans ce dernier débat le rôle actif et principal, M. Drouyn de Lhuys ne cessait pourtant, jusqu’au mois de septembre, de seconder lord Russell dans sa sollicitude pour la monarchie de Frédéric VII. Dès le mois d’avril, il avait recommandé la modération, aussi bien à Vienne qu’à Copenhague[36]. Deux mois plus tard, il déclarait vouloir agir de concert avec le gouvernement de sa majesté britannique dans cette affaire ; il donnait son approbation à la dépêche significative de lord Russell du 31 juillet, et déclarait vouloir écrire en ce même sens à ses agens[37]. Enfin, dans les commencemens de septembre encore, le ministre français adhérait pleinement à une nouvelle missive du principal secrétaire d’état dont lord Cowley lui donnait lecture, et où le comte Russell établissait devant M. de Bismark des distinctions toujours plus précises : il y maintenait non-seulement le caractère non germanique du Slesvig, mais rappelait de plus que le Holstein lui-même, bien que pays fédéral, « n’en faisait pas moins partie du territoire d’un souverain indépendant dont les possessions sont comptées pour un élément nécessaire à l’équilibre de l’Europe[38]. » Or, si cet accord entre la France et l’Angleterre était déjà de nature à faire sérieusement réfléchir l’Allemagne même progressiste, il y avait plus d’un indice qui montrait les gouvernement de l’autre côté du Rhin beaucoup moins décidés que ne l’auraient fait croire les « résolutions » du Bund. M. de Bismark se tenait sur le pied d’une neutralité armée, et parlait avec une absence de préjugés tudesques qui semblait rendre un accommodement pour le moins possible ; quant à l’Autriche, il n’était que trop évident que dans toutes ses démonstrations elle cédait seulement au désir de s’assurer les bonnes grâces des petits états. Le moyen imaginé par la diplomatie germanique d’aller chercher dans le Holstein un gage matériel pour l’exécution des « promesses » danoises rappelait trop le procédé analogue de l’empereur Nicolas lorsqu’il passait le Pruth pour ne pas faire penser aussi aux conséquences qu’avait eues pour le tsar cette manœuvre spécieuse, et lord Loftus ne manqua pas d’insister sur ce rapprochement historique devant le ministre de Bavière, le baron de Schrenk (dépêche du 26 mai). « D’après tout ce que j’ai pu apprendre, — mandait de Francfort en date du 10 juillet M. Corbett au comte Russell, — il paraîtrait que le gouvernement de Prusse et surtout celui d’Autriche croient s’être déjà trop avancés pour abandonner le terrain sans se rendre ridicules aux yeux de l’Europe, bien qu’ils ne fussent pas fâchés de le faire, s’ils en trouvaient le prétexte dans l’intervention d’une puissance quelconque qui apporterait une solution pacifique[39]. » Enfin, dans le mois suivant (août), se passa un événement qui mit à nu toutes les divisions intestines de la Germanie, et semblait presque le prélude d’une guerre civile… L’empereur François-Joseph, on s’en souvient[40], fit à cette époque une tentative plus hardie que réfléchie pour réformer le Bund, et donna le signal d’une vaste agitation que lord Clarendon vint étudier sur place. La journée des princes à Francfort échoua piteusement, mais elle entraîna à sa suite, entre l’Autriche et la Prusse, un antagonisme violent, une hostilité qui allait en s’envenimant. Un déchirement intérieur de la grande patrie et une rivalité si manifesté de l’Autriche et de la Prusse ne permettaient guère de croire que les Allemands s’entendissent pour une action commune dans une entreprise qui n’était pas certes dépourvue de dangers, et le cabinet de Saint-James eut d’autant plus lieu d’espérer en une solution pacifique, que la réponse danoise à la sommation fédérale venait d’arriver, et était rédigée dans le ton le plus conciliant. En effet, tout en se déclarant « hors d’état de révoquer l’ordonnance du 30 mars, » le cabinet de Copenhague, dans sa note du 27 août, laissait la porte ouverte aux négociations ; il était prêt à donner à la diète fédérale « toutes les explications qu’elle pourrait désirer » sur les différentes dispositions de l’ordonnance tant incriminée.

Le comte Russell se trompait néanmoins. Cet antagonisme même de la Prusse et de l’Autriche, pendant et après la journée des princes à Francfort, devait avoir précisément pour effet de stimuler leur action dans l’affaire des duchés. C’était une lutte d’influence et d’hégémonie en Allemagne entre la cour de Vienne et celle de Berlin, et il était évident que dans cette lutte le prix ne serait accordé qu’à celui qui aurait montré le plus « d’énergie » dans la question du Slesvig-Holstein. À son retour de Francfort, le comte Rechberg s’exprimait devant lord Blomfield (dépêche du 10 septembre) avec une ardeur inaccoutumée (with much fervency) au sujet des duchés ; il déclarait qu’il lui était impossible d’intervenir dans les résolutions de la diète fédérale, à quoi l’ambassadeur anglais répondit que la question devenait décidément sérieuse. De son côté, M. de Bismark, dans sa note du 11 septembre, en réponse à la dernière communication du cabinet britannique, prenait tout à coup un ton tranchant dont il s’était jusque-là toujours gardé. Il ne se refusa pas le plaisir de rappeler la dépêche de Gotha ; il établit la thèse étonnante, que si par impossible une guerre résultait de l’exécution fédérale, ce serait une guerre offensive que le Danemark ferait alors au Bund, et il finit par déclarer qu’il ne pouvait que « donner libre carrière aux procédés fédéraux. » La situation s’aggravait, le terme qu’avait fixé dès le printemps sir A. Malet approchait ; le Bund allait voter l’exécution, et il sembla tout naturel à lord Russell de s’adresser de nouveau à la puissance qui avait approuvé jusque-là toutes ses démarches. Il demanda donc au gouvernement français (16 septembre) si le moment n’était pas venu d’offrir en commun leurs « bons offices, » ou même de rappeler l’Autriche, la Prusse et la confédération aux obligations du traité de Londres ; mais là une déception nouvelle attendait le principal secrétaire d’état. Cette fois la France se refusait d’une manière assez catégorique… C’est que le cabinet des Tuileries avait déjà éprouvé la bonne volonté de l’Angleterre dans cette négociation polonaise à laquelle le prince Gortchakov venait précisément de mettre une brusque fin par sa réponse du 7 septembre c’est ; qu’on était parfaitement instruit à Paris des obstacles que n’avait cessé d’opposer la politique anglaise à une entente sérieuse entre l’Autriche et la France ; on y savait aussi le langage tenu tout récemment par lord Clarendon à Francfort. L’homme d’état britannique y avait plaidé devant l’empereur François-Joseph la cause de la paix : sur l’Eider ; mais il avait également dissuadé le Habsbourg, de rien entreprendre sur la Vistule et mis l’Allemagne en garde contre les desseins ténébreux de l’empereur Napoléon. M. Drouyn de Lhuys était d’autant moins disposé à suivre lord Russell dans une passe d’armes contre l’Allemagne qu’il ne désespérait pas encore à ce moment de pouvoir gagner l’Autriche à une action sérieuse en faveur de la Pologne. Aussi répondit-il à M. Grey que le mode de procéder, suggéré par sa seigneurie serait analogue à la marche qu’on avait suivie, dans la question polonaise, et dont on n’avait pourtant guère lieu d’être fier. « Je n’ai aucune inclination, dit le ministre français, à placer la France vis-à-vis de l’Allemagne. dans la position où elle avait été placée vis-à-vis de la Russie, et j’avoue franchement que je parlerai dans ce sens à l’empereur. À moins que le gouvernement britannique ne fut décidé à faire quelque chose de plus, si c’était nécessaire, que de présenter une simple note et de se contenter d’une réponse évasive, je suis sûr que l’empereur ne consentira point à accepter la suggestion de sa Seigneurie…[41]. »

L’avertissement était formel, et il eut son contre-coup curieux dans les négociations, au sujet de la Pologne. Désireux de maintenir l’accord avec la France dans la question des duchés, irrité aussi de la réponse hautaine du prince Gortchakov, lord Russell imagina alors, dans les derniers jours de septembre, de déclarer l’empereur de Russie déchu de ses droits sur la Pologne, et il en fit la proposition formelle aux cabinets des Tuileries et de Vienne. On a raconté ici déjà les incidens dramatiques de cette transaction si piteusement avortée[42], et on se bornera maintenant à n’indiquer que le côté par lequel elle touchait aux affaires du Danemark. Le moment était des plus graves. La France adhérait pleinement au projet du ministre britannique, et l’Autriche consentait à y souscrire sous la condition d’une assurance en cas d’attaque de la part de la Russie. Si l’Angleterre eût alors accordé les garanties demandées par la cour de Vienne, la situation aurait peut-être radicalement changée, le salut du Danemark devenait dans tous les cas certain ; mais lord Russell se refusait à donner la moindre des garanties, et il rejeta ainsi l’Autriche irrévocablement dans l’agitation allemande. Restait encore une politique beaucoup plus modeste, mais toujours sensée et saine : c’était de donner, au moins pour sa part, suite au projet de déchéance, d’accorder à la France cette satisfaction et ce gage de fermeté, et de tenir l’Allemagne en respect par la manifestation éclatante de l’accord toujours conservé entre les deux grandes puissances de l’Occident. Lord Russell y pensa un instant : il formula sa déclaration de forfeiture, il l’expédia même pour Saint-Pétersbourg ; puis soudain il la révoqua, et donna tête baissée dans le piége que lui tendait depuis longtemps M. de Bismark.

Rien de plus curieux que de suivre, dans les rapports multipliés de sir Andrew Buchanan, le langage ondoyant et fuyant de M. de Bismark, au sujet de la controverse dano-allemande jusque la fin du mois d’octobre. Au moment où la question venait de se poser dans sa forme nouvelle et inquiétante, à la suites de l’ordonnance du roi Frédéric VII du 30 mars, le ministre prussien en était encore à se débattre contre la tempête qu’avait soulevée en Europe sa convention militaire avec la Russie. Le comte Russell fit alors tout ce qui était en son pouvoir pour détourner l’orage, et les hommes politiques d’au-delà du Rhin se demandaient si déjà ces obligations envers lord John ne paralyseraient pas toute action « énergique et patriotique » de la Prusse dans la question des duchés. Les progressistes de la chambre de Berlin ne faisaient pas même à M. de Bismark l’honneur de lui supposer « une pensée allemande, » et M. Temme lui rappelait les termes « sacrilèges » dans lesquels l’ancien député de la Marche de Brandebourg avait parlé en 1849 de la sainte cause du Slesvig-Holstein. « Ce n’est pas le moyen de me faciliter l’action tant réclamée que de me citer des lambeaux des discours d’autrefois, » répondit ironiquement le chef des hobereaux devenu président du conseil, et il ajouta avec hauteur : « Quand je croirai nécessaire de risquer une guerre, je la risquerai avec ou sans votre approbation, messieurs les députés ! » Toutefois il s’empressa de rassurer l’ambassadeur anglais, sur ses intentions toutes pacifiques ; il n’admettait pas (18 avril) que la guerre pût être la conséquence du conflit, mais en même temps il exprimait dès lors, et lui le premier, l’appréhension que les droits du prince Christian de Glucksbourg à la succession ne fussent sérieusement ébranlés par ce nouvel incident… Le mois suivant (23 mai) et à plusieurs reprises, il affirmait à M. Buchanan que la Prusse n’avait pas d’intérêt spécial dans cette question, qu’elle ne prendrait pas l’initiative, et M. de Quaade lui-même, l’ambassadeur danois à la cour de Berlin, crut un moment que la Prusse exercerait son influence dans le sens de la modération ! Le plus plaisant, c’est que, dans le cas d’une occupation militaire du Holstein, M. de Bismark se promettait de bien veiller à ce que la diète n’y employât les troupes prussiennes : il avait dès lors probablement jeté les yeux sur le général de Haak ! Un autre jour (juillet), il étonna le diplomate anglais par la brusque mention d’un congrès européen possible : il lança le premier alors ce mot fatidique qui, quatre mois plus tard, devait retentir d’une autre place et avec un tout autre éclat. Du reste, il affirmait confidentiellement (30 mai) ne pas partager du tout l’effervescence allemande dans cette affaire du Slesvig-Holstein, et encore au mois de septembre (19) il déclarait avoir fait tout son possible pour recommander la modération à Vienne et à Francfort…

Pendant tout l’été de 1863 en effet, M. de Bismark ne se servait auprès du cabinet de Saint-James du différend dano-allemand que pour assister le prince Gortchakov dans la controverse relative à la Pologne[43]. Ferme et inébranlable dans la question polonaise, et affirmant toujours sa solidarité complète sur ce point avec la Russie, le ministre prussien se montrait par contre beaucoup plus facile et traitable en ce qui regardait les duchés, et l’agitation du Slesvig-Holstein semblait le contrarier plutôt que l’exciter. Ce n’est que vers le milieu de septembre qu’il commença d’accentuer avec suite et avec force sa politique contre le Danemark : c’était après la journée des princes à Francfort, alors qu’approchait le terme fixé pour le vote de l’exécution fédérale, alors aussi que la dernière réponse du prince Gortchakov allait décider de l’abandon définitif de la question polonaise. À la nouvelle de la « déclaration de déchéance » que lord Russell projetait de lancer contre l’empereur de Russie, M, de Bismark fit jouer tous ses ressorts (fin septembre et commencement d’octobre). Il parla d’un casus belli, insinua que le roi de Danemark pourrait bien, lui aussi, être déclaré déchu de ses droits sur les duchés pour ne pas avoir rempli les « conditions » qui avaient accompagné le traité de Londres, et parvint ainsi à ébranler le principal secrétaire d’état dans la résolution qu’il avait annoncée à toute l’Europe par son célèbre discours de Blairgowrie. Ajoutons qu’au même moment l’horizon semblait tout à coup s’éclaircir du côté de la Baltique. La diète, il est vrai, avait décidément voté le 1er octobre, l’exécution fédérale ; mais à l’exaspération de l’Allemagne il y eut un temps d’arrêt inexplicable. C’est que M. de Bismark venait de faire entrevoir à lord Russell la possibilité d’un arrangement, et que la minute suivante était convenue le 14 octobre entre le ministre prussien et l’ambassadeur anglais, sir A. Buchanan : « Si le Danemark déclare à la diète qu’il est prêt à lui donner satisfaction quant aux demandes du Holstein et du Lauenbourg de contrôler la législation et toutes les dépenses des duchés, prêt à accepter la médiation de la Grande-Bretagne pour l’arrangement de la question internationale, la Prusse s’efforcera de prévenir l’exécution[44]. » Lord Russell s’était mis courageusement à l’œuvre, et le télégraphe joua continuellement entre Londres, Copenhague et Berlin. Le Danemark céda aussi sur ce point : il consentait même à déclarer provisoire la patente du 30 mars. « Bien de plus courtois et de plus conciliant que le langage de ce document, écrit sir A. Paget le 26 octobre au sujet de la nouvelle déclaration que le Danemark venait de faire à la diète. Si la confédération veut négocier au lieu d’exécuter, elle en a maintenant tous les moyens. » On suit avec anxiété dans les state-papers le cours de cette dernière transaction ; on respire, avec lord John Russell, en lisant des dépêches qui, tantôt de Vienne, tantôt de Francfort et même de Stockholm, annoncent une évolution « favorable ; » puis on est brusquement réveillé par la missive du foreign-office à sir Andrew Buchanan, du 9 novembre, conçue en ces termes : « Si les informations parvenues de Vienne au gouvernement de sa majesté sont exactes, M. de Bismark n’oppose plus aucune objection (no longer offers any objection) à Inexécution fédérale dans le Holstein. D’un autre côté, le gouvernement de sa majesté est informé que le ministre d’Autriche à Francfort a reçu pour instructions de conformer sa conduite à celle de son collègue de Prusse. » Et lord Russell ajoute à la fin : « Le gouvernement de sa majesté ne peut que laisser à l’Allemagne la responsabilité d’exposer l’Europe à une guerre générale… »

Ainsi, après avoir leurré pendant un mois le cabinet de Saint-James en lui faisant entrevoir la possibilité d’un arrangement, après l’avoir amené à obtenir du Danemark les concessions les plus extrêmes, M. de Bismark changeait subitement d’attitude et pressait l’exécution fédérale ! C’est que, pendant ce temps, lord Russell avait déjà rappelé de l’Allemagne certain courrier envoyé avec une « communication importante » pour Saint-Pétersbourg, et qu’il avait même écrit (le 20 octobre) sa célèbre dépêche à lord Napier, où il déclarait que « le gouvernement de sa majesté avait reçu avec satisfaction l’assurance que l’empereur de Russie continuait à être animé d’intentions bienveillantes vis-à-vis de la Pologne et conciliatrices vis-à-vis des puissances étrangères… » La situation désormais était aplanie de toutes parts. Il était à présumer que la France, après cette dernière épreuve, ne s’empresserait guère de suivre le descendant des anciens whigs dans une nouvelle grand-remonstrance ; le comte Rechberg avait dès les premiers jours d’octobre fait amendé honorable à la Russie ; et quant au prince Gortchakov, on pouvait bien espérer qu’il saurait récompenser tant et de si éminens services par une abstention bienveillante. Restait seulement l’homme éconduit avec tant d’audace, le ministre d’une fière puissance qui avait déclaré qu’au moment du danger le Danemark ne combattrait pas seul ; mais le président du conseil à Berlin avait eu l’occasion de reconnaître l’humeur singulièrement endurante des hommes d’état britanniques de notre temps. D’ailleurs le discours impérial du 5 novembre venait de retentir dans le monde ; le comte Rusell avait déjà une tout autre préoccupation, et quelques jours plus tard, oubliant la minute de sir A. Buchanan, il devait insister d’une manière très pressante et très amicale auprès de M. de Bismark pour qu’il voulût bien décliner l’appel fait à un congrès européen à Paris !


JULIAN KLACZKO.

  1. Voyez la Revue des 15 septembre et 1er octobre 1804, et du 1er janvier 1865.
  2. « Ein höchst ungerechtes, frivoles und verderbliches Unternehtnen zur Unterstützung einer ganz unmotivirten Revolution. » — Voyez à ce sujet l’interpellation de M. Temme sur les affaires de Slesvig-Holstein dans les débats de la seconde chambre prussienne du 17 avril 1863 ; voyez aussi les débats de la même chambre du 7 avril 1849.
  3. Il était secrétaire payé de la députation permanente de l’ordre équestre à Kiel, et c’est en cette qualité qu’il élabora dès 1816 (8 octobre) son premier mémoire pour la noblesse de ce pays, où se trouvait déjà en germe toute la théorie du slesvig-holsteinisme. D’ailleurs Dahlmann, remarquons-le en passant, n’était nullement originaire des duchés : il était né à Wismar, dans le Mecklembourg, et avant de s’établir à Kiel il avait occupé une chaire d’histoire à l’université de Copenhague. Ce fut pendant ce séjour à Copenhague qu’il publia sur Oehlenschlaeger un travail très sympathique, et en langue danoise.
  4. Surtout une collection de lettres saisies en 1848 dans le château des Augustenbourg, et dont de curieux extraits ont été publiés par M. C.-F. Wegener, directeur des archives, dans l’important ouvrage : Ueber das Verkältniss der Hersoge von Attgustenburg zum holsteinischen Aufeuhre ; Copenhague 1849.
  5. On sait qu’il succéda en 1839 au roi Frédéric VI, qui avait régné depuis 1808. Le successeur de Christian VIII en 1848 fut Frédéric VII, mort en 1863.
  6. Par sa décision, entre autres, du 17 novembre 1823, la diète fédérale avait « rejeté comme non fondée » la plainte portée par les prélats et chevaliers de Holstein dans une pétition datée du 5 décembre de l’année précédente, et il est curieux de consigner (d’après les protocoles de la diète) l’opinion émise alors par le gouvernement prussien au sujet de ce différend. « Les auteurs de la pétition (déclarait le plénipotentaire prussien dans la séance du 10 juillet 1823) demandent que l’union soit maintenue entre les duchés de Holstein et de Slesvig ; mais, à part toutes les autres objections que ce maintien de l’union pourrait soulever par lui-même, il est évident que la diète fédérale ne saurait exercer une influence quelconque sur ce sujet, et cela par la raison que le duché de Slesvig n’appartient pas au territoire fédéral allemand, et reste par conséquent en dehors de l’autorité de la confédération germanique. »
  7. Expressions de la célèbre circulaire russe du 6 juillet 1846, adressée par le comte Nesselrode à ses agens en Allemagne.
  8. Lord Palmerston ne cacha pas alors le sentiment que lui inspirait cette politique cauteleuse de l’Allemagne, et, dans une dépêche à lord Westmoreland du 25 juillet 1848, il menaça d’abandonner tout essai de médiation, si la Prusse ne faisait pas respecter l’armistice : « The office of mediation would otherwise be of such a description that it would not be consistent with the dignity of England to undertake it. « 
  9. Voyez la curieuse dépêche de sir A. Malet à lord John Russell (Francfort, 30. mai 1863). Du reste, M. de Bismark tint un langage presque identique à lord Wodehouse ; voyez aussi la dépêche de ce dernier à lord Russell du 12 décembre 1863.
  10. Splitting of words, expression de lord Palmerston a l’adresse de M. Gagern dans sa dépêche à lord Cowley du 13 mars 1819.
  11. « La patrie allemande doit s’étendre partout où résonne (klingt) la langue allemande, » a dit le célèbre chant national d’au-delà du Rhin, le chant d’Arndt.
  12. Voyez les articles intitulés A German plea for Germany, by professer Müller, dans le Times de 1864. Voyez aussi la Science du Langage de Max Müller dans l’élégante traduction de MM. Harris et Perrot ; les paroles que nous rapportons dans le texte se trouvent, aux pages 185 et 13 de cette traduction.
  13. Dépêche de lord Wodehouse du 12 décembre 1863. « His excellency said… Germany would never be on good terms with Denmark as long as the present democratic institutions of Denmark were maintained. »
  14. Ce n’est pas là un des moins étranges incidens des affaires du Slesvig-Holstein, et c’est M. Layard, le sous-secrétaire d’état au foreign-office, qui est venu récemment (dans la séance de la chambre, des communes du 7 juillet 1864) nous révéler cette « secrète et curieuse histoire, » ainsi qu’il l’a lui-même appelée. En effet, la Prusse avait ostensiblement refusé de signer le protocole de Londres du 4 Juillet 1850 concernant la succession danoise, et son plénipotentiaire, M. de Bunsen, crut même de bonne foi devoir motiver ce refus dans un long mémoire et faire pressentir une protestation formelle de la part de son gouvernement. Or ce gouvernement avait déjà deux jours auparavant, à l’insu de son plénipotentiaire, reconnu cette succession dans un article secret rédigé à Berlin, et qui fut ajouté au protocole de Londres ! » C’est que le baron de Bunsen, disait M. Layard, était un Slesvig-Holsteinois violent (a violent Slesvig-Holstetner), et que le gouvernement prussien craignait qu’il ne se refusât à exécuter ses instructions en cette matière ; on préféra donc signer à Berlin cet article secret, qui donnait suite (carrying out) au protocole de Londres… » Cette « curieuse et secrète histoire, » bien digne de la politique de M. de Manteuffel, a du reste son importance au point de vue légal. Elle détruit, comme l’a dit M. Layard, le raisonnement des Allemands, qui prétendaient que la Prusse n’a reconnu la succession danoise que depuis le traité de Londres, en 1852, et à la suite des fameux « éclaircissemens « donnés par le cabinet de Copenhague dans le courant de 1851 : la Prusse avait, tout aussi bien que l’Autriche, reconnu cette succession dès 1850 et avant tout « éclaircissement » de la part du Danemark. Ce fait, il est vrai, fut longtemps ignoré, et M. Gosh lui-même (dans son ouvrage souvent consulté, Denmark and Germany, London 1862, voyez surtout page 182, en note) n’en a pas eu connaissance. Seul l’Annuaire des Deux Mondes entrevit la vérité dès 1850. — Voyez l’Annuaire de cette année à la page 93.
  15. Ont déclaré adhérer au traité de Londres (outre la Hollande, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et les souverains de l’Italie) parmi les états de la confédération germanique : le Hanovre, la Saxe, le Wurtemberg, la Hesse électorale et l’Oldenbourg ; seuls la Bavière, Bade, la Hesse-Darmstadt, le Meeklembourg et la Saxe-Weimar n’avaient pas accédé. Or les états allemands qui avaient donné leur sanction au traité formaient, avec l’Autriche et la Prusse, plus de la moitié, plus des deux tiers même de la confédération, et cependant la confédération devait plus tard déclarer ne pas être liée par un traité auquel manquait l’assentiment de la diète fédérale !… Il est utile aussi de rappeler les termes dont s’est servi M. de Beust dans sa note du 2 décembre 1852 à l’égard de ces stipulations de Londres qu’il devait si complétement répudier en 1864, Dans cette note, M. de Beust « se plaisait à reconnaître la sagesse des vues et la sollicitude pour les grands intérêts politiques de l’Europe dont les hautes parties contractantes ont donné dans cette circonstance un nouvel et éclatant témoignage. » Le ministre de Saxe n’hésitait pas à déclarer son assentiment au traité signé à Londres le 8 mai passé, « s’associant ainsi à une combinaison qui servait à maintenir l’intégrité de la monarchie danoise et à assurer en même temps la conservation de la paix générale. »
  16. « Les droits souverains du roi de Danemark nous sont sacrés ; mais, selon notre conviction la plus profonde, il ne leur serait porté aucune atteinte, si la position de sa majesté l’amenait à donner des éclaircissemens (Erläuterungen) à ses confédérés. » (Dépêche du prince Schwarzenberg du 26 décembre 1851.)
  17. En 1848, lord Palmerston était allé jusqu’à proposer de céder la moitié du Slesvig à la confédération germanique, — proposition que les deux parties furent unanimes à rejeter. Rien de plus curieux, pour le dire en général, que l’indulgence inépuisable dont le superbe ministre fit preuve envers l’Allemagne pendant toutes ces négociations de 1848-52 ; on ferait bien de relire les dépêches du foreign-office de cette époque : on y trouve l’explication de la conduite de l’Angleterre en 1863 et 1864 au sujet du même différend.
  18. M. Reventlow-Preetz fut promu en Prusse à la pairie à vie, M. Beseler à la dignité le chancelier de l’université de Bonn, M. Droysen devint professeur à la même université, M. Esmarch fut nommé conseiller de la cour d’appel suprême en Poméranire, M. Geertz capitaine de l’état-major-général de la Prusse, le docteur Lorentzen rédacteur du journal officiel de Berlin ; MM. Francke et Harbou ne tardèrent pas à être premiers ministres à Gotha et à Saxe-Meiningen, etc. Ils avaient tous figuré dans le gouvernement provisoire ou dans l’insurrection des duchés. Ajoutons que Dahlmann vivait encore : il était professeur à Bonn et exerçait une influence considérable sur toute l’Allemagne.
  19. Voyez la Gazette de Cologne du 11 mars 1865.
  20. Voyez le Rapport du baron de Pfordten, ministre de Bavière près la diète germanique, sur la succession dans le Schleswig-Holstein. Francfort 1864.
  21. Voyez le mémorandum du baron Plessen au comte Platen, ministre de Hanovre (dépêche de M. Howard au comte Russell, 26 février 1863).
  22. Le nombre des pièces présentées au parlement anglais pendant la première session législative de 1864, et relatives aux affaires du Danemark dans la seule année 1863, montait à huit cent quarante-cinq numéros, sans compter le volume des protocoles de la conférence de Londres. Ces pièces, distribuées par intervalles, au fur et à mesure de l’impression, portaient le titre général de Denmark and Germany, qui n’a pas varié ; mais le sous-titre subit une altération caractéristique dans le cours de l’impression… et des événemens. Le sous-titre de la première livraison disait encore : « Cor. respondence respecting the maintenance of the integrity of the Danish monarchy ; » dans les livraisons suivantes, il fut modestement changé en « Correspondence respecting the affairs of the duchies Holstein, Schleswig and Lauenbourg. »
  23. « Le gouvernement impérial reconnaît absolument au roi de Danemark le droit d’annuler l’ancienne union entre le Slesvig et le Holstein en ce qui regarde l’administration et la justice ; il reconnaît également le principe que l’autorité de la diète fédérale et la compétence de la diète ne peuvent avoir aucune force sur un pays n’appartenant pas à la confédération… » (Dépêche du prince Schwarzenberg du 20 décembre 1851.)
  24. Pour dix ans !… Toujours la préoccupation constante, la pensée fixe du juste Ézéchias : sit pax in diebus meis ! C’est ainsi que l’année suivante, le comte Russell ne répugnait pas à voir les aspirations de la Pologne se réaliser dans quinze ou vingt ans, pourvu qu’on eût une paix immédiate (dépêche, à lord Blomfield du 17 mars 1863), — et il était tout prêt alors à suggérer même un projet de constitution pour la Russie, comme il l’avait fait on 1862 pour le Danemark. « Pourquoi en effet, demandait-il au baron Brunnow, pourquoi des institutions représentatives ne seraient-elles pas accordées en même temps au royaume de Pologne et à l’empire de Russie ? » (Dépêche à lord Napier du 10 avril 1863.)
  25. C’est l’expression même de la Revue, qui, dès le n° du 1er janvier 1863, signalait, avec un douloureux pressentiment, les graves conséquences de « l’étourderie » de lord Russell. Le ministre anglais s’est plus tard défendu d’avoir subi l’influence de l’entourage de Gotha lorsqu’il écrivait sa note : il affirmait en avoir déjà porté le germe avant de toucher aux frontières de l’Allemagne, et il citait en témoignage le bizarre passage suivant de la dépêche de son agent à Copenhague : « Je me rappelle parfaitement, — lui écrivait M. Paget le 28 janvier 1863, — que votre seigneurie m’a parlé, pendant notre rencontre à Bruxelles au commencement de septembre dernier, des affaires dano-allemandes. Votre seigneurie m’a donné alors les contours (outlines) de l’arrangement qui s’était présenté à son esprit (occurred), et qu’elle a ensuite développé dans sa dépêche du 24 septembre. »
  26. Voyez la première partie de ce travail dans la Revue du 15 septembre 1864 : les Alliances depuis le congrès de Paris.
  27. « Is it madness, has it method. »
  28. Voyez les dépêches de sir H. Howard au comte Russell des 20 mars, 17 avril, 20 avril 1863, etc.
  29. Dépêches de lord Blomfield des 23 avril et 2 juin 1863.
  30. Dépêche de sir A. Malet du 24 septembre 1863.
  31. Dépêche de M. Manderstroem à M. Wachtmeister du 22 février 1863.
  32. Le 11 mars, il avait répondu sèchement au comte Manderstroem, qui lui demandait de prêter un appui moral au Danemark dans son essai d’arrangement avec les états du Holstein : Her majesty’s government will not interfere (dépêche à M. Jerningham). — Après la publication de la patente du 3 mars, il se borna à recommander au Danemark, selon l’habitude, « de procéder avec la plus grande prudence et circonspection, eu égard surtout au moment présent. » (Dépêche à M. Paget du 22 avril.)
  33. Voyez les dépêches de lord Blomfield du 9 juin, de M. Lowther du 4 septembre, de M. Howard des 4 et 25 juillet, et enfin la dépêche de M. de Bismark à M. de Katte du 11 septembre.
  34. Voyez les débats du parlement des 8 et 9 juillet 1864, surtout les discours de M. Layard, sous-secrétaire d’état, et du duc d’Argyil, membre du gouvernement.
  35. Dépêche de M. Manderstroem au comte Wachtmeister du 26 Juillet.
  36. Voyez les dépêches de lord Blomfield du 23 et de M. Paget du 28 août.
  37. Dépêches de lord Cowley du 31 juillet et du 1er août.
  38. Dépêche du comte Russell à M. Lowther à Berlin du 31 août. — Dépêche de lord Cowley du 7 septembre. — « Le chargé d’affaires de France s’en est rapporté à la dernière déclaration de lord Russell, qui a été communiquée à Paris. On partage à Paris les vues du ministre britannique,… » écrit également M. de Bismark à M. de Katte à Londres dans sa dépêche du 11 septembre.
  39. De même le ministre danois, M. Hall, écrivait à M. de Bille à Londres le 3 septembre : « On a si souvent répété que la diète ne désirait rien plus vivement que de pouvoir se retirer de la position trop avancée où elle s’était engagée un peu malgré elle… »
  40. Voyez la troisième partie de ce travail, M. de Bismark et l’alliance du nord, — Revue du 1er janvier 1865.
  41. Dépêche de M. Grey au comte Russell du 18 septembre.
  42. Voyez la Revue du 1er janvier 1865.
  43. Voyez la Revue du 1er janvier 1863.
  44. Voyez la dépêche de M. Buchanan du 17 octobre. Inclosure. — Minute of conversation between M. de Bismark and sir A. Buchanan. « If Denmark would déclare to the Diet that she is ready to give them satisfaction as to the claim of Holstein and Lauenburg to control their own legislation and the expediture of all moneys raised in the duchies, to accept the mediation of Great-Britain for the arrangment of the international question, Prussia ondearour to prevent execution. »