Deuxième section sermons inédits (Augustin)

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– DEUXIÈME SECTION.— SERMONS ÉDITÉS EN 1819.[modifier]

PAR OCTAVE FRAJA FRANGIPANI. MOINE ET BIBLIOTHÉCAIRE DU MONT-CASSIN.

PREMIER SERMON. DES DIX PLAIES ET DES DIX PRÉCEPTES QUE DONNA MOISE AU PEUPLE D’ISRAËL[1].[modifier]

Ce sermon fut édité par les religieux de Saint-Maur (Tom. 5, col. 41) comme un fragment d’Eugipius, et trouvé dans les manuscrits royaux et de Victorin. Le catalogue du Mont-Cassin le reproduisit plus au complet, sous ce titre : « Sermons de saint Augustin, sur les paroles du Seigneur et autres sujets » ; mais comme on l’avait édité avec peu de soin, le catalogue le corrige au n° 13, sous ce titre : « Pensées d’Eugipius, tirées de saint Augustin, sans y rien mettre néanmoins, que le fragment connu, avec peu de variantes. S’il y a quelques fautes encore, elles m’ont échappé, car de tous les catalogues du Mont-Cassin, je n’ai pu me procurer que celui-là qui reproduisait le discours tout entier. Or, il y a dans ce catalogue vingt-six sermons sur les paroles du Seigneur, et dans le même ordre qu’ils sont édités à Louvain. Ils y sont avec cinquante-huit autres, dont vingt-sept dans l’édition de Saint-Maur, et vingt-trois dans la récente : appendice de Denis ; enfin huit autres, qui gisaient soit en partie, soit totalement, dans la poussière.

ANALYSE.—1. Les faits de l’Écriture sont figurés et réalisés.— La verge de Moïse, ou vie mortelle, figure de l’Église qui dévore les peuples en les incorporant au Christ.—2. Premier précepte et première plaie ; changement de l’eau en sang, du vrai Dieu en idole.—3. Second précepte, et seconde plaie, celle des grenouilles ; prendre en vain le nom du Seigneur, ou prêcher la vanité.—4. Troisième précepte, repos du sabbat, repos spirituel, dans le calme de la conscience ; plaie opposée, mouches importunes.—5. Quatrième précepte, honorer ses parents ; plaie opposée, mouches des chiens, parce que ceux-ci méconnaissent leurs parents.—6. Cinquième précepte : Interdiction de l’adultère ; plaie opposée, mort des animaux ; l’âme de l’adultère.—7. Sixième précepte : Tu ne tueras point ; plaie opposée, pustules, image de la colère, d’où provient l’homicide.—8. Septième précepte : Tu ne déroberas point ; plaie opposée, grêle qui amène la disette extérieure, image de la disette intérieure.—9. Huitième précepte : Tu ne diras point le faux témoignage ; plaie opposée, sauterelle à la dent nuisible.—10. Neuvième précepte : Ne convoite point la femme d’un autre ; plaie opposée, épaisses ténèbres, ou aveuglement.—11. Dixième précepte : Ne convoite point le bien d’autrui ; plaie opposée, mort du premier-né ou de la foi.—12. Enlèvement des richesses aux Égyptiens, Dieu qui donna ordre à Abraham d’immoler son fils, qui délivra Pierre de sa prison, ce qui fit mettre les gardes à la question, qui tourna au profit de la rédemption le crime de Judas, pouvait aussi disposer des richesses de l’Égypte en faveur de son peuple, comme une compensation des travaux, afin de figurer l’Église qui enlève an paganisme ses richesses.—13. Les mages de Pharaon succombant au troisième précepte, où il est question de sanctification, image des hérétiques séparés de l’esprit de Dieu, et dès lors de toute sainteté.

1. Il est dit quelque part dans l’Écriture, à la louange du Dieu que nous adorons « Vous avez tout disposé avec poids, nombre et mesure[2] ». Puis la doctrine apostolique nous enseigne « à examiner tout ce que l’on peut comprendre par ce qui a été fait, et à rechercher ce qui est caché d’après ce qui est manifeste[3] ». De là vient que, partout, la créature interrogée répond à sa manière qu’elle a pour auteur le Seigneur notre Dieu. Ensuite l’apôtre saint Paul nous dit que tout ce qui est écrit dans les livres de l’Ancien Testament arrivait en figure : « Tout cela », dit-il, « est écrit pour nous corriger[4], nous qui arrivons à la fin des siècles[5] ». Aussi, lues frères bien-aimés, tout ce qui dans la nature nous parait l’effet du hasard, si nous l’examinons avec soin, si nous le discutons, si nous parvenons à le comprendre en l’explorant avec sagesse, proclamera la louange du Créateur, la divine Providence étendant partout ses soins et disposant tout avec douceur, ainsi qu’il est écrit « qu’elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre[6] ». À combien plus forte raison, tout ce qui est non-seulement d’accord avec les saintes Écritures, mais signalé dans leurs récits ? C’est pour cela que nous entreprenons, au nom du Seigneur notre Dieu, avec son secours et sa grâce, et fortifiés par la pieuse intention de vos cœurs, d’exposer autant que possible cette question que nous ont proposée nos frères, ou plutôt cet examen, cette contestation sur les dix plaies dont les Égyptiens sont frappés et sur les dix préceptes qui forment la constitution du peuple de Dieu. Nous avons en effet besoin du secours de Dieu, non pas peut-être pour nous, mais assurément pour vous, afin que nous disions avec certitude ce qui doit être dit[7] et entendu, et que, marchant ensemble dans la voie de la vérité, courant ensemble vers la patrie, nous puissions éviter, dès que nous connaîtrons l’esprit et la volonté de la loi, toutes les embûches de notre route. Les plaies dont fut frappé le peuple de Pharaon sont au nombre de dix, comme il y a dix commandements qui constituent la législation du peuple de Dieu. Voyons donc, mes frères, quel est le fait matériel, et quel en est le sens spirituel. Nous sommes loin de nier le fait et de dire que cela est raconté ou écrit, sans avoir été accompli ; mais nous acceptons les faits tels qu’ils sont écrits, et néanmoins nous reconnaissons par l’enseignement de l’Apôtre que ces faits étaient l’ombre de l’avenir. Nous pensons dès lors qu’il faut voir dans ces faits un sens spirituel, bien qu’ils soient néanmoins des faits réels. Que nul donc ne s’en vienne dire : Il est écrit qu’une plaie d’Égypte fut la conversion de l’eau en sang ; mais c’est là un symbole qui n’a pu se réaliser. Quiconque tiendrait ce langage, chercherait la volonté de Dieu de manière à faire outrage à la puissance de Dieu. Le même Dieu qui a pu donner un sens symbolique à ses paroles, ne le pourrait donner à ses actes ? Le peut-il ou non ? Isaac n’est-il pas né, ou Ismaël ? Ils étaient nés, ils étaient des hommes, des hommes nés d’Abraham, « l’un fils de la servante, l’autre de la femme libre[8] ». Tout homme qu’ils étaient, et hommes nés de femmes, ils n’en figuraient pas moins les deux Testaments ; l’Ancien et le Nouveau. Après avoir assis de la sorte sur une base solide la certitude des faits, nous devons en chercher la signification, de peur que, la base venant à se dérober, nous ne paraissions vouloir bâtir en l’air. Mon opinion, en effet, sur tous ceux qui méprisent les dix préceptes de la loi, qui ne les observent point, c’est qu’ils endurent d’une manière spirituelle ce qu’ont enduré les Égyptiens dans leur corps. Tandis que je vous exposerai ces choses avec le secours de Dieu, je vous supplie de m’accorder votre attention et de prier pour moi, afin que je puisse vous parler. Nous savons à quoi nous en tenir dans notre pensée, mais vous l’exposer, c’est une dette que nous acquittons. Et d’abord, pour ne point vous tromper quant au nombre de ces plaies, n’allez point prendre pour l’une d’elles ce qui arriva comme un signe, ou la baguette de Moïse changée en serpent. C’était une manière de se présenter à Pharaon et de signaler dans Moïse l’homme qui allait tirer de l’Égypte le peuple de Dieu ; et qui, sans frapper les obstinés, les effrayait devant un prodige divin. Il n’est pas nécessaire, en effet, et nous n’avons pas le dessein de parler de cette verge de Moïse changée en serpent. Mais puisque nous en avons fait mention de peur qu’on ne se trompe sur le nombre, et que nous ne voulons pas laisser dans l’esprit d’un auditeur le moindre scrupule d’ignorance, nous dirons brièvement que ces verges signifient le royaume de Dieu, que ce royaume de Dieu n’est autre que le peuple de Dieu, et que le serpent désigne le temps de cette vie mortelle, puisque la mort nous a été inoculée par le serpent. Devenir mortel, c’est donc en quelque sorte tomber de la main de Dieu sur cette terre ; de là cette verge qui devient un serpent dès qu’elle tombe de la main de Moïse. Les enchanteurs imitèrent ce miracle, en jetant leurs verges, qui devinrent des serpents ; mais le serpent de Moïse, ou la verge de Moïse, dévora tous les serpents des mages ; enfin, une fois saisie par la queue, elle redevint une verge, et le royaume se remit sous la main. Car les verges des mages sont les peuples des impies. Qu’est-ce que ces peuples impies ? Vaincus par le nom du Christ, ils passent dans son corps, comme dévorés par le serpent de Moïse : jusqu’à ce que nous rentrions dans le royaume de Dieu, mais à la fin de cette vie mortelle, ce que signifie la queue du serpent, et que cette grande figure s’accomplisse. Après avoir entendu ce que vous devez désirer, écoutez ce qu’il vous faut éviter.

2. Le premier commandement de la loi est d’adorer un seul Dieu :« Tu n’auras pas », est-il dit, « d’autres dieux que moi[9] ». La première plaie des Égyptiens fut l’eau changée en sang[10].

3. Comparez le premier précepte à la première plaie. Comprenez un seul Dieu par qui tout existe, sous la figure de l’eau, qui donne naissance à tout. À qui convient le sang, sinon à la chair mortelle ? Que signifie donc le changement de l’eau en sang, sinon que « leur cœur insensé a été obscurci ? Ils se disaient sages, et sont devenus fous, et ont changé la gloire du Dieu incorruptible en l’image de l’homme corruptible[11] ». La gloire du Dieu incorruptible ressemblerait à l’eau et l’image de l’homme corruptible au sang. Voilà ce qui arrive en effet dans le cœur des impies ; car Dieu demeure le même, et bien que l’Apôtre dise : « Ils ont changé », Dieu n’est point changé pour cela.

4. Voici le second précepte : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car il ne sera point innocent, celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur Dieu[12] ». Or, le nom de Jésus-Christ, notre Dieu, est la vérité, puisque lui-même l’a dit : « Je suis la vérité[13] ». C’est donc la vérité qui purifie, et la vanité qui souille. Et comme celui qui dit la vérité « parle d’après Dieu ; tandis que celui qui dit le mensonge parle d’après lui-même[14] », dire la vérité c’est parler raisonnablement, tandis que dire la vanité c’est bruire, plutôt que parler ; c’est avec raison que le second précepte nous impose l’amour de la vérité, auquel est opposé l’amour de la vanité. La vérité est une parole, la vanité n’est qu’un vain bruit. Or, vois comment ce précepte a son contraste dans la seconde plaie. Qu’est-ce que cette seconde plaie ? Des grenouilles sans nombre. Or, tu verras ici l’image expressive de la vanité, si tu veux faire attention à la quantité des grenouilles. Vois l’homme qui aime la vérité, ne prendre point en vain le nom du Seigneur ton Dieu, tenir le langage de la sagesse avec les parfaits et même avec les imparfaits ; ne point leur dire ce qu’ils ne sauraient comprendre, sans toutefois s’écarter de la vérité, pour courir après la vanité. Que les imparfaits ne puissent comprendre, si l’on s’élève au-dessus d’eux jusqu’à disputer du Verbe de Dieu, « Dieu en Dieu, par qui tout a été fait » ; mais comprennent quand on leur parle, comme saint Paul au milieu des petits enfants du Christ, « de Jésus-Christ et de Jésus-Christ crucifié », il n’en faut pas conclure qu’il y ait ici vérité, et dans le premier cas vanité. Mais il y aurait vanité à dire que le Christ n’est point mort en vérité, mais qu’il a feint de mourir, que ses plaies n’étaient que sur un fantôme, que ce n’était point un sang réel, mais une vaine apparence de sang qui coulait de ses plaies, qu’il n’étalait que de fausses cicatrices comme après de fausses plaies. Mais quand nous racontons tout cela, nous le donnons comme une réalité, nous le croyons et le prêchons comme l’expression de la vérité. Sans nous élever jusqu’à la sublime et immuable vérité, nous n’allons pas néanmoins à la vanité. Quant à ceux qui prêchent que tout cela n’arrivait au Christ qu’en apparence et sans réalité, ce sont des grenouilles coassant dans un marais. Ils produisent un bruit de voix, mais ne sauraient insinuer la doctrine de la sagesse. Enfin, dans l’Église, ceux qui s’attachent à la vérité prêchent la vérité dans celui par qui tout a été fait, la vérité dans ce Verbe fait chair et demeurant parmi nous, la vérité dans ce Christ Dieu, né de Dieu, seul Fils d’un seul Dieu, unique et coéternel, la vérité dans celui qui, prenant la forme de l’esclave, est né de la vierge Marie, a souffert, a été crucifié, est ressuscité, est monté aux cieux, partout vérité, vérité quand l’enfant ne saurait la comprendre, vérité également dans le pain et dans le lait, dans le pain des adultes, dans le lait des petits enfants. Car c’est le même pain que l’on fait traverser la chair pour le changer en lait. Ceux qui nient cette vérité se trompent dans leur vanité et trompent les autres ; ce sont des grenouilles qui fatiguent les oreilles sans nourrir l’esprit. Écoute enfin les hommes qui parlent raisonnablement : « Il n’est point de discours », dit le Prophète, « point de langage dans lequel on n’entende cette voix », et cette voix n’est point vaine, puisque « son éclat s’est répandu sur toute la terre et a retenti jusqu’aux confins du monde[15] ». Veux-tu au contraire entendre les grenouilles, écoute ce verset du psaume : « Le frère dit des frivolités à son frère[16] ».

5. Troisième précepte : « Souviens-toi, au jour du sabbat, de le sanctifier[17] ». Ce troisième précepte nous paraît une prescription du repos, qui est la tranquillité du cœur et de l’esprit, et provient de la bonne conscience : Il y a là sanctification, parce qu’il y a l’esprit de Dieu. Voyez dès lors cette interruption, c’est-à-dire ce repos : « Sur qui », dit le Prophète, « reposera mon esprit, sinon sur l’homme humble, calme et redoutant mes paroles[18] ». Ils se retirent donc de l’Esprit-Saint, ces hommes sans repos, qui recherchent les rixes et sèment la calomnie ; plus amateurs de la dispute que de la vérité, ils ne sauraient dans leur turbulence admettre ce repos ou ce sabbat spirituel. C’est contre la turbulence de ces hommes, et comme pour mettre dans leur cœur le véritable sabbat, la sanctification par l’esprit de Dieu, qu’il est dit « Écoute la parole avec douceur, afin de comprendre[19] ». Que comprendrai-je ? Dieu qui te dit : Loin de toi cette turbulence, qu’il n’y ait dans ton cœur aucun tumulte, et que ce fantôme que fait voltiger la corruption ne te stimule point. Qu’il n’en soit point ainsi, car il te faut comprendre cette parole de Dieu : « Reposez-vous, et comprenez que c’est moi qui suis Dieu[20] ». En toi la turbulence ne veut aucun repos ; aveuglé par la corruption de tes disputes, tu entreprends de voir ce que tu ne saurais voir.

6. Au troisième précepte est opposée la troisième plaie : « Des moucherons sortis du limon couvrirent la terre d’Égypte[21] » ; des mouches très-petites, insupportables, volant en désordre, entrent dans les yeux, ne laissent à l’homme aucun repos ; on les chasse, elles reviennent ; chassées de nouveau, elles reviennent à la charge, comme ces fantômes qui assiègent les cœurs turbulents. Observe le précepte, et garde-toi de la plaie.

7. Quatrième précepte : « Honore ton père et ta mère ». À ce quatrième précepte est opposée la quatrième plaie, qui fut celle de la cynomie. Qu’est-ce que la cynomie ? C’est la mouche des chiens ; son nom vient du grec. Or, le propre du chien est de ne pas connaître ses parents ; rien ne tient tant du chien comme de méconnaître ceux qui nous ont engendrés : c’est donc avec raison que les petits chiens naissent aveugles.

8. Voici le cinquième précepte : « Tu ne commettras point d’adultère[22] ». La cinquième plaie fut « la mort des troupeaux des Égyptiens[23] ». Comparons. Voilà un homme adultère qui ne se contente point de son mariage ; il ne veut point dompter en lui cette convoitise de la chair qui nous est commune avec les animaux. Car s’unir et engendrer appartient également aux pourceaux, tandis que penser est le propre de l’homme. De là vient que cette raison qui siège dans notre esprit doit régner sur les mouvements inférieurs de la chair, les dominer, leur mettre un frein, et ne point leur donner cette liberté immodérée, cette licence d’errer partout et sans retenue. Aussi est-il dans la nature des animaux, d’après les desseins du Créateur, de ne rechercher les femelles qu’à des temps fixés ; car ce n’est pas la raison qui retient la brute en d’autres temps ; mais tout mouvement se refroidit et lui donne le calme. Pour l’homme, s’il peut toujours être excité, c’est qu’il est toujours en son pouvoir de réfréner son excitation. C’est à toi que le Créateur a donné de dominer par la raison, à toi les préceptes de la continence, comme des jougs pour assujettir les animaux inférieurs. Tu as ce que la brute n’a point ; et dès lors tu espères ce qu’elle ne saurait espérer. La continence est pour toi un labeur que ne ressent point la brute ; mais tu auras une joie éternelle que la brute ne saurait atteindre. Si le travail te fatigue, du moins que la récompense te console ; et c’est déjà souffrir que réprimer ses mouvements intérieurs, et ne point laisser aller librement, comme la brute, ce qui nous est commun avec elle. Te mépriser en toi-même, et dominer par les passions de la brute, négliger cette image de Dieu, selon laquelle il t’a fait, c’est abdiquer la dignité de l’homme, pour devenir brute ; ce n’est point changer ta nature en celle de l’animal, mais c’est, sous l’apparence de l’homme, ressembler à l’animal que ne pas entendre cette parole : « Ne soyez point comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence[24] » Et si tu choisis la part de la brute, si tu veux laisser un libre cours à tes passions, sans imposer à tes appétits charnels le joug de la continence, crains la plaie de l’Égypte ; et si tu ne crains lias de vivre comme la brute, crains au moins de mourir comme elle.

9. Sixième précepte : « Tu ne tueras point[25] » ; et septième plaie : « Des pustules sur le corps, des tumeurs bouillonnantes et purulentes, des plaies enflammées se formèrent de la cendre du foyer[26] ». Telles sont les âmes homicides, qui bouillonnent de colère, et la colère de l’homicide a tué l’amour fraternel. L’homme s’enflamme de colère, comme il s’enflamme par les bons offices. Mais, dans un cas, c’est le feu de la santé, dans l’autre c’est le feu de l’ulcère. Des pustules brûlantes par tout le corps ne donnent écoulement qu’à des homicides intérieurement conçus ; or ce feu n’est pas la santé : c’est un feu, mais non de l’esprit de Dieu. Il y a ardeur chez celui qui veut secourir, et ardeur aussi chez celui qui veut tuer : chez l’un c’est le précepte qui l’enflamme, chez l’autre la maladie ; chez l’un les bonnes œuvres, chez l’autre les ulcères purulents. Si nous pouvions voir en effet l’âme des homicides, nous verserions plus de larmes qu’à la vue des corps envahis par la gangrène.

10. Voici le septième précepte : « Tu ne déroberas point[27] ». Septième plaie, « la grêle sur les fruits de la terre[28] ». Ce que tu soustrais contrairement au septième précepte, tu le perds pour le ciel ; car nul ne bénéficie injustement, sans subir un juste dommage. Voilà un homme qui vole, par exemple ; son larcin lui donne un vêtement, mais, par le jugement du ciel, il perd la foi. Avec le gain, le dommage : le gain est visible, et le dommage invisible ; le gain vient de son aveuglement, le dommage de la nuée du Seigneur. Car, mes bien-aimés, rien n’arrive sans la providence. Vous imaginez-vous que le Seigneur s’endort sur tout ce que souffrent les hommes ? Tout cela parait être l’effet du hasard : des nuées qui s’amassent, des pluies qui se répandent, la grêle qui tombe, le tonnerre qui secoue la terre, les éclairs qui effrayent ; tout cela paraît être l’effet du hasard et arriver sans l’intervention de la providence. Or, c’est à l’encontre de ces pensées le psalmiste prend soin de nous dire : « Louez-le Seigneur, vous qui êtes sur la terre, (le ciel déjà l’a béni), dragons et tous les abîmes, feu, grêle, neige, glace, tourillons et tempêtes, qui obéissez à sa parole[29] ». La grêle est donc à l’extérieur le juste jugement de Dieu contre cet homme qu’un coupable désir intérieur a porté à dérober. Oh ! si l’on pouvait découvrir le champ de son cœur, on verserait des larmes ; car on n’y trouverait rien pour la nourriture de l’esprit, bien que son vol ait fourni de quoi rassasier le ventre. La faim est plus grande chez l’homme intérieur, la faim plus grande, la plaie plus dangereuse, la mort plus déplorable, beaucoup de morts se promènent ici-bas, beaucoup d’affamés s’élèvent dans leurs vaines richesses. Enfin l’Écriture proclame que le serviteur de Dieu est riche intérieurement : « L’homme caché de votre cœur », nous dit-elle, « qui est riche devant Dieu ». Elle ne dit point, riche devant les hommes, mais devant Dieu, riche où est Dieu. Tiens-toi sur tes gardes, ô riche ; de quoi te sert ta richesse ? Où l’homme ne voit point, tu dérobes, et où Dieu voit, tu subis la grêle.
11. Huitième précepte : « Tu ne diras point le faux témoignage[30] ». Huitième plaie « La sauterelle, animal à la dent nuisible[31] ». Que veut le faux témoin, sinon nuire par ses morsures, anéantir par ses mensonges ? L’Apôtre, avertissant les fidèles de ne point chercher à se nuire par de fausses récriminations : « Si vous vous déchirez », dit-il, « et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez mutuellement[32] ».

12. Neuvième précepte : « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.[33] ». Neuvième plaie : « D’épaisses ténèbres[34] ». Il y a, en effet, une sorte d’adultère qui veut réprimer ce précepte et qui ne va même point jusqu’à convoiter la vertu d’une épouse étrangère. Mais tel est adultère, qui ne débauche point l’épouse de son prochain ; seulement la sienne ne lui suffit pas ; or, il y a d’épaisses ténèbres non-seulement à ne se point contenter de son épouse, mais encore à rechercher celle d’un autre. Il n’est rien, en effet, de plus douloureux pour un époux, et tel, qui le fait à un autre, ne le voudrait jamais souffrir. Un homme endurerait plutôt toute autre injure ; mais celle-ci, je ne sais si l’on trouverait un homme pour l’endurer. O épaisses ténèbres de ceux qui commettent ces crimes, conçoivent de tels désirs ! Ils sont vraiment aveuglés d’une terrible fougue, car c’est une fougue indomptée, de souiller la femme d’un autre homme.

13. Dixième précepte : « Tu ne convoiteras aucun bien de ton prochain, ni son bétail, ni son serviteur, ni sa servante, en un mot tu ne convoiteras rien de ton prochain[35] ». C’est contre un tel crime qu’est dirigée la dixième plaie : « La mort des premiers-nés[36] ». Or, à propos de cette plaie, quand je cherche quelque comparaison, je ne trouve rien ; un autre peut trouver mieux, surtout s’il cherche mieux, sinon que tout homme cherche à conserver son bien pour ses héritiers. Or, ici l’on condamne celui qui désire le bien de son prochain ; car le vol ne s’effectue qu’à la suite de la convoitise ; et nul ne dérobe le bien du prochain, qu’après avoir désiré ce bien d’un autre. Mais déjà il y a un précepte sur le vol, ce qui doit te faire comprendre que le vol par violence est défendu. Car l’Écriture ne saurait défendre le vol, et garder le silence sur la rapine, sinon pour te faire comprendre que si l’on est coupable de prendre à la dérobée, on est bien plus coupable de prendre avec violence. Il y a donc un précepte qui défend de prendre au prochain malgré lui, soit ouvertement, soit secrètement. Or, il n’est point permis de convoiter le bien d’autrui, ce que Dieu découvre dans notre cœur, même en recherchant une légitime succession. Ceux qui veulent en effet couvrir du manteau de la justice la possession du bien d’autrui, cherchent auprès des moribonds à se faire instituer héritiers. Que peut-on, en effet, voir de plus juste, que de posséder de droit commun tel bien qu’on nous a laissé en héritage ? Que fait cet homme chez toi ? On m’a tout abandonné ; j’ai acquis un héritage, j’en lis le testament. Rien ne paraît plus juste que ce cri de l’avarice. Et toi de répondre : Ta possession est juste ; de louer un homme qui possède selon le droit. Dieu condamne celui qui désire injustement. Vois qui tu es, pour désirer qu’un autre t’adopte comme héritier ; tu ne veux pas qu’il ait des héritiers. Or, parmi les héritiers, nul n’est plus cher que le premier-né ; et dès lors c’est dans tes premiers-nés que tu es châtié, toi qui, en convoitant le bien d’autrui, as recherché sous l’ombre du droit ce qui de droit ne te revenait point. Perdre ses premiers-nés d’une manière corporelle, mes frères, est chose facile ; car les hommes meurent soit avant, soit après leurs parents ; ils sont mortels, et ils meurent. Or, ce qui est à craindre, au sujet de cette convoitise occulte et injuste, c’est la perte des premiers-nés de ton cœur. Car en nous le premier-né porte l’image de la grâce de Dieu or, parmi tout ce qui naît dans notre cœur, le nouveau-né, le premier-né c’est la foi. Nul, en effet, ne peut faire le bien, si la foi n’est d’abord en lui, selon cette parole de l’Apôtre : « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu[37] ». Toutes les bonnes œuvres sont pour toi des enfants spirituels, mais parmi eux c’est la foi qui est née tout d’abord. O toi, dès lors, qui convoites intérieurement le bien d’autrui, tu as perdu la foi intérieure. Tout d’abord tu vas feindre, obéir par fraude, et non par charité ; tu feindras d’aimer celui dont tu veux être l’héritier, mais ton amour pour lui est de lui souhaiter la mort et de ne point lui vouloir de successeur, afin de t’établir dans la possession de son bien.

14. Allons ! mes frères, après avoir parcouru les dix préceptes et les dix plaies, en comparant ceux qui méprisent les préceptes aux Égyptiens obstinés, nous vous avons mis sur vos gardes, afin que vous possédiez en paix vos biens, selon les préceptes de Dieu ; oui, dis-je, vos biens, les biens intérieurs de votre coffre-fort, soigneusement cachés dans votre trésor ; vos biens, que ni larron, ni voleur, ni voisin, ne saurait vous enlever, où vous n’avez à craindre ni vers, ni rouille, et que l’on peut sauver du naufrage. C’est ainsi que vous serez le peuple de Dieu au milieu des injustes Égyptiens, puisqu’ils auront ces convoitises dans leurs cœurs, tandis que vous serez sains et saufs dans ce qui est de l’homme intérieur, jusqu’à ce que le peuple sorte de l’Égypte, par un nouvel Exode, qui a lieu maintenant ; car ce qui s’est fait alors, ne cesse de se faire maintenant.

15. Car, à bien voir, nous enlevons aussi les dépouilles de l’Égypte. Ce n’est point en effet, sans une raison mystérieuse, que Dieu fit emprunter aux Égyptiens de l’or, de l’argent, des vêtements, ce qui fournit contre fui une accusation aux hommes peu intelligents ; on leur donna tout cela, et ils l’enlevèrent[38]. Il y aurait là un vol si Dieu ne l’avait commandé. Que votre charité veuille bien être attentive ; il y aurait vol, dis-je, si Dieu ne l’avait commandé ; mais comme Dieu l’avait commandé, il n’y avait point vol. Sans les accuser davantage, te voilà prêt à accuser Dieu. C’était à eux d’obéir, car Dieu, qui leur en donna l’ordre, sait ce que chacun doit souffrir, qui doit souffrir, que doit-il souffrir, et avec quelle justice. Abraham eût commis à ciel ouvert le plus détestable parricide, s’il eût sacrifié son fils spontanément ; mais comme il en était autrement, son action était louable, parce qu’il obéissait à Dieu, et ce qui eût été un acte cruel dans sa volonté spontanée, devenait un acte d’obéissance à l’ordre de Dieu[39].

16. Je voudrais vous dire un mot des Actes des Apôtres. Quand Pierre était dans la prison, l’ange du salut vint à lui et fit tomber les chaînes de ses mains[40]. Pierre sortit derrière l’ange et fut délivré de la prison par l’ordre de Dieu, par l’autorité de Dieu. Le lendemain, le juge l’envoya chercher pour l’entendre ; il reconnut qu’il était sorti et fit emmener les gardes : « Après avoir soumis les soldats à la question, il ordonna qu’on les emmenât » ; il porta contre eux la sentence, l’arrêt qu’il jugea propre à leur faire trouver Pierre. Qu’en dis-tu ? Pierre fut-il l’auteur de leur mort ? N’y aurait-il point fausse piété de sa part à contredire la volonté de Dieu, à répondre à l’ange qui lui ordonnait de sortir : Je ne sortirai point, de peur que mon départ ne livre à la mort ces malheureux hommes qui gardent la prison ? On lui eût répondu : Laisse au Créateur tous ces soins, ce n’est point toi qui as tout disposé pour la naissance d’un homme, tu ne dois pas être juge de la manière dont il doit mourir ; car nul ne meurt, que Dieu ne le veuille. C’est Dieu qui est juge de la manière dont nous mourrons, mais la convoitise de l’homicide n’en est pas moins condamnable. De même, ici, nous n’avons point à examiner le jugement de Dieu, mais ce qu’avait mérité cette nation coupable. Judas, en effet, livra le Fils de Dieu que l’on fit souffrir, et par la souffrance du Fils de Dieu, toutes les nations et sauvées, et toutefois ce salut des nations ne valut à Juda aucune récompense, mais son crime lui attira un châtiment bien mérité. Car si l’on doit considérer l’action de livrer le Christ, et non l’intention de celui qui le livre, Judas fit ce que fit Dieu le Père, dont il est dit a qu’il n’a pas « épargné son Fils, mais l’a livré pour nous tous[41] ». Judas fit ce que fit Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, dont il est écrit « qu’il s’est livré pour nous, en s’offrant à Dieu comme une victime d’agréable odeur » ; et encore : « Ainsi le Christ a aimé l’Église jusqu’à se livrer pour elle, afin de la sanctifier[42] ». Et nous rendons grâces à Dieu le Père, qui « n’a point épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous ». Nous rendons grâces au Fils de Dieu, « qui s’est livré pour « nous s, accomplissant ainsi la volonté de son Père. Et nous détestons Judas, dont faction a servi à Dieu pour nous accorder un tel bien, et nous disons avec justice : « Dieu lui a rendu selon son iniquité, et l’a perdu comme le méritait sa malice[43] ». Car ce ne fut point pour nous qu’il livra le Christ, mais il le vendit pour de l’argent, et toutefois, cette vente du Christ devint notre rédemption.

17. Que nul, mes frères, que nul ne veuille mettre Dieu en discussion. C’est une arrogance, une impiété, une folie. Pour toi, mets un frein à tes convoitises, ne fais rien avec mauvaise intention, sois prêt à obéir et non à nuire. Ce que ces hommes d’Israël ont fait, c’est Dieu qui l’a fait. S’ils eussent commis un vol, c’est peut-être que le Christ leur Dieu avait voulu qu’ils endurassent ce qu’ils avaient enduré, lui qui leur permit de faire ce qu’ils firent ; et toutefois, il réserverait une peine aux voleurs, et néanmoins exécuterait une certaine vengeance temporelle contre les victimes d’un tel larcin. Maintenant donc, ils ne l’ont point fait d’eux-mêmes, c’est Dieu qui l’a voulu faire par un juste jugement. En examinant cette cause, nous verrons qu’ils ne volèrent point l’or d’autrui, mais exigèrent seulement une récompense qui était due. Sous l’injuste oppression des Égyptiens, ils fabriquèrent des briques, et ne sortirent point sans une récompense pour les travaux si accablants de la servitude, et toutefois Dieu avait en cela son dessein. Si nous sommes en ce monde comme le peuple d’Israël en Égypte, j’ose vous dire, et je crois parler d’après l’Esprit de Dieu, dérobez aux Égyptiens leur or, leur argent, leurs vêtements ; leur or ou leurs sages, leur argent ou leurs hommes éloquents, leurs vêtements ou leurs diverses langues. Ne voyons-nous pas tout cela dans l’Église, n’est-ce point ce que l’Église fait chaque jour ? Combien de sages en ce monde embrassent la foi du Christ ? C’est l’or enlevé aux Égyptiens. Le saint dont nous célébrons aujourd’hui la fête fut un jour de l’or ou de l’argent des Égyptiens ; ces vêtements des Égyptiens, dont on recouvre en quelque sorte les sens, figurent les langues diverses. Vous les voyez sortir de l’Égypte et s’acheminer vers le peuple de Dieu. « Il n’est point de discours, point de langage dans lequel on n’entende cette voix[44] ». Tel est l’or, tel est l’argent des Égyptiens ; nous le voyons en sortant d’Égypte, et nous en faisons notre récompense avec nous ; car ce n’est point gratuitement que nous avons travaillé dans la boue de l’Égypte. Ainsi, mes frères, de tout ce que nous pouvons vous exposer, ou que nous ne pouvons point encore, de tout ce que vous comprenez ou ne pouvez comprendre, soit qu’on vous l’expose comme nous venons de le faire, soit d’une manière supérieure, croyez que tout alors arrivait en figure aux « enfants d’Israël, et que cela est écrit pour notre instruction, à nous qui arrivons à la fin des temps[45] ». Et je n’y ferais aucune attention ? Et toi, chrétien, dans le sens spirituel, tu n’étudierais pas avec moi pourquoi les mages de Pharaon furent pu défaut à la troisième plaie, tu n’y verrais qu’un effet sans cause ? Je n’y chercherais rien, et je croirais que ce fait s’est accompli ou a été consigné sans dessein ? Les mages de Pharaon, à l’encontre de Moïse, font des serpents avec des verges, du sang avec de l’eau, ils font des grenouilles, ils font tout cela. Ils arrivent à la troisième plaie, à ces mouches appelées moucherons, et là, font défaut ceux qui avaient fait des serpents ; ceux qui avaient fait des grenouilles, font défaut devant les mouches. Assurément, cela n’est point sans raison. Frappez avec moi. À quoi est opposée la troisième plaie ? Au troisième précepte de Dieu, qui impose le sabbat au peuple, qui prêche le repos, qui recommande la sanctification ; car il est dit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat ». Enfin, dans les premiers ouvrages du monde, le Seigneur fit le jour, fit le ciel, la terre, la mer, les grands corps lumineux, les étoiles, tira des eaux les animaux, et tira du limon de la terre l’homme qu’il fit à son image. Il fait tout cela, et nous ne trouvons pas encore le mot de sanctification. Tout cela se fait en six jours, et le septième jour, ou jour du repos de Dieu, est sanctifié. Dieu, qui n’a point sanctifié ses œuvres, sanctifie son repos[46]. Que dire ? Allons-nous penser qu’il en est de Dieu comme de nous, qui, au milieu de nos travaux, préférons le repos à l’ouvrage ? Loin de nous cette pensée, comme aussi de croire que la création était pour lui une œuvre de fatigue et non de commandement. « Dieu dit : Que cela soit, et cela fut ». Cette manière d’agir ne serait point une fatigue même pour l’homme. Mais en ce jour, il nous a recommandé de nous reposer de tout travail, afin de nous faire comprendre qu’un jour, après toutes nos bonnes œuvres, nous nous reposerons sans fin. Car, ici-bas, tous nos jours ont un soir, le septième n’en a point ; notre travail a un terme ou soir, et notre repos est sans terme. C’est alors que la sanctification nous vient comme une parole mystérieuse, qui est le propre du Saint-Esprit. Mais quand je parle de lui, mes frères, écoutez avec indulgence, je vous en supplie, cherchez le sens que je m’efforce de donner, plutôt que mes explications ; je sais qui je suis pour vous parler, et de quoi je veux vous parler : c’est un homme expliquant aux hommes les choses de Dieu. Allons, efforcez-vous avec moi, partagez mon labeur, afin de partager aussi mon repos, autant que le Seigneur me l’accordera, autant qu’il me découvrira ces mystères, autant que m’inspirera cette sagesse qui se montre volontiers dans ses voies, à ceux qui l’aiment, et qui vient au-devant d’eux d’une manière toute providentielle. Le sabbat, le repos de Dieu est donc sanctifié. C’est la première fois qu’il est parlé de sanctification, du moins que je sache et que vous sachiez vous-mêmes, c’est ce que nous croyons. Or, il n’y a point de sanctification divine et véritable qui ne vienne du Saint-Esprit. Sans doute le Père est saint, comme le Fils est saint, et néanmoins c’est à l’Esprit que ce nom est donné en propre, en sorte que la troisième personne de la Trinité se nomme Saint-Esprit. C’est lui qui « repose sur l’homme humble et calme », comme dans son sabbat. C’est pour cela qu’on attribue encore au Saint-Esprit le nombre sept. Nos Écritures le disent assez ; nous laissons aux plus saints que nous de trouver des choses plus saintes, aux savants des choses plus relevées ; qu’ils entrent, au sujet de ce nombre sept, dans les subtilités, et nous donnent des explications plus divines. Quant à moi, ce qui me suffit pour maintenant, je vois ceci que j’entreprends de vous faire voir, c’est que le nombre sept est attribué à l’Esprit-Saint, parce que c’est le septième jour qu’il est parlé de sanctification. Et comment prouver que le nombre septénaire est un attribut de l’Esprit-Saint ? Le prophète Isaïe dit que l’esprit de Dieu vient sur le chrétien, sur tel membre du Christ. « Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, esprit de crainte de Dieu[47] ». Or, si vous m’avez suivi, j’ai énuméré sept dons, comme si l’Esprit de Dieu descendait en nous de la sagesse à la crainte, pour nous faire monter de la crainte à la sagesse. « Car la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse[48] ». Ainsi donc l’esprit est septénaire, et il n’y a qu’un seul esprit en sept attributs. Voulez-vous quelque chose de plus clair ? L’Écriture sainte nous parle de la Pentecôte, solennité qui arrive après sept semaines. Vous avez l’histoire de Tobie qui s’exprime clairement sur la fête des sept semaines. Sept multiplié par sept nous donne une somme de quarante-neuf, mais comme pour nous ramener à la source ; car l’Esprit-Saint nous rassemble dans l’unité, ne nous divise pas de l’unité ; c’est pourquoi, en ajoutant à quarante-neuf, un ou l’honneur de l’unité, nous avons cinquante. Ce n’est donc point sans raison que, le cinquantième jour, le Sauveur déjà monté au ciel envoya l’Esprit-Saint. Le Seigneur ressuscité, sort des enfers, mais ne remonte pas encore au ciel. À dater de cette résurrection, de cette sortie de dessous terre, nous comptons cinquante jours, et le Saint-Esprit vient au nombre cinquantième, comme pour fêter sa naissance en nous-mêmes. Car le Seigneur s’entretint ici-bas avec ses disciples pendant quarante jours ; au quarantième jour il monta au ciel, et après que les disciples ont passé dix jours au cénacle, en signe des   dix préceptes, le Saint-Esprit descendit ; car nul ne peut accomplir la loi que par la grâce de l’Esprit-Saint. Il devient clair, dès lors, que le nombre septénaire est un attribut de l’Esprit-Saint. On doit regarder comme n’ayant pas l’Esprit-Saint quiconque n’adhère pas à l’unité du Christ, quiconque prend une direction contraire à cette unité. Car les disputes, les dissensions, les divisions, ne peuvent qu’aboutir, et l’Apôtre a dit de ces hommes : « L’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu[49] ». Il est encore écrit dans l’épître de l’apôtre saint Jude : « Ceux-là se séparent eux-mêmes, hommes sensuels, n’ayant point l’Esprit[50] ». Peut-on rien trouver de plus clair, de plus évident ? Bien qu’ils aient les mêmes croyances que nous, qu’ils viennent donc à nous, afin de recevoir l’Esprit-Saint qu’ils ne sauraient avoir, tant qu’ils demeurent les ennemis de l’unité. L’Apôtre les compare aux mages de Pharaon : « Ils ont », dit-il, « l’apparence de la piété, mais n’en ont point la réalité[51] ». Oui, avec cette apparence de piété, ils firent d’abord des prodiges semblables, mais parce qu’ils n’en avaient point la réalité, ils furent impuissants au troisième[52].

18. Mais cherchez encore avec moi pourquoi cette défaillance au troisième signe. Qu’importe à quel signe cette défaillance vienne éclater, au second ou au quatrième signe, puisqu’ils doivent défaillir ? Pourquoi dont fut-ce au troisième ? Mais voyez, comme je vous l’ai promis, si l’Apôtre saint Paul ne compare point les hérétiques à ces mages. « Ils ont », dit-il, « la forme de la piété sans en avoir la réalité : fuis encore ceux-là. Car il en est parmi eux qui s’insinuent dans les maisons, qui entraînent après eux, comme captives, des femmes chargées de péchés et poussées par divers désirs ; lesquelles apprennent toujours sans jamais parvenir à connaître la vérité[53] ». Ils entendent continuellement rendre témoignage à l’Église catholique, et ne veulent point venir à l’Église catholique. Ils disent sans cesse, et ne cessent point d’entendre : « En ta postérité seront bénies toutes les nations[54] » ; ils ne cessent d’entendre : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et tu posséderas les confins de la terre[55] » ; d’entendre encore : « Toutes les familles de la terre se souviendront du Seigneur et reviendront à lui[56] » ; d’entendre enfin : « Il dominera jusqu’à la mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ». Voilà ce qu’ils entendent sans cesse, ce qu’ils apprennent sans cesse, et néanmoins sans arriver à la science de la vérité. Voyez maintenant ce que je vous ai promis. Que dit ensuite l’Apôtre ? « De même que Jamnès et Mambré résistèrent à Moïse, de même ceux-ci font opposition à la vérité, hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi ». Que dit-il encore ? « Mais ils n’iront pas au-delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut celle de ces hommes[57] ». Voyez donc pourquoi ils succombèrent au troisième signe. Souvenez-vous que ceux qui s’opposent à l’unité n’ont point le Saint-Esprit. Or, il est facile de voir que les trois premiers préceptes du décalogue ont pour objet l’amour de Dieu, et les sept derniers se rapporteraient à l’amour du prochain ; en sorte que les deux tables de la loi et les dix préceptes pourraient se résumer sommairement dans ces deux : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces, et tu aimeras ton prochain comme toi-même : ces deux préceptes résument a toute la loi et les Prophètes[58] ». Reportons donc les trois premiers préceptes à l’amour de Dieu. Quels sont ces trois premiers ? Premier : « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi », et auquel est opposée la plaie de l’eau changée en sang, parce que le principe souverain du Créateur avait été ramené à l’image d’une chair humaine. Second précepte : « Ne prends pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu ». Autant que j’en puis juger, il s’agit du Verbe ou Fils de Dieu. « Car il n’est qu’un seul Dieu, et un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui tout a été fait[59] ». À l’encontre du Verbe, les grenouilles. Comprends les grenouilles à l’encontre du Verbe, le bruit à l’encontre de la raison, la vanité à l’encontre de la vérité. Le troisième précepte, concernant le sabbat, est dans les attributs de l’Esprit-Saint, à cause de cette sanctification que nous entendons pour la première fois au jour du sabbat, ce que nous vous avons signalé avec autant d’instance qu’il nous a été possible. Or, l’opposé de ce précepte fut la turbulence dans ces mouches nées de la pourriture, et qui s’en prenaient aux yeux. Or, les magiciens succombèrent à ce troisième signe, parce que les ennemis de l’unité n’ont point l’Esprit-Saint, tel est le châtiment qu’il leur inflige. L’Esprit-Saint a des faveurs et des châtiments les premières, c’est devenir en nous ; les seconds, de nous abandonner. Enfin, pour comprendre plus clairement, par l’aveu des mages de Pharaon, quel nom reçut l’Esprit-Saint, voyons comment il est nommé dans l’Évangile. Comme les Juifs jetaient au Sauveur ces outrageantes paroles : « Celui-ci ne saurait chasser les démons que par Béelzébub, prince des démons », il répondit : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, assurément le royaume de Dieu est venu vers vous[60] » ; ce qu’un autre évangéliste nous raconte ainsi : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons ». Ainsi, ce qu’un évangéliste appelle : « Esprit de Dieu[61] », un autre l’appelle « Doigt de Dieu » ; donc l’Esprit de Dieu est aussi doigt de Dieu. C’est pourquoi la loi fut écrite par le doigt de Dieu, loi qui fut donnée sur le mont Sinaï, le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau, après que le peuple juif, eut célébré la pâque. Quand s’accomplit le nombre de cinquante jours après l’immolation de l’agneau, la loi est donnée écrite par le doigt de Dieu ; et quand s’accomplit le nombre de cinquante jours après la mort du Christ, le Saint-Esprit descend. Béni soit le Seigneur qui se cache providentiellement, pour apparaître avec douceur. Voyez encore les mages de Pharaon faire cet aveu si clair ; succombant au troisième signe, ils s’écrièrent : « Le doigt de Dieu est ici[62] ». Bénissons le Seigneur qui donne l’intelligence et qui donne le verbe. S’il n’y avait sur tout cela un voile mystérieux, on le rechercherait avec moins d’avidité ; et si on le recherchait avec moins d’avidité, on goûterait, en le trouvant, moins de douceur.

DEUXIÈME SERMON. SUR LA NAISSANCE DE SAINT AUGUSTIN[63].[modifier]

Le Codex manuscrit, num. 17, dont nous avons parlé plus haut, indique comme détachés de celui-ci les sermons CCCXXXIX et 40, de l’édition de Saint-Maur. Comme j’étais à me demander d’où vient qu’en France on ne trouve ce sermon que disloqué et mutilé dans les catalogues à l’aide desquels Amerbach, Erasme, les éditeurs de Paris, de Louvain, de Saint-Maur, ont ajusté leurs éditions, il m’est venu cette pensée assez croyable, savoir : que, de l’aveu des Bénédictins de Saint-Maur (Praef, tom. V), saint Césaire d’Arles, accablé d’années, avait coutume de faire lire par ses prêtres et ses diacres, non-seulement ses propres serinons, mais aussi ceux de saint Augustin, parfois mutilés, souvent avec un nouvel exorde ou une nouvelle péroraison. Quelqu’un put alors séparer les principaux arguments de ce sermon, selon qu’il le jugeait nécessaire, en admettant ce qui rattachait une partie prêchée à une partie omise. Or, comme cela ne s’est point fait avec toute la sagacité désirable, il nous reste des indices appuyant l’autorité de notre catalogue, réunissant ainsi les membres épars. En attendant, le sermon découpé à Arles, et ainsi jeté dans le public, s’est glissé dans tous les catalogues français, puis dans les autres contrées où saint Césaire, comme on le lit dans sa vie, liv. 1, transmettait par ces mêmes prêtres ce qu’ils devaient faire prêcher dans leurs églises. De là vient l’importance de rendre son ancienne intégrité à un sermon qui a manqué jusqu’alors dans nos bibliothèques.

ANALYSE.— 1. Avertir son peuple, c’est pour le pasteur alléger sa responsabilité. – Notre saint a toujours averti les pécheurs.— Illusion de ceux qui comptent sur la divine miséricorde pour retarder leur conversion. – Fidélité de Dieu à tenir compte des bonnes œuvres.—2. Prêcher à son peuple, c’est le nourrir. – Amener à la conversion, c’est faire valoir le talent confié par Dieu.— Folie de l’homme qui ne désire rien que de bon, excepté sa vie.— Le sort du mauvais riche et de Lazare.— Bonheur du ciel pour les justes, apprécié par ce que Dieu fait pour les méchants.— Les largesses de Dieu ne l’appauvrissent point.— Nécessité d’attendre avec foi.— Fausse sécurité du pécheur retardataire qui n’a pas de lendemain assuré.—3. Exhortation au pécheur de se convertir au plus tôt.— Ne nous endormons point en cette vie, qui n’a aucune sécurité.

1. Cette journée, mes frères, m’avertit de réfléchir plus attentivement au fardeau qui me charge. Sans doute il me faut y penser nuit et jour, mais je ne sais comment cet anniversaire vient en pénétrer mes sens au point que je n’en puis détourner ma pensée, et à mesure que s’avancent, ou plutôt que fuient les années, nous rapprochant du dernier jour, qui viendra sans aucun doute, alors devient pour moi plus vive et plus poignante la pensée du compte que je dois rendre à votre sujet au Seigneur mon Dieu. Car entre vous et nous il y a cette différence, que votre inquiétude sur le compte que vous avez à rendre se borne à vous-mêmes, tandis que pour nous, elle s’étend à vous et à nous. Mon fardeau est donc plus grand ; mais, bien porté, il me vaudra une gloire plus grande ; porté avec infidélité, une peine épouvantable. Qu’ai-je donc aujourd’hui de mieux à faire, sinon de vous signaler mon danger, afin que vous soyez ma joie ? Or, ce qui constitue un danger pour moi, ce serait de faire attention à vos louanges, sans examiner votre vie. Or, il le sait, celui qui a les yeux sur mes paroles, et même sur mes pensées, il sait que les louanges populaires sont moins un plaisir pour moi qu’un stimulant, et que ma vive inquiétude est de savoir comment vivent ceux qui me louent. Toute louange qui me viendrait de ceux qui vivent mal m’est en horreur, je l’abhorre, et c’est pour moi une douleur plutôt qu’un plaisir ; quant à celle qui me viendrait de ceux dont la vie est régulière, dire que je la repousse, c’est mentir, dire que je la recherche, c’est m’exposer à rechercher la vanité plutôt que la solidité. Que dire alors ? Sans la vouloir tout à fait, je ne la repousse point tout à fait. Je ne la désire point tout à fait, parce que je redoute un danger dans la louange des hommes ; je ne la repousse point tout à fait, pour ne pas exposer mes auditeurs à l’ingratitude. Or, quel est mon fardeau, vous l’avez entendu quand on lisait le prophète Ézéchiel. C’était peu qu’un jour semblable nous invitât à réfléchir à notre fardeau, voilà qu’on lit un passage qui nous saisit de crainte et nous fait réfléchir à ce que nous portons ; car si celui qui nous l’a imposé ne le porte avec nous, il nous faut succomber. Vous venez de l’entendre. « Lorsque j’aurai appelé l’épée sur une terre », dit le Prophète, « et que cette terre aura établi une sentinelle, pour voir ce glaive arriver puis le dénoncer et avertir le peuple ; si la sentinelle se tait à l’arrivée du glaive, et que le glaive, survenant sur le pécheur, lui donne la mort, le pécheur mourra sans a doute selon son iniquité, mais je redemanderai son sang à la sentinelle. Que si, au contraire, elle voit le glaive arriver, et a sonné de la trompette, et avertit le peuple, et que celui qui entend l’avertissement n’en prenne aucun souci, celui-ci mourra dans son iniquité, sans doute, mais la sentinelle aura sauvé sa vie. Toi donc, fils de l’homme, je t’ai établi sentinelle en Israël[64] ». Il expose ensuite ce qu’il entend par épée, ce qu’il entend par la mort, et ne nous laisse aucun moyen de négliger cette lecture sous prétexte d’obscurité. « Je t’ai établi sentinelle », me dit-il, « et si, quand je dis au pécheur : Tu mourras de mort, tu gardes le silence, et qu’il meure dans son péché, il meurt à cause de son péché sans doute, mais il est bien juste que je te redemande son sang à toi-même. Mais si toi-même tu dis à l’impie : Tu mourras de mort, et qu’il ne se tienne point sur ses gardes, il mourra dans son iniquité, tandis que tu auras sauvé ton âme ». Puis il ajoute ce qu’il veut qu’on dise à la maison d’Israël. « Tu diras donc aux enfants d’Israël : Quel est ce langage que vous tenez en vous-mêmes : Nos iniquités sont sur nous, nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? Voici ce que dit le Seigneur : Je ne veux point la mort de l’impie, mais je veux qu’il se détourne de sa voie perverse et qu’il vive ». Voilà ce qu’il veut que nous annoncions ; autrement il nous faudra, comme la sentinelle, rendre un compte pitoyable. L’annoncer, au contraire, c’est nous acquitter de notre tâche. Ce sera votre affaire ; pour nous, déjà nous serons en sécurité. Mais comment serionsnous en sécurité, quand vous êtes en danger et condamnés à mourir ? Nous ne voulons point qu’il y ait gloire pour nous et châtiment pour vous. Sans doute nous sommes en sécurité d’une part, mais d’autre part sa charité nous rend anxieux. Voilà que je vous le répète, et vous savez que vous l’ai dit toujours, que jamais je ne m’en suis tu : « Voici ce que dit le Seigneur : Je ne veux pas la mort de l’impie, mais que l’impie se détourne de sa voie perverse et qu’il vive ». Qu’est-ce que disait l’impie ? Le Prophète a cité les paroles des impies et des méchants : « Nos iniquités sont sur nous, nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? » Le malade désespère, mais le médecin promet l’espérance. L’homme s’est dit : « Comment puis-je vivre ?[65] » Or Dieu dit : Tu peux vivre. « Si tout homme est menteur, que a Dieu, qui seul est véridique », efface la parole de l’homme et écrive celle de Dieu. Bannis tout désespoir, tu peux vivre, non à cause de tes fautes passées, mais à cause de tes bonnes œuvres à venir ; c’est effacer le mal, que t’éloigner du mal. Tout le bien ou tout le mal s’efface par le changement. Passer d’une vie pure à une vie désordonnée, c’est effacer la vie pure ; et réciproquement, passer d’une vie mauvaise à une vie pure, c’est effacer la vie désordonnée. Vois donc ce que tu recherches, ce que tu veux recevoir, il y a deux trésors préparés devant toi : tu retrouveras ce que tu auras perdu ; Dieu est un fidèle gardien, qui te rendra le bien que tu auras fait. Il en est d’autres qui ne périssent point par désespoir, qui ne se disent point : « Nos iniquités pèsent sur nous ; nous languissons dans nos péchés, comment pouvons-nous vivre ? » Mais ils se trompent d’autre part. Ils se flattent de la miséricorde de Dieu, au point de ne se corriger jamais ; ils se disent en effet : En dépit des crimes que nous commettons, des iniquités que nous entassons chaque jour, de nos actes luxurieux et de nos forfaits, de notre mépris pour le pauvre et l’indigent ; quand même nous nous élèverions dans notre orgueil, et nous n’aurions dans le cœur aucun repentir de nos fautes, Dieu voudra-t-il perdre une si grande multitude et n’en sauver qu’un si petit nombre ? Il y a donc deux périls en présence, l’un du côté du Prophète que nous avons entendu, et l’autre que l’Apôtre n’a point dissimulé. C’est en effet contre ces hommes qui meurent dans le désespoir, comme des gladiateurs en quelque sorte destinés au glaive, qui se plongent dans toutes les voluptés, qui vivent dans la débauche, qui méprisent leur âme comme condamnée par avance, que le Prophète nous dit tout haut leur langage intérieur : « Nos iniquités sont sur nous, voilà que nous languissons sous le poids de nos péchés, comment pourrons-nous vivre ? » Or, voici que l’Apôtre nous tient d’autre part ce langage ! « Est-ce que la richesse de sa bonté, de sa miséricorde et de sa longue patience sont un objet de mépris pour toi ? » À l’encontre de ceux qui disent : Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il ne perdra point cette grande multitude de pécheurs, pour épargner le petit nombre ; car s’il ne les voulait point, ils ne vivraient pas ; quand ils font de si grands maux, ils vivent néanmoins, et si cela déplaisait à Dieu, il les ferait disparaître de la terre ; ou c’est contre eux que l’Apôtre a dit : « Ignores-tu que Dieu est patient, afin de t’amener à la pénitence ? Et toutefois, parla dureté, par l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[66] ». À qui l’Apôtre tient-il ce langage. À ceux qui disent : Dieu est bon, il ne comptera point. Il rendra certainement à chacun selon ses œuvres. Quant à toi, que fais-tu ? Tu amasses quoi ? Un trésor de colère. Ajoute colère sur colère, augmente le trésor ; ce que tu auras amassé te sera rendu, car celui à qui tu prêtes ne connaît point la fraude. Mais si tu jettes en un autre trésor tes bonnes œuvres, qui sont les fruits de la justice, ou de la continence, ou de la virginité, ou de la chasteté conjugale, sois encore étranger à la fraude, à l’homicide et à tout autre crime ; souviens-toi de l’indigent, indigent toi-même ; souviens-toi du pauvre, ô toi qui es pauvre ; quelles que soient tes richesses, tu as néanmoins des lambeaux de chair pour vêtement. Si c’est dans ces pensées et dans ces œuvres que tu as soin de jeter dans le trésor des bonnes œuvres pour le jugement, celui qui ne sait tromper personne et qui rend à chacun selon ses œuvres, te dira enfin : Prends ce que tu as mis, parce qu’il y a surabondance. Quand tu jetais dans le trésor, tu ne voyais pas ; mais moi, je conservais tout pour te le rendre un jour. Et en effet, mes frères, quiconque a jeté dans ce trésor, sait qu’il y a jeté ; mais il ne voit plus ce qu’il y a jeté. Suppose un trésor caché en terre, et n’ayant qu’une ouverture ou qu’une fente par où tu peux jeter ; tu y jettes peu à peu ce que tu acquiers ; si tu ne vois point ce que tu as jeté, la terre néanmoins le conserve. Et celui qui a fait le ciel et la terre ne te le conserverait point ?

2. Soulevez donc, mes frères, soulevez mon fardeau, portez-le avec moi : vivez d’une vie sainte[67], car nous avons à nourrir aujourd’hui nos pauvres, à faire preuve envers eux d’humanité. Quant à la nourriture que je vous apporte, elle consiste dans mes paroles. Vous donner à tous un pain extérieur et visible, je ne le pourrais ; je donne la nourriture dont je me rassasie ; car je suis ministre et non père de famille ; aussi ne puis-je vous servir que le pain dont je vis moi-même dans les trésors de mon Dieu, quelque part du festin de ce père de famille si qui, étant riche, « s’est fait pauvre pour l’amour de nous, afin que nous devinssions riches par sa pauvreté[68] ». Si je vous offrais du pain, chacun en prendrait un morceau et s’en irait, et quand j’en apporterais en grande quantité, chacun n’en aurait qu’un bien chétif morceau. Mais ma parole, voilà que tous l’ont tout entière, et chacun tout entière encore. Pouvez-vous, en effet, partager entrevous des syllabes ? Est-ce que vous avez pu distraire chaque mot de mon discours prononcé ? Chacun de vous a entendu le discours tout entier. Mais que chacun voie comme il entend, car je suis pour donner et non pour recevoir. Si je ne donne point, si je conserve mes richesses, l’Évangile m’effraye. Je pourrais dire, en effet : Combien il m’en coûte d’ennuyer les hommes ? de dire aux pécheurs : Loin de vous toute action perverse ? C’est ainsi qu’il faut vivre, ainsi qu’il faut agir, voilà ce qu’il faut éviter ? Que me revient-il d’être à charge aux hommes ? Je sais comment je dois vivre ; je vivrai selon la règle qui m’est tracée, le précepte qui m’est imposé. En distribuant ce que j’ai reçu, pourquoi me faut-il rendre compte des autres ? L’Évangile m’effraye. Nul homme ne me ferait renoncer à cette sécurité si paisible, rien de mieux, rien de plus doux, de sonder sans bruit les trésors de Dieu : c’est là un charme, un bonheur. Mais prêcher, mais reprendre, mais redresser, mais édifier, mais redoubler d’efforts auprès de chacun, c’est là une grande charge, un grand fardeau, une grande fatigue. Qui ne reculerait devant cette fatigue ? Mais l’Évangile m’effraye. Voici un serviteur qui dit à son maître : « Je vous connaissais pour un homme dur, récoltant où vous n’avez pas semé, j’ai gardé votre argent, je n’ai point voulu en donner ; prenez ce qui vous appartient ; s’il y en a moins, jugez-en ; si c’est le tout, ne troublez point mon repos. Mais le maître répondit : « Mauvais serviteur, je te juge par tes paroles[69] ». Pourquoi ? Puisque tu me dis avare, pourquoi négliger mes bénéfices ? Mais j’ai craint de le perdre en le donnant. Voilà ton excuse ? On dit souvent : Pourquoi me piller ? Mais vaine excuse, le maître ne t’entend point ; et moi, dit ce serviteur, je n’ai point voulu donner votre argent, j’ai craint de le perdre. Mais le maître : Si tu avais prêté mon argent, je serais venu le recueillir avec usure ; j’avais fait de toi un prêteur, nous dit-il, non un exacteur ; prêter toi-même, c’est me laisser le soin de recueillir. Sous le poids de cette crainte, que chacun voie comment il pourra recevoir. Mais si je ne donne qu’avec tremblement, celui qui recueille peut-il être en sûreté ? Que l’homme mauvais hier soit bon aujourd’hui. C’est ainsi que je prête, c’est que l’homme hier mauvais soit bon aujourd’hui. Hier il était mauvais, sans mourir néanmoins ; s’il était mort dans sa malice, il serait allé là où l’on ne peut revenir. Mais, mauvais hier, il vit aujourd’hui, que cette vie lui profite, et qu’il ne vive point irrégulièrement. Mais au jour d’hier pourquoi ajouter celui-ci qui est mauvais ? Tu veux une longue vie et non une bonne vie ? Qui supporterait longtemps quel que chose de mauvais, fût-ce un dîner ? Tel est néanmoins l’aveuglement de l’esprit, telle est la surdité intérieure de l’homme, qu’il veut que tout soit bon, excepté lui-même. Veux-tu une villa ? je nie que tu veuilles une mauvaise villa. Tu veux une épouse, mais seulement une bonne épouse ; une maison, mais seulement une bonne maison. À quoi bon tant de détails ? Tu rejettes bien loin une mauvaise chaussure, et tu veux une vie mauvaise ? Comme si une mauvaise chaussure était, plus nuisible qu’une vie mauvaise. Quand une chaussure défectueuse ou trop étroite vient à te blesser, tu t’assieds pour ôter cette chaussure, la jeter au loin, ou y remédier, ou la changer, puis te chausser ensuite ; et cette vie défectueuse, qui perd ton âme, tu ne la redresses pas ? Mais, ici, je vois clairement ton erreur. Une chaussure qui nuit est douloureuse, tandis qu’une vie qui nuit est voluptueuse ; l’une est pénible, et l’autre est agréable ; mais ce qui est agréable pour un temps, n’en est que plus douloureux plus tard ; ce qui, au contraire, nous cause dans le temps une douleur salutaire, nous vaut ensuite un bonheur sans fin, une joie sans mélange. Voyez, l’homme de la joie et l’homme de la douleur ; voyez dans la joie ce riche, et dans la douleur ce pauvre de l’Évangile : l’un était dans les festins, l’autre dans la misère ; l’un recevait les hommages de ses nombreux domestiques, l’autre était léché par les chiens ; l’un que ses festins rendaient plus avide, l’autre qui ne pouvait se rassasier de miettes. Pour l’un passa le plaisir, pour l’autre l’indigence ; les biens du riche passèrent, comme les maux du pauvre, tandis que le riche vit venir le malheur, et le pauvre la félicité. Ce qui était passé ne pouvait revenir, ce qui arrivait ne diminuait point. Le riche brûlait dans les enfers, le pauvre goûtait la joie au sein d’Abraham. Le pauvre avait désiré les miettes de la table du riche, et le riche désira qu’une goutte d’eau tombât du doigt du pauvre. Chez l’un la pauvreté finit enfin par être rassasiée ; chez l’autre le plaisir fit place à une douleur sans fin. Aux festins succéda la soif, à la volupté la douleur, à la pourpre le feu. Car ce festin qui paraît être celui de Lazare au sein d’Abraham, nous vous le souhaitons à tous, nous voulons le partager avec vous. Que serait-ce, en effet, d’un festin auquel je vous inviterais tous, Pt qui remplirait de tables cette église entière ? Tout cela passerait. Élevez-vous de ce langage que je vous tiens jusqu’à ce banquet qui ne finira point pour vous. À ce festin, nulle indigestion, et les mets ne sont point de ceux qui nourrissent en diminuant, qui restaurent à mesure qu’ils disparaissent. Ces mets seront toujours entiers, et nous en serons rassasiés. Que notre œil s’alimente de lumière, cette lumière ne diminue point. Quels seront ces festins dans la contemplation de la vérité, en face de l’éternité, dans la louange de Dieu, dans la paix du bonheur, dans la félicité de l’esprit, dans l’immortalité du corps, dans l’inaltérable jeunesse de notre chair, dans la continuelle satiété de notre âme ? Là, ni croissance ni diminution ; là, nulle naissance, parce qu’il n’y a nulle mort ; là, vous ne serez forcés à faire aucune de ces œuvres auxquelles nous vous engageons aujourd’hui. Tout à l’heure vous avez entendu le Seigneur qui disait, et disait à nous tous : « Lorsque tu donneras un festin, n’y appelle point tes amis ». Il nous apprend à être généreux : « N’y invite point tes proches, qui ont de quoi t’inviter à leur a tour, mais appelles-y les pauvres, les infirmes, les boiteux, les indigents, qui n’ont pas de quoi te rendre[70] » Y perdras-tu « Tu auras ta récompense à la résurrection des justes[71] ». C’est à toi de donner, nous dit-il, c’est moi qui reçois, qui annote, qui récompense. Voilà ce que dit le Seigneur ; voilà ce qu’il nous engage à faire, lui-même nous en tiendra compte. Or, la récompense qu’il nous donnera, qui pourra nous l’enlever ? « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » A nous pécheurs, il a donné la mort du Christ, et quand nous sommes justes, il nous tromperait ? « Car ce n’est point pour les justes, mais pour les pécheurs, que le Christ est mort[72] ». Si donc Dieu a donné pour les pécheurs la mort de son Fils, que réserve-t-il aux justes ? Ce qu’il leur réserve, il ne saurait rien leur réserver de plus précieux que ce qu’il a déjà donné pour vous. Qu’a-t-il donné pour eux ? « Il n’a point épargné son propre Fils[73] ». Que leur réserve-t-il ? Son propre Fils. Mais c’est un Dieu dont ils doivent jouir, non un homme destiné à la mort. C’est à cela que Dieu vous appelle, mais comment y réponds-tu ? Daigne examiner où il t’appelle, et par où et comment. Mais quand tu seras arrivé là, te dira-t-on : « Partage ton pain avec l’indigent, si tu vois un homme nu, donne-lui un vêtement[74] » ; ou te lira-t-on ce chapitre ? « Quand tu donneras un festin, invite les boiteux, les aveugles, les indigents, les pauvres[75] ». Là il n’y aura nul pauvre, nul boiteux, nul aveugle, nul infirme, nul étranger, nul homme sans vêtement, tous seront dans la santé, tous dans la force, tous dans l’abondance, tous revêtus de la lumière éternelle. Quel étranger y verras-tu ? C’est là notre patrie, c’est ici-bas que nous sommes étrangers. Aspirons après cette patrie, accomplissons les préceptes afin d’exiger les promesses. Ou plutôt, je me trompe, en achetant ce que j’ai dit, loin de nous d’exiger des promesses, nous prendrons ce que l’on nous offrira spontanément. Car exiger, semblerait que Dieu voudra refuser ; or, il donnera sans tromper personne. Or, considérez, mes frères, et voyez quels biens innombrables Dieu donne aux méchants : la lumière, la vie, la santé, des fontaines, des fruits, des enfants, les honneurs pour la plupart, la grandeur, la puissance ; voilà des biens qu’il donne aux méchants comme aux bons. Or, lui qui donne même aux méchants de si grands biens, pensez-vous qu’il ne réserve rien aux bons ? Que nul n’admette ces pensées dans son cœur. Mes frères, Dieu réserve aux bons de grands biens, mais « l’œil ne les a point vus, l’oreille ne les a point entendus, ils ne sont point montés au cœur de l’homme[76] ». Tu ne saurais y penser avant de les recevoir, en les recevant tu les verras ; mais impossible à toi d’en concevoir la pensée avant de les recevoir. Que voudrais-tu voir en effet[77] ? Ce n’est ni une harpe, ni une lyre, ni un son mélodieux pour les oreilles. Quelle pensée en voudrais-tu avoir ? Cela n’est point monté au cœur de l’homme. Que puis-je faire ? Je ne saurais voir, ni entendre, ni même penser. Que faire ? Crois ; c’est là le grand avantage. Le grand vase capable de contenir ce grand don, c’est la foi. Prépare-toi un grand vase, car il te faut aller à la grande source ; prépare un grand vase. Qu’est-ce à dire prépare ? Que ta foi grandisse, qu’elle aille en croissant, que ta foi s’affermisse, qu’elle ne soit ni chancelante, ni faite en terre, afin de ne point se briser contre les tribulations de ce monde ; mais qu’elle soit fortement durcie. Lorsque tu auras fait tout cela, et que ta foi sera devenue un vase convenable, spacieux, ferme, Dieu l’emplira. Il ne te répondra point comme répondent les hommes à celui qui les supplie et leur dit Donne-moi quelque peu de vin, je t’en prie ; et celui-ci : Volontiers, viens, je t’en donnerai. Or, le premier apporte une urne en disant : Je suis venu sur tes ordres. Mais l’autre : Je pensais que tu n’apporterais qu’un petit flacon, qu’as-tu apporté, et où viens-tu ? Je ne saurais t’en donner autant, mets de côté ce grand vase dont tu es muni, et donne-moi quelque chose de moins spacieux, quelque vase que ma pénurie me permette d’emplir. Dieu ne parle point ainsi ; il est dans l’abondance, et tu seras dans l’abondance, et quand il t’aura comblé, il aura tout autant qu’il avait auparavant. Les dons de Dieu sont sans limite, nulle part tu n’en trouveras de semblables sur la terre ; crois, et tu en feras l’épreuve. Mais ce n’est pas maintenant ; quand donc, me diras-tu ? Attends le Seigneur, agis avec courage, que ton cœur se fortifie, afin qu’en recevant tu puisses dire : « Vous avez mis la joie dans mon cœur[78] ». Attends[79] le Seigneur, agis avec courage, que ton cœur se fortifie, et attends le Seigneur. Qu’est-ce à dire : Attends le Seigneur ? Que tu recevras quand il lui plaira de te donner, sans exiger selon ta volonté. Ce n’est point le temps de donner ; il t’a attendu, attends-le à ton tour Que dis-je, il t’a attendu, attends-le à ton tour ? Si tu vis selon la justice, si tu es converti à lui, si tes actions d’autrefois te déplaisent, si tu as préféré choisir une vie de bonnes œuvres, ne te hâte point d’exiger ta récompense. Dieu a bien voulu attendre ton changement de vie, attends à ton tour qu’il couronne une vie sainte. Si Dieu n’avait daigné t’attendre, il ne pourrait te donner ; attends dès lors, puisqu’il t’a attendu[80]. Mais toi qui ne veux point te corriger ; ô qui toue tu sois, qui refuses de te redresser encore ; comme s’il n’y en avait qu’un seul, j’aurais mieux dit : Vous tous qui êtes ici. Toi néanmoins qui es ici, si toutefois tu es ici, qui n’as pas un dessein arrêté de te corriger ; je veux parler comme à un seul. O toi qui ne veux aucun redressement, quelle promesse te fais-tu ? Veux-tu périr par désespoir ou par l’espérance ? Tu péris par désespoir, quand tu dis en ton cœur : « Mon iniquité est sur moi, je languis dans mes péchés ; pour moi, quelle espérance de vivre ? Écoute la réponse du Prophète : « Je ne veux point la mort de l’impie, mais seulement qu’il se détourne de sa voie mauvaise et qu’il vive[81] ». Veux-tu périr par l’espérance ? Comment périr par l’espérance ? Tu dis en ton âme : Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il pardonne tout, et ne rendra point le mal pour le mal. Écoute la parole de l’Apôtre : « Ignores-tu que la patience de Dieu est une invitation à la pénitence ? » Que reste-t-il donc ? Tu as profité déjà si mes paroles sont entrées dans ton cœur. Je vois ce qu’on pourrait me répondre : Tout cela est vrai, mais je ne vis point sans espérance, de manière à mourir par désespoir ; et je n’ai point une fausse conscience, de manière à mourir par espérance. Je ne dis point : Mon iniquité est sur moi, et je n’ai plus d’espérance ; je ne dis pas non plus : Dieu est bon, et ne rendra point le mal ; je ne tiens ni l’un ni l’autre de ces langages. D’une part, c’est le Prophète qui me maintient, d’autre part c’est l’Apôtre. Et que dis-tu ? Que je vivrai quelque temps encore à ma fantaisie. Voilà les hommes qui nous fatiguent ; ils sont nombreux et ennuyeux. Quelque temps encore je vivrai à ma fantaisie ; plus tard je me convertirai, un jour. Car elle est vraie cette parole du Prophète : Je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se détourne de sa voie détestable, et qu’il vive ; quand je me convertirai, Dieu effacera toutes mes fautes, et pourquoi ne pas prolonger mes plaisirs, vivre autant que je voudrai, et comme je voudrai, puis ensuite me tourner vers Dieu ? Pourquoi parler ainsi, mon frère ? Pourquoi ? Parce que Dieu m’a promis le pardon si je change de vie. Je le vois, je le sais, il t’a promis le pardon par son saint Prophète, il te le promet par moi, le moindre de ses ministres. Le promet-il ? Ses promesses sont vraies, et il a promis le pardon par la bouche de son Fils unique. Mais pourquoi ajouter des jours mauvais à des jours mauvais ? Qu’à chaque jour suffise sa malice : hier était un jour mauvais, aujourd’hui un jour mauvais, demain un jour mauvais ? Crois-tu qu’ils soient bons, ces jours où tu donnes libre carrière à tes passions voluptueuses ? où tu rassasies ton cœur de luxure ? où tu tends des embûches à la vertu d’autrui ? où tu affliges ton prochain par des fraudes ? où tu nies un dépôt ? où tu fais un faux serment pour une pièce de monnaie ? où tu t’assieds à un bon dîner, crois-tu passer ainsi une bonne journée ? Une chose me suffit, répond ce pécheur, c’est d’obtenir le pardon ; pourquoi ? Parce que Dieu m’a promis ce pardon ; mais nul ne t’a promis de vivre jusqu’à demain, ou lis-moi ce passage. De même que tu lis dans le Prophète, dans l’Évangile, dans l’Apôtre, qu’au jour de ta conversion Dieu te pardonnera tes iniquités ; lis-moi ce passage, qui te promet de vivre demain, et demain livre-toi au mal. Toutefois, ô mon frère, je ne devrais point te parler de la sorte. Ta vie pourra être longue ; si elle est longue, qu’elle soit bonne aussi. Pourquoi voudrais-tu avoir une vie longue et mauvaise ? Peut-être sera-t-elle courte ; et celle qui ne finira point te doit consoler. Ou bien elle sera longue, et où est le mal d’avoir mené longtemps une vie sainte ? Pour toi, tu veux une longue vie de désordre, tu ne veux pas vivre saintement, et pourtant nul ne t’a promis un lendemain. Corrige-toi[82], écoute l’Écriture. Ne méprise pas en moi un homme qui fait sa fête[83]. Je te parle d’après l’Écriture. « Ne tarde point de te convertir au Seigneur. Ces paroles, qui ne sont pas à moi, sont à moi cependant ; elles sont à moi si j’ai la charité. Ayez la charité, elles seront à vous. Ce langage que je vous tiens est de l’Écriture sainte ; si tu le dédaignes, il est ton adversaire. Mais écoute cette parole du Seigneur : « Hâte-toi d’être en accord avec ton adversaire[84] ». (Quelle est cette parole effrayante ? Vous venez chercher la joie. C’est aujourd’hui la fête de votre évêque. Faudrait-il dire une parole capable de vous contrister ? Disons plutôt ce qui peut réjouir ceux qui nous aiment, et irriter ceux qui nous méprisent ; car il vaut mieux encore contrister l’homme dédaigneux que frustrer l’homme fidèle.)

3. Que tous veuillent m’écouter ; ce sont les paroles de l’Écriture que je récite ; ô toi qui temporises et qui soupires après un misérable lendemain, écoute cette parole du Seigneur, écoute cette prédication de la sainte Écriture ; de ce lieu je suis une sentinelle : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, ne diffère pas de jour en jour ». Vois si elle ne les a point vus, vois si elle ne les a point examinés, ces hommes qui disent : A demain la vie sainte, aujourd’hui le plaisir. Et quand demain viendra, ce sera ton refrain encore. « Ne tarde point de te convertir au Seigneur, ne diffère point de jour en jour ; car sa colère viendra soudain, et, au jour de la vengeance, il te perdra[85] ». Que faire ? Puis-je effacer ce passage ? je crains d’être effacé moi-même. Le passer sous silence ? je crains le silence à mon égard. Me voilà forcé de le prêcher, d’effrayer les autres, comme je suis effrayé moi-même. Craignez avec moi, afin de vous réjouir avec moi. « Ne tarde pas à te tourner vers Dieu ». Voyez, Seigneur, voyez que je parle : vous connaissez ma frayeur, quand on lisait votre Prophète ; oui, Seigneur, vous savez quelle crainte j’éprouvais dans cette chaire, quand on lisait votre Prophète. Voici que je vous le dis : « Ne tardez pas de vous tourner vers le Seigneur, ne différez pas de jour en jour ; car sa colère viendra soudain, et au temps de la vengeance il vous perdra » ; mais je ne veux point qu’il vous perde ; je ne veux pas vous entendre dire : Je veux périr ; car moi je ne le veux point, et mon je ne veux point vaut mieux que votre je veux. Que ton père soit malade et sans mouvement entre tes bras ; mais, jeune homme, tu soulagerais un vieillard malade. Que le médecin te dise Ton père est en danger, ce sommeil n’est autre qu’une pesanteur mortelle, veille sur lui, ne le laisse point dormir. Sitôt que tu le verras sommeiller, prends soin de l’éveiller ; si c’est trop peu de l’éveiller, il faut le secouer ; si c’est peu encore, il faut le stimuler, afin d’empêcher ton père de mourir. Tu serais-là, jeune homme, pour molester un vieillard. Il s’affaisserait dans une douce langueur, ses yeux se fermeraient sous le poids du sommeil. Mais toi : Ne dormez point, et lui : Laisse-moi, je veux dormir ; et toi : Le médecin m’a dit : S’il veut dormir, ne le permets point ; et lui : Je t’en supplie, laisse-moi, je préfère la mort. Mais en fils dévoué, tu dis à ton père : Et moi je ne le veux point. À quel père ? A ce père qui veut mourir. Et toutefois tu veux éloigner la mort de ton père, tu veux vivre le plus longtemps possible avec un vieillard qui mourra néanmoins. Or, le Seigneur te crie : Garde-toi de dormir, si tu ne veux dormir éternellement ; veille, afin de vivre avec moi, afin d’avoir un père que tu ne perdras jamais ; et tu demeures sourd. Qu’ai-je donc fait, moi, sentinelle ? Je. Suis libre et ne veux pas être à charge. Quelques-uns diront, je le sais : Qu’a-t-il voulu nous dire ? Il nous effraye, il nous accable, il fait de nous des coupables. Au contraire, j’ai prétendu vous relever de toute culpabilité. 2 serait honteux, il serait infâme, je n’oserais dire ni mal, ni dangereux, ni coupable, il serait honteux de vous tromper, si Dieu ne me trompe point. Le Seigneur menace de la mort les impies, les hommes d’injustice, les fourbes, les scélérats, les adultères, les affamés de voluptés, les hommes qui le dédaignent, qui murmurent contre le temps, sans changer leurs mœurs ; le Seigneur les menace de la mort, les menace de l’enfer, les menace de la mort éternelle. Que veulent-ils que je leur promette, si Dieu ne le promet point ? Qu’un intendant vous donne des assurances, de quoi serviront-elles si le Père de famille ne les donne aussi ? Je ne suis que l’intendant, que le serviteur. Faut-il donc vous dire Vivez à votre gré, le Seigneur ne vous perdra point ? c’est une garantie de l’intendant, mais la garantie de l’intendant n’est pas valable. Puisse Dieu te la donner, quand je soulève en toi l’inquiétude ! En dépit de moi, la garantie du Seigneur est valable, tandis que la mienne est nulle, s’il ne la valide. Or, quelle sécurité, mes frères, pouvons-nous avoir, vous ou moi, sinon d’observer fidèlement ses préceptes, de l’écouter attentivement et d’attendre ses promesses avec confiance ? Dans ces occupations qui nous fatiguent, puisque nous sommes des hommes, implorons son secours, gémissons à ses pieds ; ne lui demandons rien de ce monde, rien de ce qui passe, rien de transitoire, rien de ce qui s’évapore comme une fumée ; mais prions pour l’accomplissement de la justice, pour que le nom du Seigneur soit sanctifié ; non pour surmonter nos voisins, mais pour surmonter nos passions ; non pour rassasier, mais pour dompter notre avarice. Que telles soient nos prières, qu’elles nous soutiennent dans notre lutte intérieure et nous couronnent dans notre victoire.

TROISIÈME SERMON. DU MÉPRIS DES CHOSES TEMPORELLES[86].[modifier]

Le catalogue manuscrit, num. 173, intitulé : Augustini operum, tom. 12, contient des traités et des sermons dont la majeure partie est en parfait accord avec ce qui est édité ; mais les autres contiennent, en outre des variantes, des périodes qu’on ne trouve point dans les éditions. Dans ces dernières, j’en ai choisi une seule qui se trouve dans des variantes presque sans nombre. Comme je n’oserais décider si elle est l’œuvre des scribes qui écrivaient précipitamment puis mettaient en ordre ce qu’ils avaient écrit, ou si elle est l’œuvre de saint Augustin, qui a pu écrire de nouveau un sermon composé antérieurement, comme il avoue, dans son quinzième livre de la Trinité, qu’il l’a fait ailleurs, j’ai cru qu’il suffisait de s’en rapporter au jugement des érudits, qui devront statuer ce qu’il faut penser, par ce seul fait, des autres extraits que l’on fait de ce même catalogue. Mais le catalogue, num. 219, intitulé : Dydimus de Spiritu sancto, et alia, contient ce sermon absolument semblable à celui du premier catalogue. Les bénédictins de Saint-Maur, tom. 5, num. 345, ont donné ce sermon d’après les éditions de Colbert et de Sirmond, sans avoir aucun doute au sujet de son intégrité.

ANALYSE.— Soyons riches en bonnes œuvres.— L’homme pauvre qui rêve des richesses, et se trouve pauvre à son réveil, c’est le riche sans bonnes œuvres, pauvre à la mort.— Avec des voleurs on rachète sa vie par tous ses biens, donnons-les pour la vie éternelle.— Nous haïr pour aimer Dieu, lui confier nos biens, puisque nous lui confions notre âme.— Donnons nos biens à Dieu dans la personne des pauvres.— Le véritable riche, et la véritable vie.— Donnons à Dieu nos richesses, et faisons le don de nous-mêmes en le suivant à la croix, comme les martyrs.— Humilions-nous.— Les épreuves du temps présent.— Impossibilité d’évaluer par des choses temporelles le prix d’une vie sainte.

Cette fête des martyrs, ce jour du Seigneur, nous engagent à dire à votre charité ce qui peut nous porter au mépris du siècle présent et à l’espérance du siècle à venir. Cherches-tu de quoi mépriser ? Tout homme saint, tout martyr a méprisé jusqu’à cette vie présente. Veux-tu de quoi espérer ? C’est aujourd’hui que le Seigneur est ressuscité. Si tu hésites quant à ta chose espérée, sois ferme quant à l’espérance. Si le travail te cause du trouble, que la récompense te relève. Dans la première lecture[87] de cette épître que l’Apôtre écrit à Timothée, nous trouvons aussi pour nous ce précepte qu’il lui donne : « Prescrivez aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent de bon cœur, qu’ils fassent part de leurs richesses, qu’ils se fassent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie[88] ». [Et que cette leçon ne nous paraisse pas moins à propos dans cette solennité de nos saints martyrs ; car cette fête nous enseigne aussi le mépris du monde. Dire en effet aux riches de se faire des trésors et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie, c’est dire sans aucun doute que cette vie est fausse.] Et surtout, ils doivent s’appliquer cette leçon, ces riches que les pauvres ne sauraient voir sans murmurer, sans louer, sans envier leur sort, sans en désirer un semblable, sans se plaindre de leur infériorité, et au milieu des applaudissements qu’ils donnent à la vie des riches, voici ce qu’ils disent le plus souvent C’est là seulement exister, c’est là seulement vivre. Or, à cause de ces paroles flatteuses que donnent aux riches les hommes de basse condition, [que c’est là vivre, qu’il n’y a de vie que pour eux seuls, de peur que ces adulations ne viennent à les enorgueillir, à leur persuader qu’ils vivent, prescrivez aux riches », dit l’Apôtre, « aux riches de ce monde, de ne point s’enorgueillir, de ne mettre point leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Qu’ils soient riches, mais en quoi ? « En bonnes œuvres : qu’ils donnent facilement, car ce n’est point perdre que a donner ; qu’ils veuillent bien faire part de leurs biens à ceux qui n’ont rien. Et qu’en résultera-t-il ? « Qu’ils s’acquièrent un trésor a et un fondement solide pour l’avenir, afin « qu’ils embrassent la véritable justice la, sans croire à ceux qui leur disent qu’ils vivent et qu’il n’y a qu’eux pour vivre.] Cette vie n’est qu’un songe, et ces richesses s’évanouissent comme dans un songe. Écoute le Psalmiste, ô riche très-pauvre : « Ils ont dormi leur a sommeil, et tous ces hommes n’ont trouvé « sous leurs mains aucune richesse[89] ». Quelquefois un mendiant couché sur la terre, tremblant de froid, et néanmoins endormi, rêve à des trésors, et dans son rêve il se livre à la joie et à l’orgueil, il ne daigne plus connaître son père couvert de haillons, et jusqu’à son réveil il est riche. Pendant son sommeil, il goûte une joie fausse, à son réveil il ne trouve de vrai (lue la douleur. Le riche, à sa mort, ressemble donc à ce pauvre qui s’éveille après avoir vu des trésors en songe ; car lui aussi était vêtu de pourpre et de fin lin. Un certain riche qui ; n’est point nommé, et qu’on ne doit point nommer, dédaignait un pauvre couché à sa porte, se revêtait de pourpre et de fin lin, comme le dit l’Évangile, et donnait chaque jour de splendides festins : il mourut et fut enseveli ; il s’éveilla et se trouva dans les flammes. Cet homme donc « dormit son sommeil et ne trouva sous sa main rien de toutes ses richesses », parce que ses mains n’avaient fait aucun bien. C’est donc pour la vie qu’on recherche les richesses, et non la vie pour les richesses. Combien ont pactisé avec l’ennemi, lui ont tout laissé, pour qu’il leur laissât la vie, achetant ainsi la vie au prix de tout ce qu’ils possédaient[90]. À quel prix nous faudra-t-il acheter la vie éternelle, si cette vie qui doit finir est si précieuse ? Donne au moins quelque chose au Christ, afin de vivre heureux, si tu donnes tout au voleur afin de vivre en mendiant. Par ta vie temporelle, que tu rachètes à si grand prix, juge de la vie éternelle, que tu négliges, afin de vivre pendant quelques jours, dusses-tu arriver jusqu’à la vieillesse. Car tous les jours de l’homme, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, ne sont que peu nombreux. Adam mourant aujourd’hui, n’aurait vécu que peu de jours, puisqu’il serait arrivé, à la fin. Ce sont donc ces jours si peu nombreux, jours de peine, jours de disette, jours d’épreuve, que tu as rachetés ? Et à quel prix ? Tu ne veux plus rien posséder, pour te posséder toi-même. Veux-tu savoir combien vaut la vie éternelle ? Sois toi-même le supplément du prix. L’ennemi qui avait fait de toi un captif t’a dit : Si tu veux vivre, donne-moi ce que tu as, et pour vivre tu as tout donné, toi racheté aujourd’hui pour mourir demain ; échappé aujourd’hui, pour être massacré demain. Que nos périls nous instruisent, mes frères. Où trouver une pareille ignorance, au milieu et des paroles de Dieu, et des expériences de la vie humaine ? Tu as tout donné, et tu t’es échappé heureux de vivre, et pauvre, et nu, et indigent, et mendiant ; tu as de la joie, parce que tu vis et que la lumière est douce. Que le Christ apparaisse, qu’il pactise avec toi, lui qui, loin de te captiver, a été fait captif pour toi, qui, loin de chercher à te donner la mort, a daigné souffrir la mort pour toi et se donner pour toi. Quelle rançon ! Celui qui t’a fait te dit donc : Faisons une convention Veux-tu te posséder et perdre tout ? Si tu veux te posséder, il faut m’avoir aussi, et te haïr, afin de m’aimer et de retrouver ta vie en la perdant, de peur de la perdre en la conservant. Quant à ces richesses que tu aimes à posséder, et que néanmoins tu es disposé à donner pour conserver cette vie terrestre, je t’ai donné un conseil salutaire. Si tu aimes aussi ces richesses, garde-toi de les perdre en même temps ; mais elles périront ici-bas, où tu les aimes. À ce sujet je te donne aussi un conseil. Les aimes-tu véritablement ? C’est de les envoyer où tu dois les suivre, de peur qu’en les aimant sur la terre, ou tu les perdes pendant ta vie, ou tu les abandonnes à la mort. C’est pour cela, nous dit-il, que je te donne un conseil, je ne te dis point de les perdre, mais de les conserver ; tu veux thésauriser, loin de te le défendre, je t’indique l’endroit ; écoute en moi un conseil, non une défense. Où donc te dis-je de thésauriser ? « Amassez-vous un trésor dans le ciel, d’où n’approche point le voleur, où la teigne et la rouille ne rongent point[91] ». Mais, diras-tu, je ne vois point ce que je place dans le ciel. Tu vois, il est vrai, ce que tu caches dans la terre. Or, voudrais-tu être en sûreté en cachant dans la terre, et dans l’inquiétude, quand tu confies quelque chose à celui qui a fait le ciel et1a terre ? Conserve où tu voudras ; si tu trouves un dépositaire plus fidèle que le Christ, garde tout pour le lui confier. Mais, dis-tu, je confie à mon serviteur. Combien il serait mieux de confier à ton maître. Un serviteur enlève ce qu’on lui confie et prend la fuite ; et au milieu de tant de malheurs, c’est encore un bien que le serviteur emporte le dépôt et s’enfuie, sans amener les ennemis contre son maître. Beaucoup de serviteurs se sont tout à coup tournés contre leurs maîtres et les ont livrés à l’ennemi avec tous leurs biens. À qui donc te fier ? En attendant, diras-tu, je confie mon or à mon serviteur. Ton or à ton serviteur, et ton âme à qui ? À mon Dieu, diras-tu. Combien serait mieux ton or chez celui qui a déjà ton âme ? Pourrait-il, par hasard, fidèle à conserver ton âme, être infidèle à conserver tes richesses ? Ne saurait-il rien conserver pour toi, celui qui te conserve toi-même ? Aie donc confiance. L’affaire de ton serviteur est de ne point enlever, est-elle de ne point perdre ? Toute sa fidélité consiste à ne point te tromper. Or, tu fais attention à sa fidélité, et non à sa faiblesse ? Il a déposé, mais non caché ton trésor ; un autre vient et t’enlève. Or, quelqu’un pourrait-il en agir ainsi envers le Christ ? Secoue donc ta paresse, reçois un conseil et thésaurise pour le ciel. Que dis-je, secoue ta paresse, comme si c’était un labeur que thésauriser pour le ciel ; et quand même ce serait un labeur, il n’en faudrait pas moins agir, entreprendre ce labeur et y déposer ce que nous avons soin de mettre dans un endroit sûr, afin que nul ne l’enlève. Et toutefois le Christ ne te dit point : Amasse des trésors dans le ciel, cherche des échelles, procure-toi des ailes, mais bien : Donne-moi sur la terre, et je te conserverai pour le ciel. Oui, dit-il, donne-moi sur la terre ; car c’est pour cela que j’y suis venu pauvre, afin de t’enrichir dans le ciel. Prépare-toi un moyen de passer. Tu crains la fraude, qui te ferait perdre. Voudrais-tu un homme pour le porter où tu dois aller ? Le Christ est à ton service dans l’un et dans l’autre cas. Il ne connaît point la fraude et portera ton dépôt. Mais où trouver le Christ, me diras-tu ? Ma foi m’apprend ce que j’ai entendu dans l’Église ; je l’ai appris, je le crois, je suis imbu de ces mystères : Le Christ a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, et quarante jours après il monta aux cieux en présence de ses disciples, pour s’asseoir à la droite de son Père, d’où il doit venir au dernier jour ; comment le trouver ici-bas, pour lui confier mes richesses ? Point de trouble, écoute jusqu’à la fin, et, si tu as écouté, répète jusqu’à la fin. Tu crois ceci, je le sais, que le Christ a été suspendu à la croix, qu’on l’en a descendu, qu’on l’a mis au sépulcre, qu’il est ressuscité, qu’il est monté aux cieux ; mais as-tu lu aussi, quand Saul persécutait son Église, quand il sévissait avec orgueil et cruauté, ne respirant que le carnage, et, dans sa soif du sang des chrétiens, portait des lettres à Damas afin d’amener enchaînés à Jérusalem les hommes et les femmes qu’il trouverait de cette religion[92], as-tu entendu le cri que poussa celui que tu avoues être dans le ciel ? Rappelle-toi ce qu’il dit alors ; qu’as-tu entendu, toi qui as lu ? « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » Or, Paul ne le voyait point, ne le touchait point, et Jésus disait néanmoins : « Pourquoi me persécuter ? » Il ne dit point : Pourquoi persécuter mes serviteurs, mes fidèles, mes saints, mes frères, que tu dois honorer ; il ne dit rien de semblable. Que dit-il donc ? a Pourquoi me persécuter ? » c’est-à-dire mes membres ; et quand ces membres sont broyés sur la terre, la tête se plaint du haut du ciel ; de même que, pour ton pied que l’on écrase sur la terre, ta langue s’écrie : Tu m’écrases, et non : Tu écrases mon pied. Comment donc ne sais-tu point à qui donner ? Celui qui a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » te dit également : Nourris-moi sur la terre. Saul y sévissait, et néanmoins persécutait le Christ ; et toi, donne sur la terre, et tu nourris le Christ. Car le Seigneur a tranché d’avance la question qui t’occupe. « Alors ils seront tout émus ceux qui seront placés à droite, et quand il leur dira : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, ils répondront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ? et aussitôt ils entendront cette réponse : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[93] ». Si donc tu ne veux pas donner ; il y a de quoi t’accuser, mais non t’excuser[94]. C’est donc à propos de ces richesses que le Seigneur te dit : Je t’ai donné le plus salutaire conseil, les aimes-tu ? porte-les ailleurs ; et quand tu les auras portées ailleurs, tu les suivras, tu les suivras aussi de cœur ; « car où est ton trésor, là est aussi ton cœur ». Confier ton trésor à la terre, c’est cacher ton cœur dans la terre et dès qu’il est dans la terre, tu ne saurais sans rougir répondre qu’il est vers le Seigneur », quand tu entends : « En haut le cœur[95] ». Pour moi, dit le Seigneur, je t’ai donné un conseil salutaire au sujet de tes richesses, si tu veux le suivre, si tu veux me comprendre, si tu veux être riche comme le prescrit l’Apôtre, sans orgueil, sans mettre ta confiance en des richesses qui sont incertaines, en donnant facilement, en faisant part de tes biens ; si tu veux te faire un véritable trésor, un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie. Maintenant, interroge-moi, dit le Seigneur ton Dieu ; voilà, diras-tu, que j’ai envoyé au ciel ce que je possède, soit en donnant le tout, soit en possédant le reste comme si je ne le possédais point, usant de ce monde comme n’en usant pas[96]. Le ciel vaut-il tout cela ? S’il le vaut, voilà que je l’ai fait. Est-ce cher ? Il vaut mieux encore. Car il n’est pas réellement de nature à valoir tel ou tel prix ; tu vivras éternellement. Toi, qui donnerais tous ces trésors pour une vie de peu de jours, tu seras là, véritablement riche, puisque tu n’y manqueras de rien. Ton but unique, en recherchant les richesses, est de ne manquer de rien sur la terre. C’est pour cela que tu veux amasser, entasser une boue épaisse qui pèsera sur toi, qui t’écrasera et qui, en se desséchant, te fera une étroite prison. De là vient alors que, pour éviter l’indigence, tu veux pour ton carrosse beaucoup de chevaux, pour ta table des vivres en abondance, pour te couvrir les plus précieux vêtements. En dépit de ces possessions il n’y aura point richesse pour toi, et pauvreté pour l’ange qui n’a pas besoin d’un cheval, qui ne court pas sur un char, qui ne couvre point sa table d’un tel apparat, à qui l’on ne tisse point de vêtement, puisqu’il est revêtu de lumières ; apprends à connaître les véritables richesses. Tu veux les richesses qui te fourniront de quoi flatter ton palais, rassasier tes entrailles ; celui-là te rendra véritablement riche, qui te donnera de quoi n’avoir pas faim ; car n’avoir pas faim, c’est n’avoir aucun besoin. Quelles que soient, en effet, tes richesses, quand vient pour toi l’heure de dîner, ou avant de te mettre à table, avoir faim c’est être pauvre. Enfin, qu’on desserve la table, et tu respires dans ton orgueil. Ce n’est là que la fumée de nos soins, et non l’exemption du besoin. Vois quelles sont tes pensées, dans le dessein d’augmenter tes richesses. Vois si ton sommeil est facile, quand ton esprit s’occulte ou à ne point perdre ce que tu as amassé, ou à grossir ce que tu as conservé. C’est donc trouver la richesse, que trouver le repos. Éveillé, tu réfléchis à l’augmentation de les richesses ; endormi, tu rêves des voleurs ; inquiet le jour, peureux la nuit, toujours mendiant. Or, celui qui t’a promis le royaume des cieux te veut faire véritablement riche. Et à quel prix ; penses-tu pouvoir acquérir ces véritables richesses, cette vie véritable qui sera éternelle ? Quoi donc ? T’imaginerais-tu qu’elle est réelle, parce que tu l’achèteras au même prix que tu as voulu donner pour acheter ce jour de labeur et de misère ? Mais ce qui est bien plus long doit avoir beaucoup plus de valeur. Que faire, diras-tu ? J’ai donné aux pauvres tout ce que j’avais, et ce qui me reste j’en fais part aux indigents ; que puis-je faire de plus ? Tu as quelque chose de plus, toi-même ; oui, toi-même et en plus : tu fais partie de tes possessions, il faut te donner toi-même. Écoute le conseil que ton Dieu donnait à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ». L’abandonna-t-il après lui avoir tenu ce langage ? De peur qu’il ne crût perdre ce qu’il aimait, le Sauveur le rassura d’abord, et lui montra que ce n’était point perdre, mais mettre en sûreté : « Tu auras », lui dit-il, « un trésor dans le ciel ». Cela suffit-il ? Non. Que faut-il encore ? « Viens et suis-moi[97] ». L’aimes-tu ? Veux-tu le suivre ? Mais il est parti, il s’est envolé : cherche par où ? Je ne sais. O chrétien ! Tu ne sais pas où a passé ton Dieu ? Veux-tu que je te dise par où tu dois le suivre ? Par les angoisses, par les opprobres, par les calomnies, par les crachats sur son visage, par les soufflets, par les meurtrissures de la flagellation, par la couronne d’épines, par la croix, par la mort. Comme tu es lent ! Tu voulais le suivre, tu connais le chemin. Mais tu dis : Qui donc le suit par là ? Rougis d’être homme. Elles l’ont suivi, ces femmes dont nous célébrons la fête aujourd’hui ; car aujourd’hui nous célébrons la fête de ces saintes femmes, martyres à Tibur. Votre Dieu, notre Dieu, leur Dieu, le Dieu de tous, notre Rédempteur, en marchant devant nous dans cette voie étroite et rude, en a fait une voie royale, fortifiée et pure, dans laquelle des femmes font leurs délices de marcher, et tu es lent encore ? Tu ne veux point répandre ton sang pour un sang si précieux ? Voilà ce que te dit le Seigneur ton Dieu : J’ai souffert le premier pour toi ; donne ce que tu as reçu, rends ce que tu as bu. Ne saurais-tu le faire ? Des jeunes enfants, des jeunes filles l’ont pu ; des hommes délicats, des femmes délicates l’ont pu ; des riches l’ont pu ; ces hommes aux grandes richesses, quand est venue fondre sur eux l’épreuve de la souffrance, n’ont été retenus, ni par leurs grands biens, ni par les douceurs de la vie : ils pensaient à ce riche qui en finissait avec ses richesses, pour rencontrer les tourments, et sans envoyer leurs richesses devant eux, ils les ont précédées par le martyre. En face de si nobles exemples, tu affiches de la lenteur ? Et toutefois tu célèbres les fêtes des martyrs. C’est aujourd’hui une fête des martyrs ; j’irai, dis-tu, et peut-être avec une tunique plus belle. Vois avec quelle conscience, aime ce que tu fais, imite ce que tu célèbres, fais ce que tu loues. Mais moi, je ne saurais. Le Seigneur est tout près, soyez sans inquiétude[98]. Mais moi, dis-tu, je ne puis. Loin de toi de craindre la source ; où ces femmes ont été comblées, toi aussi tu peux être comblé, si tu en approches avec avidité, si tu ne t’élèves point comme la colline ; si, au contraire, tu t’abaisses comme la vallée, afin de mériter d’être comblé. Gardons-nous donc, mes frères, de trouver ces exigences trop dures, surtout dans ces temps si féconds en douleurs[99]. Les martyrs ont méprisé le monde dans sa fleur ; le mépriser dans sa fleur est vraiment digne d’éloges, puisqu’on l’aime dans sa ruine. Les martyrs ont méprisé les fleurs, et tu en aimes les épines ! S’il t’en coûte de partir, que ta maison qui s’écroule te cause au moins de l’effroi. Mais voilà qu’un païen te vient insulter. Ah ! c’est pour un païen bien choisir son temps, quand s’accomplissent les oracles du Seigneur. Son insulte viendrait plus à propos, si l’on ne voyait point l’accomplissement de ses oracles. Il abjure le Dieu que tu adores, et toi, par ce qui arrive aujourd’hui dans le monde, prouve que ce Dieu est véridique ; sans t’affliger des prédictions, réjouis-toi des promesses. Il est venu à cette heure où le monde, sur son déclin et près de finir, devait passer par des ruines, des calamités, des angoisses, des souffrances. Il est donc venu pour te consoler, celui qui est venu alors ; pour te soutenir dans les angoisses de cette vie qui périt et qui passe rapidement ; il t’a promis une autre vie. Avant que le monde fût en butte à ces afflictions, à ces calamités, les Prophètes furent envoyés ; ce furent donc les serviteurs qui furent envoyés d’abord à ce grand malade qui était le genre humain, et qui, semblable à un seul homme, gisait de l’Orient à l’Occident. Le Médecin puissant envoya d’abord ses serviteurs. Alors il arriva que ce malade eut de tels accès, qu’il était condamné à souffrir beaucoup. Alors le Médecin dit : Le malade souffrira beaucoup ; ma présence est nécessaire. Que, dans son délire, le malade dise au Médecin : Seigneur, je souffre beaucoup depuis votre arrivée. Insensé, tu souffres depuis mon arrivée ; mais c’est parce que tu devais souffrir que je suis venu. Abrégeons, mes frères, pourquoi parler davantage ? « Le Seigneur a résolu de faire sur la terre un grand retranchement ». Vivons saintement, et, en échange de cette vie sainte, n’espérons point les biens passagers de la terre : un bonheur terrestre serait une récompense peu digne d’une sainte vie ; une vie sainte sur la terre est, néanmoins, au-dessous des désirs que tu y conçois ; et toutefois, avec ces désirs, ta vie est loin d’être sainte ; si tu veux changer ta vie, change aussi tes désirs. Tu gardes ta foi au Seigneur, et cela afin d’obtenir le bonheur ; c’est là ton but. Pourquoi garder ta foi au Seigneur ? Combien vaut ta foi ? Combien l’estimerais-tu ? Quel prix la fais-tu ? Si tu as ici-bas quelque chose à vendre, en faisant un prix avec l’acheteur, tu élèves ce prix, lui l’abaisse ; cela vaut tant, dis-tu, en exagérant quelque   peu comme vendeur ; mais lui : non, mais tant seulement ; et il fixe un prix intérieur, afin d’acheter à meilleur marché. Voilà que le Seigneur Jésus-Christ te corrige. Et toi, tu dis au Seigneur Jésus Seigneur, je vous garde ma foi, récompensez-moi sur la terre. Insensé ! ce que tu voudrais vendre ne s’estime pas ainsi ; tu es dans l’erreur, ne sachant ce que tu possèdes. Tu gardes ta foi et tu demandes la terre ? Ta foi vaut mieux que la terre, et tu ne sais en faire le prix. Moi qui te l’ai donnée, je sais ce qu’elle vaut : elle vaut la terre entière ; à la terre ajoute le ciel, elle vaut plus encore. Qu’y a-t-il donc au-dessus de la terre et du ciel ? Celui qui a fait la terre et le ciel. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

QUATRIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DU SEIGNEUR.[modifier]

Les Pères de Saint-Maur se plaignent de n’avoir vu nulle part, dans le catalogue manuscrit, le sermon n° 189, tome 5, afin d’en compléter ou d’en restaurer certains endroits. Pour le rétablir dans son intégrité, je l’ai copié sur sept catalogues, dont trois sont d’antiques lectionnaires dont les moines se servaient pour la récitation solennelle de l’office au chœur. Parmi eux nous remarquons le catal. nom.106, que Léon d’Ostie a transcrit avec beaucoup d’élégance de sa propre main, en l’ornant de figures, précisant l’époque et y apposant son nom. Deux autres sont des bréviaires en caractères latins du IIVe#Rem siècle, et antérieurs à Urbain 5, puisqu’ils contiennent les psaumes d’après l’édition romaine, et non d’après l’édition gallicane, que ce Pontife avait prescrite au Mont-Cassin. Les deux antres contiennent des sermons de divers auteurs, et sont inscrits de même. Dans ces sept catalogues, on lit le sermon tel qu’il est ici, c’est la même inscription, qui est d’accord avec l’édition de Saint Maur. La bibliothèque de Laurent de Médicis avertit que, dans le Cod.1 Plut. 14, on retrouve en entier ce sermon tel qu’il est dans nos catalogues. ANALYSE. – Jésus-Christ né du Père, c’est le jour du jour. – Né de Marie, c’est la vérité qui s’élève de la terre. – La justice vient du ciel pour se donner aux hommes et nous faire naître pour le ciel. – Merveille d’un Dieu naissant d’une Vierge. – Acceptons-le pour Maître, portons-le dans nos cœurs.

Voici le jour qu’a sanctifié pour nous le jour qui a fait tout jour, et dont le Psalmiste a chanté[100] : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre chante le Seigneur ; chantez au Seigneur et bénissez son nom. Annoncez de jour en jour que le salut vient de lui[101] ». Quel est ce jour du jour, sinon le Fils qui vient du Père, lumière de lumière. Mais ce jour enfantant cet autre jour qui naît aujourd’hui de la Vierge, ce jour qui n’a point de lever non plus que de coucher, ce jour, je l’appelle Dieu le Père ; [car Jésus ne serait point jour du jour, si le Père n’était le jour aussi.] Qu’est-ce donc que ce jour, sinon la lumière ? Non point cette lumière qui luit aux yeux de la chair et qui n’est pas lumière, non plus cette lumière commune aux hommes et aux animaux ; mais cette lumière qui est celle des anges et qui purifie les cœurs qui en jouissent. Elle passe en effet, cette nuit qui nous environne, dans laquelle nous vivons, dans laquelle on allume pour nous le flambeau des saintes Écritures, et alors viendra ce matin que le psaume a chanté[102] : « Au matin je me tiendrai devant vous, et vous contemplerai[103] ». Ce jour est donc le Verbe de Dieu, jour qui éclaire les anges, qui resplendit dans cette patrie d’où nous sommes exilés, qui s’est revêtu de notre chair et a pris naissance de la Vierge Marie. Il est né d’une manière merveilleuse, et en effet, quoi de plus merveilleux que l’enfantement d’une vierge ? Elle a conçu demeurant vierge, enfanté demeurant vierge encore. Car il a été créé de celle que lui-même a créée, il lui a fait don de la fécondité, sans léser son intégrité. D’où vient Marie ? D’Adam. D’où Adam ? De la terre. Si donc Adam vient de la terre, et que Marie vienne d’Adam, Marie vient de la terre ; si Marie vient de la terre, comprenons cette parole : « C’est de la terre que s’est levée la vérité ». Quel bienfait pour nous que la vérité se soit levée de la terre ? « C’est que la justice a regardé du haut du ciel[104] ». Car les Juifs, comme l’a dit l’Apôtre, « ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice, n’ont pas été soumis à la justice de Dieu[105] ». D’où l’homme peut-il être juste ? De lui-même ? Quel pauvre se donne à lui même du pain ? Quel homme ; s’il est nu, peut se couvrir, si on ne lui donne un vêtement ? [Nous n’avions pas la justice, il n’y avait en nous que péchés.] D’où vient la justice ? Quelle justice peut exister sans la foi ? « Car le juste vit de la foi[106] ». Celui qui sans la foi se dit juste, est menteur par là même. Comment ne pas mentir quand on n’a pas la foi ? Quiconque veut dire vrai, qu’il se convertisse à la vérité. Mais elle était loin. « La vérité s’est levée de la terre ». Tu dormais, elle est venue à toi ; tu étais endormi, elle t’a éveillé ; elle t’a par elle-même tracé ta voie, de peur que tu ne vinsses à t’égarer. Donc, parce que la vérité s’est levée de la terre, Notre-Seigneur Jésus-Christ est né d’une Vierge. « La justice a regardé du haut du ciel », pour que les hommes aient non leur propre justice, mais celle de Dieu. Combien Dieu a daigné faire ? Et dès lors combien nous étions indignes auparavant ! Combien indignes ? Nous étions mortels, accablés du poids de nos fautes, courbés sous nos peines. Tout homme qui vient au monde commence par la douleur. Ne cherche aucun prophète, interroge l’enfant nouveau-né et vois-le pleurer. Dès lors que sur la terre nous étions à ce point indignes de Dieu, comment tout à coup en sommes-nous devenus dignes ? « La vérité s’est levée de la terre ». Celui qui a tout créé a été créé parmi tout ce qui existe ; il a fait le jour, il est venu au grand jour ; il était avant le temps, et il a marqué le temps. Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans l’éternité sans commencement en son Père ; [et toutefois demande qu’y a-t-il aujourd’hui. Une naissance. De qui ? Du Seigneur. Il prend donc naissance ? Oui, il prend naissance. Il prend naissance, ce Verbe au commencement, Dieu en Dieu ? Il prend naissance.] S’il n’avait point sa génération parmi les hommes, nous ne parviendrions pas à la régénération divine. il naît pour que nous renaissions. Que nul n’hésite à renaître quand le Christ est né ; quand il a une génération, celui qui n’a pas besoin de régénération. À qui faut-il une régénération, sinon à celui dont la génération est maudite ? Que dès lors sa miséricorde se fasse dans nos cœurs. Sa Mère l’a porté dans son sein, portons-le dans notre cœur ; le sein de Marie grossit par l’incarnation du Christ, que nos cœurs à notre tour grossissent de la foi au Christ ; elle a enfanté le Sauveur, enfantons sa louange. Ne soyons point stériles, que nos âmes reçoivent de Dieu la fécondité. Il y a une génération du Christ qui vient du Père, et sans, mère, et une génération du Christ, qui vient de la mère, et sans père : toutes deux sont admirables. La première s’accomplit dans.l'éternité, la seconde dans le temps. [Quand est-il né du Père ? Qu’est-ce à dire quand ? Tu cherches quand, là où il n’y a aucun temps ? Là ne cherche pas quand, cherche-le ici ; c’est à propos de sa mère que l’on demande quand, mais quand est déplacé à propos du Père ; il est né, et ne connaît point de temps] ; il est né éternel de l’Eternel, et coéternel. Pourquoi t’étonner ? Il est Dieu. En considérant la divinité, tu sens tomber tout étonnement. [Et quand nous disons : Il est né de la Vierge, ô merveille, tu es dans l’admiration ! C’est un Dieu, ne t’étonne plus] ; qu’à l’admiration succède la louange. Que la foi te soutienne crois que cela fut fait]. Si tu ne le crois point, cela est fait également, et tu demeures dans l’infidélité. Il a daigné se faire homme, que cherches-tu de plus] ? Est-ce peu, pour toi, qu’un Dieu se soit humilié ? Parce qu’il était Dieu, il s’est fait homme, et comme l’hôtellerie était étroite, il a été enveloppé de langes et couché dans une crèche : vous l’avez entendu à la lecture de l’Évangile. Qui ne serait point dans l’admiration ? Celui qui remplit le monde ne trouvait pas de place dans une hôtellerie, et il a été couché dans une crèche pour y devenir notre nourriture. Qu’ils viennent à l’étable, ces deux animaux, ou plutôt ces deux peuples ; car le bœuf connaît son maître, et l’âne l’étable de son maître[107]. Viens à l’étable, et ne rougis point d’être pour le Seigneur une bête de somme. Tu porteras le Christ sans t’égarer ; tu marcheras dans la voie, et cette voie est assise sur toi. Vous souvient-il de cet âne que l’on amène au Seigneur ? N’en rougissons pas, c’est nous. Que le Seigneur s’assoie sur nous et nous appelle où il voudra. Nous sommes sa monture, et nous allons à Jérusalem. Sous un tel poids, loin de nous courber, nous nous relevons ; sous sa direction nous ne saurions errer, nous allons à lui, nous allons par lui, et nous ne saurions périr.

CINQUIÈME SERMON, SUR CES PAROLES DE L’APÔTRE AUX GALATES. « MES FRÈRES, SI QUELQU’UN EST TOMBÉ PAR SURPRISE EN QUELQUE PÉCHÉ, VOUS AUTRES QUI ÊTES SPIRITUELS », ETC. PRÊCHÉ A CARTHAGE, A LA TABLE DU BIENHEUREUX CYPRIEN[108], LE 6 DES IDES DE SEPTEMBRE.[modifier]

Les sermons inédits que nous mettons au jour pour la première fois, forment une classe à part et trouveront, selon moi, des champions dans tous ceux qui sont quelque peu versés dans la lecture de saint Augustin. J’ai copié celui-ci du catal. 17, dont j’ai déjà parlé, et lui ai donné le même titre qu’il porte dans ce catalogue. Je ne l’ai point trouvé en d’autres bibliothèques, et si l’on veut l’insérer dans l’édition de Saint-Maur, on peut le mettre avant le164. En lisant le commentaire de Florus sur l’Epître aux Galates, on voit facilement quand s’est servi des pensées de ce sermon pour expliquer les premiers versets du chapitre VI. Les Pères de Saint-Maur, qui ne connaissaient point ce sermon, n’ont vu dans Florus que des extraits du sermon164 ; mais là il s’agit seulement de porter son propre fardeau et celui des autres, tandis qu’ici, tes six premiers versets sont expliqués, et le commentaire de Florus ne s’éloigne point de cette explication. ANALYSE. – Si chacun portera son fardeau, comment le porter mutuellement ? – Le porter mutuellement, c’est pardonner aux autres leurs imperfections. – Porter le nôtre, c’est rendre compte de nos fautes. – Nous devons essayer de redresser les autres, mais dans la douceur. – Ne pas se croire sans péché, ni agir pour la louange. – Le Christ dormirait dans nos âmes. – Chercher la louange c’est, comme les vierges folles, emprunter l’huile des autres.
1. Rappelez-vous, mes frères, ce qu’on vous a lu dans l’épître de l’Apôtre : Mes frères, dit-il, si quelqu’un est tombé par surprise dans quelque faute, vous qui êtes spirituels redressez-le dans l’esprit de douceur, chacun réfléchissant sur soi-même, de peur d’être tenté. Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Car si quelqu’un s’imagine être quelque chose, il se trompe, puisqu’il n’est rien. Que chacun examine ses propres actions, et alors il aura seulement de quoi se glorifier en lui-même, et noir dans un autre. Que celui que l’on instruit dans les choses de la foi, communique tous ses biens à celui qui l’instruit. Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu, et l’homme recueillera ce qu’il a semé ; car celui qui a semé dans la chair ne recueillera de la chair que la corruption ; et celui qui sème dans l’esprit, recueillera de l’esprit la vie éternelle. Ne faiblissons pas en faisant le bien ; si nous ne perdons point courage, nous moissonnerons le temps venu. C’est pourquoi, pendant qu’il en est temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi[109] ». Voilà ce qu’on a récité de l’apôtre saint Paul, jusque-là je ne suis que lecteur. Toutefois, mes frères, si la lecture est comprise, à quoi bon expliquer davantage ? Voilà que nous avons entendu, que nous avons compris ; c’est à nous d’agir afin de vivre. À quoi bon charger notre mémoire ? Retenez ces leçons et réfléchissez-y. Quelqu’un est-il curieux de savoir comment il faut comprendre cette parole : « Portez mutuellement vos fardeaux », et cette autre qui vient peu après : « Chacun portera son propre fardeau ? » Car vous dites alors dans votre cœur, si toutefois vous en faites la remarque : Comment porter mutuellement ses fardeaux, si chacun doit porter le sien ? Comment les porter mutuellement[110] ? C’est là une question, je l’avoue. Frappez, et l’on vous ouvrira : frappez par votre attention, frappez par l’étude, frappez même pour nous, par vos prières, afin que nous trouvions pour vous des paroles dignes ; en frappant ainsi, vous nous viendrez en aide, et la question sera plus tôt résolue. Puisse chacun mettre en pratique ce qu’il aura compris, aussi efficacement qu’elle sera promptement résolue ! Au point de vue de nos infirmités, « nous portons mutuellement nos fardeaux » ; au point de vue de la piété, « chacun portera son fardeau ». Que dis-je ? Nous tous, qui sommes-nous, sinon des hommes, et dès lors des infirmes qui ne sauraient être absolument sans péché ? En cela « nous portons mutuellement nos fardeaux ». Si les péchés de ton père sont une charge pour toi, et les tiens pour lui, c’est une négligence mutuelle, et vous faites vraiment un grand péché. Mais s’il supporte ce que tu ne saurais supporter, et toi ce qu’il ne saurait supporter, alors vous portez mutuellement vos fardeaux, vous accomplissez la loi sacrée de la charité. Cette loi est celle du Christ ; la loi de la charité est la loi du Christ. Car il est venu parce qu’il nous aime, et il n’y avait rien en nous qu’il pût aimer ; son amour nous a fait aimables. Vous avez entendu ce que signifie : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ ». Que signifie dès lors : « Chacun portera son propre fardeau ? » Chacun rendra compte de ses propres péchés, et nul ne rendra compte des péchés d’un autre. Chacun a sa propre cause, et doit rendre compte à Dieu. Mais les évêques eux-mêmes, qui doivent rendre compte à Jésus-Christ de son troupeau, rendront compte pour leurs propres péchés, s’ils négligent le troupeau du Christ. Donc, mes frères, « si quelqu’un est tombé par surprise dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, qui que vous soyez, dès lors que vous êtes spirituels, ayez soin de le relever dans l’esprit de douceur ». Mais si tu cries au-dehors, aime à l’intérieur ; exhorte, flatte, corrige, sévis ; aime et fais ce que tu voudras. Car un père aime son fils, et toutefois un père, quand il le faut, frappe son fils, lui inflige la douleur, afin de veiller à son salut. C’est donc là « l’esprit de douceur » ; car si tel homme « est tombé par surprise dans quelque péché », et que tu lui dises : Que m’importe ; si je te demande pourquoi ce peu m’importe ? « Parce que, me diras-tu, chacun portera son propre fardeau » ; et moi je répondrai à mon tour : Tu as entendu volontiers, et compris : « Portez mutuellement vos fardeaux. Si donc un homme est tombé par surprise dans le péché », toi qui es spirituel, tu dois le redresser dans l’esprit de douceur. Sans doute il rendra compte de son péché, parce que « chacun portera son propre fardeau » ; mais toi, si tu négliges sa blessure, tu rendras de ton péché de négligence un compte redoutable ; et dès lors, si vous ne portez mutuellement vos fardeaux, vous aurez à rendre un compte terrible, puisque « chacun portera son fardeau ». Faites en sorte de porter mutuellement vos fardeaux, et Dieu vous pardonnera quant au fardeau que chacun doit porter. Si, en effet, tu portes le fardeau d’un autre, quand il est tombé par mégarde dans le péché, de manière à le relever par l’esprit de douceur, tu en viendras à ce passage que tu as entendu : « Chacun portera son propre fardeau » ; et dans ta bonne confiance tu diras au Seigneur : « Remettez-nous nos dettes ». Souvenez-vous donc, mes frères, de ces paroles : « Si un a homme est tombé par surprise dans quelque faute », et ne passons pas légèrement sur cette expression, homme. L’Apôtre pouvait dire : Si quelqu’un est tombé par mégarde, ou : Quiconque sera tombé. Il n’a point dit ainsi, mais il a dit : l’homme. Or, il est bien difficile que l’homme ne tombe point par surprise dans le péché. Qu’est-ce que l’homme, en effet ? Mais ces spirituels, qu’il avertit de redresser avec douceur l’homme qui sera tombé par surprise dans quelque péché, disaient peut-être en leurs cœurs : Portons les fardeaux de ceux qui tombent dans le péché par surprise, parce que nous n’avons en nous rien qu’ils puissent porter. Écoute ces paroles qui t’avertissent de n’être point trop en sûreté. « Vois et surveille-toi, de peur d’être tenté ». Que les spirituels n’en viennent point à l’orgueil et à l’enflure ; et toutefois, s’ils sont véritablement spirituels, ils ne s’élèveront point. Je crains qu’ils ne s’élèvent, tout spirituels qu’ils sont, parce qu’ils sont en cette chair ; toutefois, que l’homme spirituel veille sur lui, de peur d’être tenté. Pour être spirituel, en effet, n’est-il plus un homme ? Pour être spirituel, n’a-t-il plus le corps corruptible qui appesantit l’âme ?[111] Pour être spirituel, est-il à bout de cette vie, qui « est sur la terre une continuelle épreuve[112] ? » Il est donc bien de lui dire : « Veille sur toi, de peur que tu ne sois tenté ». Après les avoir avertis, c’est-à-dire ces hommes spirituels, l’Apôtre nous jette alors cette sentence générale : Portez les « fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ ». Qu’est-ce à dire les uns des autres ? Que l’homme charnel porte le fardeau de l’homme charnel, l’homme spirituel celui du spirituel : « Portez mutuellement vos fardeaux » ; ne négligez pas mutuellement vos péchés : quand vous avez assez de confiance, reprenez ; et quand vous n’avez pas une confiance suffisante pour reprendre, avertissez[113] ; et si cela est nécessaire, pour que nul ne soit pécheur, priez, suppliez. Serait-ce vous humilier que vous dire : Suppliez ? Écoutez l’Apôtre : « En vous donnant nos préceptes », dit-il, « nous vous supplions de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu[114] ». Qu’un médecin trouve des forces dans un malade, il le réprimande ; mais si les forces font défaut, s’il craint de le voir défaillir sous l’amertume de la réprimande, il le supplie, le conjure de l’écouter, d’exécuter ses prescriptions, et de vivre. Il est donc constaté que cette parole : « Portez mutuellement vos fardeaux » est un avis pour l’homme spirituel, que l’Apôtre lui dit : « Veille sur toi-même de peur d’être tenté » ; de peur que ce spirituel ne vienne à croire qu’il n’a point lui-même de fardeau qu’un autre soit obligé de porter. Or, écoute-le en face de cette arrogance, de cette enflure, de cet orgueil, écoute-le qui nous répète : « Celui qui se croit quelque chose, se trompe lui-même ; car il n’est rien ». On ne saurait mieux dire que se tromper soi-même. Car il ne faut point tout rejeter sur le diable, puisque souvent l’homme est son diable à soi-même. Pourquoi faut-il éviter le diable ? Parce qu’il te séduit. Mais te séduire toi-même n’est-ce pas être le diable pour toi ? Que dit-il ensuite ? « Que chacun éprouve son œuvre, et alors il aura de la gloire seulement en lui-même, et non dans un autre ». Quand tu fais quelque bonne œuvre, si cette œuvre te plaît, parce qu’un autre te loue ; et que si cet autre ne te louait, tu viendrais à défaillir dans l’accomplissement de cette œuvre parce que l’approbation te manquerait ; alors tu as de la gloire dans un autre, et non en toi-même Qu’il te loue, et tu agis ; mais que la bonne œuvre que tu fais vienne à déplaire à l’insensé, tu ne la fais plus. Ne vois-tu point combien de bouches acclament ces hommes qui se ruinent en faveur des hystrions, sans rien donner aux pauvres ? Les louanges qu’on leur prodigue font-elles donc que leurs actions soient bonnes ? Lève-toi enfin : « La louange du pécheur est dans les désirs de son âme ». Vous applaudissez, parce que vous connaissez les Écritures auxquelles j’emprunte ce témoignage. Qu’ils écoutent, ceux qui ne les connaissent point. L’Écriture a dit, ou plutôt l’Écriture a prédit que « le pécheur est loué sur les désirs de son âme, et que l’on applaudit celui qui fait le mal[115] ». Et maintenant que le pécheur est loué sur les désirs de son âme, que l’on applaudit au mal qu’il fait, cherche les applaudissements. Des coupables désirs te viennent-ils déchirer ? Plonge-toi chaque jour dans l’iniquité et cherche les applaudissements. Crois-moi, tu ne saurais trouver que des adulateurs ou des séducteurs. Comment adulateurs, comment séducteurs ? Je te dois raison de mes paroles. Ils sont adulateurs, parce qu’ils te louent, bien qu’ils sachent que tu fais mal ; mais ceux qui te louent quand tu fais le mal, parce qu’ils croient que tu fais le bien, ne sont point des adulateurs, ils te louent dans leur âme ; mais ils sont des séducteurs, parce que leurs applaudissements répétés sont une séduction pour le mal, et ne te laissent point respirer. Tu te repais alors de vanité, tu crois que c’est lé bien que tu fais ; tu dissipes ton bien, tu ruines ta maison, tu dépouilles tes enfants ; ces louanges t’ont jeté dans le délire ; tu cours, tu gesticules, tu reçois des applaudissements, tu les stimules, tu appauvris ta maison, pour ne recueillir que le vent. Mais, diras-tu, comment sont-ils séducteurs, ceux qui me louent dans leur âme ? Ils sont pour toi des séducteurs, parce que tout d’abord ils se sont séduits eux-mêmes en te trompant. Veux-tu qu’il se fatigue à mettre des échelles auprès de toi, pour ne pas te séduire, cet homme qui s’est d’abord séduit lui-même ? « Donc le pécheur est glorifié selon les désirs de son âme, et l’on applaudit à celui qui fait le mal ». Éloigne de toi ces louanges, évite ces applaudissements, ou plutôt fais le bien. Mais, diras-tu, en faisant le bien je vais déplaire à tel bouillie. Qu’importe, si tu plais à Dieu ? Déplaire à cet homme, et plaire à Dieu, c’est posséder la gloire en toi, et non dans un autre. Toutefois les méchants sont les détracteurs des bons, ceux qui aiment le monde se plaisent à maudire ceux qui le méprisent, ils les outragent et cherchent à les critiquer. Qu’on leur en dise quelque peu de mal, ils le croient aussitôt ; qu’on leur en dise du bien, ils refusent de le croire, et ton cœur se trouble au point de cesser de faire là bien, parce qu’il n’y a personne pour t’applaudir, ou te tromper, ou te séduire. Et le témoignage de ta conscience ne te suffit point ? Dans le théâtre de ton âme, sous l’œil de Dieu, pourquoi te troubler ? Je t’en supplie, pourquoi te troubler ? Parce l’on dit de moi beaucoup de mal, voilà ta réponse ? Tu ne serais pas troublé dans la barque de ta confiance, si le Christ n’y dormait. Tu as entendu la lecture de l’Évangile : « Il s’éleva une grande tempête, et le vaisseau était ballotté et couvert par les flots » ; pourquoi ? « Parce que le Christ dormait[116] ». Quand est-ce que Jésus-Christ dort dans ton cœur, sinon quand tu oublies ta foi ? La foi en Jésus-Christ dans ton cœur est comme le Christ dans la barque. Les outrages que tu entends, te fatiguent, te troublent : c’est que Jésus-Christ dort. Éveille Jésus-Christ, éveille ta foi. Tu peux agir, même dans ton trouble. Éveille ta foi, que le Christ s’éveille et te parle. Les outrages te troublent ? Quels outrages n’ai-je pas entendus avant toi et pour toi[117] ? Ainsi te parlera le Christ, ainsi te parlera ta foi. Écoute son langage, et vois à son langage si tu n’as peut-être pas oublié que « le Christ a souffert pour nous ? » et qu’avant d’endurer pour nous de telles douleurs, il entendit des outrages ? Il chassait les démons, et on lui disait. « Vous êtes possédé du démon[118] ». C’est de lui que le prophète a dit : « Les opprobres de ceux qui vous outragent sont tombés sur moi[119] ». Eveille donc le Christ, et il te dira dans ton cœur : « Quand les hommes vous maudiront et diront toutes sortes de mal contre vous, réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux[120] ». Crois à ce qui est dit, et un grand calme s’établira dans ton cœur. Si donc « l’homme se croit quelque chose, il se séduit lui-même, puisqu’il n’est rien ; que chacun éprouve son œuvre, et alors il aura la gloire en lui-même, et non dans un autre ». Qu’on te loue, qu’on te blâme, tu as ta gloire en toi-même, parce que ta gloire c’est ton Dieu dans ta conscience, et tu ressembleras aux vierges sages, qui prirent avec elles de l’huile dans leurs lampes, et eurent ainsi la gloire en elles-mêmes, et non dans un autre[121]. Car celles qui ne prirent point d’huile avec elles, en mendièrent auprès des autres, et leurs lampes s’éteignirent, et elles dirent : « Donnez-nous de votre huile ». Qu’est-ce à dire : « Donnez-nous de votre huile », sinon : Louez nos œuvres, parce que notre conscience ne nous suffit pas ! Autant que le Seigneur m’en a fait la grâce, j’ai expliqué ce qu’il y avait d’obscur dans la lecture de l’Apôtre. Tout le reste est clair et demande moins à être expliqué que mis en pratique. Mais pour pratiquer ce que nous avons entendu, prions Celui sans le secours de qui nous ne pouvons rien faire de bien, puisqu’il a dit à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire[122] ». Tournons-nous vers le Seigneur, etc. Et après le sermon[123]. – Comme le peuple avait demandé qu’il ne partît point avant la tête de saint Cyprien, il ajouta : Je dois déclarer à votre charité que nous ne sommes plus maîtres de nos désirs, non plus que de supporter des plaintes même dans les lettres ; mais comme l’objet de vos demandes m’était déjà imposé parle saint vieillard, le termine ainsi mon discours : Voici tout près de nous la fête de saint Cyprien ; vous m’avez fait violence pour me retenir, à cause de cette solennité si donc nous sommes avides de la parole, il nous est bon de faire jeûner notre corps.

SIXIÈME SERMON. SUR PLUSIEURS MARTYRS[124].[modifier]

Ce sermon, qui porte le nom de saint Augustin et qui est parsemé des produits de son esprit, est tiré du catalogue num. 12, intitulé : « Sermons de saint Augustin, et d’autres ». On n’en voit aucune mention dans toutes les bibliothèques éditées que j’ai pu parcourir. Dans l’édition de Saint-Maur, on peut le placer après le sermon CCCXXVI. L’exorde et la pensée qui l’animent se trouvent dans le sermon CCLXXXVI, et à peu près dans les mêmes termes. Voyez aussi sermon CCCXXVIII, latin. 2, vers le milieu.

ANALYSE. – L’iniquité, en condamnant les martyrs, se mentait à elle-même. – L’amour de la vie éternelle triomphe de notre amour pour la vie du temps. – Comment le laboureur jette et sème son froment pour récolter du froment.

Martyrs est un mot grec que l’on traduit en latin par testes, ou témoins. Si donc les martyrs sont des témoins, c’est qu’ils ont subi tant de douleurs, pour affirmer la vérité de leur témoignage. La vérité servait Dieu, l’iniquité se mentait à elle-même. Car voici ce qui est écrit ; c’est le corps du Christ ou l’Église qui dit dans un psaume : « Des témoins iniques se sont élevés contre moi, et l’iniquité s’est démentie elle-même ». Il y a témoins et témoins : témoins d’iniquité, témoins de justice, témoins du diable, témoins du Christ. Tout à l’heure, quand on nous lisait la passion de nos bienheureux martyrs, dont nous faisons la fête, nous avons vu paraître ces deux sortes de témoins, nous les avons considérés, entendus. On les interroge, et ils répondent qu’ils ont fait des collectes parce qu’ils sont chrétiens. C’est là le témoignage de la vérité. Le juge disait : Vous confessez votre crime. C’est là le témoignage de l’iniquité : Prêcher Dieu, cela s’appelle crime. En prêchant Dieu, la vérité obéissait à Dieu ; en nommant cela un crime, l’iniquité se donnait à elle-même le démenti. Ce qu’il disait contre eux se retournait contre lui, et le véritable crime condamnait le faux crime. Il n’y avait chez nos martyrs aucun crime ; il n’y avait aucun crime pour les martyrs du Christ à se rassembler pour louer Dieu, pour entendre la vérité, pour espérer le royaume des cieux, pour condamner dans ses iniquités le siècle présent. Ils ne commettaient aucun crime, c’est ce qu’on appelle piété ; cela se nomme religion, se nomme dévotion ; son véritable nom est témoignage. Quel crime, dès lors, commettaient ceux qui envoyaient à la mort des hommes qui confessaient leur piété ? Il nous plaît, disait le juge, ce témoin du mensonge, il nous plaît de trancher la tête à tel, tel et tel ; voilà bien le crime. Écoute la voix de la piété : Grâces à Dieu, tel fut le témoignage de Primus ou du premier. Le premier a donc clos ce témoignage par une victoire perpétuelle. Votre charité a remarqué, je crois, quand on lisait la passion de nos saints martyrs, quel fut le premier qui rendit témoignage ; le premier était appelé avant le dernier ; victoire fut pour la fin, et victoire perpétuelle[125]. O victoire sans tache ! ô fin sans fin ! Qu’est-ce, en effet, qu’une victoire perpétuelle, sinon une victoire sans fin ? C’est là vaincre les passions de la chair, vaincre les menaces d’un juge pervers, vaincre la douleur du corps, vaincre l’amour de la vie. Si je le puis, mes frères, je dirai ma pensée avec le secours de Dieu : dans nos saints martyrs, l’amour de la vie fut vaincu par l’amour de la vie. Vous qui m’acclamez, vous l’avez compris, mais en faveur de ceux qui n’ont pas compris encore, souffrez que j’explique tant soit peu ma pensée. Voici donc ce que j’ai dit : Dans les saints martyrs, l’amour de la vie a été vaincu par l’amour de la vie. À qui l’amour de l’argent fait-il mépriser l’argent ? À qui l’amour de l’or fait-il mépriser l’or ? À qui l’amour des domaines fait-il mépriser les domaines ? Nul ne méprise ce qu’il aime. Mais chez les martyrs, nous trouvons l’amour de la vie et le mépris de la vie. Ils n’y arriveraient point s’ils ne la foulaient aux pieds. Ils savaient ce qu’ils faisaient quand ils la donnaient pour la gagner. Ne croyez point, mes frères, qu’ils avaient perdu tout sens, quand ils aimaient la vie et méprisaient la vie ; non, ils n’avaient point perdu le sens. C’était là répandre la semence et chercher la moisson. Je vois le dessein du laboureur, et je connais la sagesse des martyrs. C’est par amour du froment que le laboureur répand son froment. Si tu ne sais point dans quel dessein il sème, tu pourras bien l’en blâmer et dire ? Que fais-tu, insensé ? Ce que tu as recueilli avec tant de peine, pourquoi le jeter, le répandre, le soustraire à tes regards, le jeter en terre, et de plus le recouvrir ? Il te répondra : J’aime le froment, et c’est pourquoi je jette mon froment ; si je n’y tenais point, je ne le jetterais point ; je veux qu’il s’accroisse, et non qu’il périsse. Voilà ce qu’ont fait nos martyrs, incomparablement plus sages que les laboureurs. Ceux-ci répandent sur la terre quelques grains, et les moissonneurs en récoltent beaucoup. Mais et celui qu’ils répandent, et celui qu’ils récoltent, a une fin. Ce que l’on sème est peu nombreux, ce que l’on récolte l’est beaucoup plus, et néanmoins l’un et l’autre ont une fin. Et vous ne vouliez point que nos martyrs perdissent une vie que la mort terminera un jour, afin de récolter cette vie qui ne connaît point la mort ? Bons prêteurs, bons semeurs, mais celui qui fait croître, c’est Dieu. C’est lui qui fait croître et multiplie les fruits dans vos campagnes, lui qui nourrit tout ce qui naît de la terre. Dieu, qui peut multiplier les grains, ne saurait conserver ses martyrs ? Voilà que je vous le prêche, entendez ce qu’ils ont entendu. Vous aussi, vous l’avez entendu, quand on lisait l’Évangile ; vous avez reçu la promesse qui leur fut faite : « Ils vous feront comparaître dans leurs assemblées et dans leurs synagogues ; ils vous flagelleront, ils en tueront d’entre vous ; mais je vous le déclare, un cheveu de votre tête ne tombera point, et vous posséderez vos âmes dans votre patience[126] ». Vous posséderez, et non vous perdrez. Là, en effet, nul ennemi ne persécute, nul ami ne meurt. Vous serez là où luit ce jour sans fin, qui n’a point hier pour le précéder, ni demain pour le suivre. Vous qui aurez bien prêté, vous serez là où le diable ne pourra vous suivre. Souffrez pour un temps, afin d’avoir une joie éternelle. Ce que vous supportez est dur, mais ce que vous semez exige des larmes. Lisez ce qui est écrit à votre sujet, vous qui semez : « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences[127] ». Quel en a été le fruit, quelle est la fin, la consolation ? « Mais ils reviendront dans l’allégresse, en portant leurs gerbes ». C’est avec ces gerbes que se font les couronnes. Célébrons donc les fêtes des martyrs, par des honneurs à leur passion, et non par l’amour de la boisson. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

SEPTIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.[modifier]

Quatre catalogues du Mont-Cassin, savoir : le catalogue12, et trois lectionnaires du XIIe siècle, contiennent ce sermon constamment assigné à saint Augustin. Dans la bibliothèque Léopoldine de Blandinius, elle est attribuée à un auteur anonyme. J’ai pris, dans le catalogue 12, l’exorde qu’on lit en abrégé dans la bibliothèque Léopoldine et dans les lectionnaires, sans doute parce qu’il parait quelque peu étranger à cette fête. Toutefois, pour ne point mutiler le sermon, j’ai retenu le titre qu’il porte dans les lectionnaires ; car, à ce titre, le catalogue 12 ajoute une question de verbo et voce, qui a été interceptée par des lacunes, et qu’un copiste négligent a laissée sans solution. Du reste, de pareils changements sont fréquents dans les lectionnaires, les Pères de Saint-Maur en offrent beaucoup d’exemples et donnent cette note au sermon 44, de Verbis Isaiae, c. LIII. « Quant aux sermons de saint Augustin et aux traités que l’on devait lire dans l’église, on les écourtait nécessairement, et on leur adaptait un exorde et une conclusion ». L’Indiculus de Possidius (cap. 8, 9, 10) indique plusieurs sermons pour cette fête, parmi lesquels l’édition de Saint-Maur assigne une place à celui-ci et au suivant (num. 288, 293) ; car les sermons qui portent ces numéros sont d’accord avec ceux-ci et dans les paroles et dans les pensées. On peut regarder celui-ci comme le huitième sur la naissance de saint Jean-Baptiste.

ANALYSE. – De tous les Prophètes, Jean est le plus grand, il a vu en réalité ce que les autres ont vu en esprit. – Il est la mesure de l’homme. – Il s’humilie et dissuade ceux qui le prenaient pour le Christ. – Il n’est que la voix, le Christ est la parole de Dieu.

Puisque[128] le Seigneur a bien voulu, mes frères, ramener à votre charité et ma présence et ma voix, et qu’il l’a fait non plus d’après vos arrangements, mais d’après sa volonté nous lui en rendons grâces avec vous, nous vous obligeons en vous prêchant ; car c’est là notre ministère, dans lequel il est nécessaire et convenable que nous soyons à votre service. C’est, à vous, mes bien-aimés, d’accueillir avec charité tout ce que vous peuvent donner des serviteurs de Dieu, et de le remercier avec nous de ce qu’il nous a donné de passer au milieu de vous cette journée[129]. De quoi parler aujourd’hui, sinon du saint dont nous célébrons la tête ? Jean est donc né d’une mère stérile, pour être le précurseur du Seigneur, né d’une vierge ; dès le sein de sa mère, il a salué et prêché son Seigneur. Jean eut pour mère une femme stérile qui ne connaissait point l’enfantement ; une femme stérile enfanta le héraut, une Vierge enfanta le Juge. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui devait naître d’une Vierge, s’était fait précéder auprès des hommes par beaucoup d’autres hérauts. Tous les Prophètes ont été envoyés par lui, mais c’était lui qui parlait en eux ; et celui qui vint après eux était avant eux. Dès lors que le Seigneur s’était déjà fait précéder par plusieurs hérauts, quel si grand mérite avait celui-ci ? Quelle si grande supériorité chez celui dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Ce n’est point en effet sans marquer une certaine supériorité, qu’on ne passe point sous silence la naissance de Jean-Baptiste, non plus qu’on ne passe sous silence la naissance de son Maître. Nous ignorons quand vinrent au monde les autres Prophètes, mais il n’est point permis d’ignorer quel jour naquit Jean-Baptiste. Or, voici en lui déjà une grande supériorité : Les autres ont prêché le Seigneur, ont désiré le voir et ne l’ont point vu ; ou, s’ils l’ont vu, ils ne l’ont vu qu’en esprit et dans l’avenir ; mais ils n’ont pu le voir présent sous leurs yeux. Or, le Seigneur, en parlant d’eux, disait à ses disciples : « Beaucoup de prophètes et de justes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu, et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu[130] ». Et pourtant, n’était-ce point lui qui les envoyait ? Tous, néanmoins, avaient le désir de voir le Christ en sa chair, s’il leur était possible. Mais comme ils moururent avant lui, de même qu’ils étaient nés avant lui, le Christ ne les trouva plus sur la terre, bien qu’il les rachetât pour la vie éternelle. Et pour connaître combien tous désiraient de voir le Christ ici-bas, rappelez-vous ce vieillard Siméon, qui n’avait pas reçu du Saint-Esprit une médiocre faveur, dans l’assurance qu’il ne sortirait point de ce monde sans avoir vu le Christ. Or, après la naissance du Christ, Siméon le vit enfant dans les bras de sa mère ; il prit dans ses mains celui dont la divine puissance le portait lui-même ; et tenant dans ses bras le Verbe enfant, il bénit Dieu en disant : « C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur, selon votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut[131] ». Les autres Prophètes n’ont pas vu le Christ ici-bas ; Siméon l’a vu enfant ; Jean le connut après sa conception et le salua ; Jean l’annonça, le vit, le montra du doigt et dit : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde[132] ». Il est donc supérieur à tous les autres. Écoute ce témoignage que lui rendit le Seigneur, qui se dit plus grand que lui, mais qui ne l’accorde à nul autre. Il était grand sans doute, celui à qui nul autre que le Christ ne pouvait se préférer. Voici donc ce que dit le Seigneur : « Parmi ceux qui sont nés de la femme, nul ne s’est élevé au-dessus de Jean-Baptiste ». Mais, pour se mettre lui-même au-dessus de lui, il ajoute : « Le plus petit néanmoins dans le royaume des cieux est plus grand que lui[133] ». Il se dit donc moindre et plus grand ; moindre par le moment de la naissance, plus grand par la domination ; moindre par l’âge, plus grand par la majesté. Le Seigneur est né après Jean, mais c’est dans sa chair, mais c’est d’une Vierge, et avant lui a il était, le Verbe dès le commencement ». Admirable merveille ! Le Christ vient après Jean, et Jean néanmoins vient par le Christ : « Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui[134] ». Pourquoi donc Jean est-il venu ? Pour nous montrer le chemin de l’humilité, diminuer la présomption de l’homme, augmenter la gloire de Dieu. Jean est donc venu dans la grandeur prêcher celui qui est grand ; Jean est venu pour être la mesure de l’homme. Qu’est-ce que la mesure de l’homme ? Nul homme ne pouvait être plus grand que Jean tout ce qui était plus grand que Jean était plus qu’un homme. Si donc Jean nous donnait en lui la mesure de la grandeur humaine, tu ne pouvais trouver un homme plus grand que Jean, et si tu en as trouvé un, il te faut confesser qu’il est Dieu, puisque tu l’as trouvé supérieur à l’homme. Jean est un homme, le Christ est un homme, mais Jean est seulement un homme, le Christ est Dieu et homme. Dieu, il a fait Jean ; homme, il est né après Jean. Et toutefois, voyez combien s’humilie ce précurseur de son Seigneur Dieu et homme ; on demande à celui qui n’a point son supérieur parmi ceux qui sont nés de la femme s’il n’est pas le Christ ? Telle était sa grandeur, que les hommes pouvaient s’y tromper : on fut incertain s’il n’était pas le Christ, et on en fut incertain jusqu’à l’interroger. Un fils de l’orgueil, un homme qui ne serait point le docteur de l’humilité, s’imposerait aux hommes abusés, et, sans agir pour les détromper, accepterait ce qu’ils pensaient. Était-ce beaucoup, par hasard, de vouloir persuader aux hommes qu’il était le Christ ? Qu’il eût essayé de le persuader et qu’on ne t’eût point cru, il serait demeuré dans l’abjection, couvert d’opprobre et de mépris parmi les hommes, et damné devant Dieu. Mais il ne lui était pas nécessaire de le persuader aux hommes, puisqu’il voyait qu’ils le croyaient ; qu’il accepte leur erreur, et son honneur va grandir. Mais loin de l’ami de l’Époux cette pensée de vouloir prendre sa place dans l’amour de l’épouse ! il déclara qu’il n’était point ce qu’il n’était point en effet, de peur de perdre ce qu’il était. Jean n’était point l’époux, et comme on l’interrogeait, il dit : « L’Époux est celui qui a l’épouse ; mais l’ami de l’Époux, qui est devant et l’écoute, est plein de joie à cause de la voix de l’Époux[135] ». « Pour moi, je baptise dans l’eau ; celui qui vient après moi est plus grand en moi[136] ». De combien plus grand ? « Tellement que je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers ». Voyez combien il serait encore au-dessous de lui-même, quand il en serait digne ; combien il s’humilierait déjà quand il dirait : Il est plus grand que moi celui dont je suis digne de délier les souliers ; car il proclamerait qu’il doit se courber à ses pieds. Maintenant, comme il nous prêche l’humilité quand il se croit au-dessous de ses pieds, et même au-dessous de sa chaussure ! Jean vint donc pour prêcher l’humilité aux superbes, et nous annoncer la vertu de la pénitence. La voix vint avant le Verbe. Comment la voix avant le Verbe ? C’est du Christ qu’il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu[137] ». Mais, pour venir à nous, le Verbe s’est fait chair, afin d’habiter parmi nous. Après avoir entendu que le Christ est la parole, écoutons que Jean est la voix. Quand on lui demandait : Qui êtes-vous ? il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Écoutons les cris de Jean et préparons la voie au Seigneur ; que le Verbe vienne à nous[138] parce que « toute chair est foin, et la gloire de l’homme n’est que la fleur du foin. Le foin se dessèche, la fleur tombe ; mais le Verbe de Dieu demeure éternellement[139] ».

HUITIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.[modifier]

Les Pères de Saint-Maur ont signalé (Sermon CCXLIII, Apprend, tom. V) cette locution, « mes très-chers frères », qu’on lit au commencement de ce sermon, comme une locution solennelle et habituelle dans les sermons douteux. Toutefois, comme saint Augustin se trahit clairement, j’aimerais mieux dire que, dans les lectionnaires d’où j’ai tiré ce sermon, l’exorde a été changé pour la cause que j’ai empruntée plus haut aux Pères de Saint-Maur. S’il est arrivé que, dans le sermon précédent, le commencement m’ait paru vrai, tandis que je doutais de la conclusion, ici c’est l’exorde qui est douteux, mais la conclusion certaine. Ce que nous découvrons vers la fin nous apprend le cas que nous devons faire du sermon ; car nous y voyons pour la veille de cette fête des superstitions populaires que nul autre sermon du saint Docteur ne nous avait enseignées. C’est en vain que je l’ai cherché dans les bibliothèques qui ont paru jusqu’à ce jour. On peut, dans l’édition de Saint-Maur, l’inscrire sous le numéro293, et ce sera le neuvième sur la nativité de saint Jean-Baptiste.

ANALYSE. – Grandeur de Jean. – Il est la voix, le Christ est la parole de Dieu. – Il est le crieur, le Christ est le juge. – Le Christ grandit dans son baptême, Jean diminue dans le sien. – L’un est maître, l’autre serviteur. – Pour obtenir les faveurs de Jean, ne faisons point injure à sa fête.

1. Mes très-chers frères, nous célébrons aujourd’hui la naissance d’un grand homme, et voulez-vous en connaître la grandeur ? « Nul », dit l’Évangile, a parmi ceux qui sont « nés de la femme, ne s’est élevé plus grand a que Jean-Baptiste[140] ». Voilà ce qu’a dit Celui qui est né de la Vierge ; tel est le témoignage qu’il a rendu à son témoin ; la sentence portée par le juge au sujet de son crieur ; ainsi la parole a voulu honorer la voix ; vous le savez, et vous l’avez entendu dans le sermon du matin[141].

2. La parole, c’est le Christ ; la voix, c’est Jean. À propos du Christ, il est écrit, en effet, que « la parole ou le Verbe était au commencement[142] ». Mais Jean a dit, en parlant de lui-même : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert[143] ». La parole s’adresse au cœur, la voix à l’oreille. Que la voix arrive à l’oreille quand la parole n’arrive point à l’âme, elle n’est qu’une production vaine, qui n’a aucun fruit utile. Et néanmoins, pour arriver à mon cœur, le Verbe n’a pas besoin de la voix ; mais pour transmettre à ton cœur ce qui est né dans le mien ; il faut le secours de la voix. Ma parole peut donc précéder ma voix, mais le Verbe ne saurait se produire au-dehors sans la voix. C’est pour que la voix est créée, non pour enfanter la parole qu’elle connaît, mais pour émettre la parole qui était déjà. Après avoir ainsi parlé de la parole et de la voix, ou du Christ et de Jean, voyons quelle parole est le Christ, quelle voix est Jean. « Au commencement était le Verbe », la parole. Où était-il ? « Et le Verbe était en Dieu ». Combien avant nous ! Et combien au-dessus de nous ! « Et le Verbe s’est fait chair pour demeurer parmi nous[144] ». Et d’où le saurions-nous, si nous n’avions entendu la voix ? Car le Christ vêtu d’une chair mortelle marchait parmi les hommes, et les hommes venaient à Jean, et lui disaient : « Êtes-vous le Christ ? » et Jean répondait : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde[145] ». Écoutez-le, reconnaissez-le ; c’est lui que je précède, lui que j’annonce. Souvenez-vous de cette parole : « Je suis la voix de celui qui crie au désert préparez la voie au Seigneur » ; non pas à moi, mais au Seigneur. Crier, pour moi, c’est l’annoncer ; car la voix du crieur, c’est l’arrivée du juge. Or, quand sera venu celui que j’annonce, quand il reposera dans votre cœur, « c’est lui qui doit croître et moi diminuer[146] » ; le savez-vous ? Oui, répondirent-ils[147]. Quand le verbe, en effet, empruntant le secours de la voix, prend le chemin du cœur et arrive dans cette région la plus intime, ce verbe grandit dans le cœur, et la voix s’éteint dans l’oreille. Le son qui frappe l’oreille n’y demeure point, puisqu’il ne saurait se soutenir infiniment et qu’il descend dans l’âme. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’« il faut qu’il croisse et que je diminue1. Jean, 1, 32]]</ref> ». Jean baptise, et le Christ baptise aussi. Il fut dit à Jean : « Celui sur qui tu verras l’Esprit -Saint descendre comme une colombe et se reposer, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit et dans le feu[148] ». Voilà ce que vous savez, mes frères, et ce qui arriva quand Jésus fut baptisé. Voilà que dans l’univers entier c’est lui qui baptise. Partout a grandi ce baptême du Christ, tandis que le baptême de Jean, bien qu’il eût une signification dans le souvenir du passé, n’a néanmoins aucune signification pour le présent. Ce baptême de Jean a cessé, tandis que le baptême du Christ a grandi ; de là cette parole : « Il doit grandir et moi diminuer ». Or, cette parole s’accomplit encore à la naissance et à la mort de chacun d’eux. Bien que Jean ait dit de Jean, c’est-à-dire que Jean l’Évangéliste ait dit de Jean-Baptiste ; bien qu’il ait dit : « Un homme fut envoyé de Dieu, dont le nom était Jean ; il vient pour être témoin, pour rendre témoignage à la lumière[149] » ; néanmoins Jean est né, mes frères, à pareil jour, quand la nuit grandissait et que le four commençait à diminuer. Mais le Christ est né, comme vous le savez, au solstice d’hiver, quand, en deuil de la lumière, la nuit commence à décliner. « Nous fûmes autrefois ténèbres, et maintenant nous sommes lumière dans le Seigneur[150] ». Pourquoi naître ainsi ? « Parce que l’un doit grandir, et l’autre « diminuer n. Ce qui s’accomplit encore à leur mort : Jean eut la tête tranchée par le glaive, et le Christ fut élevé en croix ; l’un fut élevé de terre, l’autre jeté à terre ; à l’un, pour le diminuer, on abattit la tête ; l’autre pour le grandir, on l’éleva sur le gibet de la croix. C’est là le Maître et le serviteur. Le Maître mourut sur le gibet de la croix, le serviteur eut la tête tranchée ; de là cette parole : L’un doit grandir, l’autre diminuer. Ce n’est pas sans raison, je crois, que tel âge fut choisi dans les mères. La mère de Jean fut une femme avancée en âge, tandis que celle du Christ fut une jeune vierge. Il était porté dans le sein d’une vierge, et les anges l’adoraient dans le ciel. L’un est mis au monde par une femme qui désespérait de sa stérilité, l’autre par une vierge intacte ; enfin, l’un, par une vierge qui grandit encore, et l’autre par une femme sur son déclin. Or, quel est, mes frères, le sens de tout cela ? Quelle est donc la dignité de cet homme dont la naissance est annoncée à ses parents par un ange ; comme celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Comment l’a-t-il mérité ? « C’est que nul parmi ceux qui sont nés de la femme n’est plus grand que Jean-Baptiste[151] ». Comme vous le savez, en effet, l’ange Gabriel fut aussi envoyé à la Vierge Marie ; un fils est promis de part et d’autre, et de part et d’autre l’ange reçoit une réponse. Zacharie répondit à l’ange qui lui promettait un fils : « Comment le saurai-je ? Car moi je suis avancé en âge, et ma femme est stérile et avancée en âge[152] ». Marie répondit : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point l’homme ? » Tous deux désespèrent des lois de la nature ; car ils ne savaient pas, je crois, que, devant les dons de la grâce de Dieu, les lois de la nature s’effacent. Tous deux, dès lors, expriment un doute dans leur réponse, et néanmoins, à l’un échoit un châtiment, à l’autre une bénédiction. Il fut dit à Zacharie : « Voilà que tu seras muet ». À Marie : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes[153] » ; Zacharie perd la voix, Marie conçoit le Verbe. Qu’arriva-t-il ensuite ? Le Verbe se fit chair dans le sein de la Vierge, et la voix naquit d’un muet. À sa naissance, Jean rendit la voix à son père, et le père parla pour donner un nom à son fils. Tous sont dans l’admiration, tous dans la stupeur, et ils se faisaient l’un à l’autre de mutuelles questions. Ils se disent : « Que pensez-vous que sera cet enfant ?[154] » Et pour parler avec l’Évangile, « la main du Seigneur était avec lui[155] ». Que pensez-vous que sera celui qui commence ainsi ; tout enfant qu’il est, déjà si grand néanmoins ; et s’il doit être grand, celui qui commence de la sorte, que sera celui qui a toujours été ? Lui, que Jean, retenu encore dans les entrailles de sa mère, reconnut couché dans le sein d’une Vierge comme dans son lit nuptial ; lui que Jean salua de ses tressaillements, parce qu’il ne pouvait le faire encore de la voix. Que fera-t-il donc celui-là ? Voulez-vous savoir ce qu’il fera ? Je vous le dirai en deux mots, écoutez le Prophète : « Il sera nommé », dit-il, « Seigneur de la terre entière[156] ». Aujourd’hui donc que nous célébrons avec pompe la fête du bienheureux Jean, précurseur d u Seigneur, implorons le secours des prières de ce grand homme. Il est, en effet, l’ami de l’Époux, et peut dès lors nous obtenir là faveur d’appartenir à l’Époux et de trouver grâce devant lui.

3. Mais si nous voulons obtenir ses faveurs, ne faisons point injure à sa fête. Trêve à toutes ces observances sacrilèges, trêve aux plaisirs, trêve aux amusements frivoles ; arrière tout ce qui se fait d’ordinaire, non plus en l’honneur des démons, et cependant selon le culte des démons. Hier, vers le soir, des flammes crépitaient dans les airs, selon le culte antique des démons, toute la ville en était éclairée et s’amollissait, tandis que l’air était obscurci de fumée. Si ce culte religieux est peu pour vous, du moins devriez-vous être sensibles à la commune injure. Nous savons, mes frères, que c’est là l’œuvre des petits, mais les grands auraient dû l’interdire. Quelqu’un a dit : Ne pas arrêter le péché quand on le peut, c’est le commander. Mes frères, au nom du Seigneur notre Dieu, Jésus-Christ, comme l’Église va croissant chaque année, ces pratiques et tout ce qui peut être une diminution tend chaque jour à s’effacer, et toutefois l’effacement n’est pas si complet que nous puissions en toute sécurité garder le silence. Vétusté et nouveauté ne sont rien, tant que nous ne sommes pas au terme prescrit, tant que les vieilles superstitions n’ont point disparu et que la religion nouvelle n’est point à sa perfection ; par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est l’honneur, la gloire, la puissance, avec Dieu le Père tout-puissant, et avec le Saint-Esprit, maintenant, et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

NEUVIÈME SERMON. SUR CE PASSAGE DE L’ÉVANGILE DE SAINT LUC, (XVII, 4) : « PARDONNE, ET IL TE SERA PARDONNÉ ».[modifier]

C’est du catalogue manuscrit, num. 170, qui a pour titre : Œuvres de saint Augustin, tom. 9, que j’ai tiré ce traité ; car c’est le nom qu’il porte dans ce catalogue, et qui s’y trouve placé parmi les autres sermons édités qui y sont contenus. Ce passage de saint Luc avait reçu une autre interprétation du même saint Docteur, à la table de saint Cyprien, en présence de Boniface, comme l’atteste le sermon 114 de l’édition de Saint-Maur, après lequel on devrait le placer. Or, après avoir comparé ces deux sermons, l’on n’y retrouve qu’une seule et même main. Je ne l’ai pas trouvé dans les bibliothèques éditées. Il fut composé, je pense, vers l’an429, quand saint Prosper avait déjà écrit à saint Augustin au sujet de l’hérésie des Semi-Pélagiens, qui se glissait alors dans les Gaules, et par laquelle des prêtres de Marseille niaient la nécessité de la grâce pour le commencement de la foi. À l’occasion des louanges qu’il rend à Dieu, le saint Docteur se demande si les prémices de la foi viennent de Dieu ? Question à laquelle il répond affirmativement d’après le témoignage de l’Apôtre aux Philippiens. Du reste, le discours est distingué et contient des doctrines très-importantes au sujet de la foi et des mœurs.

ANALYSE. – Nous devons pardonner sept fois le jour, c’est-à-dire toujours. – Nous sommes débiteurs de Dieu ; parabole du serviteur qui devait, et à qui le maître remet sa dette, pais qui exige de son compagnon. – Secourir le pauvre avec l’argent, et le coupable par le pardon. – Nécessité de donner son argent pour le conserver dans le ciel. – Mais le pardon n’appauvrit point, et il est une manière de faire miséricorde. – Chaque jour nous répétons à Dieu : Pardonnez-nous. – S’il faut corriger, faisons-le par charité.

Nous avons entendu dans l’Évangile le précepte salutaire de pardonner à celui de nos frères qui nous a offensés. Et de peur qu’on ne croie qu’une fois suffit et qu’il n’est pas nécessaire de lui pardonner chaque fois qu’il a péché, s’il en demande pardon, voici ce qu’il dit : « S’il pèche contre toi sept fois le jour, et que sept fois il se tourne vers toi en disant : Je m’en repens, pardonne-lui[157] ». Or, si tu comprends bien sept fois, c’est donc toujours ; car souvent le nombre sept est pris pour l’universalité. De là cette autre parole « Le juste tombera sept fois, et se relèvera[158] » c’est-à-dire chaque fois qu’il sera profondément abaissé par la tribulation, il n’est point abandonné pour cela, mais il est délivré de toutes ses angoisses. De là encore : « Sept fois le jour, je vous bénirai[159] ». Car sept fois le jour signifie toujours. Aussi « sept fois le jour » est-il remplacé ailleurs par « toujours sa louange sera dans ma bouche[160] ». Car ce n’est pas notre langue seulement qui chante les louanges du Seigneur, et nous taire n’est pas cesser de le bénir. Mais il y a une louange pour lui dans toutes nos bonnes pensées, dans toute bonne action, dans nos bonnes mœurs ; c’est là bénir celui de qui nous tenons ces biens. Nous voyons, en effet, les Apôtres demander que la foi s’accroisse en eux[161]. Se sont-ils donné à eux-mêmes les prémices de cette foi dont ils demandaient au Seigneur l’accroissement ? Loin de là ils demandaient à celui qui avait commencé, d’achever son œuvre, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Celui qui a commencé en vous l’œuvre du bien, lui donnera sa dernière perfection[162] ». Et ce que nous chantions tout à l’heure[163], que démontre-t-il autre chose, mes frères bien-aimés : « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ?[164] » Il ne dit pas seulement : Amenez-moi dans votre voie, car le Seigneur le fait aussi ; mais bien de ne point l’abandonner, quand il y est arrivé. C’est donc peu que le Seigneur nous ait amenés dans le chemin, si nous ne le faisons ; mais il nous veut ramener dans la voie, nous conduire à la patrie. Dès lorsque nous tenons de Dieu tous nos biens, c’est louer Dieu sans fin que penser dans nos bonnes œuvres à celui qui nous a donné tout bien ; mais, puisque bien vivre, c’est louer Dieu sans fin : « bénissons Dieu en tout temps, et qu’ainsi sa louange soit toujours dans notre bouche[165] ». Il dit donc : « Sept fois le jour, je vous bénirai », indiquant par le nombre sept, que ce sera toujours. Donc alors, quand ton frère se rendrait coupable sept fois le jour contre toi, s’il te vient dire : Je m’en repens, pardonne-lui. Ne te fatigue point de pardonner toujours au repentir. Si tu n’étais toi-même débiteur, tu pourrais impunément fatiguer par tes exactions ; mais si tu as un débiteur, tu es débiteur toi-même de celui qui n’a aucune dette, et dès lors, c’est à toi de voir comment tu dois agir à l’égard de ton débiteur ; car Dieu en agira de même envers toi. Écoute et tremble « Que mon cœur tressaille, et que je craigne votre nom[166] », dit le Prophète. Si tu tressailles quand on te pardonne, crains, afin de pardonner. Or, le Seigneur daigne lui-même te donner la mesure de la crainte que tu dois avoir, quand il te propose, dans l’Évangile, ce serviteur avec qui son maître voulut entrer en compte, qu’il trouva débiteur de cent mille talents ; « qu’il ordonna de vendre, lui et tout ce qu’il avait, pour acquitter sa dette[167] ». Ce serviteur tombant aux pieds de son maître, et l’implorant pour obtenir un délai, mérita que sa dette lui fût remise. Or, en sortant de devant la face de son maître, qui lui avait remis entièrement sa dette, il rencontra un de ses compagnons qui était aussi son débiteur, qui lui devait cent deniers, et qu’il prit à la gorge pour le contraindre à payer. Quand on lui avait remis sa dette, son cœur avait tressailli, mais non point de manière à craindre le nom du Seigneur son Dieu. Le serviteur qui lui devait, disait à ce compagnon ce que celui-ci avait dit à son maître : « Ayez patience avec moi, et je vous rendrai tout ». Non, répondait l’autre, tu payeras aujourd’hui. On raconta au père de famille ce qui venait de se passer ; et, vous le savez, non-seulement il le menaça de ne plus rien lui remettre à l’avenir, s’il le trouvait redevable encore, mais il fit retomber sur sa tête ce qu’il avait remis, et le condamna à payer ce qu’il lui avait quitté[168]. Comment donc nous faut-il craindre, mes frères, si nous avons la foi, si nous croyons à l’Évangile, si nous ne pensons point que Dieu puisse mentir ? Craignons, observons, soyons sur nos gardes, pardonnons. Que pourrais-tu perdre en pardonnant ? Tu n’as point à donner de l’argent, mais un pardon, et néanmoins, à donner de l’argent, vous ne devez pas être des arbres stériles. Donner de l’argent, c’est secourir un pauvre ; pardonner, c’est secourir un pécheur. Le Seigneur voit chacun de ces actes, il a une récompense pour chacun, une exhortation pour chacun : « Remettez, et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera[169] ». Mais toi qui ne sais : ni pardonner, ni donner, tu conserves et colère et argent. Vois où ta colère ne saurait plus se racheter par l’argent : « Car les trésors ne serviront de rien aux méchants ». La sentence n’est point de moi, elle est de Dieu ; ceux qui l’ont lue, le savent bien ; je l’ai lue pour vous la redire, j’y ai cru pour vous en parler : « Les trésors ne serviront de rien aux méchants[170] ». Il semble qu’ils pourront servir ; mais ils ne serviront point. Et dans le présent ? Peut-être, si toute fois ils peuvent servir ; mais en ce jour ils ne serviront de rien. Qu’on les garde, ils ne serviront point ; qu’on les méprise, et ils serviront. Bien user de la justice, c’est l’aimer ; et si tu ne l’aimes, tu ne saurais avoir la force, la tempérance, la chasteté, la charité. Quant aux autres qualités de l’âme, c’est les aimer, qu’en bien user ; mais faire bon usage de l’argent, c’est ne pas l’aimer. Enfin, si l’on aime l’argent, qu’on le garde pour le ciel. Si l’on peut craindre de le perdre, qu’on le place dans un endroit plus sûr. Car on ne saurait dire que, s’il s’agit de conserver de l’argent, c’est ton serviteur qui est fidèle et ton Seigneur qui te trompe. Ne l’entends-tu point dire : « Amassez-vous des trésors dans le ciel ? » Ce n’est point là te commander de le perdre, mais de l’envoyer devant toi : « Amassez-vous des trésors dans le ciel, où le voleur ne saurait approcher, où la rouille ne ronge point ; car où est votre trésor, là aussi est votre cœur[171] ». Amasser des trésors en terre c’est aussi mettre ton cœur sur la terre. Or, qu’arrivera-t-il à ton cœur ainsi placé sur la terre ? Il croupit, se corrompt, tombe en poussière. Élève bien haut ce que tu aimes, c’est là qu’il faut l’aimer, et garde-toi de croire que tu recevras le dépôt que tu fais. Tu mets en dépôt des choses mortelles, tu en recevras d’immortelles ; tu mets en dépôt ce qui est du temps, tu recevras des biens éternels, tu mets en dépôt des biens terrestres, tu en recevras de célestes ; enfin tu donnes en aumônes ce que t’a donné ton Seigneur, et tu recevras une récompense de ce même Seigneur. Mais, diras-tu, comment déposer tout cela dans le ciel, avec quelles machines pourrai-je y monter avec mon or, mon argent ? À quoi bon chercher des machines ? Transporte-les. Tes porteurs seront les pauvres, car le mépris du monde en a fait des porteurs. C’est enfin lancer une lettre de change, donner ici et recevoir là-bas. Et maintenant il n’est plus question de quelque mendiant en guenilles, mais de cette parole : « Ce que tu auras fait pour le moindre des miens, c’est pour moi que tu l’auras fait[172] ». C’est dans la personne du pauvre que reçoit celui qui a fait le pauvre ; et du riche que reçoit celui qui a fait le riche : il reçoit de ce qu’il a donné ; tu donnes au Christ son propre bien et non le tien. À quoi bon te vanter d’avoir trouvé beaucoup ici-bas ? Rappelle-toi comment tu es venu. Tu as tout trouvé ici-bas, et user mal de tout ce que tu as trouvé, c’est t’enfler d’orgueil. N’es-tu pas sorti nu des entrailles de ta mère ? Donne, dès lors, donne, afin de ne point perdre ce que tu as. Si tu donnes, tu trouveras là-haut, si tu ne donnes pas, tu laisseras tout ici ; donne ou ne donne pas, tu t’en iras toujours. Quelquefois cependant, pour ne point donner de son abondance aux pauvres, l’avarice trouve une excuse, mais futile, mais méprisable, et que l’oreille des fidèles ne saurait accueillir. Elle se dit en effet : donner, c’est ne plus avoir ; donner beaucoup, c’est s’appauvrir ; et ensuite il me faudra implorer le secours ; recevoir l’aumône : il me faut en abondance, non-seulement le vivre et le vêtement, et pour moi, pour ma maison, ma famille ; mais aussi pour les heureux hasards, afin de fermer la bouche à tout calomniateur, afin de me racheter ; il y a tant de hasards dans les choses humaines, que je dois me réserver de quoi me libérer. Voilà ce que l’on dit pour conserver son argent. Que diras-tu pour refuser le pardon à celui qui t’a offensé ? Si tu ne veux pas donner ton argent au pauvre, pardonne au moins au repentant. Que perdras-tu, si tu le fais ? Je sais ce que tu perdras, ce que tu vas sacrifier, mais sacrifier pour ton avantage. Tu vas sacrifier ta colère, sacrifier ton indignation, bannir de ton cœur la haine contre ton frère. Que tout cela y demeure, où seras-tu ? Voilà que cette colère, que cette indignation, que cette haine sont à demeure, qu’en sera-t-il de toi ? Quel mal ne te causent-elles point ? Écoute l’Écriture : « Celui qui hait son frère est homicide[173] ». Dès lors, dût-il m’offenser sept fois le jour, je lui pardonnerai ? Pardonne, c’est ce que dit le Christ, ce que dit la vérité à qui tu viens de chanter : « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ». Sois sans crainte, elle ne te trompera point. Mais alors, diras-tu, il n’y aura plus de châtiment ; tout péché devra toujours demeurer impuni ; et il sera toujours doux de pécher, quand le pécheur songera que vous pardonnez toujours. Point du tout. Mais qu’en même temps, et le châtiment veille, et la bienveillance ne s’endorme point. Crois-tu, en effet, rendre le mal pour le mal, quand tu châties un pécheur ? Non, mais c’est rendre le bien pour le mal, et ne point châtier ce serait faire le mal. Quelquefois la mansuétude vient adoucir le châtiment qui n’en est pas moins donné. Mais n’y a-t-il donc nulle différence entre étouffer le châtiment par la négligence, et le tempérer par la douceur ? Qu’il y ait donc un châtiment, frappe et pardonne. Voyez le Seigneur lui-même, écoutez le Seigneur, pensez bien à qui nous autres, mendiants, répétons chaque jour « Remettez-nous nos dettes ». Et tu te fatiguerais d’entendre ton frère te répéter : Pardonnez-moi, je me repens ? Combien de fois le dis-tu à Dieu ? Fais-tu une prière qui ne renferme cette supplication ? Veux-tu que le Seigneur te dise : Hier je t’ai pardonné, avant-hier, pardonné, tant de fois je t’ai pardonné, combien faut-il pardonner encore ? Veux-tu qu’il te dise : Tu viens toujours avec ces paroles ; tu me dis toujours : « Remettez-nous nos dettes[174] », tu frappes toujours ta poitrine, et tu ne te redresses non plus que le fer durci ? Mais, parce qu’il faut un châtiment, le Seigneur notre Dieu est-il sans pardon, puisque nous lui disons avec foi : Remettez-nous nos dettes ? Et quoiqu’il nous les remette, qu’est-il dit de lui ? qu’est-il écrit de lui ? « Le Seigneur châtie celui qu’il aime » n’est-ce peut-être qu’en paroles ? « Il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants[175] ? » Le fils pécheur n’aura-t-il pas besoin d’être flagellé, quand lui, le Fils unique de Dieu, et sans péché, a daigné subir la flagellation ? Inflige donc le châtiment, et néanmoins bannis la colère de ton cœur. C’est ainsi qu’en agit en effet le Seigneur, à l’égard de ce débiteur sur qui il fit retomber toute sa dette, parce qu’il s’était conduit sans pitié envers son compagnon : « Ainsi », dit-il, « se conduira à votre égard votre Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du cœur [176] ». Pardonne où Dieu te voit, et pour cela ne néglige point la charité ; exerce une sévérité salutaire ; aime et redresse, aime et frappe. Quelquefois ta douceur est cruauté. Comment douceur est-elle cruauté ? parce que tu ne reproches point le péché, et que le péché tuera celui que tu épargnes dans ta charité cruelle. Que ta parole soit tantôt sévère, et tantôt dure. Ce qu’elle blessera, vois ce qu’il doit produire à son tour. Le péché dévaste le cœur, porte ses ravages au-dedans de nous-mêmes, il étouffe l’âme, il la perd ; frappe alors par pitié. Afin de mieux comprendre, mes frères, tout ce que je veux dire, représentez-vous deux hommes ; un jeune étourdi vient s’asseoir sur le gazon où ils savent qu’un serpent est caché ; s’y asseoir, c’est être mordu, c’est mourir. Ces deux hommes le savent. L’un dit : Ne t’assieds point là, et on le méprise. L’étourdi va s’asseoir, il va périr. L’autre dit. 2 ne veut point nous écouter, il faut le corriger, le retenir, l’enlever de force, le souffleter, en un mot faire tout ce qui sera possible pour l’empêcher de périr. Tandis que l’autre : Laissez-le faire, ne le frappez point, ne lui faites rien, ne le blessez point. Qui des deux agit avec miséricorde, ou l’homme qui laisse faire et mourir, ou l’homme qui sévit pour arracher à la mort ? Comprenez dès lors ce que vous devez faire à l’égard de ceux qui vous sont soumis, maintenez les bonnes mœurs par la discipline ; et toutefois, soyez bienveillants, pardonnez du fond du cœur ; qu’il n’y ait nulle colère dans votre intérieur, parce que cette colère n’est d’abord qu’un fétu très mince et en quelque sorte méprisable. Une colère nouvelle trouble l’œil, comme le ferait une paille : « Mon œil a été troublé par la colère[177] ». Cette paille s’alimente parles soupçons, se fortifie avec le temps, et bientôt elle deviendra une poutre. Une colère invétérée sera une haine ; et après la haine viendra l’homicide : « Quiconque hait son père est homicide », est-il dit. Or, quelquefois des hommes qui nourrissent de la haine dans leur cœur réprimandent ceux qui se mettent en colère ; comment tu nourris de la haine, et tu reprends celui qui se fâche ? « Tu vois une paille dans l’œil de ton frère, et tu ne vois pas une poutre qui est dans le tien[178] ? » Finissons ce discours, mes frères, en invoquant le Seigneur, afin qu’il daigne nous accorder ce qu’il nous ordonne de faire : « Pardonnez, et il vous sera pardonné ; donnez, et il vous sera donné[179] ».

DIXIÈME SERMON. SUR LA DÉDICACE D’UNE ÉGLISE.[modifier]

Ce sermon, qui porte le nom de saint Augustin, et qui est digne d’un si grand docteur, est collationné d’après des catalogues manuscrits, num. 98, 115, 123 et 343, dont deux portent les titres de collections des sermons de saint Augustin, et deux autres sont des lectionnaires contenant des sermons de différents auteurs. Mais, dans le catalogue num. 2, de la bibliothèque de Pomposa, du monastère de Saint-Benoît, de la Chartreuse de Ferrare, dont on conserve l’index complet dans les archives du Mont-Cassin, on le conserve parmi les Missels, fol.77, sous le nom de saint Augustin, et divisé en trois leçons, 6, 7, VIII. Ce catalogue est sur parchemin, en caractères latins du XIe siècle, composé de79 pages, et sur la marge du premier feuillet on lit cette inscription plus récente : Ce livre est des moines de la Congrégation de Sainte-Justine de Padoue, à l’usage du couvent de Sainte-Marie de Pomposa, et signé num. 5. Je ne l’ai point trouvé dans les autres bibliothèques ; on peut l’insérer, dans l’édition de Saint-Maur, après le sermon CCCXXXVIII, et il sera le quatrième pour la dédicace d’une Église. Ceux qui sont familiers dans la lecture de saint Augustin, en retrouvant ici les pensées et les figures habituelles au saint Docteur, ainsi que ses transitions, ses subtilités, les évolutions dont il avait coutume d’égayer ses lecteurs, ne balanceront point à l’attribuer à saint Augustin. ANALYSE. – Nous devons élever une maison à Dieu. – Le riche, l’homme en dignité, le maître, bâtissent par actions de grâces. – Le pauvre s’en excuse, ainsi que l’homme de basse condition et l’esclave. – Il doivent le faire néanmoins, et bâtir en eux-mêmes un temple au Seigneur, le pauvre, en acquérant des richesses spirituelles, l’homme de basse condition, en devenant humble de cœur, le serviteur en servant son maître pour plaire à Dieu. – Le riche, l’homme en honneur, le maître, bâtiront aussi ce temple spirituel, quand leurs richesses seront sans violence, leur dignité sans orgueil, leur domination sans injustice. – Soyons tous des pierres vivantes unies par le ciment de la charité.
1. Appliquons-nous, mes frères, c’est l’avertissement que je vous donne, à devenir la maison de Dieu, à faire habiter en nous le Seigneur ; car si le Seigneur daigne habiter en nous, il sera toujours notre soutien. Félicitons-nous de ces bonnes œuvres que le Christ opère dans ses fidèles, et que chacun de nous fasse des progrès dans les bonnes œuvres, à proportion des secours divins qu’il reçoit. Ce qui est nécessaire, mes frères, c’est que chacun de nous élève à Dieu une maison ; que le riche bâtisse comme le pauvre, l’homme de haute condition et l’homme peu élevé, et le maître et le serviteur. Mais comment tenir ce langage au riche et au pauvre, à l’homme de haute condition et à l’homme peu élevé, au riche et au pauvre ? Car ils n’ont ni les mêmes facultés, ni la même dignité, ni la même puissance. Un riche peut répondre en toute confiance et nous dire J’élève un temple à Dieu, parce que j’ai de vastes ressources. L’homme élevé peut répondre : J’élève un temple à Dieu, parce que je suis parvenu à une haute dignité. Le maître aussi répondra : J’élève un temple au Seigneur, parce que j’ai un grand pouvoir sur ceux qui me sont soumis. Quelle joie pour nous dans ces hommes qui nous réjouissent de leurs paroles et de leurs bonnes œuvres ! Mais, pour nous faire de semblables réponses, le riche est en sécurité au sujet de ses grands biens, l’homme élevé en dignité jette les yeux sur ses grands honneurs, et le maître, sur le nombre de ses sujets. Après la réponse du riche, écoutons la réponse du pauvre ; après celle de l’homme en dignité, écoutons celle de l’homme peu élevé ; après celle du maître, écoutons celle du serviteur. Les uns ont de quoi promettre, les autres ont peut-être de quoi s’excuser. Sans aucun doute, le pauvre va nous dire : Comment puis-je élever un temple à Dieu, moi qui suis lié par mon indigence ? L’homme peu élevé nous dira : Comment élever un temple à Dieu, moi qui suis captif dans mon humble condition ? Enfin le serviteur nous dira : Comment élever un temple à Dieu, moi qui suis sous le joug de la servitude ; quand mon maître me donne à peine le pain de chaque jour, où trouver des ressources qui puissent me suffire pour élever un temple au Seigneur ? Toutes ces réponses paraissent raisonnables. Mais s’ils veulent bien écouter notre réponse, ils ne pourront s’excuser d’élever à Dieu une maison. Et tout d’abord, nous indiquerons au pauvre les ressources qui lui viennent de Dieu, afin de s’édifier lui-même, quand nous lui prêchons de bâtir une maison à Dieu. Écoute, ô toi, qui te plains de la pauvreté et qui fais valoir ton impuissance à bâtir une maison au Seigneur. Pourquoi ne considérer que ta pauvreté et mépriser les richesses intérieures ? C’est là qu’il te faut élever un temple à Dieu, c’est là que tu dois posséder des richesses spirituelles. Dès lors, si tu es pauvre quant aux biens de la terre, sois riche en charité ; si tu n’as point de villa, tu as la sagesse ; s’il n’y a pas d’or dans ta bourse, que Dieu soit dans ton cœur. Que ton âme brille par la pauvreté, ce qui est mieux pour toi que l’éclat de vêtements précieux ; si tu n’as point, pour alimenter ton corps, une délicieuse nourriture, de saintes mœurs donneront à ton âme l’embonpoint ; quel est, en effet, pour le corps, le résultat d’une nourriture recherchée, sinon d’alimenter la luxure ? tandis que les bonnes mœurs nourrissent dans notre cœur la sainte charité. N’attache donc pas un grand prix à ces richesses quine demeurent point ; car, avec des richesses spirituelles, tu ne seras point pauvre ; et même, si tu es homme à t’acquérir des biens spirituels au prix de biens temporels, tu seras véritablement riche, parce que tu seras un pauvre digne d’éloges ; et ainsi tu bâtiras une véritable demeure au Seigneur, parce que tu seras toi-même la demeure de Dieu. Pour bâtir à Dieu un temple, il n’est pas besoin d’une masse de numéraire ; car ce qui plaît à Dieu, c’est moins le nombre des pièces d’or que la pureté de l’âme. C’est donc la charité, plus que la richesse, qui élève une véritable demeure à Dieu. Nous avons fait au pauvre la réponse que Dieu nous a suggérée, il est temps maintenant de répondre à l’homme d’humble condition, qui nous donne pour excuse son peu d’élévation dans le monde.
2. Écoute, ô mon frère bien-aimé, et sois humble de cœur, afin de juger, par là, que tu peux élever un temple à Dieu. Que ton humilité soit un acte de volonté plutôt que de nécessité. Sois humble de cœur, et commence à élever en toi-même un temple à Dieu. C’est lui qui dit : « Sur qui repose mon esprit, sinon sur l’homme humble et calme, et qui redoute mes paroles ?[180] » Dès lors, comprends-le bien, plus tu t’abaisses par ta propre volonté, et plus tu es grand ; et plus tu auras conservé cette humilité, plus sainte sera la demeure que tu élèves à Dieu.
3. Répondons maintenant à ceux qui sont serviteurs et qui nous opposent leur condition dans la pensée qu’ils ne sauraient bâtir un temple au Seigneur. Écoute alors, ô toi qui es esclave en cette vie, toi qui es retenu sous le joug d’un maître, pour élever un temple à Dieu, sois serviteur, et sois libre. Sois serviteur, en obéissant avec fidélité, et sois libre, en servant avec fidélité ; sois esclave de ton Dieu et non esclave du péché. Au service d’un homme, élève ta pensée à Dieu, observe les préceptes de Dieu, obéis à la volonté de Dieu, attends de Dieu la récompense de tes bons services ; garde la foi, évite la fraude, et sache que tu rendras compte à Dieu de toutes tes œuvres ; ne sois ni dédaigneux par paresse, ni négligent par lâcheté ; et de la sorte, en servant avec fidélité, tu recevras de Dieu la liberté sans fin. Qu’il y ait donc en toi cette liberté qui renferme en elle-même les véritables et grandes richesses, non point celles qui produisent l’enflure chez un homme mortel, mais celles qui préparent à Dieu une demeure délicieuse. « Car en Dieu, où il n’y a ni libre, ni esclave[181] », celui-là bâtit au Seigneur une véritable maison, qui règle bien sa vie dans la crainte de Dieu. Autant que je puis le présumer, nous avons, mes frères, avec le secours de Dieu, répondu aux pauvres, aux hommes peu élevés, aux esclaves, leur faisant connaître comment ils doivent bâtir à Dieu un temple, non point à l’extérieur, mais en eux-mêmes. Toutefois nous sommes, en Jésus-Christ, serviteurs des riches et des pauvres, des grands et des petits, des maîtres et des esclaves ; tel est, en effet, le précepte de celui qui a daigné en agir ainsi le premier, « lui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa dignité[182] » ; lui qui, étant le véritable Très-Haut, « s’est humilié pour nous, se rendant ainsi obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix[183] » ; lui qui, véritable maître de toutes choses, s’est fait esclave, quand il a pris la forme de l’esclave, non-seulement pour nous, mais de nous. Donc, parce que nous sommes en Jésus-Christ serviteurs de tous, nous devons, aussi bien en vers les riches, et les grands, et les maîtres, qu’envers les pauvres, les petits, les esclaves, nous acquitter du devoir de les prêcher. Car ils sont plus exposés, les riches, à s’enfler de leurs richesses, les grands, à céder à la vanité, les maîtres, à se prévaloir de leur puissance. Il faut, dès lors, leur enseigner avec plus de soin à s’appliquer sans relâche aux bonnes œuvres, à bâtir en eux-mêmes cette maison de Dieu, que la vétusté rie saurait ruiner, que nul ne saurait saisir, avec ce même zèle qu’ils déploient à construire des églises. C’est donc à vous que nous adressons la parole, vous que clous exhortons dans la charité de notre divin fondateur, ô vous qui regorgez de richesses, qui êtes élevés en dignités, qui exercez une grande domination. Ayez soin de bâtir en vous-mêmes une maison au Seigneur, non plus avec des pierres et des bois, mais avec de saintes œuvres. Or, telles seront vos œuvres, telle sera votre bâtisse. Soyez donc par-dessus tout, fermes sur la base, et demeurez en Jésus-Christ. Ensuite, qu’il y ait dans votre cœur une sainte défiance à l’égard de vos richesses et de l’abondance qu’elles vous procurent. C’est, en effet, bâtir une véritable maison à Dieu, que ne souffrir en votre âme aucun dommage. Fuyez l’orgueil, si vous ne voulez subir la ruine ; « ne mettez point votre confiance dans ces richesses qui sont incertaines[184] », et vous aurez à votre édifice une base qui durera toujours. Soyez riches en ces bonnes œuvres qui doivent contribuer à votre édification, et non à votre destruction. Soyez prompts à faire miséricorde, et ne vous prêtez point à la rapine. Que votre fortune soit exempte de violence ; que votre dignité soit sans, orgueil, que votre domination soit sans injustice. Vous tous qui êtes fidèles, élevez une maison au Seigneur par une vie sainte. Écoutons, mes frères, ce que nous enseigne le bienheureux Pierre, et comment il nous recommande le soin de cet édifice. Voici ses paroles : « Et vous-mêmes, soyez établis sur lui comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel[185] ». Ainsi, mes frères, dans cette Église qui est sous nos yeux, nous voyons avec plaisir la lumière, la nouveauté, la solidité. Et nous, dès lors, qui sommes la maison de Dieu, jetons de l’éclat par nos bonnes œuvres. « Dépouillons-nous du vieil homme[186] », et revêtons généreusement l’homme nouveau ; soyons inébranlables dans une charité sainte et infatigable. Nous voyons des colonnes qui servent d’appui aux murailles, et dans tout l’édifice nous les voyons qui se tiennent étroitement, Quelles sont, dans la maison de Dieu, ces colonnes qui doivent soutenir la masse des pierres, sinon les hommes spirituels qui dirigent la foule des fidèles ? Quelles sont ces pierres étroitement unies, sinon tous les fidèles qui s’unissent par les liens de la charité, qui n’ont en Dieu qu’un cœur et qu’un âme, et qui bâtissent à Dieu, dans leur cœur, un tabernacle éternel ? Que les pierres vivantes s’unissent donc aux pierres vivantes, dans la construction de la maison de Dieu, qu’elles adhèrent l’une à l’autre, qu’elles soient liées d’une manière indissoluble, non par le mélange de la chaux, mais par les délices de la charité. O toi, dès lors, qui entres dans la maison de Dieu, sois toi-même cette maison ; garde la foi, tiens ferme dans cette charité qui unit l’Église, « évité le mal et fais le bien[187] », fuis l’avarice, aime la miséricorde, évite la fornication, aime la chasteté ; et, si tu ne saurais, dès maintenant, être une colonne dans la maison de Dieu, portant le poids de pierres nombreuses, du moins, sois une pierre unie aux autres pierres, afin de demeurer dans l’édifice. Il est bien, sans doute, de construire au Seigneur une maison visible, dans ta propriété, sur ton bien, ton domaine ; mais il est beaucoup mieux de lui élever dans ton cœur un palais invisible. En dehors de toi, il y a pour les hommes une maison de prière, que la maison de ta prière soit en toi. Habite-la fréquemment, et porte-la toujours ; c’est là que le Seigneur t’exaucera, d’autant plus volontiers que lui-même fait ses délices d’y habiter. Construis donc toujours en ton cœur une maison à Dieu, purifie-la, prépare-la pour Dieu, de manière que tu puisses continuellement y jouir de sa présence et qu’il y écoute favorablement ta prière. Qu’à lui soient toujours l’honneur, l’empire et le souverain pouvoir, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. L’édition de Saint-Maur porte : « Des dix plaies et des dix préceptes ». Le catalogue d’Eugipius : « Exposition des dix préceptes, sans ébranler la solidité de la base littérale, d’après l’explication du décalogue au peuple ». Au psaume 77, num.27, saint Augustin y fait allusion, en expliquant sommairement les dix plaies.
  2. Sag. 15, 21
  3. Rom. 1, 20
  4. Saint Augustin cite les textes d’après l’ancienne version appelée Italique, qu’il préfère aux autres. L. 2 De doct. Chr, c. 15. Si notre illustre Denis eut fait cette remarque, il n’eût point vu un défaut de mémoire dans le sermon sur le cierge pascal, où il accuse saint Augustin d’avoir mis l’abeille pour la fourmi ; car il eût trouvé Bars l’ancienne Italique, après les Septante, l’exemple de la fourmi et de l’abeille.
  5. 2Co. 10, 11
  6. Sag. 8, 1
  7. On nous indique ici une omission ou une faute. Nous la croyons volontiers. Le saint docteur ne parle pas ainsi.
  8. Gal. 4, 22
  9. Exo. 20, 3
  10. Id. 7, 20
  11. Rom. 1, 21
  12. Exo. 20, 7
  13. Jn. 14, 26
  14. Id. 8, 44
  15. Psa. 18, 4,5
  16. Id. 11, 3
  17. Exo. 20, 8
  18. Isa. 66, 2
  19. Sir. 5, 13
  20. Psa. 45, 11
  21. Exo. 20, 12
  22. Exo. 20, 14
  23. Id. 9, 6
  24. Psa. 31, 9
  25. Exo. 20, 13
  26. Id. 9, 10
  27. Id. 20, 15
  28. Id. 9, 23
  29. Psa. 143, 7,8
  30. Exo. 20, 16
  31. Id. 10, 13
  32. Gal. 5, 15
  33. Exo. 20, 19
  34. Id. 10, 22
  35. Exo. 20, 17
  36. Id. 12, 29
  37. Heb. 9, 6
  38. Exo. 12, 35
  39. Gen. XXII
  40. Act. XII
  41. Rom. 8, 32
  42. Eph. 5, 2,25
  43. Psa. 93, 23
  44. Psa. 18, 4
  45. 1Co. X
  46. Gen. 2, 3
  47. Isa. 11, 2
  48. Pro. 1, 7
  49. 1Co. 2, 14
  50. Jud. 1, 19
  51. 2Ti. 3, 5
  52. Saint Augustin avait raison de nous dire qu’il y a des difficultés dans les explications qu’il donne ; ces difficultés redoublent encore à cause de l’altération du texte en bien des endroits, ce qui fait le désespoir du traducteur.
  53. 2Ti. 3, 5 et suiv
  54. Gen. 2, 1-2
  55. Psa. 2, 8
  56. Psa. 21, 58
  57. Id. 71, 18
  58. Mat. 22, 37-38
  59. Rom. 11, 36
  60. Mat. 12, 24
  61. Luc. 10, 20
  62. Exo. 8, 10
  63. On trouve dans une édition cette inscription : « Pour le jour de son ordination n. On appellerait sa tête l’anniversaire de sa consécration épiscopale, jour qui était très-solennel, comme l’attestent saint Paulin, épit. à Delph, le pape Sixte, épit. à Cyril. En 430, saint Léon le Grand, le pape Hilaire, épit. à l’év. de Tarrag, et saint Augustin lui-même, épit.255, et ailleurs.
  64. Eze. 33, 2 et suiv
  65. Rom. 3, 4
  66. Rom. 2, 2
  67. Une édition ajoute : « Natalis Domini imminet, voici que Noël approche ». Faut-il accuser le libraire d’avoir omis Natalis Domini imminet dans le manuscrit ? Ou bien cette addition s’est-elle glissée dans tous les manuscrits de la Gaule, par quelque ministre de saint Césaire, ou par tout autre prêchant une ordination épiscopale quelques jours avant Noël ? je dirai ce que j’en pense d’après les conjectures probables. L’édition de Saint-Maur, tom. 5, a rejeté dans l’appendice le sermon 116, inscrit au nom de saint Césaire, dans le catalogue de Corbeil, au numéro6 duquel on lit : « Natalis Domini imminet… ad convivia vestra frequentius pauperes evocate » ; et num. 3 : « Pauperes ante omnia ad convivium frequenter vocemus ». or, il est permis de conjecturer que saint Césaire fut promu à l’épiscopat dans le mois de décembre, surtout d’après l’auteur de sa vie, qui dit que saint Césaire fut préposé à l’église d’Arles quelque temps après la mort d’Aeonius, qui arriva le 16 des calendes de septembre. Or, d’après ces paroles, j’aimerais mieux conjecturer un intervalle de quelques mois, plutôt qu’un intervalle de quelques jours, comme l’ont pensé les Bollandistes ; quelque diacre dès lors, ou quelque prêtre de saint Césaire, en prêchant aux approches de Noël, aura lié la pensée de cet évêque avec le discours de saint Augustin, en changeant l’expression « aujourd’hui » en ces autres paroles :« Voici que Noël approche », afin de parler des festins des pauvres, en saisissant cette métaphore d’une nourriture spirituelle, sur laquelle saint Augustin avait fait un jeu de mots. Mais, diras-tu : pourquoi ne pas les attribuer à l’évêque d’Hippone ? Nulle part, que je sache, le saint docteur n’a parlé de préparation particulière à la fête de Noël, et ce serait l’unique endroit où il eût insisté à ce sujet. Or, quel homme, tant soit peu versé dans la lecture de saint Augustin, noue dira qu’il a pu y insinuer cette nécessité de préparation comme à la dérobée, et par une simple phrase, et sans insister longuement ? Tout lecteur de ses écrits ne peut ignorer que le même docteur qui, dans les pointa spéculatifs, exige de ses auditeurs une vive attention, demande, au contraire, dans les points de pratique et de morale, beaucoup de patience, dirons-nous avec Erasme (Praefat. ad op. Aug.), pour faire toujours le même cas des sentences sur lesquelles il insiste. De plus, on se figure difficilement que le saint docteur ait emprunté à la fête prochaine l’occasion de parler en ce jour de son devoir de donner aux fidèles une nourriture spirituelle, plutôt qu’au ministère du pasteur, dont il a déjà tant parlé. Mais, sans le savoir, je vais me heurter contre Pagina, les Bollandistes, saint Maur, Tillemont et les autres critiques de premier ordre, qui souscrivent toue au texte de l’édition, et en infèrent que saint Augustin fut ordonné évêque d’Hippone au mois de décembre. Or, pour préciser cette époque, sans rien dire de moi-même, je ne donnerai que l’avis de saint Prosper, suivi par Cassiodore et Hermann Contractus dans Canisius, et dont Tillemont confesse la certitude, sur l’autorité de monseigneur Pontac (Mém. pour servir à l’Histoire ecclésiastique, tom. 13, not. 24 § 25). Or, ce digne disciple de saint Augustin atteste (Chron, pag. 2) que Théodose, régnant encore avec ses fils, Arcadius et Honorius, sous le consulat d’Olybrius et de Probinus, l’an 395, cet illustre flambeau de l’Église fut élevé sur la chaire d’Hippone. Mais Socrate (Hist. eccl, l. 6, c. I) fixe la mort de Théodose au 16 des calendes de février ; tous les chronographes sont d’accord sur ce point, ce qui nous donnerait l’ordination de saint Augustin dans le mois de janvier, et nous prouverait que le catalogue du Mont-Cassin a raison de dire : «Hodie », et non : «Natalis dies imminet ».
  68. 2Co. 8, 9
  69. Luc. 19, 21 et suiv
  70. Luc. 14, 12
  71. Luc. 5, 14
  72. Rom. 8, 31
  73. Id. 5,6
  74. Id. 32
  75. Isa. 58, 7
  76. 1Co. 1, 2-9
  77. Il y a ici une omission, comme on peut s’en convaincre par ces paroles du sermon CCCXXXI, nom. 3 : « L’œil n’a point vu, parce que ce n’est point une couleur ; l’oreille n’a point entendu, parce que ce n’est point un sort ».
  78. Ici commence le sermon 40 de l’édition, ainsi intitulé : « Du même passage de l’Ecclésiastique, 5, 8 : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, etc, contre ceux qui diffèrent leur conversion de jour en jour, et dont les uns périssent par une fausse espérance, les autres par désespoir ». Sermon tiré des mêmes catalogues que le sermon CCCXXXIX.
  79. L’édition commence ainsi le sermon XL : « Bien souvent, mes frères, nous avons chanté avec le Psalmiste :Sustine Dominum.
  80. Qu’un juge clairvoyant lise et relise, qu’il médite pour trouver le lien qui rattache cette première période, telle qu’elle est dans l’édition, où elle tient lieu d’exorde, avec les autres parties du sermon. S’ils ne le peuvent, il faut avouer que le sermon de l’édition n’est pas intègre, que cette première période se rattache aux précédentes, que c’est une manière de revenir sur une confiance excessive et sur le désespoir, d’abord parce que c’est un sermon de morale, ensuite parce que toute sa sollicitude pastorale lui fait un devoir d’en parler.
  81. Eze. 33, 11
  82. Il y a ici une omission volontaire ; on a voulu faire du sermon un sermon sur la conversion seule.
  83. Il y a en latin natalitiarium, qu’on ne trouve en aucun glossaire.
  84. Mat. 5, 25
  85. Ecc. 5, 8-9
  86. L’édition de Saint-Maur lui donne ce titre : Du mépris du monde ; il fut prêché dans les jours de Pâques, à la fête des saintes de Tibur, selon Sirmond agi nombre de deux, Félicité et Perpétue ; selon Henri de Valois, au nombre de trois, Maxima, Donatilla, Seconda ; d’après le témoignage des mêmes Pères de Saint-Maur. On voit plus clairement ici, que dans l’édition, que l’exorde est tiré des circonstances du temps.
  87. Le nom de première lecture s’appliquait autrefois à l’épître après laquelle on chantait des psaumes, puis l’évangile. C’est ce que nous Insinue clairement saint Augustin, sermon CLXXVII, où il appelle indistinctement lectures ces trois objets. Dans notre liturgie actuelle on a conservé le même ordre, mais l’épître seule a retenu le nom de lecture, ou lectio.
  88. 1Ti. 6, 17 et suiv
  89. Psa. 70, 6
  90. On lit dans l’édition : « Ils ont tout donné pour ne point perdre la vie. Tu as donné, ô mon père, tous tes biens aux barbares ! Tout, répond-il, et je suis demeuré nu ; mais nu, je vis encore. Et pourquoi ? on devait me tuer tout à fait, et j’ai tout donné. Et pourquoi ce malheur ? Veux-tu que je te le dise ? Avant la rencontre de ce barbare, tu ne donnais rien au pauvre, de manière à faire parvenir ton aumône jusqu’au Christ au moyen du pauvre. Tu n’as rien donné au Christ, et tu as tout donné aux barbares, tout avec serment. Le Christ demande et ne reçoit rien ; le barbais tors turc et enlève tout. Si tu as acheté à un tel prix une vie périssable, à quel prix, etc.
  91. Mat. 6, 20
  92. Act. 9, 2 et suiv
  93. Mat. 25, 37-40
  94. On lit dans l’édition : « Si tu as entendu cette parole, dis franchement : Je ne veux point donner alors tu seras sans excuse et condamné par ta bouche ».
  95. Il y a dans l’édition : « Il te faut rougir comme d’un mensonge, quand tu réponds à cette parole : En haut les cœurs. On dit en effet en haut les cœurs, et aussitôt tu réponds : Nous les avons vers le Seigneur. C’est mentir à Dieu. Pendant une heure tu mens à l’Église, tu mens à Dieu, et toujours aux hommes. Tu dis que ton cœur est vers Dieu, tandis qu’il est caché en terre ; car où est ton trésor, là aussi est ton cœur.
  96. 1Co. 7
  97. Mat. 19, 21
  98. Phi. 4, 6
  99. Ce sermon fut probablement prêché pendant la première persécution des Vandales, vers l’an 427. (Voir sermon CCXCVI, num. 6-14.) Mais dans l’un il parle des ravages de Rome, ici des ravages de l’Afrique.
  100. La version Italique porte : « Cantate Domino, benedicite nomen ejus, bene nuntiate diem de die, salutare ejus », ou annoncez son salut qui est le jour du jour ; comme nous disons lumen de lumine. Aussi les Pères de Saint-Maur ont-ils cru que ce verset du psaume pouvait convenir ici. Mais nos catalogues ne suffisent pas pour établir cette opinion. Cl. Sabatier, dans son ancienne version de la Bible, dit que saint Augustin n’a fait usage qu’une seule fois de cette manière de lire, et que, partout ailleurs, il a écrit : de die in diem, ou : de die ex die.
  101. Psa. 95, 1-2
  102. Dans les discours sur les psaumes et les traités sur saint Jean, saint Augustin a toujours cité :Mane astabo tibi et contemplabor. Ici seulement nous lisons : contemplabor te.
  103. Psa. 5, 5
  104. Id. 84, 12
  105. Rom. 10, 3
  106. Rom. 1, 17
  107. Isa. 1, 3
  108. Voyez sermon CCCX, n. 2, ce que l’on entend, à Carthage, par Table de saint Cyprien.
  109. Gal. 6, 1 et suiv
  110. Cette répétition peut bien être une redondance.
  111. Sag. 9, 15
  112. Job. 7, 1, juxta Italam
  113. 2Co. 7, 4
  114. 2Co. 6, 1, ex Itala
  115. Psa. 9, 24
  116. Mat. 8, 24
  117. 2Pi. 2, 21
  118. Jn. 8, 48
  119. Psa. 68, 12
  120. Mat. 5, 11, ex Itala
  121. Mat. 25, 8
  122. Jn. 15, 15
  123. On trouve souvent de ces additions dans les sermons édités, Les premières paroles viennent de quelque scribe. Ce passage nous confirme ce qu’a dit Possidius dans la vie de saint Augustin, que souvent les évêques et le peuple, chez lesquels se trouvait le saint docteur, non-seulement le suppliaient de prêcher, mais souvent l’y contraignaient ; ce qui n’est pas une moindre preuve de sa grande science et de l’éclatante renommée dont il jouissait.
  124. Bien que l’inscription porte indistinctement : « De plusieurs martyrs », on voit cependant que ces martyrs sont déterminés, par la lecture des actes qui a précédé et dont il est ainsi fait mention : « Quand on lisait la passion des saints. » Il est à penser que saint Augustin parlait alors des martyrs de Carthage, dont il fait mention dans le Brevicul. Collat. Diei 3, c. 17, où l’on trouve : « Ils avouaient dans leurs tourments qu’ils avaient fait une collecte et sanctifié le jour du Seigneur ». Ils étaient au nombre de quarante-huit, au dire de saint Optat de Milève, de Baluze, de Ruinart, et subirent le martyre la veille des ides de février, l’an 304. Et, à la vérité, ces collectes leur furent reprochées par le juge comme le seul point de culpabilité, et les martyrs avouent qu’ils les ont faites et en bénissent Dieu. Il serait difficile de croire que saint Augustin n’eût aucun sermon au sujet de ces martyrs si célèbres dans toute l’Afrique, lorsque le calendrier de Carthage accuse cinq solennités distinctes en leur honneur, et que l’on en fit une sixième, quand l’empereur Justinien eut bâti, dans son propre palais, un temple à la vierge Prima, comme le rapporte Procope (De aedif. a Just. Extruct. 6). Baronius met cette vierge célèbre au nombre de ces martyrs. Or, dans les éditions qui ont paru jusqu’alors, on regrettait qu’il n’y eût, au sujet de ces martyrs, aucun sermon, et toutefois, deux catalogues du Mont-Cassin, 12 et 17, contenant celui-ci, probablement prêché à Carthage, où la solennité de leur fête amena saint Augustin qui voulut d’une manière toute particulière réprimer chez les fidèles cette joie trop profane qui dégénérait en ivresse et en festins. Car il termine ainsi : a Célébrons les fêtes des martyrs par des honneurs à leur passion, et non par l’amour de la boisson. Ce sont à peu près les mêmes paroles qui terminent son avertissement à la fête de saint Cyprien, à Carthage, et à la fête des vingt martyrs d’Hippone. Dès qu’il en est ainsi, il faut accuser de fausseté cet auteur donatiste qui, chez saint Optat et chez Baluze (tom. 1 Miscell, p. 14, édit. 1761), rapporte dans ses additions qu’ils moururent de faim quand ils étaient encore en prison, puisque le juge fit trancher la tête à quelques-uns. Baronius et Ruinart avaient déjà répété ces additions, n’approuvant point l’histoire de Mensurius et de Cécilien. Si donc l’auteur donatiste est en défaut sur un point, il peut l’être sur d’autres. Les catalogues de Colbert, de Compiègne, et de (Pratel ?), dont s’est servi Ruinart, n’ont pas ces additions et précisent des jours et des lieux différents où eus martyrs ont versé leur sang. Ce titre nous fait comprendre pourquoi on célébrait leurs fêtes à part et en des jours différents à Carthage. C’est donc su catalogue du Mont-Cassin que revient l’honneur de rappeler, selon la vérité, l’histoire de ces martyrs ; ce qui les rend dignes de foi.
  125. Ce fut Primus, ou premier, qui fut tout d’abord à rendre témoignage. Victoire et Perpétue furent pour latin. Il y a dans le texteVictoria in fine perpetua. Mais ni victoria, ni perpetua ne commence par une majuscule ; et toutefois je serais bien trompé, si les deux dernières martyres de Cartilage n’étaient point Victoire et Perpétue. Ce qui prête à saint Augustin ce jeu de mot : Perpetua ou sans fin. Comme elle fut la dernière ou la fin, ce fut une fin sans fin.
  126. Mat. 10, 19 ; Luc. 21, 1, 19
  127. Psa. 125, 6-,7
  128. Dans l’édition Léopoldine et les lectionnaires, on lit cet exorde : « C’est aujourd’hui, mes frères, la fête de la naissance de saint Jean-Baptiste, précurseur de Notre-Seigneur. Que devons nous admirer tout d’abord, mes frères, ou la naissance du Sauveur, a ou la naissance du précurseur ? Jean avait une mère stérile qui ne a connaissait point l’enfantement ».
  129. Cet exorde fait croire que le saint docteur ne prêchait point dans son église.
  130. Mat. 13, 27
  131. Luc. 2, 29
  132. Jn. 1, 29
  133. Mat. 11, 11
  134. Jn. 1, 1
  135. Jn. 3, 29
  136. Id. 1, 26
  137. Jn. 1, 1
  138. La conclusion est tirée des lectionnaires et du catalogue Léop ; le catalogue n. 12, au lieu de cette conclusion, ajoute : « Parlons donc un peu, mes frères, autant que Dieu nous en fera la grâce, parlons un peu de la parole et de la voix. Le Christ est la parole, parole qui ne retentit point pour passer ; ce serait alors la voix et mon la parole ; mais la parole de Dieu, par qui tout a été fait, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. La voix de celui qui crie dans le désert, c’est Jean. Qui a la supériorité, la vois ou la parole ? Voyons ce a qu’est la parole et ce qu’est la voix, et alors nous venons où est la supériorité. Selon vous, mes frères, qu’est-ce que la parole ? Sans a nous occuper de la parole de Dieu, par qui tout a été fait, parlons un a peu de nos paroles, si nous pouvons tant soit peu établir une comparaison ? Qui comprend la parole de Dieu, par qui tout a été fait ? Qui est digne d’y penser, qui le pourrait, tant nous sommes loin de e pouvoir en parler ? Ajoutons son ineffable majesté, son éternité, sa coéternité avec le Père, afin que notre foi nous mérite de voir un jour ? » Qui ne voit ici autant de rochers sans base, entassés confusément, et qui n’offrent pas même aux yeux l’image d’un toit ?
  139. Isa. 40, 7,8
  140. Mat. 11, 11
  141. Ceci nous prouve que ce sermon fut prêché à l’office du soir. Mais quel est ce sermon du matin, auquel il fait allusion ? C’est ce qu’on n’oserait dire, puisqu’il n’est aucun sermon sur la nativité de saint Jean-Baptiste, où le saint docteur n’ait tiré parti de ce témoignage et riait appelé Jean témoin et précurseur.
  142. Jn. 1, 1
  143. Id. 23
  144. Id. 1, 1,14
  145. Id. 29
  146. Id. 3, 30
  147. Ces paroles pourraient bien avoir été ajoutées par quelque scribe.
  148. Mat. 3, 15
  149. Jn. 1, 8
  150. Eph. 3, 8
  151. Mat. 11, 2
  152. Luc. 1, 18
  153. Id. 34
  154. Id. 42
  155. Id. 66
  156. Isa. 54, 6
  157. Luc. 17, 4
  158. Pro. 24, 16
  159. Psa. 118, 164
  160. Id. 33, 2
  161. Luc. 17, 5
  162. Phi. 1, 6
  163. Il n’est fait allusion ici qu’à deux des trois leçons de la liturgie ; à la seconde du psaume 85, 5, 11 ; à la troisième du c. 17 de saint Luc, dont il nous entretient. Il omet la troisième, à moins que nous n’y voyions une allusion dans cette parole : a Nous u voyons les Apôtres demander l’accroissement de la foi s, qui semblerait rappeler cette épître aux Philippiens, qu’il cite et dont on aurait lu ce passage.
  164. Psa. 85, 11
  165. Psa. 33, 2
  166. Id. 85, 11
  167. Mat. 18, 32
  168. Ceci n’est point dans l’Évangile, et toutefois c’est une conséquence légitime qu’en tire saint Augustin. C’est ainsi qu’au sermon 5 de l’édition il a tiré la même conclusion : « Qu’ils prennent garde, en refusant de pardonner l’offense qu’on pourrait leur avoir faite, que non-seulement on ne leur pardonne plus à l’avenir, mais que les fautes pardonnées ne retombent sur eux ».
  169. Luc. 6, 37
  170. Pro. 10, 2
  171. Mat. 6, 20-21
  172. Id. 25, 40
  173. 1Jn. 3, 15
  174. Mat. 6, 12
  175. Heb. 12, 6
  176. Mat. 18, 35
  177. Psa. 6, 8
  178. Mat. 7, 3
  179. Luc. 6, 37-38
  180. Isa. 66, 2
  181. Gal. 3, 23
  182. 2Co. 8, 9
  183. Phi. 2, 8
  184. 1Ti. 6, 17
  185. 1Pi. 2, 5
  186. Eph. 4, 22
  187. Psa. 36, 28.