Dharmasindhu, ou Océan des rites religieux/Introduction

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Dharmasindhu, ou Océan des rites religieux
Texte établi par Musée Guimet, Ernest Leroux (Tome 7p. 153-156).
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INTRODUCTION



Adoration au grand Viṭṭhala[1], qui est plein de grâces et de miséricorde, à qui il est facile de plaire, qui exauce les désirs des malheureux, qui dessèche la mer des innombrables transgressions, le ravisseur du cœur de Rukmini[2], l’Être Suprême dont l’activité s’étend au delà de toutes limites, et qui pénètre l’âme !

Adoration à Shankara[3], le destructeur des iniquités. Puisse-t-il, jour et nuit reposer sur ma tête son (adorable)[4] main !

J’adore avec empressement l’épouse de Shiva, et aussi (Ganapati) le Seigneur des obstacles[5], le grand Père (Brahma)[6] avec la (divine) Sarasvatī[7], et me prosternant devant l’adorable Laksmī[8], Garuḍa[9], (Shesha) aux mille têtes[10], Pradyumna[11], le Seigneur (Shiva), le dieu-singe (Hanuman), le glorieux Soleil, la Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, (Saturne), le fils de Chāyā[12], (Kartikêya) aux six faces[13], Indra[14], et tous les autres dieux, devant mes précepteurs, ma mère, mon père nommé Ananta[15], devant Mādhava[16] et les autres grands et vénérables sages, je compose ce modeste[17] recueil des Rites religieux.

Passant en revue les anciens et célèbres traités (sacrés), mais évitant le plus possible une simple reproduction textuelle de leur phraséologie, je compose (ce livre) d’après le genre du Nirnayasindhu[18] pour l’instruction des ignorants.


  1. Shri-Viṭṭhala est le nom d’une idole adorée à Pandharpur, ville du Dekkan. Plus communément appelé Vittoba, ce dieu est considéré comme une incarnation de Vishnu, seconde divinité de la Triade indoue ; c’est le plus populaire des dieux des Marathas. Le mot que je traduis ici, et plus loin encore dans la préface, par adoration est « vande » ; il s’emploie usuellement dans le sens du Salut d’adoration qu’on fait aux dieux en commençant chaque exercice religieux ou même chaque entreprise mondaine, telle que, par exemple, écrire un livre.
  2. Ici Vittoba est identique à Krishna, le fameux héros-dieu du grand poème épique le Mahâbhârata ; l’épithète employée dans cette phrase fait allusion à une anecdote rapportée dans ce poème ainsi que dans le Bhâgavatapurâna : Rukmini, la belle et intelligente fille de Bhishmaka, avait été promise en mariage à un homme qu’elle ne pouvait aimer ; elle entendit parler des exploits héroïques de Krishna, s’éprit d’amour pour lui, et, dans une lettre brûlante de passion, le supplia de la sauver du malheur qui la menaçait ; alors Krishna l’enleva et l’épousa. J’ai traduit le mot « mati » par « cœur ». Quelques commentateurs indigènes lui donnent le sens d’« intelligence ».
  3. Shankara est un autre nom de Shiva, troisième divinité de la Triade indoue.
  4. Tous les mots entre parenthèses ne se trouvent pas dans le texte sanscrit, mais je les emploie pour compléter le sens et le style de la traduction.
  5. Le fameux dieu à tête d’éléphant, fils de Shiva et de son épouse Pārvati. Il amoncelle les obstacles s’il est mécontent, et les écarte quand on se l’est rendu favorable.
  6. Première divinité de la Triade indoue. Il a la forme masculine et c’est un être personnel tout à fait différent de Brahm, forme neutre et essence universelle impersonnelle.
  7. Déesse de la science et de l’éloquence. Suivant certains auteurs, elle est l’épouse, suivant d’autres la fille de Brahma.
  8. Épouse de Vishnu, déesse de la fortune et de la beauté.
  9. Célèbre dieu-oiseau, serviteur de Vishnu.
  10. Shesha, le dieu serpent à mille têtes est donné dans certains ouvrages comme le roi des Nagas, ou serpents des sept mondes infernaux ; d’après d’autres il sert de lit et de dais à Vishnu, et quelquefois on la représente portant sur une de ses têtes les sept mondes infernaux, surmontés du monde terrestre et de six autres mondes célestes superposés.
  11. Épithète de Kāmadeva, dieu de l’amour.
  12. L’ombre personnifiée, épouse du Soleil.
  13. Plus connu sous le nom de Skanda, dieu de la guerre. Il fut procréé, dit-on, par Shiva seul, sans intervention du principe féminin. Lorsqu’à sa naissance, les six Kritikas, ou Pléiades, lui offrirent chacune leurs seins, sa tête se divisa en six pour satisfaire à chacune d’elles. De là son nom de « dieu à six visages. »
  14. Indra est le dieu de l’atmosphère et le roi des dieux du ciel, mais il est subordonné à la Triade.
  15. Ici l’auteur cite seulement le nom de son père ; mais à la fin du livre il mentionne son propre nom ainsi que ceux de son père, de son oncle et de son grand-père, qui tous paraissent avoir été de rigides observateurs de la loi. Son grand-père, le prêtre Kāshinātha, était un savant brahmane du Konkan. On dit que son oncle était savant en astronomie et en astrologie. Son père, Yajneshvar, quitta, tout jeune, le lieu de sa naissance, près de Ratnagiri dans le Konkan, pour aller étudier au séminaire de Pandharpur dans le Dekkan (voir note 1). Après avoir terminé ses études, il se maria ; mais le livre ne dit pas s’il eut d’autres enfants que notre auteur. Il était si profondément versé dans les écritures sacrées qu’on le considérait comme une incarnation de l’être Infini. Sur la fin de sa carrière il se fit ascète errant et mourut sur les bords de la rivière sacrée Bhima. Quel meilleur entourage qu’un oncle astronome et astrologue et un père initié dès ses premières années à tous les rites traditionnels des prêtres des temples orthodoxes pouvait-il avoir pour l’auteur d’un livre sur les rites indous qui ont tant de rapports avec les mouvements des corps célestes. Ce livre fut terminé, dit-on, en 1712 de l’ère de Shalivāhana (voir note 35 et 36). Quoique bien moderne il est devenu un des livres classiques les plus estimés des Indous orthodoxes, parce qu’on sait fort bien que les matières qu’il renferme ne sont pas d’origine moderne, mais bien la reproduction de passages extraits de nombreux ouvrages anciens sur les rites, ayant un caractère beaucoup plus confus (voir note 18). On le trouve chez tout Indou orthodoxe non seulement dans l’Inde occidentale, où il a d’abord été publié, mais aussi dans l’Inde tout entière. Dans la ville sainte de Bénarès même il a eu plusieurs éditions, et on le consulte chaque fois que les rites religieux doivent être accomplis.
  16. Ancien auteur de traités sur la religion.
  17. Tout est relatif. Ce qui paraît un modeste recueil de rites pour l’esprit indou de notre auteur, constitue pour le lecteur européen un ouvrage prolixe et volumineux de quelques 500 pages in-8°.
  18. Nom d’un livre de l’école Mimāmsa, une des trois grandes divisions de la philosophie orthodoxe indoue. Son auteur se nommait Kamalā Karābhatta, mais l’époque de sa composition est inconnue. Les Indous le croient très ancien. Le contenu de ce livre nous montre, qu’outre le Nirnayasindhu, l’auteur s’est servi de nombreux ouvrages anciens tels que Hemādri, Yājnavalkya, Kālamādhava, Mayūkha, Kaushtubha, etc.