Dickens - Le Mystère d'Edwin Drood (1880)/18

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CHAPITRE XVIII

Un nouvel habitant vient s’établir à Cloisterham


Vers cette époque, un étranger apparut dans Cloisterham.

C’était un personnage à cheveux blancs, avec des sourcils noirs ; il portait une grande redingote boutonnée jusqu’en haut, un gilet de buffle, et certain pantalon gris qui affectait l’allure militaire.

Mais il s’annonça à l’Hôtel Crozier, l’hôtel orthodoxe dans lequel il descendit avec son porte-manteau, comme « un chien de paresseux » vivant de son revenu et ayant l’intention de résider un mois ou deux dans cette vieille et pittoresque cité, quitte à s’y fixer définitivement plus tard, si le lieu devenait tout à fait de son goût.

Ces déclarations avaient été faites dans le café de l’Hôtel, à tous ceux que cela pouvait intéresser ou ne pas intéresser, par l’étranger, tandis qu’il attendait sa sole frite, sa côtelette de veau, et sa pinte de sherry.

Et le garçon, les affaires étant fort peu animées à l’Hôtel Crozier, représentait à lui seul tous ceux que cela pouvait intéresser ou ne pas intéresser et avait seul profité de ces informations.

La tête blanche de ce gentleman était d’une grosseur peu commune ; sa chevelure blanche était exceptionnellement épaisse et fournie.

« Je suppose, garçon, dit-il en secouant cette chevelure énorme, avant de s’asseoir pour dîner, qu’un bon logement pour un homme seul peut se trouver dans ce quartier ? »

Le garçon n’en doutait pas.

« Quelque chose de vieux, dit le gentleman. Prenez mon chapeau qui est accroché à cette patère, voulez-vous ? Non, je n’ai pas besoin que vous me le donniez, regardez à l’intérieur. Que voyez-vous d’écrit ? »

Le garçon lut :

« Datchery. »

« Maintenant, vous savez mon nom, dit le gentleman ; Dick Datchery. Raccrochez mon chapeau. Je disais donc que quelque chose de vieux serait surtout à mon gré, quelque chose d’étrange et sortant du commun, quelque chose de vénérable, d’architectural, et d’incommode bien entendu. J’aime ce qui est incommode.

— Nous avons un grand choix de logements incommodes ici ; monsieur, répondit le garçon avec une confiance modeste dans les ressources de la ville. Certainement, je ne doute pas que vous ne trouviez ce qui vous conviendra, quelque difficile que vous puissiez être. Mais un logement architectural !… »

Ceci semblait embarrasser le garçon, et il secoua la tête.

« Rien qui dépende de la cathédrale, suggéra M. Datchery.

— M. Tope, fit le garçon dont le visage s’éclarcit et qui se frotta le menton, M. Tope pourrait mieux vous renseigner que moi dans ces circonstances.

— Qu’est-ce que M. Tope ? » demanda Dick Datchery.

Le garçon expliqua que c’était le bedeau de la cathédrale, que Mme  Tope avait dans un temps loué des logements ou offert d’en louer, mais que personne ne s’étant présenté, l’écriteau, qui avait pris rang parmi les vieilles institutions de Cloisterham, avait disparu ; il était probablement tombé un beau jour par vétusté, et n’avait plus été raccroché à la porte.

« J’irai rendre visite à Mme  Tope après mon dîner, » dit M. Datchery.

En effet, quand il eut pris son repas, il se fit renseigner sur la route qu’il devait suivre et se mit en marche.

Mais la position de l’hôtel étant fort retirée, et les indications du garçon ayant été moins que précises, il se trouva bientôt fort embarrassé, allant de ci et de là dans les environs de la tour de la cathédrale d’où la demeure de Mme  Tope ne pouvait être éloignée.

Il semblait jouer au jeu favori des enfants : il brûlait quand il voyait la tour et gelait quand il ne pouvait plus l’apercevoir.

M. Datchery devenait de plus en plus froid, quand il arriva en vue d’un coin du cimetière abandonné où broutait un malheureux mouton.

Nous disons malheureux, parce qu’un hideux jeune garçon qui le lapidait à travers la clôture, l’avait déjà rendu boiteux d’une jambe, et semblait animé de la bienveillante intention de poursuivre ses exploits, en brisant les trois autres pattes de la pauvre bête.

« Touché encore ! s’écriait l’enfant quand, l’animal sautait. Ma pierre a fait une marque dans la laine.

— Laisse cette bête tranquille ! dit M. Datchery. Ne vois-tu pas que tu l’as déjà rendu boiteuse ?

— C’est pas vrai ! réplique l’enfant. C’est lui-même qui s’est blessé, je l’ai vu, et c’est un avertissement que je lui donne pour qu’il n’abîme pas davantage le mouton de son maître.

— Viens ici,

— Je ne veux pas… Je viendrai si vous m’attrapez.

— Reste où tu es alors et montre-moi où est la demeure de Mme  Tope.

— Comment puis-je rester où je suis et vous montrer la demeure des Tope, quand leur maison est de l’autre côté de la cathédrale, et qu’il faut pour y arriver faire quantité de tours et de détours ? Imbécile ! Ah ! ah ! ah !

— Montre-moi le chemin et je te donnerai quelque chose.

— Venez alors ! »

Ce petit dialogue terminé, l’enfant se mit en marche et, après un certain temps, s’arrêta à quelque distance d’une arcade voûtée.

« Regardez là-bas, dit-il, vous voyez ces fenêtres et cette porte ?

— C’est là qu’habite Tope ?

— C’est pas vrai ! ce n’est pas là. Ceci est la demeure de Jasper.

— En vérité ! » dit M. Datchery.

Et il regarde de nouveau avec un intérêt évident.

« Oui, et je n’en irai pas plus près, c’est moi qui vous le dis.

— Pourquoi ?

— Parce que je n’ai pas envie de me faire enlever de terre, prendre à la gorge, et étrangler par ce bourreau-là. Ah ! ah ! ah ! Une bonne pierre atteindra le derrière de sa belle tête quelque jour ! Maintenant, regardez de l’autre côté de l’arcade, pas du côté où est la porte de Jasper, de l’autre.

— Bon !

— Un peu plus avant il y a une porte basse à laquelle on arrive en descendant deux marches. C’est là qu’habitent les Tope ; leur nom est gravé sur une plaque.

— Bien. Toi, regarde par ici, dit M. Datchery en montrant un shilling, tu me dois la moitié de ceci.

— C’est pas vrai ! Je ne vous dois rien. Je ne vous ai jamais vu.

— Je te dis que tu me dois la moitié de ceci, parce que je n’ai pas six pence dans ma poche. Ainsi donc, la première fois que nous nous rencontrerons, tu feras quelque chose pour moi, afin de me payer.

— Très-bien, donnez, vieux.

— Quel est ton nom et où demeures-tu ?

— Deputy, à l’Auberge des Voyageurs à Deux Sous, de l’autre côté de la pelouse. »

L’enfant s’enfuit à l’instant avec le shilling, dans la crainte que M. Datchery ne se repentît de sa générosité.

Mais il s’arrêta quand il fut à une distance suffisante pour n’avoir plus d’inquiétude, et il se mit à lui exécuter une danse satanique dans le but de faire comprendre à l’étranger que son présent était irrévocable.

M. Datchery ôta son chapeau pour fourrager son épaisse chevelure blanche, et semblant tout à fait résigné à être plus généreux qu’il ne l’aurait voulu, il se dirigea vers la porte des Tope.

L’habitation officielle de M. Tope communiquait par un escalier avec celle de M. Jasper, ce qui rendait plus facile à Mme  Tope d’exercer ses fonctions domestiques auprès de ce gentleman.

C’était un logis de proportions très-modestes et qui avait assez l’apparence d’une froide prison.

Les vieilles murailles en étaient massives ; des chambres modernes y avaient été pratiquées après coup, sans aucun plan préalablement conçu.

La porte principale s’ouvrait directement sur une pièce de forme plus que bizarre, avec un plafond voûté ; suivait une autre pièce également bizarre et toujours un plafond voûté ; les fenêtres étaient petites et enfoncées dans l’épaisseur des murs.

Telles étaient les deux chambres obscures et sans air composant l’appartement que Mme  Tope avait si longtemps offert aux locataires de la ville qui n’avaient pas su l’apprécier.

M. Datchery se montra plus juste appréciateur.

Il trouva qu’en laissant la porte d’entrée ouverte il jouirait de la société de tous ceux qui passaient et repassaient sous l’arcade et qu’il obtiendrait ainsi assez de jour.

M. et Mme  Tope, qui habitaient au-dessus de lui, se servant pour entrer et pour sortir d’un petit escalier qui donnait dans l’enceinte au moyen d’une porte ouvrant à l’extérieur, pouvaient bien gêner les rares passants qui circulaient par ce chemin étroit.

Mais l’escalier principal restait ainsi à M. Datchery qui devait en jouir seul et cela lui convenait.

Il trouva le prix du loyer modéré et toutes les dispositions intérieures aussi étranges et aussi incommodes qu’il les avait désirées.

Il fit donc marché pour le logement, paya comptant, et consentit à prendre possession le soir même à la condition qu’il pourrait aller aux références auprès de Jasper, lequel occupait la maison de la porte du cloître, dont le trou habité par le bedeau n’était après tout qu’une dépendance.

« Le pauvre cher monsieur est bien solitaire et bien triste, » dit Mme  Tope.

Mais elle ne doutait pas qu’il parlerait en sa faveur.

« Peut-être monsieur, répéta-t-elle, a-t-il entendu dire quelque chose de ce qui est arrivé l’hiver dernier ? »

M. Datchery avait une connaissance confuse des événements en question, il répondit qu’il se les rappellerait peut-être en cherchant de son mieux dans ses souvenirs ; mais il n’avait aucune envie d’y chercher.

Il demanda pardon à Mme  Tope et lui fit observer qu’il n’était qu’un simple vieux bonhomme vivant de son revenu aussi paresseusement qu’il le pouvait, en relations avec beaucoup de gens, ce qui lui rendait difficile de garder fidèlement dans sa mémoire toutes les histoires qu’on lui racontait.

M. Jasper s’étant, en effet, montré disposé à parler favorablement pour M. Tope, M. Datchery, qui lui avait fait passer sa carte, fut invité à monter l’escalier de la poterne.

« Le maire est avec lui, dit M. Tope ; mais il ne faut pas le considérer comme un visiteur, car lui et M. Jasper sont de grands amis qui ne se quittent point.

— Mille excuses, dit M. Datchery en mettant son chapeau sous son bras et en s’adressant aux deux gentlemen. Je prends ici une précaution égoïste et qui n’est intéressante que pour moi-même. Mais je suis un simple particulier vivant de ses revenus, ayant l’intention de se fixer dans un endroit agréable et tranquille pour y passer une partie de sa vie, et j’ose vous demander si la famille Tope est tout à fait respectable. »

M. Jasper pouvait en répondre sans la moindre hésitation.

« Cela me suffit, monsieur, dit M. Datchery.

Mon ami, le maire de la ville, ajouta M. Jasper en présentant M. Datchery d’un geste de la main à ce potentat. La recommandation de M. Sapsea, en ces circonstances, sera beaucoup plus importante que celle d’un pauvre personnage obscur tel que moi ; M. le maire témoignera en faveur de ces bonnes gens, je n’en doute pas.

— L’honorable maire, dit M. Datchery en saluant très-bas, me place sous le coup d’une obligation infinie.

— Très-braves gens, monsieur, ce monsieur et cette dame Tope, répliqua M. Sapsea avec condescendance. Très-bonnes opinions… se conduisant très-bien, très-respectueux… très-estimés du Doyen et du Chapitre.

— L’honorable maire leur donne, en ce moment, un certificat dont ils devront être fiers, dit M. Datchery. Je désirerais prendre la liberté de demander à Son Honneur s’il n’y a pas bien des choses dignes d’intérêt dans la cité qui a l’avantage d’être placée sous son autorité ?

— Nous sommes, monsieur, répondit M. Sapsea, une ancienne cité et une cité ecclésiastique. Nous sommes une cité constitutionnelle, et nous soutenons et maintenons nos glorieux privilèges.

— Son Honneur, dit M. Datchery en saluant, m’inspire le désir de connaître mieux cette cité et me confirme dans l’inclination que je sentais déjà d’y finir mes jours.

— Vous avez servi dans l’armée, monsieur, insinua M. Sapsea.

— Monsieur le maire me fait trop d’honneur, répliqua M. Datchery.

— Dans la marine, alors ?

— Trop d’honneur encore, monsieur le maire.

— La diplomatie est une belle profession, reprit M. Sapsea sous forme d’observation générale.

— Là, je le confesse, Son Honneur M. le maire est beaucoup trop fort pour moi, fit M. Datchery en saluant avec un sourire ingénu, un oiseau diplomatique lui-même ne pourrait pas échapper à un fusil tel que le sien. »

Tout cela était très-flatteur.

M. Sapsea flairait un gentleman d’une grande, d’une éclatante habileté, vraiment accoutumé au rang et à la dignité et donnant un bel exemple des façons respectueuses qui conviennent vis-à-vis d’un maire.

Il y avait surtout dans la manière de M. Datchery de parler à la troisième personne quelque chose que M. Sapsea considérait comme un délicat et juste hommage rendu à sa position et à ses mérites.

« Mais j’en demande humblement pardon, dit M. Datchery, Son Honneur monsieur le maire voudra bien m’excuser si j’ai été assez indiscret pour abuser de son temps. J’ai en même temps oublié les humbles intérêts personnels qui doivent me rappeler à mon hôtel.

— Vous n’avez pas du tout à vous excuser, dit M. Sapsea. Je retourne aussi chez moi et s’il vous est agréable de visiter l’extérieur de la cathédrale, qui se trouve sur votre chemin, je serai heureux de vous y conduire.

— Son Honneur monsieur le maire est plus que bon, plus que gracieux. »

Comme M. Datchery, après avoir rendu ses devoirs à M. Jasper, ne voulut jamais consentir à passer devant l’honorable maire, l’honorable maire lui montra le chemin.

M. Datchery le suivit, son chapeau toujours sous le bras, exposant son épaisse chevelure grise à la brise du soir.

« Puis-je demander à Son Honneur, dit-il, si le gentleman que nous venons de quitter est celui dont j’ai entendu parler dans le voisinage, et qu’on dit fort affligé par la perte de son neveu. On dit aussi qu’il a voué sa vie à le venger.

— C’est lui-même, c’est M. John Jasper, monsieur.

— Son Honneur voudrait-elle bien me permettre de lui demander s’il y a de forts soupçons contre quelqu’un ?

— Plus que des soupçons, monsieur, répliqua M. Sapsea. Rien moins que des certitudes.

— Étrange à penser ! s’écria M. Datchery.

— Mais la preuve ! monsieur, la preuve doit être construite pierre à pierre, reprit le maire. La fin doit couronner l’œuvre. Il ne suffit pas à la justice d’une certitude morale, il faut qu’elle soit sûre immoralement… Je voulais dire légalement.

— Son Honneur, dit M. Datchery, me rappelle la vraie nature de la loi… immorale est bien le mot. Comme cela est vrai !

— Cela est vrai puisque je le dis, continue pompeusement le maire. La loi a le bras fort et le bras long. C’est ainsi que je la défiais, un bras long et fort.

— Expression belle et énergique ! Et vraie !… Et vraie !… murmura M. Datchery.

— Sans trahir ce que j’appelle les secrets de la prison, reprit M. Sapsea, les secrets de la prison, c’est le terme en usage devant la justice.

— Et de quels autres termes Votre Honneur pourrait-elle se servir, dit M. Datchery, puisque Votre Honneur est un des représentants de la loi ?

— Sans trahir, dis-je, les secrets de la prison, je vous prédis, connaissant la volonté de fer du gentleman que nous venons de quitter… je prends la liberté de qualifier sa volonté de fer… que le bras long atteindra le coupable, que le bras fort le frappera… Voici notre cathédrale, monsieur. Les meilleurs juges se plaisent à l’admirer et tous nos concitoyens en sont quelque peu orgueilleux et satisfaits. »

M. Datchery continuait à marcher la tête découverte.

« Monsieur, je vous en supplie… » lui dit M. Sapsea.

M. Datchery porta la main à sa tête comme s’il s’attendait vaguement à trouver un autre chapeau que celui qu’il tenait sous son bras.

« Je vous en prie, couvrez-vous, monsieur, insista le maire, en ajoutant d’un air superbe : Je n’avais pas songé, je vous l’assure, à vous en prier plus tôt.

— Son Honneur est vraiment trop bon, mais je jouissais de la fraîcheur, » dit M. Datchery.

Ce respectueux Datchery se mit alors à admirer la cathédrale, et M. Sapsea la lui fit voir avec autant de complaisance que si c’eût été lui qui en eût fait le plan et qu’il l’eût bâtie.

Il y avait bien quelques détails qu’il n’approuvait pas, mais il glissait dessus, comme si les ouvriers eussent fait quelques erreurs en son absence.

L’inspection de la cathédrale terminée, il dirigea la promenade du côté du cimetière et s’arrêta pour s’extasier sur la beauté de la soirée.

Cette halte poétique eut lieu, par un effet du hasard, justement dans le voisinage immédiat de l’épitaphe de Mme  Sapsea.

« Et à propos, dit M. Sapsea semblant descendre de ses hauteurs ordinaires et rappelé sur la terre par un souvenir subit, ainsi qu’Apollon descendant de l’Olympe pour ramasser sa lyre oubliée, voici quelque chose de ma façon. La partialité des gens de notre ville en a décidé ainsi, et l’on a vu des étrangers parfois en prendre copie. Je ne puis être juge d’une petite œuvre qui est mienne, mais il n’était pas facile de tourner la chose, et je puis dire, de la tourner avec élégance. »

M. Datchery tomba eu extase devant la composition de M. Sapsea.

En dépit de son intention de finir ses jours à Cloisterham, ce qui devait lui donner tout le temps de la copier, il l’aurait à l’instant couchée par écrit sur son agenda, sans l’intervention du constructeur du monument, Durdles, que M. Sapsea appela.

M. Sapsea n’était point fâché de fournir à Durdles, en la personne de M. Datchery, un brillant exemple de conduite à tenir à l’égard des supérieurs.

« Ah ! Durdles, c’est le maçon, monsieur, un de nos dignes habitants de Cloisterham ; tout le monde ici connaît Durdles. M. Datchery, Durdles, un gentleman qui vient s’établir ici.

— Durdles n’en ferait rien si Durdles était à sa place, grommela Durdles ; nous sommes des gens ennuyeux.

— Bien certainement, vous ne parlez pas pour vous-même, monsieur Durdles, pas plus que pour Son Honneur.

— Qui est Son Honneur ? demanda Durdles.

— Son Honneur monsieur le maire.

— Durdles n’a jamais comparu devant lui, dit Durdles, autrement que comme un loyal sujet de la mairie, et Durdles n’est point fâché de l’honorer quand il est en sa présence.

Monsieur Sapsea est son nom,
L’Angleterre est sa patrie,
Cloisterham est le lieu de sa résidence,
Commissaire-priseur est sa fonction.

En cet instant, Deputy, précédé par le vol d’une écaille d’huître, parut en scène et demanda payement d’une somme de trois sous, à lui due par M. Durdles, qu’il avait vainement cherché de tous les côtés pour lui réclamer le payement de ses gages légitimes.

Tandis que le gentleman maçon, son paquet sous le bras, cherchait lentement et comptait l’argent, M. Sapsea renseigna M. Datchery sur les habitudes de Durdles, sa profession, son domicile et sa renommée.

« Je suppose qu’un étranger curieux pourrait aller voir vous et vos œuvres, M. Durdles, dit M. Datchery qui semblait alléché par les renseignements du maire.

— Tout gentleman peut venir voir Durdles le soir, s’il apporte avec lui des rafraîchissements pour deux, répondit Durdles tenant un sou double entre ses dents et quelques sous dans ses mains ; et s’il lui plait de doubler la ration, il sera doublement le bienvenu.

— J’irai. Maître Deputy, que me dois-tu ?

— Une corvée.

— Songe à me payer honnêtement cette corvée en me conduisant à la demeure de M. Durdles, quand il me plaira d’y aller. »

Deputy lança un sifflement strident entre ses dents absentes.

C’est ainsi qu’il payait ses dettes.

Après quoi il s’évapora.

Le magistrat vénéré et son admirateur continuèrent leur route ensemble, et enfin se séparèrent, après beaucoup de cérémonies, à la porte du maire.

L’admirateur, à ce moment, portait encore son chapeau sous le bras et exposait sa chevelure grise à la brise du soir.

M. Datchery se dit à lui-même en examinant sa tête blanche dans la glace du café et tout en arrangeant ses cheveux :

« Pour un simple particulier d’humeur tranquille et vivant paresseusement de son revenu, j’ai eu, ce me semble, une après-midi passablement occupée. »