Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Menuiserie

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MENUISERIE, s. f. (Hucherie, huisserie, menuisiers, scieurs d’aiz, manhuissiers). Si les populations du Nord sont particulièrement aptes à faire des ouvrages de charpenterie, elles ne sont pas moins habiles à donner aux bois ces formes à la fois délicates, légères et solides qui constituent la menuiserie. L’art de la menuiserie n’est d’ailleurs qu’une branche, qu’un dérivé de l’art des charpentiers dans les premiers siècles du moyen âge ; les moyens d’exécution sont les mêmes.

L’art de la menuiserie se distingue nettement de l’art de la charpenterie, lorsque l’on commence à employer pour le débitage, la coupe et le polissage des bois, des outils très-perfectionnés. L’invention de la scie remonte à une haute antiquité ; les anciens connaissaient le rabot ou la demi-varlope et la varlope. Cependant, jusqu’au XIIIe siècle, on employait souvent, pour la menuiserie, des bois refendus (merrain), travaillés au ciseau et à la gouge sans le secours du rabot.

Il ne nous reste qu’un bien petit nombre d’objets de menuiserie antérieurs au XIIIe siècle, et ces fragments ressemblent beaucoup, pour la combinaison des assemblages, à des œuvres de charpenterie exécutées sur une petite échelle. Mais à dater du XIIIe siècle, l’art de la menuiserie prend un grand essor, possède ses règles particulières et arrive à un degré de perfection remarquable. Les ouvrages de menuiserie qui nous restent des XIVe et XVe siècles sont souvent des chefs-d’œuvre de combinaison, de coupe et de trait. Les traditions de cet art, conservées jusqu’au XVIIe siècle, résultent : 1o d’une parfaite connaissance des bois ; 2o d’un principe de tracé savant ; 3o d’un emploi judicieux de la matière, en raison de ses qualités propres.

Comme dans tout système de construction, dans la menuiserie, la matière employée doit commander les procédés d’assemblages et imposer les formes ; or, le bois est une matière qui possède des propriétés particulières dont il faut tenir compte dans la combinaison des œuvres de menuiserie comme dans la combinaison des œuvres de charpente ; les artisans du moyen âge ne se sont pas écartés de ce principe vrai. La connaissance des bois est une des conditions imposées au menuisier ; cette connaissance étant acquise, faut-il encore savoir les employer en raison de leur texture et de leur force. Le bois qui se prête le mieux aux ouvrages de menuiserie est le chêne, à cause de sa rigidité, de la finesse de ses fibres, de sa dureté égale, de sa durée et de sa beauté. Aussi, pendant le moyen âge, en France du moins, le chêne a-t-il été exclusivement employé dans la menuiserie de bâtiment.

Pour être employé dans la menuiserie, le chêne, doit être parfaitement sec, c’est-à-dire débité depuis au moins six ans. Si nous examinons les ouvrages de menuiserie des XIIIe, XIVe et XVe siècles, nous observons, en effet, que les bois n’ont point joué, qu’ils sont restés dans leurs assemblages et qu’ils ne présentent pas de gerces. Ces bois, une fois débités, étaient d’abord laissés dans des lieux humides et même dans l’eau, puis empilés à claires-voies sous des abris secs, retournés souvent et quelquefois soumis à l’action de la fumée[1].

Les menuisiers du moyen âge n’employaient pas les bois trop vieux qui sont sujets à se gercer et à se piquer. Ils faisaient débiter des chênes de deux cents à trois cents ans, c’est-à-dire des troncs, dont le diamètre, à 3m,00 au-dessus du sol, aubier déduit, varie de 0m,70 à 1m,00. Ces troncs étaient sciés en quatre dans la longueur à angle droit ; chaque quart était débité suivant diverses méthodes, mais toujours en tenant compte, autant que possible, de la texture du bois.


Un tronc de chêne qu’on laisse desséché se gerce conformément à la figure A (O), ce qui est facile à expliquer. Les couches concentriques sont d’autant plus dures et compactes qu’elles se rapprochent du centre, d’autant plus poreuses qu’elles se rapprochent de la circonférence. Ces couches contiennent donc d’autant plus d’eau qu’elles ont un plus grand rayon. Lorsque le bois se dessèche, les couches extérieures prennent un retrait plus considérable que celles intérieures ; il en résulte des fentes ou gerces, tendant toutes au cœur du tronc. Si le débitage du bois est fait, sans tenir compte de cet effet de la dessiccation, les planches débitées se gercent ou se contournent ; elles sont sensibles à toutes les variations de la température. Si, au contraire, ce débitage est fait en raison de la direction naturelle des gerces, les planches se rétrécissent dans leur largeur, mais ne peuvent ni se fendre ni cartiner, c’est-à-dire se courber dans le sens de leur sciage. Le chêne est formé d’une succession de couches comme tous les bois, mais ces couches sont réunies par des espèces de chevilles naturelles qui les rendent solidaires ; ces chevilles, qu’on nomme mailles, tendent au centre du tronc. Si donc le débitage est fait comme l’indique le tracé sur le quart B, il est fait dans les meilleures conditions ; c’est ce qu’on appelle le débitage sur maille (parallèlement aux mailles). Ce débitage est long et laisse tomber beaucoup de triangles qui ne sont que des chanlattes. Le meilleur débitage après celui-ci est le débitage tracé sur le quart D, puis celui tracé sur le quart E. Quant aux madriers et membrures, le débitage le plus économique est celui tracé en F. Les mailles du chêne donnent non-seulement de la solidité aux planches débitées suivant les rayons du tronc, mais encore présentent des parements d’un aspect soyeux, moiré, qui ajoute beaucoup à la beauté du bois. Les chênes débités sur maille sont donc les meilleurs pour la menuiserie[2].

Bien que les menuisiers employassent la colle de peau et la colle de fromage, cependant la solidité de l’œuvre dépendait avant tout de la disposition des assemblages à queue d’hironde, ou chevillés.

Pour joindre des ais, on ne se servit qu’assez tard (vers le XVe siècle) des rainures ou languettes. On les réunit au moyen de queues d’hirondes entaillées à mi-bois (1), ainsi qu’on le voit en A ; ou de barres embrévées et chevillées, B ; ou de barres-à-queues entièrement embrévées, C ; ou de prisonniers D ; en bois dur ou même en fer. Ce sont là des combinaisons élémentaires qui ont dû être appliquées de tout temps. En effet, des ouvrages de bois de l’antiquité égyptienne sont façonnés d’après ces procédés. Sur les rives des ais, on interposait une couche de colle de fromage qui faisait adhérer les planches ou les madriers entre eux. Au moyen d’un racloir de fer recourbé, on polissait la face vue et on la recouvrait de peinture, ou on l’intaillait à une faible profondeur en réservant des ornements ou des figures. C’est d’après ce procédé que sont faites les portes en pin de la cathédrale du Puy-en-Vélay qui remontent au XIe siècle. Ces ornements, légèrement découpés en relief, étaient eux-mêmes, ainsi que les fonds, recouverts de peintures sur une impression d’oxyde de plomb (minium)[3].

Deux conditions principales semblent avoir été imposées aux œuvres de menuiserie du moyen âge : économie de la matière, et la plus grande force possible laissée au bois au droit des assemblages. — Économie de la matière, en ce que les renforts sont évités du moment qu’ils ne peuvent être compris dans une pièce équarrie ; en ce que les panneaux, par exemple, n’ont jamais que la largeur d’une planche, c’est-à-dire 0m,22 au plus, 8 pouces ; les montants et traverses, 0m,08, 3 pouces au plus, pour les ouvrages ordinaires. — Plus grande force possible laissée au bois là où il porte assemblage, en ce que les chanfreins, élégissements et moulures s’arrêtent dès qu’un assemblage est nécessaire. L’observation de ces deux conditions donne un caractère particulier à la menuiserie. Si la matière est économisée, si elle est employée en raison de ses qualités, la main-d’œuvre est prodiguée, comme pour faire ressortir les précieuses propriétés du bois ; car il ne faut pas oublier que pendant le moyen âge la main-d’œuvre est toujours en raison de la valeur de la matière ; elle lui est supérieure, mais dans une proportion relative.

Les menuisiers du moyen âge tiennent compte de la valeur du bois, comme les appareilleurs tiennent compte de la valeur de la pierre. Il y a là une idée juste, un principe vrai et un sentiment de l’économie qui imposent l’attention et l’étude, sans nuire à l’art, car c’est de l’art. Ces artisans pensaient qu’une matière aussi précieuse que le bois, qui vient lentement et demande des préparations longues pour être définitivement mise en œuvre, mérite qu’on ne la prodigue pas et qu’on donne l’idée de sa valeur par le soin avec lequel on la travaille. Ces artisans ne donnaient pas à la menuiserie de pin, de mélèze ou de sapin, les formes que permet l’emploi du chêne ou du noyer. Observant les qualités particulières aux diverses essences, ils tenaient à la légèreté jointe à la solidité ; ce qui est la première loi de la menuiserie, ainsi que nous l’avons dit déjà. Jamais, par conséquent, il ne leur serait venu à la pensée de simuler en menuiserie des formes convenables pour de la pierre ; jamais ils n’appliquaient à la menuiserie de grandes courbes qui exigent un déchet considérable et forcent de couper le bois à contre-fil. Toutes leurs combinaisons partent de la ligne droite, au moins pour les membrures. L’étude de cet art, si fort détourné de sa voie aujourd’hui, est donc intéressante ; car avec un système de structure très-restreint, des dimensions qui se renferment dans les forces de bois débités uniformément, ces artisans sont parvenus à trouver les combinaisons les plus variées et les plus ingénieuses sans être arrêtés jamais par les difficultés que pouvaient présenter ces combinaisons.

Il nous faut classer les ouvrages de menuiserie par natures, afin de mettre de l’ordre dans cet article. Nous commencerons par les plus simples en principe, par les claires-voies, c’est-à-dire les assemblages de bois d’égale force, présentant des clôtures à jour sur un seul plan, des grillages en un mot.

Clôtures, claires-voies, clotêts, lambris. — Voici (2) une de ces grilles de bois comme on en voit encore dans la cathédrale de Bâle et dans quelques églises des provinces de l’Est.
D’un simple treillis de chevrons assemblés à mi-bois, le menuisier arrivait à façonner une clôture d’un aspect monumental. Le principe émis ci-dessus, et qui consiste à laisser au bois toute sa force au droit des assemblages, est scrupuleusement observé ; mais entre ces assemblages, au droit des vides, l’ouvrier a pratiqué des élégissements qui forment une décoration et enlèvent à cette combinaison si simple l’apparence grossière qu’elle aurait si les bois eussent conservé leur équarrissage[4]. Voici encore (3) un exemple d’un grillage formant lambris plein. Les montants et les traverses sont de même, assemblés à mi-bois, élégis entre les assemblages. Les vides carrés laissés entre le grillage sont remplis par des petits panneaux simplement engagés dans une feuillure comme des tablettes dans un cadre (voir la section A)[5].

Ces sortes de grilles en bois étaient fort en usage au moyen âge dans les châteaux et les maisons ; souvent les grandes salles étaient divisées par des claires-voies de ce genre, mobiles, que l’on plaçait lorsque l’on voulait obtenir des divisions provisoires. En hiver, des tapisseries étaient suspendues à ces claires-voies ; en été, elles restaient à jour. Ces divisions mobiles, appelées clotets, étaient souvent fort richement décorées, possédant des panneaux à jour et formées d’entrelacs, de membrures ingénieusement assemblés, toujours à mi-bois. Car, ne l’oublions pas, le caractère dominant de la menuiserie française au moyen âge, c’est d’être assemblée, de conserver une structure logique en concordance parfaite avec la forme. Il existe en Italie, en Espagne, en Orient même, des ouvrages de menuiserie d’un aspect saisissant, qui séduisent par leur excessive richesse et leur combinaison compliquée ; mais lorsque l’on examine attentivement la structure de ces ouvrages, on s’aperçoit bientôt que cette structure ne concorde nullement avec l’apparence. La légèreté n’est qu’extérieure, la construction est des plus grossières ; ce sont, par exemple, — ainsi que cela se voit dans la menuiserie arabe de l’Espagne, — des placages de moulures coupées d’onglet et clouées sur des fonds de madriers rangés à côté les uns des autres plutôt qu’assemblés ; ce sont des collages de bois découpés, rapportés les uns sur les autres, suivant un charmant dessin, mais sans que cette décoration s’accorde en rien avec la structure vraie ; ce sont encore, — ainsi qu’on peut l’observer dans certaines œuvres de menuiserie de l’Italie et même de l’Allemagne du moyen âge, — de véritables billes de bois réunies par des prisonniers, à travers lesquelles passent des moulures, des bas-reliefs, des ornements, coupés en pleine masse comme dans un bloc de marbre. Les moulures sont taillées à contre-fil, les joints tombent au milieu d’un relief, peu importe. Entre l’emploi de la matière et la façon de la décorer, il n’y a nulle harmonie, nulle entente ; le menuisier et l’artiste sont deux hommes qui travaillent l’un après l’autre séparément. Le menuisier n’est qu’un assembleur de blocs ; l’artiste, qu’un sculpteur ne se préoccupant pas de la nature de la matière qu’on lui fournit. À coup sûr, ces œuvres peuvent être fort belles au point de vue de l’art du sculpteur, mais on ne saurait les considérer comme de la menuiserie. Pourquoi faut-il que nous en soyons venus au point d’expliquer ainsi et de revendiquer ces qualités si bien françaises ? Pourquoi sont-elles méconnues, oubliées ?… Ces ouvrages de bois des Arabes, des Orientaux, ont au moins conservé la forme traditionnelle de la véritable menuiserie, et si les artisans n’en comprennent pas et n’en savent plus appliquer la structure, du moins ils en ont respecté l’apparence ; mais on n’en saurait dire autant de la menuiserie italienne, non plus que de celle que l’on fait en France depuis le XVIIe siècle par imitation et, contrairement à notre esprit, éminemment logique[6].

Voici (4) une de ces clôtures en bois de sapin comme on en voit encore dans les provinces de l’Est et sur des vignettes de manuscrits ou peintures du XVe siècle[7]. Le système se compose de tringles de sapin de 18 lignes d’équarrissage (0m,04). Sur les montants A, s’assemblent à mi-bois les écharpes B. Sur celles-ci, les écharpes C, D et E ; sur ces derniers, les montants F, toujours à mi-bois. Tout l’ouvrage est maintenu entre un châssis G, H, I, fait de chevrons de 3 pouces d’épaisseur (0m,08) sur 3 pouces et demi (0m,095). Au droit de chaque assemblage à mi-bois, est une cheville en fer doux K, munie de deux rondelles et rivée. Sur les faces de chaque hexagone, les arêtes sont chanfreinées, ainsi que l’indique le détail L, et dans les triangles à jour M, les arêtes des tringles sont également entaillées de manière à former des étoiles à six pointes, composées de deux triangles équilatéraux se pénétrant. On observe ici que, si le principe est simple, si la matière est commune, la main-d’œuvre prend une certaine importance. En N, nous avons présenté une coupe de la clôture faite sur ab, et en P un détail perspectif du morceau O désassemblé. Il est inutile de faire remarquer la solidité et la parfaite rigidité de ce léger treillis, dont l’effet est très-brillant. Ces sortes d’ouvrages de menuiserie étaient presque toujours peints de couleurs claires, rehaussées de filets bruns ou noirs. Ainsi, dans l’exemple que nous donnons ici, les fonds étaient blancs, les chanfreins des hexagones brun rouge, ainsi que les trois biseaux des étoiles ; celles-ci étaient en outre bordées d’un mince filet noir. Les rondelles et rivets en fer étaient également peints en noir.

Nous pourrions multiplier ces exemples, mais les personnes du métier sentiront tout le parti qu’on peut tirer de ces combinaisons sans qu’il soit nécessaire d’insister. Il y a, dans la menuiserie française du XIVe siècle, certains ouvrages qui ont bien quelque ressemblance avec les œuvres des Orientaux mentionnées ci-dessus, mais dont la structure cependant est mieux raisonnée. Ces clôtures, ces barrières, ces lambris étaient simplement formés de planches posées jointives, embrévées dans un bâti ; pour empêcher les planches de gauchir, de coffiner, autant que pour décorer les surfaces planes, au moins d’un côté, le menuisier rapportait par-dessus un treillis de bois légers assemblés à mi-bois et formant des combinaisons géométriques plus ou moins compliquées. La surface plane des planches était même souvent sculptée en faible relief (puisque la sculpture était obtenue aux dépens de l’épaisseur de ces planches) entre les compartiments formés par les treillis.

Voici (5) un exemple de ces ouvrages de menuiserie. Les joints des planches, d’une largeur d’un pied (0m,32), sont marqués sur notre dessin. Le treillis assemblé à ses extrémités dans les membrures du bâti, ainsi qu’il est indiqué en a (voir le détail A), est cloué, à chaque rencontre, sur les planches du fond, et forme ainsi une surface parfaitement rigide qui empêche le gauchissement de ce fond. Ce treillis est assemblé à mi-bois avec coupes d’onglet au droit des moulures, ainsi qu’on le voit en b. La coupé C donne en c l’épaisseur de la planche et en d celle du treillis[8]. Une claire-voie, composée de colonnettes tournées, surmontait l’appui D ; de distance en distance, des montants E maintenaient le tout. En F, nous donnons le profil de la traverse supérieure f ; en G, le profil de l’appui g et en H, le profil de la traverse basse h. Nous verrons tout à l’heure des vantaux d’une porte de l’église de Gannat, combinés d’après le même principe.

On comprendra comment les tringles de bois, rapportées sur ces planches et se coupant dans tous les sens, devaient les maintenir dans leur plan. Ce système, toutefois, est exceptionnel dans les œuvres de menuiserie du moyen âge en ce que nous n’y trouvons pas les panneaux embrévés, mais un fond simple sur lequel est cloué un réseau de bois ; ce réseau n’est pas seulement une décoration rapportée, il est composé de pièces assemblées et se tient de lui-même. Dès le XIIIe siècle, on avait façonné en France des ouvrages de menuiserie où le système des panneaux embrévés en feuillures est adopté ; mais les languettes et feuillures sont généralement alors à grain d’orge.

Nous donnons (6) un de ces panneaux, présenté de face en A, en coupe en B, et en section horizontale en B′. Ce système mérite quelque attention. Un lambris se compose de montants et de traverses, entre lesquels sont embrévés des panneaux. Les montants de rive, ceux qui forment les extrémités du lambris, reçoivent les traverses à tenons et mortaises ; tandis que les montants intermédiaires s’assemblent dans les traverses. En C, on voit un montant d’extrémité ; en D, un montant intermédiaire. Dans ce cas, la moulure E de la traverse est poussée sans tenir compte des assemblages. Puis, lorsqu’il s’agit de faire les assemblages des montants intermédiaires, la moulure est enlevée, ainsi qu’il est indiqué en F. Dès lors, cette moulure vient battre contre la tête des montants. Ceux-ci ne sont chanfreinés ou moulurés que dans leur partie libre ; les chanfreins ou moulures s’arrêtent en G par un congé, pour laisser au montant toute sa force au droit des assemblages et pour éviter les joints d’onglet toujours défectueux. Les panneaux H sont embrévés à grain d’orge, suivant la section I ; s’ils sont amincis sur leurs quatre rives pour entrer en feuillure, ils conservent toute leur force au centre, comme le marque la section B′ en K. Ces panneaux sont libres dans leurs feuillures ; ils peuvent se rétrécir sans inconvénients. Les montants et traverses étant assemblés carrément, le jeu que donne la dessiccation des bois n’apparaît pas dans les joints, ainsi qu’il arrive toujours avec le procédé des onglets. Tout le système se rétrécit ensemble. Nous donnons en L divers modes d’assemblages des montants avec les traverses des lambris. En M, ce sont les montants dont la moulure est poussée, sans tenir compte de l’assemblage, et ce sont les traverses qui portent des arrêts m au droit de chacun de ces assemblages. En N, les montants et traverses ont l’un et l’autre des arrêts au droit des assemblages. En O, de même. En M′N′O′, sont tracés les assemblages des montants avec les traverses basses ou plinthes. En M″N″O″, les sections horizontales des panneaux avec les montants.

Lorsque les lambris sont hauts, il est nécessaire de les couper dans leur hauteur par une ou plusieurs traverses intermédiaires qui évitent les panneaux trop longs, toujours portés à gauchir. Ainsi (7), soit un lambris de cinq pieds de haut (1m,62), on aura d’abord une semelle ou plinthe A, dans laquelle viendra s’embréver la traverse basse B. Sur cette traverse basse s’assembleront les montants C intermédiaires, et elle-même s’assemblera dans les montants extrêmes D. Le même système renversé sera adopté pour la traverse haute F et la corniche E. Mais en G, on assemblera entre chaque montant des traverses à tenons H et mortaises, afin de diminuer, comme nous l’avons dit, la longueur des panneaux. Ceux-ci seront souvent, lorsqu’il s’agit de lambris adossés à des murs, simplement posés en feuillure, ainsi que l’indique la coupe en I, et retenus par quelques pattes. Ces panneaux ne peuvent influer en rien sur la membrure, et s’ils sont faits en bois bien sec, n’ayant que la largeur d’une planche de merrain ou débitée comme nous l’avons marqué au commencement de cet article, tout l’ouvrage subira sans inconvénients les changements de température. Car la question principale, dans les œuvres de menuiserie, est toujours de laisser au bois la facilité de gonfler ou de se rétrécir sans influer sur les assemblages. Les tenons K des montants passent à travers la traverse haute et la corniche, afin d’empêcher le gauchissement de celle-ci, ce qui ne manque pas d’arriver lorsque ces corniches ou cimaises sont simplement embrévées à languettes dans les traverses hautes. En effet, l’épaisseur de ces corniches ou cimaises étant plus forte que celle de la traverse haute, elles ont assez de puissance, lorsqu’elles gauchissent, pour faire éclater la languette prise dans le bois de fil. Ce système de lambris à panneaux est adopté pendant les XIIIe et XIVe siècles avec des variantes dans les profils. Quant aux assemblages, jusqu’au XVe siècle, ils sont toujours francs, c’est-à-dire pris dans le bois conservant son équarrissage.

L’exemple que nous donnons, figure 7, montre les moulures de toutes les traverses poussées sans arrêts et celles des montants avec arrêts au droit de ces assemblages. Même lorsque la moulure d’encadrement des panneaux se suit sans interruption sur les montants et les traverses, ainsi que cela est souvent pratiqué dans les lambris du XVe siècle, les assemblages d’onglet sont évités.
Nous en trouvons un exemple dans l’un des jolis lambris qui tapissent les chapelles de la nef de l’église de Semur-en-Auxois (8). Les montants et traverses de ces lambris ont 0m,04 d’épaisseur (1 pouce 1/2) ; on voit que le profil d’encadrement A s’arrondit en quart de cercle pour se continuer le long des montants, mais que les assemblages sont toujours francs, sans onglets. Cette moulure d’encadrement ne se retourne pas sur la traverse intermédiaire B, et celle-ci ne possède que des chanfreins peu prononcés avec arrêts au droit de chaque assemblage. Quant aux panneaux inférieurs, ils sont sans moulures d’encadrement, mais avec des chanfreins comme pour donner plus de solidité à ce soubassement. Une corniche C, dont nous donnons le profil en C′, est clouée sur la face de la traverse haute. Dans la frise supérieure D, des panneaux ajourés posés en long allégissent la boiserie. Les panneaux pleins n’ont que 0m,20 de largeur vue (8 pouces, compris les languettes), 0m,01 d’épaisseur aux rives (5 lignes), mais sont renforcés par ces nervures figurant des parchemins pliés. (Voir la section horizontale E, faite au niveau e, et la section F, faite au niveau f.) En G est tracé la coupe verticale des lambris, en H le profil de la traverse A, et en I l’arrêt de la moulure d’encadrement sur les traverses.
Nous donnons (9) plusieurs exemples de ces renforcements de panneaux, figurant des parchemins pliés. L’exemple A montre des petites baguettes ornées, passant derrière ces parchemins.

Dans la menuiserie antérieure au XVe siècle, il était d’usage souvent, surtout pour les meubles, de revêtir les panneaux de peau d’âne ou de toile collée sur le bois au moyen de colle de fromage ou de peau. Lorsque ces boiseries vieillirent, ces revêtements durent quelquefois se décoller en partie des bois déjetés ; de là des plis, des bords retournés. Il est à présumer que les menuisiers eurent l’idée de faire de ces accidents un motif d’ornement et un moyen de donner de l’épaisseur aux panneaux, tout en laissant leurs rives et languettes très-minces. De là ces panneaux à parchemins plissés si fort en vogue pendant le XVe siècle et le commencement du XVIe.

Nos ouvriers du moyen âge n’étaient pas seulement d’habiles praticiens, ils étaient observateurs, attentifs à profiter de tout ce que le hasard leur faisait découvrir. Un défaut, un effet du temps sur les matériaux, devenait pour eux motif de perfectionnement ou d’ornement. Aimant leur métier parce qu’il était le produit d’un labeur raisonné et non une vague et inexpliquée tradition d’un art étranger, ils suivaient leur propre génie, trouvant des combinaisons nouvelles dans l’observation journalière de l’atelier sans emprunter au dehors des formes dont le sens n’avait plus pour eux de signification. Les architectes ont depuis longtemps déjà détourné la menuiserie de sa véritable ligne en voulant lui imposer des formes en désaccord avec ses ressources. Pendant les deux derniers siècles on a imité beaucoup de choses à l’aide de la menuiserie, le stuc, le marbre, la pierre, le bronze, des colonnes, des draperies, des corniches saillantes, des arcs, tout, sauf la menuiserie, et cela au nom du grand art classique. Il semblerait, au contraire, que l’art classique consistait à employer le bois, la pierre ou le métal, en raison des propriétés particulières à chacune de ces matières. Ouvrons un traité de menuiserie de ces derniers temps et nous y verrons, quoi ? Comment on fait des colonnes corinthiennes, des arcs et des pénétrations de courbes, des culs-de-lampes, des trompes avec des madriers et des planches, afin de simuler en bois des ouvrages de maçonnerie ; comment on fait des portes à grands cadres, des consoles et des corniches de 0m, 50 de saillie ; comment tout cela ne peut tenir qu’avec force équerres, plates-bandes, vis et colle. De sorte que les menuisiers ont fini par ne plus savoir faire de la menuiserie véritable, et que depuis un petit nombre d’années seulement plusieurs d’entre eux ont commencé à rapprendre cet art pratiqué il y a quatre cents ans avec autant de savoir que de goût. Mais c’est toujours dans les contrées du Nord qu’il faut chercher les œuvres de menuiserie dignes de ce nom. Occupons-nous maintenant des portes, des huis pleins ou à claires-voies, des croisées.

Huis. — Les portes les plus anciennes que nous retrouvons éparses encore dans quelques provinces françaises ne sont pas antérieures au XIe siècle, et il faut dire qu’à cette époque ces ouvrages de menuiserie sont très-grossiers. Ils consistent en une série d’ais simplement jointifs, doublés par d’autres ais disposés de manière à se relier aux premiers par des clous. C’est suivant ce principe que sont disposés des vantaux de portes de la cathédrale du Puy-en-Vélay et un vantail d’une porte de l’église de la Voute Chilhac (10).
Du côté intérieur A, cette porte ne présente qu’une suite de planches jointives ; à l’extérieur B, d’autres planches posées sur les premières en travers sont clouées et présentent une apparence de panneaux couverts d’ornements plats[9]. En C est donnée la coupe de l’huis faite par ab. Cette sorte de menuiserie est tout orientale, comme les ornements qui la décorent. On ne voit là ni assemblages, ni aucune des combinaisons à la fois légères et solides qui constituent les œuvres de menuiserie. Ce sont des planches clouées les unes sur les autres, et rien de plus. Très-postérieurement à cette époque, on voit encore dans des provinces du centre de la France des huis qui, bien que moins naïvement exécutés, découlent encore du même principe.
Il existe dans l’église de Gannat une porte à deux vantaux (11)[10], dont chaque huis est composé de quatre planches posées jointives ; pour les rendre solidaires et les empêcher de gauchir, l’ouvrier a posé en dehors un treillis de bois formant comme des panneaux à peu près carrés. En A, la porte est présentée à l’intérieur. Le détail B donne la moitié d’un vantail du côté extérieur avec son treillis. Le détail C indique le mode d’assemblage des montants et traverses du treillis, la section D étant faite sur ab et la section E sur ef. G présente l’assemblage perspectif des traverses et F la section sur le battement. Un clou à tête carrée en pointe de diamant est fiché au milieu de chaque assemblage et dans les traverses et montants entre chacun de ces assemblages.

Ces clous, au droit des joints des planches, ont leurs pointes doubles, rabattues à droite et à gauche, ainsi qu’on le voit en D. Cet ouvrage est solide, puisqu’il est resté en place depuis le XIVe siècle ; mais ce n’est pas là une œuvre de menuiserie comme on en voit à cette époque et même antérieurement dans les provinces du Nord. Les vantaux de cette porte sont serrés au moyen de pentures clouées en dedans, ainsi que l’indique le figuré A. Les planches et le treillis sont en chêne, et le tout est d’ailleurs bien dressé.

La figure 12 nous montre les anciens vantaux de porte de la Sainte-Chapelle haute de Paris. Cet ouvrage de menuiserie datait du milieu du XIIIe siècle comme l’édifice ; il était autrefois décoré de peintures à l’extérieur et à l’intérieur. En A, nous présentons un vantail du côté intérieur ; en B, du côté extérieur. Le système consiste en une membrure fortement assemblée avec deux montants, trois traverses et des décharges destinées à reporter tout le poids de l’huis sur les gonds. Les traverses sont assemblées dans les montants à queue d’hironde, et les décharges, outre des tenons, possèdent des embrévements qui roidissent l’ouvrage. Devant ce bâti sont clouées des frises assemblées à grain d’orge ; puis une décoration en bois mince est clouée sur ces frises à l’extérieur. En C, nous avons indiqué la section des vantaux. Les pentures posées en dedans sur les trois traverses, — nous avons tracé une seule de ces pentures sur la traverse du milieu, — sont doublées en dehors par des plates-bandes en fer mince, ornées de gravures. Ainsi ces traverses se trouvent serrées entre deux bandes de fer, et les clous des pentures intérieures sont rivés extérieurement sur ces bandes de tôle. Des clous à têtes carrées en pointes de diamant très-plates réunissent encore les frises à la membrure. Le gâble avec son tiers-point, ses redents, ses crochets et colonnettes, n’est qu’un placage maintenu au moyen de pointes. Un battement existe à la jonction des deux vantaux avec le trumeau central en pierre et forme comme un petit contre-fort sur la rive du vantail. À l’intérieur, les montants, traverses et décharges sont chanfreinés entre les assemblages et élégissent la membrure. Ces vantaux, très-altérés par des guichets que l’on avait pratiqués à travers les huis et presque entièrement pourris dans leur partie inférieure, ont dû être remplacés lors des restaurations.

L’emploi de ce système de portes est très-fréquent pendant les XIIIe et XIVe siècles. Il est léger, solide et se prête bien à la pose des ferrures de suspension. Les portes de la façade de la cathédrale de Paris, décorées à l’extérieur des belles pentures si connues, sont combinées de la même manière et datent probablement du commencement du XIIIe siècle, car nous ne pensons pas qu’elles aient été refaites. Leur parement extérieur, sous les pentures, était couvert primitivement d’une peinture rouge très-brillante d’un ton laqueux.

La cathédrale de Poitiers possède encore ses vantaux de portes qui datent du commencement du XIVe siècle. Ces œuvres de menuiserie sont d’un certain intérêt, parce qu’elles servent de transition entre les vantaux composés d’un bâti contre lequel était appliqué un parquet de planches de chêne et les vantaux à panneaux embrévés entre la membrure elle-même. De plus quelques-uns de ces vantaux sont déjà munis de guichets.
La figure 12 bis présente l’un de ces vantaux en A du côté intérieur, et en B du côté extérieur. Les montants a et b sont plus épais que les traverses haute et basse ; ils ont 0m,13, tandis que celles-ci n’ont que 0m,10. Quant aux traverses intermédiaires, elles n’ont que 0m,08. Des montants de même épaisseur sont assemblés entre ces traverses et reçoivent des panneaux entre eux, ainsi que le fait voir en C et D le détail P. À l’extérieur, la membrure tout entière et les panneaux sont au même nu, et ces panneaux ne se distinguent des autres parties que par un élégissement indiqué en G dans le détail P. Des décharges assemblées dans les montants C, et n’ayant que la moitié de l’épaisseur de ceux-ci, empêchent le vantail de se déformer et de fatiguer les assemblages par son poids. En I est tracé un détail perspectif de l’assemblage des décharges avec les montants intermédiaires ; ces pièces sont réunies à leur rencontre par des clous K à tête carrée et à doubles pointes rabattues à l’intérieur. En L est tracé le détail du battement, muni d’une colonnette à pans, saillante à l’extérieur, O étant le chapiteau figuré en o, R la bague r, S la base s. Ces détails sont à l’échelle de 0m, 10 pour mètre. Ce ne fut guère qu’à la fin du XIVe siècle que les menuisiers se mirent à faire des portes à panneaux, c’est-à-dire ayant les faces extérieure et intérieure pareilles et composées de montants et de traverses entre lesquels étaient embrévées des planches à grains d’orges ou à languettes. L’église Notre-Dame de Beaune possède encore au commencement du bas côté du chœur, côté nord, un huis de ce genre qui date de la fin du XIVe siècle (13).

En A est donnée l’une des faces de cet huis, composé de deux montants de rive, de deux traverses hautes et basses, de trois autres traverses intermédiaires et de deux autres montants assemblés dans les traverses. En B est tracé le détail d’une traverse C, avec le montant intermédiaire D assemblé et le bout d’un panneau E. En F est la section horizontale d’un panneau avec les deux montants ; en G, la section verticale d’une traverse avec deux panneaux et leurs languettes ; en H nous donnons le détail perspectif d’un montant désassemblé, son extrémité supérieure étant en a. Déjà les panneaux sont renforcés dans leur milieu, ainsi que l’indique la section F, et ce sont les baguettes des montants et traverses qui reçoivent entre elles les languettes des panneaux laissés libres d’ailleurs. À la partie inférieure de ces panneaux, des chanfreins poussés sur les traverses remplacent les baguettes, afin de ne point arrêter la poussière. Ces baguettes se joignent d’onglet à la partie supérieure des panneaux et reposent en sifflet sur les chanfreins inférieurs, comme l’indique notre détail perspectif H. Ainsi, les baguettes et chanfreins pouvaient être poussés au guillaume le long des montants et traverses sans arrêts, et les assemblages étaient faits après coup en enlevant des baguettes et chanfreins ce qu’il fallait pour faire les repos et les mortaises. Bien entendu, cette porte, comme les précédentes, est en chêne.

Mais le XIVe siècle avait fait, en menuiserie, des œuvres remarquables ; il nous reste de cette époque des stalles fort belles (voy. stalle), des fragments de boiseries taillés et assemblés de main de maître. L’incurie, l’amour du changement, le faux goût, ont laissé ou fait disparaître un nombre prodigieux de ces œuvres d’art. Il faut aujourd’hui en chercher les débris dans quelques musées, en recueillir quelques traces conservées par de vieilles gravures ou des dessins. La Normandie, la Picardie, la Champagne et la Bourgogne étaient particulièrement riches en beaux ouvrages de menuiserie. Les vantaux de porte, très-simples jusqu’à cette époque, étaient devenus depuis lors un motif de décoration de bois. On renonçait aux applications de bronze, aux pentures de fer très-historiées, aux revêtements de cuir peint, pour donner au bois les formes les plus riches, sans cependant abandonner les principes de la vraie construction qui appartiennent à la menuiserie. Quelquefois alors, on laissait dans ces vantaux des ajours, et s’ils étaient d’une trop grande dimension pour être ouverts à chaque instant, on y pratiquait des guichets, ainsi qu’on a pu le remarquer déjà dans l’exemple donné figure 12 bis.

Voici (14)[11] une de ces portes. Sa membrure se composait de deux montants de rive, de deux traverses haute et basse, d’une large traverse intermédiaire, de deux décharges B formant gâble et de deux montants intermédiaires C, assemblés à mi-bois avec les décharges dans la partie supérieure et servant de dormants au guichet dans la partie inférieure. Les panneaux A, de la partie supérieure, étaient ajourés et vitrés probablement. Pour faire comprendre la construction de ce grand vantail, nous donnons en D la coupe faite sur ab, montrant le chapiteau des montants intermédiaires ; en E la section faite sur cd du gâble ; en F la section faite sur gh ; en G la section faite sur la traverse intermédiaire avec le battement i du guichet ; en II la section faite sur la traverse intermédiaire du guichet ; en K la section faite sur la traverse basse avec le battement l du guichet ; en OP la section verticale faite sur les panneaux latéraux de la partie inférieure ; en R la section faite sur np ; en S est l’échelle de l’ensemble ; en s, celle des détails. Il existe encore un assez bon nombre de vantaux du XVe siècle ; nous citerons ceux du portail sud de la cathédrale de Bourges, ceux du portail principal de l’église Notre-Dame de Beaune, ceux de la porte principale de l’hôtel de Jacques Cœur, à Bourges, ceux de l’avant-portail des libraires de la cathédrale de Rouen, ceux de l’hôtel-Dieu de Beaune parmi les plus remarquables. On employait fort souvent, au XVe siècle, ces vantaux ajourés, soit comme fermeture de vestibules, de chapelles, d’oratoires ou même de réduits, c’est-à-dire de cabinets donnant dans une chambre. Ces vantaux ajourés étaient même parfois brisés et pouvaient se replier comme nos volets, de manière à ne pas prendre de place dans de petites pièces lorsqu’on voulait les tenir ouverts. On voit encore à l’entrée d’une des chapelles du nord de l’église de Semur-en-Auxois une de ces portes exécutée avec un goût parfait (15).
Cette porte se compose de deux vantaux, chacun d’eux se repliant en deux feuilles. En A nous présentons un vantail en dehors, et en B en dedans. La section horizontale C est faite au niveau D, et la section E au niveau F. La brisure est indiquée en G et le battement des deux vantaux en H. En I est tracée la section verticale de la traverse supérieure et de la traverse intermédiaire. En K, la section ab, moitié d’exécution. Cette jolie menuiserie conserve encore ses ferrures, qui sont très-finement travaillées (voy. serrurerie). Tout cela s’ouvre facilement, est agréable à la main ; c’est bien là de la menuiserie d’appartement, légère, élégante, solide, faite pour l’usage journalier. Rien n’est plus simple, cependant, que sa construction, ainsi que le fait voir notre figure. Ici les moulures d’encadrement des panneaux se retournent sans arrêts, mais ne sont pas assemblées d’onglet, le retour d’équerre de ces moulures étant coupé à contre-fil dans les montants. Les battements saillants du milieu et des brisures sont chevillés sur les montants, ainsi que les profils L. Il n’y a ni clous, ni vis ; les ferrures seules sont retenues au moyen de crampons très-adroitement combinés pour ne point fatiguer ni ces ferrures ni le bois.

À l’intérieur des châssis de croisées, on posait dans les appartements des volets pleins ou ajourés qui étaient de véritables vantaux. Les ajours de ces volets étaient quelquefois pratiqués dans leur partie inférieure pour permettre de voir à l’extérieur sans ouvrir le vantail.

La fig. 16 représente un de ces volets[12] solidement construit et d’une forte épaisseur ; la membrure principale A (voy. la section B faite sur ab) encadre un second châssis C, qui maintient les panneaux D. En E, nous avons tracé le profil pris sur e ; en F le profil des deux membrures AC et en G, le détail perspectif de l’assemblage g de la traverse intermédiaire dans le montant. Les panneaux inférieurs sont délicatement ajourés suivant le profil E, les membres secondaires de cet ajour ne prenant que l’épaisseur h i. L’art de la menuiserie, au XVe siècle, arrivait à une perfection d’exécution qui ne fut jamais atteinte depuis. Le goût dominant dans l’architecture alors se prêtait d’ailleurs aux formes qui conviennent à de la menuiserie, puisque les ouvrages de pierre avaient le défaut de rappeler les délicates combinaisons données par l’emploi du bois. Les menuisiers du XVe siècle n’employaient que des bois parfaitement purgés, secs et sains, et ils les travaillaient avec une adresse que nous avons grand’peine à atteindre aujourd’hui, lors même que nous voulons payer la main-d’œuvre. Les menuiseries de la seconde moitié du XVe siècle ne sont pas très-rares en France et, grâce à l’excellent choix et à la sécheresse des bois employés, ces menuiseries sont biens conservées, ne se sont pas déjetées ni gercées, et ne sont piquées que lorsqu’elles ont été placées dans des conditions tout à fait défavorables.

Pour terminer notre étude sur les huis, les vantaux de porte, nous donnerons ici l’un de ceux qui ferment l’entrée principale de la nef de l’église Notre-Dame de Beaune.

La structure de ces vantaux (17) est simple, elle se compose de vingt panneaux embrévés entre des montants et des traverses ; un guichet, composé de quatre panneaux a, s’ouvre au milieu du vantail. Deux montants de rive, deux traverses haute et basse, trois montants intermédiaires avec quatre rangs d’entretoises forment l’ossature de ce vantail. Les montants sont renforcés de contre-forts et les entretoises de profils saillants. Ces contre-forts et les panneaux sont délicatement moulurés et sculptés dans du beau bois de chêne.
Nous donnons (18) quelques détails de cet ouvrage de menuiserie, c’est-à-dire le panneau b et partie de celui inférieur c, avec les contre-forts des montants et profils des entretoises. En A est tracée la coupe de ces détails, faite sur ef ; en B, la section horizontale d’un montant avec son contre-fort ; en C, la section à une plus grande échelle des moulures évidées dans l’épaisseur des panneaux. Cette manière d’orner les panneaux par des compartiments évidés à mi-épaisseur, représentant des meneaux de fenêtres, était fort en vogue au XVe siècle, et il fallait que ces panneaux pussent être très-facilement et rapidement sculptés, car on en trouve partout. Les ouvriers menuisiers façonnaient ces ouvrages au moyen de longs ciseaux, de gouges ou de burins, emmanchés comme l’indique le tracé G. La grande gouge g, terminée souvent par une sorte de cuiller comme les outils dont se servent les sabotiers, se manœuvrait des deux mains, le morceau de bois en œuvre étant maintenu horizontalement sur l’établi au moyen d’un valet ou d’une vis, ainsi que cela se pratique encore aujourd’hui[13].

Tous les panneaux de ces vantaux des portes de l’église de Beaune sont variés de dessins ; quelquefois, à la place de ces compartiments de meneaux, on sculptait des bas-reliefs ou des arabesques vers la fin du XVe siècle et le commencement du XVIe. Nous ne devons pas omettre, parmi les beaux exemples de vantaux, ceux des portes de l’église de Saint-Maclou, de Rouen, attribués à Jean Goujon, et qui, s’ils ne sont pas de lui, n’en présentent pas moins un des meilleurs exemples de menuiserie de la Renaissance.

Croisées. — Nous avons expliqué à l’article Fenêtre comment, pendant la période romane, les baies de croisées n’étaient souvent fermées qu’avec des volets pendant la nuit, et comment, pour obtenir du jour à l’intérieur des pièces, on laissait entrer l’air avec la lumière dans les appartements. Ces volets furent d’abord percés de petits ajours devant lesquels on tendait du parchemin ou un canevas, ou encore on incrustait des morceaux de verre. Cet usage se conserva longtemps parmi les populations du centre et du midi de la France ; mais dans le nord, la rigueur du climat et l’insuffisance de la lumière extérieure obligèrent les habitants des villes et châteaux à faire de véritables châssis propres à recevoir une surface étendue de vitraux ou de parchemin. Au XIIe siècle, ces châssis, ces croisées (pour leur appliquer le nom consacré par l’usage), n’étaient encore que de véritables volets composés de montants et de traverses, mais dont les panneaux de bois étaient remplacés par des vitres ou par du vélin huilé.

De ces ouvrages de menuiserie, il n’existe que bien peu de débris. Cependant à Paris, dans la tour dite de Bichat, ancienne commanderie des Templiers et qui a été détruite il y a neuf ans, il existait encore, dans une fenêtre du dernier étage, composée de deux parties séparées par un meneau, deux vantaux de croisée qui paraissaient appartenir à l’époque de la construction de cette tour (1160 environ). Pris dans un bouchement en platras déjà ancien, ils avaient pu échapper à la destruction et, quoique entièrement pourris, ils conservaient encore des lambeaux de vitraux blancs posés en feuillure. La figure 19 donne la face intérieure de l’un de ces vantaux de croisée avec sa ferrure. En A, nous en donnons la coupe sur ab, et en B la section horizontale sur cd. Ces sortes de châssis vitrés laissaient, relativement à leur surface, pénétrer peu de lumière ; mais alors on ne tenait pas, comme aujourd’hui, à éclairer beaucoup les intérieurs. Ces châssis étaient dépourvus de dormants et battaient dans les feuillures de la baie de pierre.

Au XIIIe siècle on ne se contentait plus déjà d’ajours aussi étroits, les fenêtres devenaient hautes et larges, leurs meneaux étaient diminués d’épaisseur et, par suite, les châssis de croisée s’allégissaient pour mieux faire pénétrer la lumière dans les salles. Les croisées en menuiserie de ce temps, n’existent plus que par fragments, et il faut réunir bien des renseignements épars pour pouvoir reconstituer un de ces châssis entier. Les scellements des ferrures les feuillures conservées dans les ébrasements, la trace des battants existent encore cependant dans un grand nombre de bâtiments. À la porte de Laon, à Coucy (commencement du XIIIe siècle), à Carcassonne (fin du XIIIe siècle), à Loches, à Château-Chinon, au palais de justice de Paris et dans plusieurs châteaux et maisons de nos anciennes provinces, il est facile de se rendre compte de la position des châssis vitrés, de leur ferrure et de leur épaisseur. Puis, en cherchant avec quelque soin, on retrouve encore çà et là des débris réparés bien des fois, il est vrai, de ces menuiseries. C’est ainsi que dans le bâtiment abbatial de Château-Landon nous avons pu retrouver une croisée presque tout entière en recherchant, il y a quelques années, parmi les châssis réparés, certains fragments primitifs.

Nous donnons (20) le résultat de ces recherches. Ces châssis étaient par couples dans les grandes fenêtres et séparés par un meneau ; ils se composaient d’un montant, avec tourillons ferrés, haut et bas AB, tenant au montant même. Ces deux tourillons entraient dans des œils disposés dans la pierre, comme on peut le voir encore à l’intérieur des baies de la maison des Musiciens, à Reims, et dans beaucoup d’habitations du XIIIe siècle. Ainsi le châssis était posé en construisant ; le battant C arrivait en feuillure sur le meneau de la fenêtre et était maintenu par deux verrous manœuvrés au moyen d’une tige de fer ronde avec poignée (voy. Serrurerie). Deux traverses haute et basse s’assemblaient dans les deux montants. Un troisième montant intermédiaire était assemblé dans les deux traverses, haute et basse, et recevait à son tour deux autres fortes traverses intermédiaires D et deux entre-toises E plus faibles. Des colonnettes F tenaient lieu de petits-bois. À l’extérieur, les montants et traverses étaient pourvus de feuillures G (voir le détail H) destinées à recevoir les panneaux de vitraux. Quant aux petits-bois, ils ne portaient pas de feuillures, mais des tourniquets en fer I qui servaient à maintenir les panneaux. Ces châssis de croisée étaient garnis intérieurement de volets brisés (voir la section horizontale K) et divisés en trois parties abc, de manière à pouvoir n’ouvrir, si bon semblait, qu’une travée ou un tiers ou deux tiers de travée. À cause de l’ébrasement de la fenêtre, ces volets brisés en g ne se développaient qu’à angle droit et se rangeaient ainsi que l’indiquent les lignes ponctuées l. Développés, ces volets présentaient du côté du jour le figuré L, et leur ferrure brisée était placée du côté intérieur g. Les feuilles supérieures et inférieures des volets étaient ajourées pour donner de la lumière à l’intérieur, les volets étant fermés, et pour permettre, par les ajours inférieurs, de voir au dehors. Les battants de la croisée ont 2 pouces d’épaisseur, ceux des volets 1 pouce 1/2. En H sont donnés les détails du bâti de la colonnette, leur profil en H′ ; en M, la section du montant intermédiaire ; en N, la section des entre-toises E ; en O, la section verticale des traverses des volets, et en O′ celle horizontale de leurs battants. P est le détail des ajours inférieurs. Les volets étaient ferrés après le montant de la croisée sur des gonds rivés extérieurement sur de petites plaques de tôle. Ces châssis ne portaient pas de jet d’eau ; l’eau de pluie qui glissait le long de leur parement extérieur était recueillie dans une petite rigole ménagée dans l’appui et s’écoulant au dehors. Enfin les volets étaient maintenus fermés au moyen de targettes entrant dans des gâches ménagées sur les renforts intérieurs du meneau de pierre et, au besoin, par des barres.

Pour poser ces châssis, il n’y avait donc aucune entaille ni scellement à faire après coup dans les tableaux et feuillures ou ébrasements ; l’objet arrivait à sa place complet, achevé à l’atelier, sans qu’il fût nécessaire, comme cela se pratique aujourd’hui dans nos constructions, d’envoyer successivement des ouvriers de deux ou trois états pour terminer la pose et la ferrure d’une croisée. La maçonnerie, la charpente, la menuiserie et la serrurerie étaient achevées simultanément et, les toits couverts, il n’y avait plus qu’à peindre et à tapisser. Quand les châssis de croisée ne roulaient pas, comme ceux-ci, au moyen de tourillons, quand ils étaient attachés après coup, les gonds qui les suspendaient se scellaient dans les lits d’assises pendant la construction, afin d’éviter les entailles et les trous de scellement qui déshonorent les ravalements de nos maisons et de nos palais.

Les châssis de croisée, dans les maisons du XIVe siècle, étaient souvent plus simples que ceux-ci et se composaient seulement de montants, de battants et de traverses. Les petits-bois n’avaient pas d’utilité quand on employait les panneaux de vitraux mis en plomb, et ils commencèrent à garnir les châssis quand on substitua aux panneaux mis en plomb des morceaux de verre taillés en assez grands fragments dans des boudines, c’est-à-dire dans des plaques de verre circulaire ayant au centre un renflement (voy. vitrail). Les châssis de croisée au moyen âge ne présentaient donc pas le réseau de petits-bois qui garnit les châssis du XVIIe siècle, et qui produit un effet si déplaisant à cause de la monotonie de ces compartiments égaux coupant le vide de la baie en quantité de petits parallélogrammes. Les panneaux de vitraux étaient fixés dans les feuillures des châssis au moyen d’un mastic recouvert d’une lanière de parchemin faisant corps avec ce mastic, ou simplement, pour les intérieurs où il n’importait pas d’obtenir un calfeutrage parfait, par des tourniquets dans le genre de ceux représentés ci-dessus en I. Alors, entre les panneaux, les tourniquets étant ouverts, on introduisait une bande de feutre épais à la jonction de ces panneaux, bande de feutre fendue au droit de chaque tourniquet ; puis on fermait ceux-ci qui alors exerçaient une pression sur ce feutre et empêchaient le ballotement des vitraux. Cet usage s’est conservé assez longtemps dans les provinces du centre, puisque nous avons encore vu de ces feutrages et tourniquets adaptés à des châssis du XVIe siècle.

Les châssis de croisée du XVe siècle, dans les hôtels et châteaux, composaient parfois une œuvre de menuiserie passablement compliquée. L’hôtel de La Trémoille, à Paris, possédait encore dans l’étage au-dessus du portique donnant sur la cour des châssis de croisée fort délabrés et dépendant de la construction primitive, datant de la fin du XVe siècle.
Ces châssis (21) garnissaient des fenêtres composées d’un meneau central avec une traverse de pierre. Ils consistaient donc en quatre compartiments : deux grands oblongs inférieurs et deux carrés. En A, nous donnons l’un des châssis inférieurs et en B l’un des châssis posés au-dessus de la traverse.

Ces châssis possédaient des dormants fixés dans la feuillure de pierre par des pattes, ainsi que cela se pratique encore aujourd’hui. Les châssis inférieurs pouvaient s’ouvrir dans toute leur hauteur de a en b au moyen de paumelles, et partiellement en tabatière, de c en d. Les châssis supérieurs s’ouvraient aussi au moyen de paumelles. En C est tracée la section sur ef, les châssis AB étant vus à l’intérieur. En D est indiqué l’angle inférieur du châssis A avec les jets d’eau à l’extérieur.

Nous avons tracé à une échelle double, c’est-à dire à 0m,10 pour mètre, en A′, la section sur gh ; en F, la section sur ik ; en G, la section sur lm ; en H, la section sur mn, et en I la section sur op. En L est donnée la section sur rs, et en M la section sur tv. Des feuilles de volets à jour, indiquées en VXY, se repliant en deux, ainsi qu’il est marqué en u, ferrées sur les dormants, permettaient de masquer les vitres à l’intérieur.

Ces croisées, en bon bois de chêne, étaient tracées et façonnées avec grand soin ; leurs vitraux étaient, comme nos vitres, posés en feuillure et mastiqués.
La figure 22 donne l’assemblage du jet d’eau inférieur A dans le montant du dormant B. On voit en D comment le jet d’eau du grand châssis ouvrant venait s’embréver en partie dans le montant dormant possédant une gueule de loup. C donne le profil de ce jet d’eau A ; ce profil était tracé de manière à empêcher l’eau de pluie chassée par le vent, suivant l’inclinaison ab, de remonter dans la feuillure c. La courbe db obligeait la goutte d’eau, poussée par le vent sur ce profil, à suivre la courbe de, c’est-à-dire à retomber à l’extérieur. Ces détails font voir avec quelle attention les menuisiers de cette époque établissaient leurs épures, comme ils donnaient aux moulures une forme convenable en raison de leur place et de leur destination. Il faut reconnaître que depuis ce temps nous n’avons pas fait de progrès sensibles dans l’art de la menuiserie de bâtiment.

Les châssis de croisée n’étaient point ferrés alors comme ils le sont aujourd’hui au moyen d’équerres entaillées ; les ferrures des paumelles, qui quelquefois formaient équerres, étaient posées sur le bois au moyen de clous et d’attaches (mais non entaillées) : il fallait donc que les assemblages de ces châssis fussent très-bien faits pour éviter des déformations et les dislocations. Les ferrures entaillées sont une bonne chose, mais les menuisiers s’y fient trop pour maintenir les assemblages ; puis elles contribuent singulièrement à l’extérieur à hâter la pourriture des bois précisément au droit de ces assemblages.

Voussures, plafonds, tambours. — Les menuisiers du moyen âge savaient, comme nous l’avons dit, ménager le bois et renfermer leurs tracés dans les équarrissements ordinaires qui alors étaient à peu près les mêmes que ceux donnés aujourd’hui par les scieries. C’est surtout dans la grosse menuiserie que l’on constate l’attention qu’ils apportaient à cette partie importante de leur art. Le merrain de 1 pouce 1/2 ou de 0m,04 d’épaisseur était généralement employé pour les membrures, puis le chevron de 3 pouces (0m,08) pour les plus fortes pièces. Quant aux panneaux, ils n’avaient guère que 9 lignes d’épaisseur (0m,02). Avec ces dimensions de bois, ils composaient leurs ouvrages de menuiserie les plus importants, tels que tambours, buffets d’orgues, stalles, caisses d’horloges, escaliers, grandes clôtures, etc. Pour donner de la résistance à ces bois, lorsqu’ils avaient de grandes dimensions en hauteur et les empêcher de gauchir, ils embrévaient les madriers ainsi que l’indique, par exemple la figure 23 en A, et les assemblaient à la base et en tête dans des chevrons, comme on le voit en B et en C. De plus les montants étaient reliés et maintenus par des goussets D, formant arcatures. Les intervalles étaient remplis par des panneaux libres E, ou assemblés à grain d’orge (voy. Stalle).

Villars de Honnecourt[14] nous a conservé un curieux dessin d’une grande caisse d’horloge du XIIIe siècle en menuiserie. C’est un véritable campanile qui devait avoir une grande importance. On voit encore de ces caisses d’horloge en grosse menuiserie des XIVe et XVe siècles dans les cathédrales de Beauvais et de Reims[15].

Quoiqu’il ne reste qu’un petit nombre de fragments des lambris de bois qui garnissaient souvent les murs des châteaux pendant les XIIIe et XIVe siècles, cependant on peut constater leur emploi par les nombreux scellements et les traces qui existent encore sur les parois de ces murailles ; scellements et traces indiquant des ouvrages de grosse menuiserie garnissant des pièces entières du pavé au plafond et composés de membrures de 0m,04 d’épaisseur sur 0m,08 de largeur, avec panneaux. On faisait aussi des plafonds en menuiserie dès le XIVe siècle et peut-être avant cette époque, ou, pour être plus vrai, des plafonds dans la composition desquels la charpente et la menuiserie prenaient leur part. Ainsi, n’est-il pas rare de trouver encore des plafonds dont les entrevoux des solivages, au lieu d’être formés d’enduits, consistent en des planches posées en travers, découpées et doublées d’une planche posée en long (24)[16]. Mais, à l’article plafond, nous avons l’occasion de décrire les diverses combinaisons mixtes adoptées par les charpentiers et menuisiers du moyen âge.

Au XVe siècle, et même encore au XVIe, les plafonds de menuiserie, au lieu de participer à la charpente, comme dans l’exemple précédent, étaient accrochés à celle-ci au moyen de clefs pendantes.
La figure 25 fait voir un de ces plafonds, composé alternativement de culs-de-lampes et de caissons. Le tracé A indique, en projection horizontale, le système des membrures, consistant en une suite de triangles équilatéraux. Les poinçons B, dans lesquels viennent s’assembler les chevrons D soulagés par des liens, sont suspendus à des poutres jumelles, indiquées en E dans la coupe C, au moyen de clefs F et d’entailles. La coupe G, faite sur ab, et celle H, faite sur ef, expliquent la disposition des culs-de-lampe et des caissons. Les liens formant culs-de-lampe étaient revêtus entre eux de feuillets en façon de voussures et d’ornements sculptés sur les arêtes ou nervures.


Les caissons étaient plus ou moins enfoncés et décorés. Ce système se retrouve adopté, avec quelques variantes toutefois, dans certains plafonds qui nous sont conservés par des estampes ou qui existent encore, tels que ceux des palais de justice de Rouen et de Paris. L’ancienne chambre des Comptes, brûlée pendant le dernier siècle, en possédait un fort beau de ce genre qui nous a servi à faire le tracé de la figure 25[17] ; il avait été établi sous le règne de Louis XII et était décoré entièrement, outre les sculptures, de peintures et de dorures. L’état de menuiserie exigeait, vers les derniers temps du moyen âge, des connaissances étendues en géométrie descriptive. Il est facile de s’en convaincre si l’on veut examiner les stalles de la cathédrale d’Amiens et la plupart des œuvres de menuiserie des XVe et XVIe siècles. L’exécution demandait des soins infinis et du temps, car on ne peut faire de bonne menuiserie qu’en y mettant le temps et l’argent nécessaires, le temps surtout. Quand il fallait quinze jours à un bon ouvrier menuisier et quinze autres jours à un sculpteur sur bois pour ouvrer un poteau cornier d’une chaire, d’un clotet ou d’un tambour, on était assuré que ce poteau, tant de fois retourné sur l’établi, élégi, refouillé, était bien sec, avait produit son effet avant la pose ; aussi, ces œuvres de menuiserie délicate des XIVe et XVe siècles n’ont pas bougé et sont restées telles qu’elles ont été assemblées. D’ailleurs ces artisans choisissaient leur bois avec un soin extrême et le laissaient longtemps en magasin avant de le mettre en chantier.

Marqueterie. — La marqueterie n’est point employée, pendant le moyen âge en France, pour décorer les ouvrages de menuiserie de bâtiment ; elle ne s’applique guère qu’aux meubles ; encore ces marqueteries sont-elles très-rares avant le XVIe siècle. L’usage de plaquer des bois de différentes nuances, de manière à composer des dessins colorés, ne pouvait s’appliquer aux formes de la menuiserie gothique, qui relève toujours de la charpente. Les architectes faisaient peindre et dorer les ouvrages délicats de menuiserie, mais leur construction était telle, ainsi que les exemples précédents le font voir, qu’il n’était pas possible de les plaquer. En Italie, au contraire, la marqueterie prenait place dans la menuiserie dès le XIVe siècle ; mais aussi, comme nous l’avons dit, les formes données à cette menuiserie ne sont pas toujours d’accord avec la structure. Nous ne connaissons, en fait d’ouvrages de marqueterie française, que les dossiers des stalles de la chapelle du château de Gaillon, et ces ouvrages sont du commencement du XVIe siècle. On peut en voir encore certaines parties dans le chœur d’hiver des chanoines de l’église impériale de Saint-Denis.

  1. C’est ainsi qu’ont dû être préparés les bois qui ont servi à faire les stalles de la cathédrale d’Auch. Ces bois ont acquis l’apparence du bronze florentin.
  2. Qualité que nous appelons aujourd’hui chêne de Hollande et qui est encore, en grande partie, fournie par la Champagne. En effet, beaucoup de bois de menuiserie qui nous viennent de la Hollande sont achetés par des marchands hollandais dans les forêts au-dessus de Reims. La manière de débiter nos bois nous rend tributaires des Hollandais. En effet, les Hollandais débitent les bois sur maille, c’est-à-dire qu’ils font faire les sciages, autant que possible, tendant toujours au centre de l’arbre, ainsi que cela se pratiquait au moyen âge et ainsi que le pratiquent encore les fendeurs de merrain. (Voy. à ce sujet le Traité de l’évaluation de la menuiserie par A. Boileau et F. Bellot, Paris, 1847, p. 48 et suiv. ; et Hassenfratz, Théorie des bois, Paris, 1804, p. 133.)
  3. Beaucoup de menuiseries anciennes conservent des traces d’une impression au minium, et cette impression a singulièrement contribué à leur conservation. Ce procédé, renouvelé depuis une dizaine d’années par nous-même, donne d’excellents résultats. Aujourd’hui, il est assez généralement adopté. (Voyez, relativement à l’assemblage et au polissage des ais, l’œuvre du moine Théophile, Diversarum artium schedula, lib, I, cap. XVII.)
  4. Cette grille conserve des formes qui appartiennent à l’époque romane, bien que nous ne la croyions pas antérieure, comme fabrication, au XIVe siècle.
  5. De l’hôtel de ville de Gand (XVe siècle).
  6. Nous avons souvent été appelé à démonter des œuvres de menuiserie des XVIIe et XVIIIe siècles. On ne comprend pas comment une sculpture, souvent aussi délicate, une ornementation charmante, s’allie à une structure aussi grossière et peu raisonnée. Les belles stalles de Notre-Dame de Paris, qui datent du commencement du dernier siècle, sont un exemple de cet alliage de moyens barbares masqués sous la plus riche apparence.
  7. Celle que nous donnons ici a été dessinée par nous à Luxeuil.
  8. Cet ouvrage de menuiserie existait en fragments dans la cathédrale de Perpignan en 1834, et servait de lambris dans la chapelle Saint-Jean. Il était en sapin.
  9. Voy. les détails intéressants de cette porte dans l’Architecture et les arts qui en dépendent, par M. Gailhabaud, t. II.
  10. Ce dessin nous a été communiqué par M. Millet, architecte.
  11. D’après un dessin provenant de la collection de feu Garneray. Cette porte s’ouvrait sur une des grandes salles de l’abbaye Saint-Ouen, à Rouen, et existait encore, paraîtrait-il, à la fin du dernier siècle.
  12. D’une maison à Abbeville, rue du Moulin-du-Roi.
  13. Nous avons souvent vu des miniatures de manuscrits du XVe siècle où ces outils sont représentés. Il existe dans les stalles de l’église de Montréal (Yonne) un bas-relief représentant un menuisier taillant un petit pinacle au moyen de l’outil figuré en l, qu’il tient de la main droite. À l’échelle, cet outil paraît avoir au moins 0m,50 de longueur. Quant au ciseau, il était d’un usage fréquent, comme de nos jours.
  14. Voyez l’Album de Villars de Honnecourt, pl. XI.
  15. Voyez Gailhabaud, Architecture du Ve au XVIIe siècle.
  16. D’une maison de Cordes (Tarn-et-Garonne).
  17. Topog. de la France. Bibl. imp.