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Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Carrousel (place du)

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Carrousel (place du).

En face du palais des Tuileries. — 1er arrondissement, quartier des Tuileries.

C’était autrefois un terrain vague qui existait entre les anciens murs de Paris et le palais des Tuileries. On y traça en 1600 un jardin qui plus tard fut nommé le jardin de Mademoiselle, parce que mademoiselle de Montpensier habitait le palais des Tuileries et possédait ce jardin, qui fut détruit en 1655. Louis XIV choisit cet emplacement et voulut y donner, les 5 et 16 juin 1622, une fête ou spectacle composé de courses et de ballets. Cette fête, nommée Carrousel, donna son nom à cette place. « Le roi, à la fleur de l’âge (dit Félibien, auquel nous empruntons ce récit), invita ceux de son sang, et les premiers officiers de ses troupes, à une course de bagues et de têtes, organisée suivant le projet imaginé par son ingénieur le sieur Vigarani. Les seigneurs de la cour désignés pour entrer en lice, furent divisés en cinq brigades représentant diverses nations, dont ils portoient les habits et les armes. Le roy, chef de la première brigade, étoit vêtu à la romaine, ainsi que tous les chevaliers de sa suite, au nombre de dix, sans compter un maréchal-de-champ, plusieurs trompettes et timbales. Les quatre autres brigades, sous des habits de Persans, de Turcs, d’Arméniens et de sauvages, étoient composées d’un pareil nombre de seigneurs et avoient à leur tête quelqu’un des princes du sang, avec des devises et des livrées particulières. Le cortège du roy étoit composé de plusieurs écuyers, vingt-quatre pages, cinquante chevaux de main, conduits chacun par deux palefreniers portant des faisceaux d’armes dorées. Monsieur, frère du roy, avoit à sa suite plusieurs écuyers, dix-huit pages, vingt chevaux conduits par quarante palefreniers, et vingt-quatre esclaves avec l’arc et le carquois à la façon des Perses. Le prince de Condé, le duc d’Enghien et le duc de Guise, chefs des trois autres brigades, étoient dans un équipage convenable à leur rang, et chaque cavalier étoit escorté de deux pages, deux chevaux de main et quatre palefreniers, tous équipés avec tant de magnificence qu’il sembloit qu’on eût rassemblé tout ce qu’il y avoit au monde de pierreries et de rubans pour l’ornement de cette fête. L’or et l’argent étoient employés avec une si grande profusion sur les habits et les housses des chevaux, qu’à peine pouvoit-on discerner le fond de l’étoffe d’avec la broderie dont elle étoit couverte. Le roy et les princes brilloient extraordinairement par la quantité prodigieuse des diamants dont leurs armes et les harnois de leurs chevaux étoient enrichis. Le duc de Grammont, qui faisoit l’office de maréchal-de-camp, marchoit en tête de cette pompeuse cavalcade, qui, s’étant réunie au marché aux chevaux, derrière l’hôtel de Vendôme, au bout du faubourg Saint-Honoré, continua sa marche par la rue de Richelieu, à l’extrémité de laquelle elle entra dans le champ de bataille, sur une place située devant le château des Tuileries et appelée autrefois le jardin de Mademoiselle. Les quatre côtés du champ de bataille étoient environnés d’une galerie de 70 toises de long sur chaque face, dans laquelle se plaça un nombre infini de spectateurs. Le roy commença la course avec trois cavaliers de sa brigade, armés chacun d’une lance et d’un dard pour emporter et darder les têtes de Maure et de Méduse, posées sur des bustes de bois doré. Les autres cavaliers le suivirent quatre à quatre, et presque tous signalèrent leur adresse aussi bien du reste que le roy qui en fit paroitre beaucoup. L’honneur de la journée fut cependant déféré au marquis de Bellefonds de la brigade de Monsieur, frère du roy. Il en reçut le prix des mains de la reine ; c’étoit une boite à portrait, garnie de diamants. La fête recommença le lendemain et se termina comme le premier jour, par un splendide souper chez la reine. » — Le nom de cette place, qui rappelait une fête d’une somptuosité toute royale, ne pouvait être conservé par la révolution. — « Séance du 19 janvier 1793. Le conseil général, après avoir entendu la lecture de l’adresse des défenseurs de la république une et indivisible, des 84 départements, séant aux Jacobins, arrête, conformément au vœu qu’ils ont exprimé, que l’arbre de la fraternité qui doit être planté sur la place du Carrousel sera entouré de quatre-vingt-quatre piques formant un faisceau et portant le nom de chaque département, et en outre que la place du Carrousel sera dorénavant nommée la place de la Fraternité. » (Registre de la commune, tome XIII, page 358.) Cette place, à laquelle on rendit bientôt la dénomination du Carrousel, a été successivement agrandie par la démolition d’une partie des maisons de la rue Saint-Nicaise et de plusieurs hôtels qui encombraient cette voie publique.

« Décret impérial du 26 février 1806. — Art. 5e. Il sera élevé un arc-de-triomphe à la gloire de nos armées à la grande entrée de notre palais des Tuileries sur le Carrousel. — Art. 6e. Cet arc-de-triomphe sera élevé avant le 1er novembre ; les travaux d’arts seront commandés et devront être achevés et placés avant le 1er janvier 1809. » (Extrait). Cet arc-de triomphe est sans contredit une des plus belles productions de l’architecture française. Cet ouvrage valut à MM. Percier et Fontaine, le grand prix de première classe au concours décennal de 1810. Le 7 juillet 1806, des médailles furent déposées dans une des assises du soubassement. Le prix de la construction de ce monument n’excéda pas un million ; cette somme provenait de la conquête de la Hollande. Le plan de cet arc-de triomphe présente un parallélogramme ouvert de trois arcades dans sa longueur, dont une grande au milieu de 4 m. 55 c., et les deux qui l’accompagnent, de 2 m. 76 c. Cet arc-de-triomphe a cela de différent des arcs à trois ouvertures des anciens, que ses pieds droits sont ouverts dans leurs faces latérales, ce qui établit un passage dans le sens de son épaisseur ; ces arcades latérales ont comme les autres 2 m. 76 c. de largeur. Sur les deux faces principales en avant des pieds droits, sont quatre piédestaux engagés et des colonnes isolées. La décoration extérieure de ce monument se compose : 1o d’une ordonnance de huit colonnes corinthiennes (celles déjà mentionnées) dont l’entablement complet porte au droit des ressauts huit statues des soldats français de différentes armes ; 2o d’un attique qui reçoit la dédicace et des bas-reliefs allégoriques ; 3o d’un double socle élevé au-dessus de l’arcade. Les massifs sont en pierres de liais, les colonnes en marbre rouge de Languedoc, et leurs bases et chapiteaux en bronze ; la frise de l’entablement est en griotte d’Italie.

Ce monument présente dans son ensemble les formes et les proportions de l’arc de Septime-Sévère, dont on voit les ruines dans le Campo-Vaccino, à Rome. Six bas-reliefs en marbre blanc décoraient notre arc triomphal. Il était surmonté d’un quadrige qui était lui-même un trophée. Ce char et ces quatre chevaux ornaient autrefois le temple du Soleil à Corinthe. Ils furent transportés à Rome sous le règne de Néron, à Venise par le doge Dandolo, et à Paris par Napoléon. — Les revers de 1814 et de 1815 firent disparaître le char et les bas-reliefs. Ces derniers furent remplacés en 1825 par d’autres représentant les hauts-faits de la campagne du duc d’Angoulême en Espagne. En 1830, ils furent brisés et l’on remit les anciens que nous voyons encore aujourd’hui. Depuis 1836, le double socle est surmonté d’un nouveau quadrige que nous devons à M. Bosio. La hauteur totale du monument est de 14 m. 60 c., non compris le double socle. Sa longueur est de 17 m. 60 c. et sa profondeur de 10 m.