Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Enfants-Trouvés (hospice des)

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Enfants-Trouvés (hospice des).

Situé dans la rue d’Enfer, no  74. — 12e arrondissement, quartier de l’Observatoire.

L’établissement des Enfants-Trouvés est un bienfait dont l’honneur appartient à la charité chrétienne. « Dans cette Rome payenne (dit Saint-Victor), dans cette Rome si fière de sa police et de ses lois, des pères dénaturés exposaient leurs enfants, et un gouvernement non moins barbare les laissait impitoyablement périr. Des hommes qui exerçaient un infâme métier allaient quelquefois recueillir ces innocentes victimes, et les élevaient pour les prostituer. »

L’évêque de Paris et le chapitre de Notre-Dame pourvurent les premiers à l’établissement d’un hospice pour les enfants trouvés. Ils donnèrent pour cet usage un bâtiment situé au Port-l’Évêque, qu’on appela maison de la Crèche. On plaça dans la cathédrale un vaste berceau dans lequel on mettait ces enfants pour faire un appel à la pieuse libéralité des fidèles. Ce dernier asile fit appeler ces innocentes créatures les pauvres enfants trouvés de Notre-Dame. Isabelle de Bavière, femme de Charles VI, leur fit un legs de huit francs par son testament du 2 septembre 1431. Suivant un ancien usage, les seigneurs hauts-justiciers devaient contribuer à l’entretien des enfants trouvés ; mais plus tard, on les vit refuser leur cotisation, en donnant pour excuse que cette charge devait être supportée par l’archevêque et le chapitre de Notre-Dame.

Un arrêt du parlement, en date du 13 août 1552, ordonna que les enfants trouvés seraient mis à l’hôpital de la Trinité, et que les seigneurs donneraient une somme de 960 livres par an, répartie entre eux d’après l’étendue de leur justice. Toutefois on dut conserver à Notre-Dame le bureau établi pour recevoir ces enfants et les aumônes qu’on leur faisait. En 1570, ils furent transférés dans deux maisons situées au port Saint-Landry, et qui appartenaient au chapitre de Notre-Dame ; mais le sort de ces infortunés ne fut guère amélioré. Les servantes chargées de veiller sur eux se fatiguaient de leur donner dès soins. Tantôt, elles les vendaient à des femmes qui avaient besoin de se faire sucer un lait corrompu, souvent elles en tiraient profit en les remettant à des nourrices qui voulaient remplacer les enfants qu’elles avaient laissé mourir par leur négligence. Ce trafic infâme ne s’arrêtait pas là ; ces femmes vendaient également ces pauvres enfants à des bateleurs, à des mendiants qui, pour exciter la charité publique, mutilaient ces innocentes créatures ; enfin, dans les maisons du port Saint-Landry, le prix courant des enfants trouvés était de 20 sols. Le petit nombre de ceux qui survivaient dans cet établissement, garçons ou filles, allaient grossir la multitude des mendiants, des voleurs et des femmes perdues qui infestaient la capitale : en sorte que l’on pouvait dire que la misère et le vice se perpétuaient ainsi par leurs propres œuvres.

Le fils d’un pauvre paysan des Landes, Vincent-dePaul, vint mettre un terme à ces scandaleux désordres. Plusieurs dames pieuses, touchées des vertus du saint homme, voulurent s’associer à son œuvre de charité. Vincent-de-Paul les rassembla dans l’église Notre-Dame, où se trouvaient exposés ces enfants abandonnés. Après avoir fait une peinture énergique des vices de la société : « Or sus, mesdames, s’écria-t-il, voyez si vous voulez délaisser à votre tour ces petits innocents dont vous êtes devenues les mères selon la grâce, après qu’ils ont été abandonnés par leurs mères selon la nature. » Saint Vincent-de-Paul fonda, en 1638, un nouvel hospice près de la porte Saint-Victor, pour les enfants trouvés, et mit à la tête de cet établissement les Dames de la Charité ; mais les ressources étaient encore insuffisantes, et les administrateurs prirent le parti de tirer au sort les enfants qui devaient être nourris, les autres (dit l’historien de saint Vincent-de-Paul) étaient abandonnés, c’est-à-dire qu’on les laissait mourir faute de nourriture. Vincent-de-Paul, à force de zèle et de patience, parvint à assurer le sort de ces pauvres enfants. En 1641, le roi leur donna 4,000 livres de rente ; trois ans après, cet établissement reçut une nouvelle rente de 8,000 livres, et en 1648 le château de Bicêtre fut affecté au logement des enfants trouvés. L’air trop vif étant nuisible à leur santé, ils furent transférés dans une maison près de Saint-Lazare, et placés sous la direction des sœurs de la Charité. — Un arrêt du parlement du 3 mai 1667 ordonna que les seigneurs hauts justiciers seraient obligés de payer annuellement pour l’entretien des enfants trouvés la somme de 15,000 livres ; cet arrêt fut confirmé par le conseil d’état le 20 novembre 1668. On acheta enfin l’année suivante une maison et un vaste terrain situés dans la rue du Faubourg-Saint-Antoine, où l’on plaça l’établissement des Enfants-Trouvés.

Lettres-patentes en forme d’édit, portant établissement de l’hôpital des Enfants-Trouvés, et union d’icelui à l’hôpital général. — « (Juin 1670). Louis, etc…, comme il n’y a pas de devoir plus naturel, ni plus conforme à la piété chrétienne, que d’avoir soin des pauvres enfants exposés que la faiblesse et leur infortune rendent également dignes de compassion, les rois nos prédécesseurs ont pourvu à l’établissement et à la fondation de certaines maisons et hôpitaux, où ils pussent être reçus pour y être élevés avec piété ; en quoi, leurs bonnes intentions ont été suivies par notre cour de parlement de Paris, qui, conformément aux anciennes coutumes de notre royaume, auroit ordonné par son arrêt du 13 août 1552, que les seigneurs hauts-justiciers, dans l’étendue de notre bonne ville de Paris et ses faubourgs, contribueroient chacun de quelque somme, aux frais nécessaires pour l’entretien, subsistance et éducation des enfants exposés dans l’étendue de leur haute justice ; et depuis, le feu roi notre très honoré seigneur et père, voyant combien il étoit important de conserver la vie de ces malheureux destitués des secours des personnes mêmes desquelles ils l’auroient reçue, leur auroit donné la somme de 3,000 livres et 1,000 livres aux sœurs de la Charité qui les servent, à prendre chaque année par forme de fief et aumône sur le domaine de Gonesse ; et considérant combien leur conservation étoit avantageuse, puisque les uns pouvoient devenir soldats et servir dans nos troupes, les autres, ouvriers et habitans des colonies que nous établissons pour le bien de notre royaume, nous leur aurions encore donné par nos lettres-patentes du mois de juin 1644, 8,000 livres à prendre chacun an sur nos cinq grosses fermes, etc… Mais comme l’établissement de cette maison n’a point été spécialement autorisé par nos lettres-patentes, quoique nous l’ayons approuvé par les dons que nous y avons faits, étant bien aise de maintenir et confirmer une si bonne œuvre, et de l’établir le plus solidement qu’il nous sera possible ; à ces causes et autres bonnes considérations, à ce nous mouvant, nous avons par ces présentes signées de notre main, dit, déclaré, statué et ordonné, disons, déclarons, statuons et ordonnons : l’hôpital des Enfants-Trouvés, l’un des hôpitaux de notre bonne ville de Paris, pourra agir, contracter, vendre, aliéner, acheter, acquérir, comparoir en jugement et y procéder, recevoir toutes donations et legs universels, particuliers, et généralement faire tous autres actes dont les hôpitaux de notre ville et faubourgs de Paris sont capables, confirmons, etc… Ordonnons que la direction du d. hôpital des Enfants-Trouvés sera faite par les directeurs de l’hôpital général auquel nous l’avons uni, etc… Voulons que notre premier président et notre procureur général en notre parlement de Paris, en prennent soin avec quatre directeurs du d. hôpital général qui seront nommés au bureau d’icelui, ainsi que les commissaires des autres maisons du d. hôpital général, et y serviront pendant trois ans, etc… ; et comme plusieurs dames de piété ont pris très grand soin jusqu’à présent des d. enfants trouvés, et contribué notablement à leur nourriture et éducation, nous les exhortons, autant qu’il nous est possible, de continuer leur zèle et charités et soins envers les d. enfants trouvés, pour avoir part à la d. administration suivant les articles de règlement ci attaché sous le contr’scel de notre chancellerie, que nous voulons être exécutées selon leur forme et teneur. Donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois de juin 1670. » — On construisit dans le faubourg Saint-Antoine pour les enfants trouvés, un vaste bâtiment et une église dont la reine Marie-Thérèse d’Autriche posa la première pierre en 1676. Étienne d’Aligre, chancelier de France, Élisabeth Luillier, sa femme, et le président de Bercy, enrichirent cette maison. — Le gouvernement républicain voulut aussi pourvoir aux besoins de ces infortunés.

Loi du 27 frimaire an V, relative aux enfants abandonnés. — « Le conseil des Cinq-Cents, après avoir entendu dans ses séances des 13 messidor, 2 thermidor et 11 fructidor, les trois lectures d’un projet de résolution présenté par la commission de l’organisation des secours, déclare qu’il n’y a pas lieu à l’ajournement, et prend la résolution suivante : — Article 1er. Les enfants abandonnés nouvellement nés seront reçus gratuitement dans les hospices civils de la république. — Art. 2e. Le trésor national fournira à la dépense de ceux qui seront portés dans les hospices qui n’ont pas de fonds affectés à ce sujet. — Art. 3e. Le Directoire est chargé de faire un règlement sur la manière dont les enfants abandonnés seront élevés et instruits. — Art. 4e. Les enfants abandonnés seront jusqu’à majorité ou émancipation sous la tutelle du président de l’administration municipale, dans l’arrondissement de laquelle sera l’hospice où ils auront été portés. Les membres de l’administration seront les conseils de la tutelle. — Art. 5e. Celui qui portera un enfant abandonné ailleurs qu’à l’hospice civil le plus voisin, sera puni d’une détention de trois décades, par voie de police correctionnelle ; celui qui l’en aura chargé sera puni de la même peine. — Art. 6e. La présente résolution sera imprimée, etc. »

30 ventôse an V, Arrêté du Directoire exécutif concernant la manière d’élever et d’instruire les enfants abandonnés. — « Le Directoire exécutif, considérant que par la loi du 27 frimaire dernier, il est chargé de déterminer par un règlement la manière dont seront élevés et instruits les enfants abandonnés ; considérant également combien il importe de fixer promptement la marche des autorités constituées sur cette partie de l’administration générale de l’état ; arrête ce qui suit : — Article 1er. Les enfants abandonnés et désignés par la loi du 27 frimaire an V, ne seront point conservés dans les hospices où ils auront été déposés, excepté le cas de maladies ou d’accidents graves qui en empêchent le transport ; ce premier asile ne devant être considéré que comme un dépôt en attendant que ces enfants puissent être placés, suivant leur âge, chez des nourrices, ou mis en pension chez des particuliers. — Art. 2e. Les commissions administratives des hospices civils, dans lesquels seront conduits des enfants abandonnés, sont spécialement chargées de les placer chez des nourrices ou autres habitants des campagnes et de pourvoir, en attendant, à tous leurs besoins sous la surveillance des autorités dont elles dépendent. — Art. 3e. Les nourrices ou autres habitants chargés d’enfants abandonnés, seront tenus de représenter tous les trois mois les enfants qui leur auront été confiés, à l’agent de leur commune, qui certifiera que ces enfants ont été traités avec humanité, et qu’ils sont instruits et élevés conformément aux dispositions du présent règlement ; ils seront en outre tenus de les représenter à la première réquisition du commissaire du Directoire exécutif, près l’administration municipale du canton ou des autorités auxquelles leur tutelle est déléguée par la loi. — Art. 4e. Les nourrices et autres personnes qui représenteront les certificats mentionnés dans l’article précédent, recevront, outre le prix des mois de nourrice, une indemnité de 18 francs, payable par tiers de trois mois en trois mois. Ceux qui auront conservé des enfants jusqu’à l’âge de douze ans et qui les auront préservés jusqu’à cet âge d’accidents provenant de défaut de soins, recevront à cette époque une autre indemnité de 50 francs, à la charge par eux de rapporter un certificat ainsi qu’il est dit en l’article précédent. — Art. 5e. Les commissions des hospices civils pourvoiront pour des enfants confiés à des nourrices ou à d’autres habitants des campagnes, au paiement des prix déterminés par la fixation approuvée pour les départements dans l’arrondissement desquels ces enfants seront placés, etc… » (Extrait du Bulletin des Lois). — Depuis 1800, l’hospice des Enfants-Trouvés a été transféré rue d’Enfer, dans les bâtiments construits de 1650 à 1657, et primitivement occupés par l’institution de l’Oratoire, qui servait de noviciat aux personnes qui se destinaient à cette congrégation.

La dépense des Enfants-Trouvés est à la charge des fonds départementaux ; néanmoins les communes doivent contribuer pour un cinquième de cette dépense. Les Enfants-Trouvés figurent par an au budget de la Ville, pour une somme de 
 200,000 fr.
Les fonds départementaux fournissent de leur côté 
 400,000 fr.
Enfin le revenu des biens provenant de fondations en faveur des Enfants-Trouvés et celui des amendes qui leur sont attribuées, s’élèvent à 
 260,000 fr.

Total des fonds spéciaux 
 860,000 fr.

Mais cette somme ne pouvant suffire à la dépense qui excède 1,800,000 fr., le surplus est pris sur les fonds généraux.

Le nombre toujours croissant des enfants trouvés, des enfants abandonnés et des orphelins, dont l’administration devrait prendre soin, allait annuellement au-delà de 6,000. Dans le but de diminuer ce chiffre, le conseil général prit, le 25 janvier 1837, un arrêté qui fut approuvé par le ministre de l’intérieur. Cet arrêté, qui rappelle dans ses dispositions plusieurs lois et décrets antérieurs, porte : qu’aucun enfant ne pourra être admis à l’hospice que sur un procès-verbal d’un commissaire de police, constatant les circonstances de son exposition ou de son abandon. Ce même arrête oblige les femmes qui accouchent dans les hôpitaux à nourrir leurs nouveau-nés, à moins d’impossibilité reconnue par les médecins.

Le conseil-général, en prenant cet arrêté, avait l’espoir de réduire de moitié, le nombre de ces enfants mis à la charge de l’administration. Les mesures prescrites ont été rigoureusement observées, et cependant le nombre des abandonnés dépasse déjà 4,000. On attribue avec raison une partie de cet accroissement au grand nombre d’ouvriers employés aux travaux des fortifications et des chemins de fer, ainsi qu’à l’augmentation de la troupe qui compose la garnison de Paris.

Le nombre des enfants trouvés en 1842 a été de 4,095, savoir

Enfants provenant de la maison d’accouchement 
 1,333
Enfants provenant de la préfecture de police 
 134
Enfants provenant des hôpitaux de Paris 
 342
Nés à Paris avec leur acte de naissance 
 1,967
Nés à Paris sans acte de naissance 
 » »
Nés hors de Paris et déposés avec leur acte de naissance 
 221
Nés hors de Paris et déposés sans acte de naissance 
 » »
Déposés sans renseignements 
 98

4,095

Sur ce nombre de 4,095 enfants, 199 sont présumés légitimes et 3,896 sont supposés naturels.

La mortalité en 1842 a été de 1 sur 4-17.