Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Est (rue de l’)

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Est (rue de l’).

Commence à la rue d’Enfer, nos 46 et 48 ; finit au carrefour de l’Observatoire. Le dernier impair est 33. Pas de numéro pair ; ce côté est bordé par le mur du jardin du Luxembourg. Sa longueur est de 352 m. — Les impairs sont du 12e arrondissement, quartier de l’Observatoire ; le côté opposé dépend du 11e arrondissement, quartier du Luxembourg.

Cette rue a été ouverte sur une partie de l’emplacement du couvent des chartreux.

Le fondateur de cet ordre célèbre, saint Bruno, naquit à Cologne vers 1060. Il fit ses premières études à Paris, fut nommé chanoine à Cologne, puis à Reims. Bientôt on le jugea digne d’occuper les fonctions de chancelier de cette dernière église. L’archevêque Mannassès, qui la gouvernait en tyran, força l’illustre chanoine à se démettre de son emploi. Des lors, saint Bruno prit la résolution de quitter le monde. La première solitude qu’il vint habiter fut Saisse-Fontaine, dans le diocèse de Langres. Il quitta cet endroit, vers l’an 1084, pour aller se réfugier dans le désert de la Chartreuse, près de Grenoble. Saint Bruno ne fit point de règles particulières pour ses disciples, mais il leur donna celle de saint Benoit, qu’ils observèrent dans toute sa rigueur. Les Chartreux ont donné au monde l’unique exemple d’une congrégation qui a duré sept siècles, sans avoir besoin de réforme.

On sait que le roi saint Louis signala sa piété par la fondation d’un grand nombre d’établissements religieux. Le récit de la vie pénitente et solitaire des disciples de saint Bruno fit une impression si vive sur l’esprit du roi, qu’en 1257 il demanda à dom Bernard de La Tour, prieur de la grande Chartreuse, quelques-uns de ses frères pour les établir près de Paris. Le prieur envoya cinq religieux qui vinrent occuper une propriété sise à Gentilly. Un an après, les chartreux prièrent Louis IX de leur céder un vaste château appelé Vauvert ou Valvert, en raison des prairies verdoyantes qui l’entouraient. Cette habitation avait été construite au commencement du XIe siècle pour le prince Robert, fils de Hugues Capet. Des diables, assurait-on, avaient établi leur séjour dans le château. En effet, depuis l’arrivée des religieux on entendait tous les soirs d’affreux hurlements. On y voyait des spectres épouvantables qui traînaient des chaînes, et qui paraissaient obéir à un monstre vert, dont le corps hideux se terminait en queue de serpent. Les villageois ne passaient qu’en tremblant près des hautes murailles de ce château redoutable, et le souvenir de la terreur qu’il inspirait se conserva dans un proverbe : ainsi, lorsqu’on voulait se débarrasser d’une personne qui fatiguait, on se servait de ces mots : Allez au diable Vauvert, comme on dit aujourd’hui, par altération, allez au diable Auvert.

Les chartreux en possession du château de Vauvert, bâtirent à la hâte quelques cellules. La chapelle, qui tombait en ruine, ne pouvait servir longtemps leur pieux exercices. Saint Louis alors posa la première pierre d’un nouveau temple. Les constructions furent faites sur les dessins du célèbre Eudes de Montreuil. Cette église, achevée en 1324, fut dédiée l’année suivante, sous l’invocation de saint Jean-Baptiste et de la Sainte-Vierge. L’ancienne chapelle de Vauvert servit depuis de réfectoire : les religieux y mangeaient ensemble les dimanches, les fêtes et les jeudis ; les autres jours, chacun prenait ses repas en particulier dans sa cellule. Le grand portail de l’église était situé dans la rue d’Enfer. Une avenue conduisait à la porte intérieure de la maison. On entrait alors dans la première cour où l’on remarquait à gauche une chapelle assez vaste, qu’on nommait la Chapelle des femmes, parce que c’était le seul endroit du couvent où il leur fut permis de pénétrer. Sur la porte de la seconde cour, on avait sculpté un bas-relief, dont le fond était orné de fleurs-de-lis il représentait saint Jean-Baptiste et l’agneau, saint Hugues et le cygne, saint Antoine et le porc. On y voyait aussi le roi Louis XI offrant six chartreux à la Vierge. Les fameux tableaux sur bois de Lesueur, représentant la vie de saint Bruno, étaient encastrés dans les arcs du petit cloitre, qui était orné de pilastres d’ordre dorique. En 1648, Lesueur exécuta ses vingt-cinq tableaux sur bois qui furent donnés au roi par les chartreux. On les plaça d’abord dans la galerie du Luxembourg, puis au Louvre où ils sont aujourd’hui. Vers 1750, on comptait en France soixante dix-sept couvents de chartreux. Cet ordre religieux fut supprimé en 1790. Les biens qui lui appartenaient devinrent propriétés nationales et furent successivement vendus pendant la révolution.

Loi du 27 germinal, l’an VI de la république française une et indivisible. — « Le conseil des Anciens, adoptant les motifs de la déclaration d’urgence qui précède la résolution ci-après, approuve l’acte d’urgence. Suit la teneur de la déclaration d’urgence et de la résolution : — Du 23 frimaire an VI. Le conseil des Cinq-Cents adoptant, après avoir entendu le rapport d’une commission spéciale chargée d’examiner le message du Directoire exécutif du 29 germinal an V, sur la distribution et l’emploi de l’enclos des ci-devant chartreux de Paris, et relatif à plusieurs soumissions faites de partie de ce terrain. Considérant que la vente des portions de ce domaine non utiles au service public étant suspendue, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le plan général proposé pour la distribution et percement de cet enclos, et les communications plus commodes qu’ils procureront entre la route d’Orléans et le faubourg Saint-Germain, sans dépense notable, et même avec avantage, par l’augmentation du produit des ventes des différents domaines nationaux situés dans la partie méridionale de Paris déclare qu’il y a urgence et prend la résolution suivante : — Article 1er. Conformément au plan annexé à la présente, il sera formé une place circulaire au pourtour de l’Observatoire de Paris. — Art. 2. L’avenue du palais directorial, du côté du jardin, sera prolongée jusqu’à la place de l’Observatoire, et passera à travers les boulevards dits du Mont-Parnasse. — Art. 3. En deçà des boulevards, il sera établi une place triangulaire au point marqué sur le même plan. Une rue parallèle à celle dite d’Enfer sera ouverte dans la même direction, et communiquera de la place triangulaire à celle dite Saint-Michel. Une autre rue partant de la même place, et dans la direction de celle de Notre-Dame-des-Champs, communiquera à la rue de Vaugirard. — Art. 4. Le terrain qui se trouve entre les deux rues neuves et le jardin du palais directorial, ne sera point vendu, il sera conservé pour être employé à des pépinières ou autres établissements pour l’instruction des citoyens, l’amélioration ou l’encouragement de l’agriculture, etc… Après une seconde lecture le conseil des Anciens approuve la résolution ci-dessus. Le 27 germinal an VI de la république française. Signé Mollevaud, président, J.-H. Artauld, Mailly, Havin, secrétaires. — Le Directoire exécutif ordonne que la loi ci-dessus sera publiée, exécutée et qu’elle sera munie du sceau de la république. Fait au palais national du Directoire exécutif, le 28 germinal an VI de la république française une et indivisible. Pour expédition conforme, le président du Directoire exécutif : signé Merlin. » En vertu de cette loi, on a percé les rues de l’Est et de l’Ouest, qui doivent ces dénominations à leur situation, par rapport au jardin du Luxembourg. L’avenue de l’Observatoire a été également formée, mais la place circulaire n’a pas été exécutée. La place triangulaire porte aujourd’hui le nom de carrefour de l’Observatoire. Les autres terrains provenant des chartreux ont été réunis au jardin du Luxembourg. La rue de l’Est a été exécutée sur une largeur de 14 m. ; cette largeur a été maintenue par une décision ministérielle du 3 décembre 1817.