Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Musique (Académie royale de)

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Musique (académie royale de).

Située rue Le Peletier. — 2e arrondissement, quartier de la Chaussée-d’Antin.

Au commencement du XVIe siècle, deux Florentins, Ottavio Rinucci, poète, et Giacomo Corsi, gentilhomme et très bon musicien, firent représenter avec un immense succès, sur le théâtre de la cour du grand duc de Toscane, une pièce lyrique à grand spectacle, intitulée les Amours d’Apollon et de Circée.

En France, le poète Baïf forma, sous le règne de Charles IX, dans une maison de la rue des Fossés-Saint-Victor, une société de musiciens dont le roi se déclara le protecteur. Jacques Mauduit, greffier des requêtes et virtuose distingué, fut le successeur de Baïf. Son établissement reçut le nom de Société et Académie de Cécile. Ces artistes s’occupaient spécialement de Sainte-musique religieuse. L’opéra ne fut réellement introduit en France que sous le ministère du cardinal Mazarin, mais alors avec de la musique et des paroles italiennes. L’abbé Perrin hasarda le premier des vers d’opéra en français ; il débuta par une Pastorale, en cinq actes, qui fut représentée à Vincennes, puis l’hôtel de Nevers en 1659. La musique était de la composition de Gambert, organiste de Saint-Honoré et surintendant de la musique de la reine-mère. Le 26 juin 1669, l’abbé Perrin obtint des lettres-patentes qui lui permettaient « d’établir en la ville de Paris d’autres du royaume des académies de musique pour chanter en public, pendant douze années, des pièces de théâtre, comme il se pratique en Italie, en Allemagne et en Angleterre. » — Les premiers musiciens et les meilleurs chanteurs du grand Opéra français furent tirés principalement des églises de la Provence ; ainsi ce spectacle éminemment profane, qu’on a regardé depuis comme un lieu de perdition, fut inauguré par un abbé et par des chantres de lutrin. Au mois de mars 1671, l’abbé Perrin ouvrit une salle dans le jeu de paume de la rue Mazarine ; on y représenta l’opéra de Pomone ; mais la nouvelle entreprise se vit au bout de quelques mois, menacée d’une chute complète : un certain marquis de Sourdéac, mécanicien ou plutôt chevalier d’industrie, participait à la direction de ce théâtre. Sous le prétexte de se rembourser des avances qu’il avait faites, il mit la main sur la caisse et l’emporta. — Louis XIV ne pouvait rester indifférent à la ruine d’une entreprise qui, bien conduite, lui paraissait utile aux progrès de la musique. Au mois de mars 1682, le grand Roi donna des lettres-patentes qu’on peut regarder en quelque sorte comme l’état civil de l’Opéra. Ces lettres sont trop remarquables, elles portent à un trop haut point le cachet de splendeur qui marquait tous les actes de ce règne glorieux pour ne pas être reproduites.

« Louis, etc… Les sciences et les arts étant les ornements les plus considérables des États, nous n’avons point eu de plus agréables divertissements depuis que nous avons donné la paix à nos peuples, que de les faire revivre en appelant près de nous tous ceux qui se sont acquis la réputation d’y excèler, non seulement dans l’étendue de notre royaume, mais aussi dans les pays étrangers, et pour les y obliger davantage à s’y perfectionner, nous les avons honorés de notre bienveillance et de notre estime, et comme entre les arts libéraux la musique y tient un des premiers rangs, nous aurions dans le dessein de la faire réussir avec tous ses avantages, par nos lettres-patentes du 26 juin 1669, accordé au sieur Perrin une permission d’établir en notre bonne ville de Paris et autres de notre royaume, des académies de musique pour chanter en public des pièces de théâtre, comme il se pratique en Italie, en Allemagne et en Angleterre, pendant l’espace de douze années ; mais ayant été depuis informé que les peines et les soins que le sieur Perrin a pris pour ces établissements n’ont pu seconder pleinement notre intention et élever la musique au point que nous nous l’étions promis, nous avons cru, pour y mieux réussir, qu’il était à propos d’en donner la conduite à une personne dont l’expérience et la capacité nous fussent connues, et qui eût assez de suffisance pour former des élèves, tant pour bien chanter et actionner sur le théâtre qu’à dresser des bandes de violons, flûtes et autres instruments. À ces causes, bien informé de l’intelligence et grande connaissance que s’est acquis notre très cher et bien-amé Jean-Baptiste Lully, au fait de la musique dont il nous a donné et donne journellement de très agréables preuves depuis plusieurs années qu’il s’est attaché à notre service, qui nous ont convié de l’honorer de la charge de surintendant et compositeur de la musique de notre chambre, nous avons audit sieur Lully permis et accordé, permettons et accordons par ces présentes d’établir une Académie royale de musique dans notre bonne ville de Paris qui sera composée de tel nombre et qualité de personnes qu’il avisera bon être, que nous choisirons et arrêterons sur le rapport qui nous en sera fait, pour faire des représentations par-devant nous, quand il nous plaira, des pièces de musique qui seront composées tant en vers français qu’autres langues étrangères, pareille et semblable aux académies d’Italie, pour en jouir sa vie durant et après lui celui de ses enfants qui sera pourvu et reçu en survivance de ladite charge de surintendant de la musique de notre chambre, avec pouvoir d’associer avec lui qui bon lui semblera, pour l’établissement de ladite académie, et pour le dédommager des grands frais qu’il conviendra faire pour lesdites représentations, tant à cause des théâtres, machines, décorations, habits, qu’autres choses nécessaires, lui permettons de donner en public toutes les pièces qu’il aura composées, même celles qui auront été représentées devant nous, sans néanmoins qu’il puisse se servir pour l’exécution desdites pièces des musiciens qui sont à nos gages, comme aussi de prendre telles sommes qu’il jugera à propos, et d’établir des gardes et autres gens nécessaires aux portes des lieux où se feront lesdites représentations, faisant très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, même les officiers de notre maison, d’y entrer sans payer ; comme aussi de faire chanter aucune pièce entière en musique, soit en vers français ou autres langues étrangères, sans la permission par écrit dudit sieur Lully, à peine de 10 000 liv. d’amende et de confiscation des théâtres, machines, décorations, habits et autres choses, applicable un tiers à nous, un tiers à l’hôpital général et l’autre tiers audit sieur Lully, lequel pourra aussi établir des écoles particulières de musique en notre bonne ville de Paris, et partout où il jugera nécessaire pour le bien et l’avantage de ladite académie royale, et d’autant que nous l’érigeons sur le pied de celles des académies d’Italie, où les gentil hommes chantent publiquement en musique sans déroger, nous voulons et nous plait que tous gentil hommes et demoiselles puissent chanter auxdites pièces et représentations de notre dite académie royale de musique, sans que pour ce ils soyent censés déroger audit titre de noblesse, ni à leurs privilèges, charges, droits et indemnités. Révoquons cassons et annulons par ces présentes, toutes permissions et privilèges que nous pourrions avoir ci-devant donnés et accordés, même celui dudit sieur Perrin pour raison desdites pièces de théâtre, en musique, sous quelques noms, qualités conditions et prétexte que ce puisse être, etc. Donné à Versailles au mois de mars l’an de grâce 1672, et de notre règne le 29e, signé Louis. » — En possession de ce privilège Lulli transféra son théâtre au jeu de paume du Bel-Air, rue de Vaugirard, près du palais du Luxembourg. L’ouverture eut lieu le 15 novembre 1672 par la première représentation des Fêtes de l’Amour et de Bacchus. La salle du Palais-Royal étant restée inoccupée par suite de la mort de Molière, Lulli vint y établir son théâtre. De nombreux succès récompensèrent le zèle et les talents de Lulli qui mourut en 1687.

Avant de rappeler les autres changements survenus dans cet établissement, nous allons donner une idée de la position financière des artistes de l’Opéra au commencement du XVIIIe siècle. Ce document règlementaire porte la date du 11 janvier 1713 ; il est intitulé :

ÉTAT

du nombre de personnes, tant hommes que femmes, dont le roi veut et entend que l’Académie royale de Musique soit toujours composée, sans qu’il puisse être augmenté ni diminué.

ACTEURS POUR LES ROLLES.
basse-tailles.
Premier acteur. 1 500 liv.
Second acteur. 1 200 liv.
Troisième acteur. 1 000 liv.
hautes-contres.
Premier acteur. 1 500 liv.
Second acteur. 1 200 liv.
Troisième acteur. 1 000 liv.
ACTRICES POUR LES ROLLES.
Première actrice. 1 500 liv.
Deuxième actrice. 1 200 liv.

(Suit une proportion décroissante jusqu’à la sixième actrice dont les appointements sont fixés à 700 liv.)

pour les chœurs.

Vingt-deux hommes à 400 livres et deux pages à 200 livres.

Douze femmes à 400 livres.
danseurs.

Deux premiers danseurs à 1 000 liv. chacun ; dix autres à 800, 600 et 400 livres.

Deux premières danseuses à 900 livres chacune ; huit autres à 500 et 400 livres.

orchestre.

Batteur de mesure (chef d’orchestre) à 1 000 livres.

(Suit la nomenclature de quarante-six instrumentistes dont les appointements varient de 600 à 400 liv.)

Deux machinistes à 600 livres.

De cet état officiel il résulte que le personnel de l’Opéra s’élevait, en 1713, à cent vingt-six artistes ou employés, le tout coûtant chaque année soixante-sept mille cinquante francs.

Francine, gendre et successeur de Lulli, avait hérité de son privilège ; mais, en 1712, ses créanciers s’en étant emparés, Guinet, syndic, administra ce théâtre jusqu’en 1724. L’Académie devait alors 300 000 liv. Le roi la fit gérer en son nom et appela Destouches à la direction. Un nouveau changement eut lieu en 1730 ; le privilège fut accordé à un nommé Gruer, qui en fut dépossédé l’année suivante. Son successeur, Lecomte, éprouva le même sort pour avoir refusé une double gratification à la demoiselle Mariette, danseuse singulièrement protégée par le prince de Carignan. Lecomte fut mis à la retraite par le ministre de la maison du roi le 1er avril 1733. Louis-Armand-Eugène de Thuret, ancien capitaine au régiment de Picardie, le remplaça ; onze ans après il obtint sa retraite avec une pension viagère de 10 000 livres. Son successeur, François Berger, ancien receveur général des finances, géra trois ans et greva l’Académie de Musique d’une dette de 450 000 livres.

Tout annonçait la ruine de l’Académie royale de musique ; dans cette extrémité, le gouvernement ne vit point d’autre parti à prendre que d’en confier l’administration à la prévôté des marchands. Un arrêt du conseil, à la date du 26 août 1749, en remit la direction à ces magistrats, sous la seule condition d’en rendre compte au ministre de la maison du roi. Ce mode d’administration dura jusqu’au mois d’avril 1757.

L’Académie fut alors affermée pour trente années à Francœur et Rebel. Le 6 avril 1763, un terrible incendie dévora la salle de l’Opéra et, le 24 janvier suivant, les acteurs prirent possession du théâtre des Machines qui faisait partie du palais des Tuileries. Aucun changement n’eut lieu jusqu’en 1769. Le 3 juillet de cette année fut rendu un nouveau règlement dont il est utile de reproduire les principales dispositions :

« Les sujets composant l’Académie royale de musique seront et demeureront fixés, savoir pour les hommes, de 16 basses-tailles, 8 tailles, 8 hautes-contres pour les femmes ; de 8 premières-dessus, 8 secondes-dessus et 4 surnuméraires. Les ballets, de 82 personnes toutes dansantes, tant hommes que femmes, savoir pour les hommes, de 10 danseurs seuls, et en double 24 figurants, 6 surnuméraires ; et pour les femmes, de 6 danseuses seules, et en double 24 figurantes et 12 surnuméraires. L’orchestre de 76 musiciens, savoir 2 maîtres de musique, 2 clavecinistes, 4 contrebasses, 12 violoncelles, 24 violons, 4 violons surnuméraires, 6 flûtes et hautbois, 6 bassons, 4 altos, 4 cors-de-chasse, 2 clarinettes, 2 trompettes, 2 cimballes, 1 tambour et 1 musette. »

Des lettres-patentes du 11 février 1764 avaient ordonné la reconstruction du théâtre du Palais-Royal, dont l’inauguration eut lieu le 26 janvier 1770, par la reprise de Zoroastre, opéra de Rameau.

Au commencement de l’année 1776, le bureau de la ville obtint d’être débarrassé de l’administration de l’Opéra, et le roi nomma bientôt une commission qui commença sa gestion à la nouvelle année théâtrale. Le Breton fut nommé directeur-général, et le corps de la ville resta propriétaire du privilège. Cette gestion ne dura pas longtemps ; un arrêt du conseil d’état du roi à la date du 18 octobre 1777, accorda la concession de l’entreprise pour douze années, au sieur de Vismes, à partir du 1er avril 1778, avec tous les droits conférés autrefois au bureau de la ville. De Vismes quitta l’administration de l’Opéra au commencement de l’année 1780, et par arrêt du conseil d’état du roi, du 17 mars, le privilégie que possédait le corps municipal dut cesser à compter du 1er avril, et les dettes de l’établissement contractées jusqu’à cette époque furent mises à la charge de la ville. Le Breton reprit la direction et mourut le 14 mai suivant ; il eut pour successeurs Dauvergne et le musicien Gossec. À cette époque, le prix des places du parterre fut porté de 40 à 48 sols, le caissier assujetti à un cautionnement, et la régie confiée à un comité nommé par le roi.

Ce théâtre commençait alors à jeter un vif éclat. Voltaire en fit ainsi l’éloge :

« Il faut se rendre à ce palais magique,
Où les beaux vers, la danse, la musique,
L’art de charmer les yeux par les couleurs,
L’art plus heureux de séduire les cœurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique. »

C’était le temps où brillaient Vestris, Gardel, Dauberval, mademoiselle Guimard et Sophie Arnould. Malgré les talents de ces artistes, l’administration se trouvait obérée, et dans les années 1778 et 1779, la dépense avait dépassé la recette de 700 000 livres.

Le 8 juin 1781, un embrasement subit détruisit en quelques heures la salle de l’Opéra. — « Une corde de l’avant-scène dit Mercier, s’alluma dans un lampion, mit le feu à la toile, la toile embrasa les décorations et les décorations portèrent l’incendie dans le pourtour des loges. Tout le théâtre fut consumé… Des débats parmi les administrateurs avaient fait négliger les précautions les plus indispensables. Quatorze personnes ont été réduites en charbon. »

En soixante-quinze jours une salle provisoire était construite sur le boulevart Saint-Martin, sous la direction de Lenoir, architecte. Elle fut ouverte au public le 27 octobre de la même année, par une représentation gratuite, en réjouissance de la naissance du dauphin ; on y joua pour la première fois Adèle de Ponthieu, opéra en trois actes, paroles de Saint-Marc, musique de Piccini. Après le spectacle, on donna un bal, et les quadrilles furent exécutés par les dames de la halle, les forts et les charbonniers.

La révolution n’épargna pas l’Académie de Musique. Son nom lui fut enlevé, puis remplacé par celui d’Opéra. Presque toutes les anciennes actrices quittèrent le théâtre. Quelques unes tâchèrent de faire oublier leur ancienne intimité avec la noblesse, en allant vivre obscures et isolées dans un coin de la province, loin de leurs anciens amis de cour que l’ouragan révolutionnaire avait dispersés. Sophie Arnould avait fait l’acquisition du couvent de Saint-François, à Luzarches, et, malgré cette preuve de civisme, la célèbre danseuse avait été dénoncée comme suspecte. Les membres du comité de surveillance de l’endroit envahirent sa retraite pour procéder à une visite domiciliaire. Sophie Arnould les reçut en souriant : « Mes amis, leur dit-elle, je suis bonne citoyenne, j’ai fait partie de l’Opéra pendant quinze années, et je connais par cœur les droits de l’homme. »

En 1794, l’Opéra quitta le boulevart, et fut installé dans le théâtre que la demoiselle Montansier avait fait construire dans la rue de Richelieu, en face de la Bibliothèque Royale. L’inauguration eut lieu par une pièce mêlée de chants et de danses, intitulée la Réunion du 10 août. Ce fut à cette représentation qu’on vit pour la première fois le parterre garni de banquettes.

Un décret du 8 novembre 1807 détermina le règlement de l’Opéra qui prit le titre d’Académie impériale de Musique. L’établissement fut administré pour le compte du gouvernement. Le directeur était nommé par l’Empereur, sur la présentation de son premier chambellan.

La musique et la danse trônèrent dans la rue de Richelieu pendant vingt-quatre années. Après la mort du duc de Berri, assassiné le 13 février 1820, par Louvel, au moment où le prince, quittant le théâtre, reconduisait la duchesse à sa voiture, la salle fut immédiatement fermée, puis démolie. On s’occupa d’en reconstruire une autre sur l’emplacement de l’hôtel de Choiseul. Commencés au mois d’août, les travaux furent terminés en août 1821 sous la direction de M. Debret, architecte.

Ce théâtre est sans contredit le premier de l’Europe, tant par la splendeur du spectacle que par la réunion des grands talents qui concourent à son exécution. Depuis 1830, l’Opéra est conduit par un directeur auquel on accorde une subvention. Ce directeur gère à ses risques et périls, et fournit un cautionnement de 300 000 fr. Les actes de son administration sont soumis au contrôle d’une commission nommée par le roi, et qui ressort du ministère de l’intérieur.

L’Opéra contient 1 950 personnes ; le prix des places en 1844 est fixé ainsi qu’il suit : 1res loges de face et d’avant-scène, et baignoires d’avant-scène, 9 fr. ; orchestre, balcon des 1res, 2mes de face et d’avant-scène, galeries des 1res, amphithéâtre des 1res, 7 fr. 50 c. ; 1res loges de côté, baignoires de côté, 6 fr. ; 2mes loges de côté, 3mes loges de face, 5 fr. ; 3mes loges de côté et d’avant-scène, 4mes loges de face, 3 fr. 50 c. ; parterre, 4 fr. ; 4mes loges de côté, 5mes loges de face, amphithéâtre des 4mes, 2 fr. 50 c.