Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Plantes (Jardin-des-)

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Plantes (Jardin-des-).

Vers l’extrémité sud-est de la grande Cité, se trouve le plus utile établissement, la plus jolie miniature de l’univers. Dans le Jardin-des-Plantes, l’homme éprouve les émotions les plus douces ; c’est un arbre, des fleurs qui rappellent les lieux où l’on naquit. On se souvient de ce jeune sauvage auquel on faisait voir toutes les merveilles de la capitale. On lui montra le palais des Tuileries, le Louvre, l’église Notre-Dame, l’hôtel des Invalides, l’Opéra ; devant tant de merveilles, le jeune homme restait froid et insouciant. Il allait mourir de chagrin, lorsqu’un jour on le conduisit au Jardin-des-Plantes. Tout-à-coup son visage s’anime, s’éclaire, il s’écrie : « Arbre de mon pays !… » des larmes s’échappent de ses yeux, il carresse, il embrasse cet arbre… il est sauvé !…

Henri IV avait fondé, en 1598, le Jardin-des-Plantes de la Faculté de Montpellier. En 1626, Hérouard, premier médecin de Louis XIII, obtint des lettres-patentes ordonnant la création d’un établissement de ce genre à Paris. Les dispositions contenues dans cet acte ne sont pas clairement définies ; on y lit seulement : « Que ce jardin sera construit en l’un des faubourgs de la ville de Paris ou autres lieux proches d’icelle, de telle grandeur qu’il sera jugé propre, convenable et nécessaire. » Hérouard fut enlevé à la science, et l’exécution de ce projet ajournée. Elle fut reprise peu de temps après par Bouvard, premier médecin, et Guy de la Brosse, médecin ordinaire du roi. En 1633, Sa Majesté accorda aux pressantes sollicitations de Guy de la Brosse, de nouvelles lettres pour l’organisation définitive de l’établissement. Le docteur fit en conséquence l’acquisition du terrain de la Butte des Copeaux ou Coupeaux, qui contenait environ quatorze arpents. Cette butte, qui avait servi de voirie aux bouchers, appartenait dans l’origine à l’abbaye Sainte-Geneviève. Elle fut ensuite la propriété de plusieurs particuliers. Dominé aujourd’hui par un joli labyrinthe, ce monticule avait été insensiblement formé par l’amas des gravois et immondices qu’on y avait transportés depuis longtemps. L’acquisition de ces terrains fut entièrement terminée en 1636, et bientôt s’éleva le plus bel établissement scientifique de l’Europe. Le terrain, peu étendu, était encore trop vaste pour les plantes qu’on avait à y mettre ; mais peu à peu les plantes ont poussé, le jardin s’est développé, une petite serre a été bâtie. Gaston d’Orléans, qui aimait les plantes et les fleurs, envoya au jardin nouveau-né quelques frais échantillons de son parterre de Blois. Guy de la Brosse résolut de faire du Jardin-des-Plantes une école d’application où les nombreux élèves de la capitale viendraient puiser une instruction complète. Des salles convenables pour des cours de botanique, de chimie, d’astronomie et d’histoire naturelle, furent bientôt construites. Le 20 décembre 1639, l’archevêque permit d’y bâtir une chapelle avec tous les privilèges dont jouissaient les fondations royales. En 1640, le nouvel établissement fut ouvert et reçut le nom de Jardin Royal des herbes médicinales. Le catalogue publié par Guy de la Brosse en 1641, porte à 2360 le nombre des plantes que renfermait alors ce jardin. Tel était cet établissement, lorsque le grand Colbert fut nommé ministre. Son génie embrassa bientôt tout l’avenir des quatorze arpents du Jardin-des-Plantes. Fagon, premier médecin de Louis XIV, fit acheter au nom du roi les peintures que Gaston, duc d’Orléans, avait fait exécuter par Robert, d’après les plantes de son jardin de Blois. Une chaire d’anatomie fut créée en même temps pour le savant Joseph Duvernay. Fagon, devenu vieux et infirme, sut attirer à Paris le célèbre Joseph Pitton de Tournefort, Provençal. En 1683, Fagon se démit en faveur de son protégé, qui n’avait que vingt-sept ans, de sa place de professeur de botanique au Jardin-des-Plantes. Cet établissement prit, par les soins de Tournefort, un accroissement rapide ; ses cours et ses herborisations dans les environs de Paris attirèrent une prodigieuse quantité d’étudiants français et étrangers : ses éléments de botanique, publiés en 1694, ont fait époque dans cette science. En 1698, il donna au public son Histoire des plantes des environs de Paris ; et d’après la demande de ce célèbre botaniste, on construisit, en 1708, deux serres chaudes au Jardin-des-Plantes. Tournefort mourut à Paris le 28 novembre de cette année, en léguant au roi, par son testament, son précieux cabinet d’histoire naturelle et son magnifique herbier. De Jussieu poursuivit dignement la tâche commencée par ses prédécesseurs ; à vingt-huit ans, Antoine de Jussieu était professeur au Jardin-du-Roi ; il avait parcouru l’Espagne, le Portugal, ramassant toutes les plantes avec une curiosité pleine de dévotion. Enfin, en 1739, le roi véritable de cet établissement, le génie qui l’agrandit, qui le sauva, apparut sur la scène du monde : à vingt-six ans Buffon était nommé membre de l’Académie des Sciences. Il se sentit appelé à devenir l’historiographe de la nature. Buffon passa dix années à recueillir les matériaux, à s’exercer dans l’art d’écrire : au bout de ce temps, dit Condorcet, le premier volume de l’Histoire naturelle vint étonner l’Europe. Lorsque Buffon prit possession du Jardin-des-Plantes, cet établissement était triste à voir : deux salles basses contenaient quelques curiosités et deux ou trois squelettes vermoulus, des herbiers en désordre. Le jardin était planté au hasard : pas une allée, pas un arbre qui fût à sa place. Un savant, Daubenton, vint en aide à Buffon. À l’exemple d’Antoine de Jussieu, qui envoyait à ses frais ses élèves les plus zélés pour chercher des plantes et des graines, Daubenton recueillit des livres, des échantillons de tous genres. À côté de cette famille des Jussieu, les bienfaiteurs du genre humain, il faut placer Jean-André Thouin et son fils. À chaque saison nouvelle, le jardin était en progrès ; on jetait à bas les vieilles maisons, on en construisait de nouvelles, et bientôt on fut à bout de toute terre cultivée.

Le jardin, circonscrit à cette époque par la pépinière actuelle du côté du levant, par les serres au nord, et par les galeries à l’ouest, était trop étroit pour l’extension que venait de prendre l’École de Botanique, pour laquelle Buffon avait obtenu une somme de 36,000 livres. Cet établissement fut augmenté des terrains qui le séparaient de la Seine, de ceux qui provenaient de l’abbaye Saint-Victor et de quelques chantiers situés sur le quai. Une voie publique, qui porte aujourd’hui le nom de Buffon, fut pratiquée au sud et détermina de ce côté les limites du jardin. — Le Cabinet d’Histoire Naturelle s’enrichissait en même temps que le jardin. Ce Cabinet fut bientôt le centre où aboutirent les merveilleux et inestimables fragments dont se compose l’histoire naturelle. L’Académie des Sciences y envoya, la première, son cabinet d’anatomie. Les missionnaires de la Chine donnèrent à Buffon tous les échantillons recueillis dans ce vaste empire. Le roi de Pologne se montrait jaloux d’offrir au Jardin du Roi les plus beaux minéraux. Catherine II, impératrice de Russie, fit don au Cabinet d’Histoire Naturelle des plus beaux animaux du nord et des plus rares fragments de zoologie ; enfin, pendant la guerre d’Amérique, on vit des corsaires renvoyer à Buffon des caisses à son adresse et retenir celles du roi d’Espagne. Louis XV avait érigé la terre de Buffon en comté. D’Angiviller, surintendant des bâtiments sous Louis XVI, fit élever à Buffon, du vivant du célèbre naturaliste, une statue à l’entrée du cabinet du roi, avec cette inscription :

Majestati naturæ par ingenium !

Mais, hélas ! la reconnaissance publique ne s’étendit pas au-delà de l’existence de cet homme illustre. Pendant la Terreur, un jeune colonel de cavalerie fut arrêté ; il était noble, il dut mourir. On le conduisit au supplice. En montant sur l’échafaud, le patient s’écria : « Je suis le fils de Buffon ! » « Bah !… » reprit une femme une tricoteuse qui n’avait pas compris ce nom, « la république n’a pas besoin de bouffons !… » et la tête tomba !…

À Buffon avait succédé le marquis de la Billarderie, qui émigra dès le commencement de la révolution, et le Jardin-des-Plantes, dépendant de la maison du roi, devint domaine national sous l’Assemblée Constituante ; enfin, un décret de la Convention, du 10 juin 1793, constitua et organisa cet établissement sous le nom de Muséum d’Histoire Naturelle. Il comptait douze chaires : Minéralogie, Chimie générale, Art chimique, Botanique dans le Muséum, Botanique dans la campagne, Cultures, deux Cours de Zoologie, Anatomie humaine, Anatomie des animaux, Géologie et Iconographie naturelle. Par le même décret, on instituait au Muséum une bibliothèque qu’on devait former avec tous les livres recueillis dans les établissements religieux que la nation avait supprimés. Les professeurs s’appelaient Daubenton, Brongniart, Desfontaines, de Jussieu, Portal, Mertrud, Lamarek, Faujas de Saint-Fond, Geoffroy, Vanspaendonck, A. Thouin. Ajoutez à cette riche nomenclature les noms de Lacépède, ancien collaborateur de Buffon, les deux Maréchal et les frères Redouté.

Au commencement de la révolution, Bernardin de Saint-Pierre avait été nommé intendant du Jardin-des-Plantes. Le roi Louis XVI, en confiant ce poste à l’auteur de Paul et Virginie, lui dit avec cette bienveillance ordinaire aux Bourbons : « J’ai lu vos ouvrages, ils sont d’un honnête homme, et j’ai cru nommer en vous un digne successeur de Buffon. » — Bernardin de Saint-Pierre voulut ajouter au Jardin-des-Plantes la ménagerie de Versailles. Un jour, par cette même route où tout un peuple en fureur était venu chercher le roi, la reine, le dauphin et madame Élisabeth, on vit passer, traînés dans une voiture à quatre chevaux, mollement couchés dans leur niche, le couagga, le bubale, le rhinocéros et le lion. — Le savant Chaptal, devenu ministre, s’occupa avec une véritable sollicitude du Jardin-des-Plantes. Il fit acheter la superbe ménagerie de Pembrocke, agrandir l’École de Botanique et terminer les galeries supérieures du Cabinet. Chaptal ordonna, en outre, l’acquisition des chantiers voisins pour augmenter les parcs de la ménagerie, et fit construire la galerie de Botanique. — Sous Napoléon, le Jardin-des-Plantes grandit comme grandissait la France impériale. Pendant l’invasion, on arracha au château des Tuileries un empereur ; au Musée du Louvre, on enleva ses chefs-d’œuvre les plus précieux ; à nos bibliothèques, nos manuscrits les plus rares ; à la colonne de bronze, l’homme qui était dessus ; à la France, ses provinces entières ; un seul établissement, le Jardin-des-Plantes, fut respecté. — Enfin Cuvier parut après avoir complété et fixé l’anatomie comparée ; il créa une science, celle des fossiles. Alors de nouvelles constructions devinrent indispensables. Le Cabinet d’Anatomie fut agrandi, puis ouvert pour la première fois au public ; la grande galerie devint le bâtiment principal, et l’on construisit au centre de la ménagerie la rot ondé pour les grands herbivores. — Le Jardin-des-Plantes se compose de trois parties : le jardin bas, la colline ou jardin élevé, et la vallée suisse ou ménagerie. La colline est dessinée en labyrinthe ; on y admire le cèdre du Liban, planté en 1734, par le célèbre Bernard de Jussieu. Un peu plus haut, dans une allée à gauche, on aperçoit une colonne élevée à la mémoire de Daubenton. Le sommet de cette colline est couronné par un kiosque d’où l’on découvre une partie de la capitale. Son sommet s’élève au-dessus des basses eaux de la Seine de 35 m. 45 c. Les collections de Géologie et de Minéralogie, la Galerie de Botanique ont été transférées dans les nouveaux bâtiments qui règnent le long de la rue de Buffon ; en un mot, le Jardin-des-Plantes et le Muséum sont considérés, à juste titre, comme les plus beaux établissements de l’Europe.