Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Quincampoix (rue)

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Quincampoix (rue).

Commence à la rue Aubry-le-Boucher, nos 16 et 18, finit à la rue aux Ours, nos 17 et 19. Le dernier impair est 93 ; le dernier pair, 80. Sa longueur est de 324 m. — 6e arrondissement, quartier des Lombards.

Des actes de 1210 lui donnent cette dénomination. Le vieux Guillot de Provins, qui écrivait en 1300, l’appelle Quinquenpoit. Selon Sauval et Lebœuf, ce nom lui vient d’un seigneur de Quinquenpoit, qui en avait fait construire la première maison. — Une décision ministérielle du 21 prairial an X, signée Chaptal, avait fixé la largeur de cette voie publique à 7 m. Cette largeur a été portée à 10 m., en vertu d’une ordonnance royale du 16 mai 1836. Propriétés de 1 à 21, retranch. 2 m. 10 c. à 2 m. 70 c. ; de 23 à 39, ret. 3 m. ; encoignure droite de la rue de Rambuteau, alignée ; de 49 à 59, ret. 2 m. 80 c. à 3 m. ; 61, ret. 2 m. 70 c. ; de 63 à 73, ret. 2 m. 10 c. à 2 m. 50 c. ; de 75 à 83, ret. 2 m. à 2 m. 40 c ; 85, ret. réduit, 2 m. 70 c. ; 87, ret. réduit, 3 m. 10 c. ; 89, ret. réduit, 3 m. 50 c. ; 91, ret. réduit, 3 m. 80 c. ; 93, ret. réduit 4 m. 30 c. ; 2, ret. 3 m. 10 c. ; 4, ret. réduit, 2 m. 60 c. ; de 6 à 26, ret. 1 m. 80 c. à 2 m. 30 c. ; 28, alignée ; de 30 à 34, ret. 1 m. 40 c. à 1 m. 60 c. ; 36, alignée ; encoignure gauche de la rue de Rambuteau et maison no 46, alignées ; 50, ret. 1 m. 50 c. ; 52, ret. 60 c. ; 54, 56, ret., 1 m. 40 c. ; 58, 60, alignées ; de 62 à 70, ret., 1 m. 93 à 2 m. 60 c. ; 72, 74, ret., 1 m. 60 c. ; 76, ret. réduit, 1 m. 90 c. ; 78, ret. réduit 1 m. ; 80, ret. réduit 30 c. — Conduite d’eau depuis la rue Aubry-le-Boucher jusqu’à la borne-fontaine. — Éclairage au gaz (compe Française).

La rue Quincampoix est célèbre par le jeu effroyable que toute la France vint y jouer. Louis XIV en mourant avait laissé l’État grevé d’une dette de deux milliards soixante-deux millions. Pour faire regorger les traitants, le régent établit d’abord une chambre ardente. Cet expédient ne fut qu’un insuffisant palliatif. Un Écossais, Law, fils d’un orfèvre ou usurier d’Édimbourg, vint alors proposer l’établissement d’une banque générale, où chacun pourrait porter son argent, et recevoir en échange des billets payables à vue. Cette banque offrait pour hypothèque le commerce du Mississipi, du Sénégal et des Indes-Orientales. Par édits des 8 et 10 mai 1716, elle fut établie rue Vivienne, dans une partie de l’ancien palais Mazarin. Mais bientôt la rue Quincampoix fut le centre de cet agiotage. Le 4 décembre 1718, le régent érigea cet établissement en banque royale, et Law en fut nommé directeur. Le 27 du même mois, un arrêt du conseil défendit de faire en argent aucun paiement au-dessus de 600 livres. Cet arrêt prohibitif amena des contraventions qui mirent dans toute sa nudité la partie la plus vile du cœur humain, la soif de l’or ! La voix de la nature, la voix de l’équité, furent étouffées ; il y eut des confiscations ; les dénonciateurs furent excités, encouragés, récompensés. On vit des valets trahir leurs maîtres, qui dans leur sagesse cherchaient à conserver l’argent qu’ils possédaient. Le frère fut vendu par le frère et le père par le fils. Des noms respectables disparurent, des noms flétris prirent leur place et brillèrent. Un personnage grotesque barbotta au milieu de cette fange. C’était un pauvre diable que le caprice de la nature avait favorisé d’une protubérance sur le dos ! Son industrie consistait à louer sa bosse aux agioteurs, qui, au milieu de cette foule, s’en servaient comme d’un pupitre. Si la banque avait duré longtemps, la bosse eût été sans doute à la mode. En 1719, cet établissement commençait déjà à tomber en discrédit. Des marchands anglais et hollandais se procurèrent alors à bas pris des sommes considérables en billets ; ils se firent rembourser par la banque et emportèrent hors du royaume plusieurs centaines de millions en numéraire.

Le mécontentement éclata bientôt. Pour calmer les esprits, le régent destitua Law de ses fonctions de contrôleur-général. Ces billets de la banque étaient, comme nous l’avons dit, hypothéqués sur des établissements à créer dans le Mississipi. Pour les peupler on commença par faire arrêter tous les mauvais sujets et les filles publiques détenus dans les prisons. La mesure aurait été bonne si l’on se fût borné à faire disparaître cette écume, mais on abusa bientôt de cette épuration. On s’empara d’une assez grande quantité d’honnêtes artisans. Des femmes, dans l’espoir de vivre sans crainte avec leurs amants, payèrent des archers pour envoyer promener leurs maris au Mississipi. Des fils, pour jouir plus vite des biens de leurs pères, usèrent du même moyen ; enfin, le peuple indigné se révolta, battit, tua quelques archers, et le ministre intimidé fit cesser cette odieuse persécution. Un édit du 21 mai 1720 ordonna la réduction graduelle de mois en mois des billets et des actions de la compagnie des Indes. Cette mesure fut révoquée vingt-quatre heures après, mais elle avait déjà porté un coup mortel à la banque. Law se vit dépouiller de sa dernière place de directeur.

Le régent garda l’Écossais dans son palais pendant tout le mois de décembre de cette année. Law avait peur. Dans sa pauvreté il s’était battu à toutes les armes en forme de partie de plaisir ; lorsqu’il fut riche il devint poltron au-delà de toute idée, parce que, disait-il, « je ressemble à la poule aux œufs d’or, qui morte ne vaudrait pas davantage qu’une poule ordinaire. » Il parvint à gagner secrètement une de ses terres. Des princes enrichis par son système eurent alors la pudeur de favoriser sa fuite. Law se retira à Venise où il termina son existence maudite par tant de malheureuses familles. Ce mouvement prodigieux qui avait donné à toute la nation les convulsions du délire, aurait pu être utile à l’État, s’il eût été plus modéré. La machine, quoique brisée par un rouage trop rapide, portait l’empreinte d’un génie neuf et hardi. Le régent, qui n’était pas sans talent, pleura sur ses débris. On a fait monter à six milliards la masse de cette richesse idéale. Si ce fut le comble de la folie de croire à cette fortune prodigieuse, ce serait une sottise encore plus grande de ne pas apprécier tout le jeu que cette opération, bien montée, sagement conduite, eût pu facilement imprimer au commerce et à l’industrie de la nation.