Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Clément XIV

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 279-280).

CLÉMENT XIV. — Le Bref de suppression de la Conqiagnie de Jésus, i)ublié par le pape Clément XIV, est du 21 juillet 1778. Mais il avait été préparé de longue main. Pour comprendre cet acte de l’administration pontiûcale, — acte, en effet, de pure administration — pour en saisir les causes, le sens et la portée, il faut remonter juscpi’au pontificat de Clément XIII (1758-1769) et au conclave qui élut Clément XIV (15 février-18 mai 1769). Déjà, vers la lin du pontilicat de Benoit XIV, l’affaire de la suppression des Jésuites avait commencé à poindre ; pour leur honneur, la pensée en remonte, non à l’Eglise, mais à ses ennemis, les philosophes et les jansénistes, jaloux de l’influence prise par la Compagnie et assez habiles pour rallier à leur projet la famille royale des Bourbons. Les Jésuites avaient été expulsés de Portugal, de France, d’Espagne, Xaples et Parme ; une démarche collective des cours bourboniennes (18 janvier 1 76g), sollicitant la suppression de l’ordre par le Pape, avait été généreusement repoussée par Clément XIII. La situation de l’Eglise, à la mort de ce Pape, était lamentable. Les cours de l’Europe méridionale étaient en rupture avec le S. Siège, celles du Xord indifférentes. Cette situation avait divisé les cardinaux ; les uns étaient disposés à faire des concessions aux couronnes, les autres ne voulaient point en entendre parler. Les premiers, soutenus par les cours, prévalurent au conclave. Ganganelli fut leur candidat : ils le portèrent au trône pontilical. Il semble que celui-ci ait, sinon pris l’engagement formel de supprimer la Compagnie, au moins donné l’assurance que cette suppression était possible et souhaitable. Les cours ne tardèrent pas à reprendre leurs instances. Le Pape ne céda qu’après quatre ans, bien ([ue sa résolution semble avoir été plus tôt prise. Seulement, il se préoccupa de gagner du temps et de sauver son honneur. Pour gagner du temps, il donna des espérances par écrit à Louis XV (30 septembre 1769) et aux rois d’Espagne et de Portugal (30 novembre 1769), et plus tard, les cours se plaignant de ses longueurs, il renouvela ces assurances au chevalier Monino, ambassadeur de Charles III (15 novembre 1772). Dans l’intervalle, il prit quelques mesures contre les Jésuites, dont les amis manquèrent trop souvent de prudence : visite des collèges, retrait du séminaire de Frascati et du séminaire romain, visites apostoliques des Jésuites dont les maisons se tromaient dans l’Etat ecclésiastique. Pour sauver son honneur, le pape prit toute sorte de i)rccaulions. Le 27 juin 1773, 1 ! s’enferma dans une retraite absolue, dont il ne sortit que le 22 août suiant. Pendant ce. temps, il n’admit à l’audience aucun ministre des cours. C’est dans le plus grand secret qu’il travailla à la rédaction du bref, voulant montrer qu’il n’obéissait à aucune influence. Il le souscrivit le 21 juillet ; le 6 août, il nomma la congrégation De rébus e.rtinctæ Societatis Jesu, et imposa le i)lus rigoureux secret à ses membres, les cardinaux Marcfoschi, Casali, de Zelada, Corsini et Caraffa. Le

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16, le bref fut intimé solennellement aux Jésuites de Rome. Ils furent, malj^ré quelques mesiu-es rigoureuses, traités non en condamnés, mais en victimes. Le pape, en effet, dans le bref de suppression Dominas ac liedemptor, après avoir rappelé d’une part les exemples de ceux de ses prédécesseurs qui, depuis Clément V, avaient aboli des ordres religieux, et, d’autre part, les plaintes formées contre les Jésuites depuis Paul IV, déclarait ne rechercher et ne vouloir que le rétablissement de la paix et de la tranquillité. Il ne les accusait cependant d’aucun crime et accédait seulement aux désirs des princes, qui avaient, depuis plusieurs années, demandé l’aljolition de la Compagnie pour assiu-er « la tranquillité perpétuelle de leurs sujets et le bien général de l’Eglise de Jésus-Christ ». Naturellement, les cours du sud de l’Europe accueillirent avec joie le bref qu’elles avaient tant sollicité. Les coiu’s du nord ne montrèrent pas le même empressement aie recevoir ; l’impératrice Marie-Thérèse le mit sans doute à exécution, mais dans les autres parties du vaste empire d’Allemagne, il rencontra des opposants. La Prusse et la Russie conservèrent les Jésuites, l’une jusqu’en 1^80, l’autre jusqu’au règne de Pie VII, qui les rétablit dans tout l’Univers.

Clément XIV mourut un an après la promulgation du hrei Dominus ac Hedemptor (-22 septembre 1^74) ; ses derniers mois furent attristés par le souvenir de la concession qui lui avait été arrachée, et la vue de l’inutilité de cette concession pour la paix de l’Eglise. Son agonie semble avoir été consolée par la présence miraculeuse de saint Alphonse de Liguori. Peu après sa mort, le bruit se répandit que, dans une lettre confiée à son confesseur pour être remise à son successeiu ", il avait rétracté le bref Dominus ac liedemptor ; Pie VI ne protesta pas contre la publication de cette lettre, faite en 1789.

L’histoire des tergiversations de Clément XIV, et de la concession qu’il crut devoir faire aux haines conjurées des cours catholiques, peut se résumer dans la phrase bien connue de saint Alphonse de Liguori.

« Pauvre pape, que pouvait-il faire, dans les circonstances

difficiles où il se trouvait, tandis cpie toutes les couronnes demandaient de concert cette suppression ! » Un seul auteiu* catholique a, de nos jours, tenté, non d’excuser et d’expliquer, mais de présenter comme un acte glorieux à Clément XIV et utile à l’Eglise, le bref Dominus ac Redemptor : le P. Theiner, dans son Histoire de Clément XIV.

Les historiens s’accordent, par ailleurs, à reconnaître la science, la dignité de vie, les vertus religieuses du pape ; un des Jésuites qu’il frapi>a si rudement, l’historien Jules Cordara, lui rendit, peu après sa mort, ce témoignage : « Il aurait été un i)apc excellent dans des temps meilleurs. »

Bibliographie. — Sources : Continuatio BuUarii romani, t. IV, Prati. 1845 ; démentis XIV Epistolae et lirevia, édit. Theiner, Paris, 1852.

Ouvrages : Crétineau-Joly. Clément XIV et les Jésuites, Paris, 18^7 ; Masson, Le Cardinal de Bernis, Paris, 1884 ; Ravignan S. J., Clément XIII et Clément XIV, Paris, 1854 ; Reumont, Canganelli, Papst Clemens XIV, Berlin, 1847 ; Rousseau, Histoire du règne de Charles Jl^ Paris, 1907 ; Rousseau, Expulsion des Jésuites d’Espagne (Revue des Quest. Hist., janvier 1904) ; J. de la Servière, Article Clément XIV Au Dictionnaire de Théologie catholique ; Sidney Smith, S. J., The.suppression of tlie Society of Jésus (The Month, igoa-iyoS) ; Theiner, Histoire du pontificat de Clément XIV, Paris, 1862.

[J. B. Jaugky.]

J. DE LA Servière.