Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ABANDONNER

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 8-9).
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☞ ABANDONNER. v. a. Terme qui a plusieurs acceptions différentes. Considéré comme synonyme de délaisser, deferere, derelinquere, il marque l’action de s’éloigner de quelqu’un qu’on laisse sans secours, sans appui ; cesser de donner ses soins, son secours. Il faut seulement remarquer qu’abandonner se dit également des choses & des personnes, au lieu que délaisser ne se dit que des personnes. Nous abandonnons les choses dont nous n’avons pas soin. Nous délaissons les malheureux à qui nous ne donnons aucun secours. Souvent nos parens nous abandonnent plutôt que nos amis. Quand on a été abandonné dans l’infortune, on ne connoît plus d’amis dans le bonheur, on ne compte plus que sur sa propre conduite, & l’on ne congratule que soi-même de tous les services que l’on reçoit alors de la part des hommes.

On dit qu’un pere a abandonné son fils, qu’il l’a entièrement abandonné ; pour dire, qu’il ne prend plus aucun soin de lui, qu’il ne s’en met plus en peine.

On dit par extension, que les Médecins ont abandonné un malade ; pour dire, que désespérant de sa guérison, ils ont cessé de le voir.

M. l’Abbé Girard remarque qu’on se sert plus communément du mot d’abandonner, que de celui de délaisser, & que le premier est également bien employé à l’actif & au passif ; au lieu que le dernier a meilleure grâce au participe qu’à ses autres modes. Une remarque aussi judicieuse, fondée sur le bon usage, ne plaît pas aux Auteurs du nouveau Vocabulaire. Ils veulent que l’on dise également bien : Ce généreux citoyen ne délaissa pas ou n’abandonna pas ces deux infortunés. Ceux qui savent réduire les termes à leur juste valeur, ne souscriront pas à cette décision.

Il paroît encore que délaisser dit quelque chose de plus qu’abandonner, il désigne un abandon plus général. M. l’Abbé Girard observe lui-même qu’au participe il a par lui-seul une énergie d’universalité, qu’on ne donne au premier, qu’en y joignant quelque terme qui la marque précisément. Un pauvre délaissé, généralement abandonné de tout le monde.

Il signifie encore, Livrer en proie. La ville fut abandonnée à la fureur du soldat. Elle n’ose abandonner son cœur à l’amour. M. Scud.

Abandonner au bras séculier, c’est renvoyer un Ecclésiastique devant des Juges laïques, pour y être condamné à des peines afflictives que les Tribunaux Ecclésiastiques ne peuvent infliger.

En parlant de quelque chose à boire ou à manger, qu’on veut laisser à la discrétion des domestiques, après en avoir bû & mangé autant qu’on a voulu, on dit prov. & figur. Il faut l’abandonner au bras séculier. Acad. Fr.

On l’emploie avec le pronom personnel, pour dire, se livrer à quelque chose, s’y laisser aller sans réserve. Tradere se, committere se. Quand les gens austères viennent à goûter les voluptés, alors la nature lasse des peines, s’abandonne aux premiers plaisirs qu’elle rencontre. S. Evr. Il s’abandonna à la tristesse & à son désespoir. Il s’est abandonné à la colère & à ses désirs. On dit aussi s’abandonner à la Providence, s’abandonner à la fortune ; pour dire, se confier à la Providence, à la fortune, & attendre tout de Dieu, ou du hasard & du bonheur. S’abandonner à la joie ; c’est-à-dire, en goûter tout le contentement, & en ressentir tous les plaisirs. S’abandonner à l’oisiveté ; c’est-à-dire, s’éloigner absolument de toutes les affaires, sans vouloir s’occuper d’aucun des exercices honnêtes de la vie. Il faut s’abandonner à son feu, & ne rien refuser de ce que l’imagination présente. Bouh. Il se trouvoit malheureux d’être abandonné à lui même, & à ses propres pensées, sans avoir quelqu’un qui pût le plaindre, & lui donner de la force. P. de Cl. il est plus sûr de s’arrêter à l’autorité de l’Eglise, que de s’abandonner aux foibles efforts de notre misérable raison. Nicol.

On dit d’une femme qui se prostitue, qu’elle s’abandonne à tout le monde. On le dit quelquefois absolument. Le mauvais exemple porte une fille à s’abandonner.

Abandonner, signifie encore, Quitter, jetter là. Abjicere. Il abandonna ses armes.

Abandonner, signifie encore, Quitter un lieu, en sortir. Deferere. Il a abandonné le pays. On lui fit abandonner la ville. Abandonner la maison.

Abandonner, signifie encore, Laisser, donner une chose à quelqu’un, lui permettre d’en faire ce qu’il lui plaira, lui en laisser l’entière disposition. Dans une traduction en prose où l’on abandonne tous les termes de la langue au Traducteur, il demeure souvent au-dessous de l’original. S. Evr. Je vous abandonne cette affaire, je vous en laisse le maître. Je vous abandonne à vous-même & à votre propre conduite. Je vous abandonne tous les fruits de mon jardin.

Abandonner, signifie encore, Exposer, commettre à. Abandonner quelqu’un à la haine publique. S’abandonner au danger de perdre la vie pour la Religion.

Abandonner, se dit aussi pour Renoncer à quelque profession, à quelqu’entreprise. Abandonner une entreprise. Un Marchand abandonne le commerce. Ce Magistrat a abandonné les affaires pour vivre dans la retraite. C’est le génie de l’erreur, qu’aussitôt qu’elle se sent pressée, elle reprend ce qu’elle avoit abandonné. Peliss.

Abandonner, dans le commerce. Faire cession de ses biens à ses créanciers. Ce Marchand a abandonné ses biens à ses créanciers.

On le dit de même du délaissement volontaire d’un Propriétaire. Un pere abandonne ses biens à ses enfans.

On le dit encore de la résignation que nous faisons à Dieu de nous-mêmes, & de tout ce qui nous touche. Il abandonne tout à la Providence. Il a abandonné sa vie, son honneur entre les mains de Dieu.

Abandonner l’oiseau, terme de fauconnerie : c’est le mettre libre en campagne, ou pour l’égayer, ou pour le congédier, & s’en défaire entièrement.

Abandonner un cheval, terme de manége : c’est le faire courir de toute sa vîtesse, sans lui tenir la bride.

ABANDONNÉ, ÉE. part. pass. & adj. Il a toutes les significations de son verbe. Derelictus, destitutus, permissus. On le dit des choses auxquelles on renonce ; dont on cesse de prendre soin ; des personnes qu’on laisse sans appui, sans secours, &c. Maison abandonnée. Le mérite ne sert de rien quand il est abandonné de la fortune. B. Rab. L’amitié généreuse court aux personnes abandonnées, pour essuyer leurs larmes. M. Esp.

On dit aussi, abandonné des Médecins ; pour dire, que la guérison de quelqu’un est désespérée. Abandonné à son sens réprouvé. C’est une expression de l’Écriture, pour désigner un homme qu’on laisse à ses égaremens, & à la perversité de son cœur. On ne doit pas attendre des lumières bien pures de ceux que Dieu a abandonnés aux ténébres inséparables des grands crimes. Nicol. On dit aussi, qu’une cause est abandonnée ; pour dire, qu’elle est déplorable & insoutenable. On dit absolument : c’est un abandonné, en parlant d’un débauché, d’un libertin. On dit de même, c’est une abandonnée : on dit mieux, une femme abandonnée, prostituée. M. Paschal a dit, il faut que vous soyez les plus abandonnés calomniateurs qui furent jamais : c’est-à-dire, des gens déterminés, capables d’employer les moyens les plus odieux pour noircir la réputation d’autrui.

Abandonné, en droit, se dit des biens auxquels le Propriétaire a renoncé volontairement, & qu’il ne compte plus au nombre de ses effets.

On appelle aussi abandonnées, les terres dont la mer s’est retirée, & qu’elle a laissées à sec.

On dit, en termes de vénérie, un chien abandonné, qui prend les devans d’une meute, en poursuivant la bête.

Oiseau abandonné, cheval abandonné, termes de fauconnerie & de manége. Voyez le verbe.