Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ARMÉNIEN

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 508-509).
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ARMÉNIEN, ENNE s. m. & f. Armenus, a. Nom de peuple & de secte. La plupart des Arméniens depuis plus de cent ans n’ont aucune demeure arrêtée. Depuis que Scha-Abas, Roi de Perse a conquis leur pays, ils se sont dispersés en divers lieux de la Perse, & des états du Grand-Seigneur, & même en quelques endroits de l’Europe. Leur principal emploi est la marchandise. M. le Cardinal de Richelieu avoit eu dessein d’en établir en France pour augmenter le commerce ; & ce fut dans cette vue qu’il y fit imprimer quelques livres en langue arménienne. Les Arméniens sont proprement les peuples de la grande Arménie, qui sont bons, simples, sans façon, épargnans, industrieux, & qui s’attachent fort au commerce. Maty.

Par rapport à la religion, on distingue les Arméniens francs & les Arméniens schismatiques. Les premiers sont catholiques & soumis au Pape. Ils ont un Archevêque à Naksivan en Perse, & un autre à Lembourg en Pologne. Les autres ont deux Patriarches, l’un à Erchémiazin, monastère près de la ville d’Irva, l’autre à Cis, ou Sis, dans la Natolie. Uscan Evêque d’Uscouench étoit à Amsterdam en l’année 1664, où il a imprimé quelques livres arméniens, & entre autres une Bible arménienne pour en faire commerce. Il avoit eu cette commission de son Patriarche, parce que les Bibles en cette langue n’étant auparavant qu’en manuscrit, étoient fort rares & fort chères. Il passa d’Amsterdam à Paris, où il obtint de M. Séguier, Chancelier de France, un privilège pour imprimer les livres arméniens de ceux de sa nation. Et en effet, depuis ce temps-là ils ont eu une Imprimerie arménienne à Marseille, où ils se sont établis pour le commerce.

M. Simon, qui a connu cet évêque Arménien, dit au chap. 22 de son Histoire de la créance & coutumes des nations du Levant : Que la cour de Rome fut surprise de ce qu’on lui avoit accordé si facilement en France un privilège pour faire imprimer toutes sortes de livres arméniens ; parce qu’il se pouvoit faire qu’il imprimât des livres qui appuyassent leurs erreurs. Mais outre que leur privilège étoit limité, & qu’il ne leur permettoit d’imprimer rien qui ne fût orthodoxe, leurs livres, avant que d’être mis sous la presse, étoient revus par un homme que Rome avoit envoyé exprès pour cela à Marseille, & qui en conféroit avec le grand-Vicaire de l’Evêque. Ce qui a introduit quelques changemens dans leurs livres, & dont mêms ils se sont plaints, ayant porté cette affaire jusqu’au conseil du Roi.

A l’égard de leur croyance, Galanus, clerc régulier, en a traité fort au long, dans un livre qu’il a fait imprimer à Rome en arménien & en latin, touchant la réunion de l’Eglise arménienne avec l’Eglise romaine. Cet ouvrage est divisé en deux parties, dont la première n’est qu’un extrait des Histoires des Arméniens. Mais comme ils ont été partagés en deux sectes depuis plusieurs siècles, & qu’ils ont eu souvent recours à Rome, leurs Histoires ne sont pas toujours exactes. Par exemple, ils produisent un acte de réunion entre l’Eglise romaine & l’arménienne, sous l’Empereur Constantin & Tiridate Roi d’Arménie. Sylvestre occupoit alors le siège de Rome, & Grégoire, qui est le grand Patriarche des Arméniens, occupoit celui d’Arménie. Mais il y a plusieurs choses dans cet acte qui paroissent fabuleuses. Il y a bien de l’apparence qu’il a été fabriqué, au moins pour la plus grande partie, dans les siècles suivans, & principalement au temps du Pape innocent III, lorsque l’Eglise Arménienne voulut se réunir avec l’Eglise romaine. Cependant les Arméniens, comme l’a remarqué Galanus, se servent de cet acte pour montrer l’antiquité de leur Patriarche, qui fut établi, selon eux, par le Pape Sylvestre, & ils l’ont même produit dans leurs disputes contre les Grecs.

Les Arméniens sont de la secte des Monophysites, qui ne reconnoissent qu’une nature en Jésus-Christ ; & quoiqu’ils soient la plupart fort ignorans en matière de Théologie, ils ne laissent pas de parler assez raisonnablement du mystère de l’incarnation, & du concile de Calcédoine, qu’il ne reçoivent point. Quelques missionnaires que Brérewood a copiés, leur attribuent plusieurs erreurs dont ils sont fort éloignés : il n’est pas vrai qu’ils nient la présence réelle dans le sacrement de l’Eucharistie, comme le rapporte Brérewood, après un méchant Auteur ; car les Arméniens & les autres orientaux n’ont jamais eu aucune dispute entre eux sur ce mystère, & comme ils n’ont point eu de Bérengariens à combattre, ils sont demeurés dans les termes généraux du changement des symboles au corps & au sang de notre Seigneur. Toute la dispute qu’ils ont avec les Grecs au sujet de l’Eucharistie, consiste en ce qu’ils ne mettent point d’eau avec le vin en célébrant la Liturgie, & qu’ils consacrent en pain sans levain à l’imitation des Latins.

Brérewood accuse aussi, sans raison, les Arméniens & les Abyssins de ne point manger des animaux qui sont estimés immondes dans la loi de Moyse. Ce qui a pu donner occasion à cette croyance, c’est que toutes les sociétés chrétiennes d’Orient s’abstiennent de manger du sang & des viandes étouffées, sans qu’il y ait en cela aucune superstition. On pourroit reprendre avec plus de justice dans les Arméniens, l’attache scrupuleuse qu’ils ont à de certains jeûnes qui sont chez eux très-fréquens. On croiroit, à les entendre parler des jeûnes, que toute la religion consisteroit à jeûner.

L’ordre monastique est dans une grande vénération parmi les Arméniens, depuis qu’un de leurs Patriarches, nommé Niersès, y introduisit celui de S. Basile. Mais une partie d’entre eux s’étant réunie à l’Église romaine, ils ont changé leur ancienne règle, pour suivre celle des religieux Dominicains. Celui qui donna occasion à cette reformation, fut un religieux Dominicain, nommé Barthélemi, qui fit de grands progrès dans l’Arménie sous le Pape Jean XXII. Il attira à lui par les prédications plusieurs moines, dont il se servit pour réunir ensemble les deux Églises.

Ce fut en ce temps-là que l’Ordre de S. Dominique fut établi dans l’Arménie, & l’on appela les Moines Frères-unis, à cause de la nouvelle réunion. Ces Frères-unis s’acquirent en peu de temps beaucoup de réputation. Ils bâtirent des monastères, non-seulement dans l’Arménie & dans la Géorgie, mais aussi au delà du Pont-Euxin, & principalement à Caffa, qui étoit alors de la dépendance des Génois. Mais depuis que les Turcs & les Persans se sont rendus les maîtres de ces pays-là, le nombre des Frères-unis est fort déchû, & il en reste assez peu qui se sont retirés dans la province de Nascivan, en la grande Arménie ; & enfin se voyant réduits à l’extrémité, ils le sont unis avec les religieux Dominicains de l’Europe. Ils sont maintenant soumis au général de cet Ordre, qui y envoie un supérieur provincial.

L’Auteur de l’Ambassade de D. Garcias de Silva Figuéroa, en Perse, dit que la religion des habitans de la nouvelle Zulpha, qui sont Arméniens de naissance, est la chrétienne ; mais qu’il y en a fort peu qui reconnoissent le Pape, retenant presque tous leur ancienne religion ; qu’il y en a cependant quelques-uns, non-seulement dans Zulpha, mais aussi parmi ceux qui sont demeurés dans la grande Arménie à deux journées de la ville d’Erva, qui en est la capitale, particulièrement en un certain canton composé de 12 villages auprès de la ville de Maxivan, & que la plupart reconnoissent l’Église latine ; que l’on voit même en quelques-uns de ces villages des couvents de l’ordre de S. Dominique, aux Supérieurs desquels ils déférent & obéissent selon la discipline de l’Église romaine ; & qu’encore qu’ils aient un Evêque de leur nation Arménienne, il est aussi de même ordre, & n’est point marié, mais célèbre la Messe, & dit les même prières que ceux du même ordre ont coutume de dire en Europe ; que ces Arméniens sont appelés Francs, à cause de la religion catholique romaine qu’ils professent ; que les guerres ont fort désolé cette province, qu’il ne pense pas qu’il y reste plus de mille de ces Arméniens catholiques de tous âges, & de l’un & de l’autre sexe ; qu’environ un an avant que D. Garcie, Ambassadeur, arrivât à Ispahan, c’est-à-dire, en 1617, le Pape Paul V y avoit envoyé un religieux Dominicain, nommé F. Paul-Marie, homme savant, & de vie exemplaire, afin qu’il rétablît ce que le temps avoit altéré ou aboli aux cérémonies de l’Église latine ; que ces Arméniens se sont toujours conservés en la profession de la Religion romaine depuis le temps d’Ussum-Cassan roi de Perse, lequel avoit épousé Despoina, fille de Calojoannes Empereur de Trebizonde, & par conséquent chrétienne du Rit Grec ; que cette Princesse conserva sa religion, & favorisa toujours les chrétiens d’Occident, & particulierement les Ambassadeurs que la République de Venise envoya en ce temps-là à Ussum-Cassan, comme aussi le Pape Xiste IV, & Philippe Duc de Bourgogne ; que ce fut Barthélemi de Boulogne, le Dominicain dont nous avons parlé, qui sous Jean XXII, avoit ramené au giron de l’Église latine les villages dont nous avons fait mention ; que les Dominicains y avoient alors (en 1618) 3 ou 4 petits couvents, dont le supérieur est Evêque de Maxivan.

Les Arméniens font l’Office ecclésiastique en l’ancienne langue arménienne, qui est une langue rude & peu connue. Le peuple n’entend point cet ancien arménien, qui différe de l’arménien d’aujourd’hui. Ils ont aussi toute la Bible traduite en cette langue, & leur traduction a été faite sur la version grecque des Septante. Ils l’attribuent à quelques-uns de leurs docteurs qui vivoient vers le temps de S. Jean Chrysostôme, & entre autres à Moyse nommé le Grammairien, & à David surnommé le Philosophe. Enfin, ils font auteur de leurs caractères arméniens un saint Hermite nommé Mesrop, qui les inventa dans la ville de Balu, proche de l’Euphrate. Ce Mesrop vivoit en même temps que S. Chrysostôme. Leurs lettres majuscules sont des hiéroglyphes. Elles ont trois noms différens, selon qu’elles sont figurées. On les appelle florentes litteræ, lorsqu’elles représentent quelques fleurs. Quand elles représentent des animaux, des oiseaux, ou des reptiles, on les nomme Litteræ Belluinæ. Enfin le nom de Lettres capitales, Capitales litteræ, se donne à celles qui ne sont, à ce qu’il paroît à la simple vue, que le trait ou l’esquisse grossier des précédentes. Le Traducteur de M. Warburthon pense que ces lettres majuscules sont de vrais hiéroglyphes, qui étoient en usage chez les Arméniens avant l’invention des caractères alphabétiques : & qu’on pourroit comparer les lettres capitales, qui retiennent le contour des lettres majuscules, à cette espèce d’écriture courante des hiéroglyphes, dont se servoient les Egyptiens. Le P. Kircher croit au contraire, que ces lettres sont un effet de l’imagination des Peintres. L’alphabet éthiopien conserve aussi des hiéroglyphes. Essai sur les hiéroglyphes, p. 41. Toutes ces particularités touchant les Arméniens se trouvent plus au long dans les deux volumes composés par le P. Calanus, & dans l’Histoire des Religions du Levant, publiée par le sieur de Moni. Raynaldus a aussi inséré dans ses Annales plusieurs actes curieux qui regardent les mêmes Arméniens. On trouve de plus à la fin de l’Histoire du sieur de Moni, une notice des Églises qui dépendent du Patriarche d’Arménie résident à Egmiazin ; laquelle notice a été dictée à M. Simon par Uscan Evêque d’Uscouanch, & Procureur-Général de son Patriarche. Voyez aussi l’Ambassade de Dom Garcias de Silva Figuéroa en Perse, p. 194 & 282, de la traduction de Wicquefort.

Arménien, enne. adj. Qui est de l’Arménie, qui appartient à l’Arménie. Armenus. Le Rit arménien. La Liturgie arménienne. La langue arménienne.

Arménienne. s. f. Pierre précieuse, qui est en quelque façon semblable au lapis, sinon qu’elle est plus tendre & n’a aucune veine d’or. On l’appelle aussi, Vert d’azur, à cause qu’il y a du vert mêlé avec du bleu. On la trouve dans le Tirol, dans la Hongrie, & dans la Transylvanie. Elle est en usage pour les ouvrages, & sert aussi en Médecine.

La terre arménienne, Armeniaca terra, c’est la même chose que l’arsénic rouge, selon Hoffman.

La couleur arménienne, Armenium pigmentum. Il ne faut point la confondre, dit Hoffman, avec la terre arménienne. C’étoit un minéral ou ingrédient friable, dont les Peintres se servoient autrefois pour peindre en bleu, Voyez Saumaise sur Solin, p. 1154 & suiv.