Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CARTÉSIANISME

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 290-291).
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CARTÉSIANISME. s. m. Prononcez la seconde s. La philosophie de Descartes. Sentimens, opinions du philosophe Descartes. Cartesianismus. Secte de Philosophes modernes dont Descartes est le chef, & qui prend son nom du mot latin de son chef, Cartesius.

Le Cartésianisme a ses principes de Méthaphysique & de Physique. ☞ Le principe de Méthaphysique est, qu’il faut douter de tout d’un doute méthodique, c’est-à-dire, qu’il faut d’abord se comporter comme si tout étoit douteux. Defcartes débute ensuite par ce principe ; je pense, donc je suis : & conclut qu’il n’y a de vérités philosophiques que celles qu’on apperçoit par l’idée claire ou par le sentiment intérieur. Ce principe a été attaqué & soutenu avec beaucoup de vivacité, & avec trop de partialité de part & d’autre : car, quoiqu’il soit vrai que nous sommes assurés en même temps par le sentiment intérieur de la conscience, que nous existons, comme nous le sommes que nous pensons, il est vrai de dire que la conclusion de ce raisonnement, je suis, se tire bien de l’antécédent, je pense, puisque penser, suppose nécessairement être ou exister, & que l’esprit voit clairement la liaison nécessaire qu’il y a entre penser & être. Cependant Descartes n’a pas dû proposer son principe comme une nouvelle découverte. Avant lui on savoit que, pour penser, il faut être, & que celui qui pense actuellement, existe actuellement. Pour la Physique le principe du Cartésianisme est qu’il n’y a que des substances ; ce principe a paru dangereux, & on le combat tous les jours dans les écoles Catholiques, en prouvant, ou en voulant prouver, qu’il y a des accidens absolus. Ces substances sont de deux sortes. L’une est la substance qui pense, & l’autre la substance étendue ; la pensée actuelle ; l’étendue actuelle, sont de l’essence de la substance, tellement que la substance pensante ne peut être sans quelque pensée actuelle, & qu’on ne peut rien retrancher de l’étendue d’une chose, sans retrancher de la substance. A l’égard de la substance pensante, on ne conçoit pas comment Dieu ne pourroit pas l’empêcher de penser, en lui refusant son concours pour quelque action que ce soit, tandis qu’il lui conservera l’existence. A l’égard de la substance étendue, la foi nous apprend que le corps de Jesus-Christ ne perd rien de sa substance dans le Sacrement de l’Eucharistie, quoiqu’il y perde beaucoup de son étendue ; ainsi l’on ne peut pas dire que l’étendue est l’essence de la matière. Un autre principe du Cartésianisme, est qu’il n’y a point de vide, & qu’il n’y en peut avoir dans la nature, parce que ce vide pourroit être mesuré, il seroit étendu. Ce seroit donc de la matière, car tout ce qui est étendu est matière.

Ces principes de Physique une fois supposés, Descartes explique par les principes de la Méchanique, & par les règles du mouvement, comment le monde a été formé tel qu’il est.

MONDE DE DESCARTES.

☞ Descartes suppose une multitude de parcelles de matière, dures, cubiques ou seulement anguleuses, étroitement appliquées l’une contre l’autre, face contre face, & si bien entassées, qu’il ne se trouve pas le moindre vide entr’elles. Ensuite Dieu met toutes ces parcelles en mouvement ; il les fait tourner la plupart autour de leur propre centre, & de plus, il les pousse en ligne droite : enfin, il en fait tourner un certain nombre autour d’un centre commun. Cela supposé, vous allez voir sortir de ce chaos un monde semblable au nôtre, par l’impression seule du mouvement. D’abord de ces parcelles primordiales, inégalement mues, l’on voit sortir trois élémens, & de ces trois élémens toutes les pièces qui se perpétuent dans le monde.

☞ Premièrement les angles, les extrémités des parcelles sont inégalement rompues. La plus fine poussière qui vient de la raclure des ongles, est la matière subtile, qu’il nomme le premier élément ; les corps usés & arrondis par le frottement, sont le second élément, les globules ou la lumière ; la poussière la plus grossière, les éclats les plus massifs & les plus anguleux sont le troisième élément, ou la matière terrestre & planétaire.

☞ Tous ces élémens mis, & se faisant obstacle les uns aux autres, se contraignent réciproquement à avancer, non en ligne droite, mais en ligne circulaire, & à marcher par tourbillons, les uns autour d’un centre commun, les autres autour d’un autre. Voilà la formation des tourbillons. Tous ces élémens, en tourbillonnant ainsi, font effort pour s’éloigner du centre de leur mouvement ; ce que Descartes appelle force centrifuge.

☞ Tous ces élémens tâchant de s’éloigner du centre, les plus massifs d’entr’eux sont ceux qui s’en éloignèrent le plus. Pulvérisez un morceau de cire à cacheter ; secouez le papier sur lequel est la poussière, les morceaux qui ont plus de solidité s’approchent plus des extrémités des papiers. La poussière la plus fine reste au milieu. Ainsi l’élément globuleux sera plus éloigné du centre que la matière subtile ; & comme tout est plein, cette matière subtile se rangera en partie dans les interstices des globules, & en partie vers le centre du tourbillon. Cet amas de la plus fine poussière, qui s’est rangée au centre, est ce que Descartes appelle un soleil. Il y a de pareils amas dans d’autres tourbillons, comme dans celui-ci. Ce sont des étoiles qui brillent moins à notre égard à cause de leur éloignement prodigieux.

☞ Les globules qui ont plus de force centrifuge que la matière subtile à cause de leur solidité, s’écartent le plus vers les extrémités du tourbillon. La poussière qui compose le Soleil, qui est dans une agitation étonnante, communique son mouvement aux globules voisines, ces globules le communiquent à d’autres jusqu’à nous. C’est en cela que consiste la lumière, Voyez Lumière.

☞ Enfin cette poussière, que nous avons nommée troisième élément, étant irrégulière, anguleuse, peut former des pelotons épais. Plusieurs parties s’attachent par leurs angles, s’emboîtent les unes dans les autres, encroutent peu à-peu le tourbillon ; & de ces croûtes épaissies, surtout le dehors, il se forme un corps opaque, une planète, une terre habitable.

☞ Cette grosse poussière, ces parties massives du troisième clément, dont la terre, les planètes & les comètes sont formées, s’arrangent en d’autres formes, en vertu du mouvement, & nous donne l’eau, l’air, les métaux, les pierres, les animaux, les plantes, en un mot, tout ce que nous voyons dans notre monde.

☞ Cet édifice de Descartes ne paroît à M. Pluche, ainsi qu’à bien d’autres, qu’un assortiment de pièces qui croulent. Il attaque le fabricateur du monde dans ses principes & dans les conséquences qu’il en tire. Il lui paroît singulier d’entendre dire que Dieu ne puisse pas créer & rapprocher quelques corps anguleux, à moins qu’il n’ait de quoi remplir exactement tous les interstices des angles. De quel droit, dit-il, ose-t-on borner ainsi la souveraine puissance ? Le vide même, ajoute-t-il, est nécessaire dans la supposition de Descartes. Car les poussières de toutes tailles qui viennent se glisser entre les globules pour remplir les petits vides qu’ils laissent entr’eux, ne se forment qu’à la longue. Les globules ne s’arrondissent pas en un instant. Cette pulvérisation est successive. Voilà les angles prêts à se briser : mais avant que la chose soit faite, voilà entre ces angles des vides sans fin, & nulle provision pour les remplir.

☞ De plus, dit M. Pluche, tout ce que nous découvrons dans la lumière & dans la structure de la terre, est entièrement incompatible avec l’architecture cartésienne.

☞ Selon Descartes, la lumière est une masse de petits globules qui se touchent immédiatement, en sorte qu’une file de ces globules ne sauroit être poussée par un bout, que l’impulsion ne se fasse en même temps sentir à l’autre, comme il arrive dans un bâton. Cependant la lumière du Soleil met 7 à 8 minutes à franchir les 33 000 000 de lieues qu’il y a du Soleil à la terre ; & il est certain par quantité d’observations que la communication ne s’en fait pas en un instant, mais qu’elle parvient plus vite sur les corps plus voisins, & plus tard sur les corps plus éloignés. La lumière de Descartes n’est donc pas la lumière du monde.

☞ M. Pluche fait ensuite la visite de la terre cartésienne, après s’être bien assuré qu’on y peut marcher en sureté, & la compare avec la nôtre. Dans la croûte de la première, il ne voit qu’une écume grossière, un amas de particules inutiles, sans destination, sans distinction, qu’aucune prudence n’a pris soin de rendre bonnes à quelque chose ; au lieu que dans la nôtre, il voit par-tout des matières excellentes, des nares d’une simplicité inaltérable & d’un service merveilleux. Dans son tour de promenade sur le globe de Descartes, il ne trouve pas que sa surface ait assez de beauté pour se dédommager de la crasse & de la pauvreté des dedans. Voyez dans l’Auteur même toutes les raisons qu’il apporte, quelquefois avec trop de vivacité, & même un peu d’humeur contre le systême de Descartes.

☞ Quant au reproche que fait M. Pluche, que l’athéisme paroît étayé par le Cartésianisme, il est plus mal fondé que les autres. Il faut être bien prévenu contre ce systême pour y voir jusqu’aux principes de l’athéisme. Les Athées admettent une matière incréée, éternelle. Descartes la suppose créée & mise en mouvement par Dieu. On peut voit dans Descartes même avec quelle force il réfute une aussi ridicule calomnie. Jamais Philosophe n’a paru plus respectueux pour la divinité, dont il s’est occupé à prouver l’existence. Se proposer les argumens des Athées pour les réfuter, ce n’est pas être Athée.

Le Cartésianisme a charmé les esprits, comme tous les systêmes nouveaux ; mais on en est bien revenu, & l’on ne trouve aujourd’hui guère plus de solidité dans les élémens du Cartésianisme, que dans les qualités occultes de la vieille philosophie. Malgré tout cela, il faut avouer que l’Auteur & le pere du Cartésianisme étoit un génie sublime & un Philosophe conséquent ; la connoissance qu’il avoit des Mathématiques lui a servi à purger la Philosophie de beaucoup de choses inutiles, & à expliquer d’une manière physique les effets de la nature. Le Cartésianisme a été prêt d’être interdit par arrêt du Parlement, & il l’auroit été sans la requête burlesque qui fut présentée au Premier-Président.

☞ Le pur Cartésianisme est le systême de Physique, tel qu’il a été proposé par Descartes, aujourd’hui abandonné par tous les Physiciens. Voyez Tourbillons simples.

☞ Le cartésianisme mitigé & rectifié, est encore soutenu par plusieurs Physiciens de réputation. Voyez Tourbillons simples.