Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHARTREUX

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 471-472).
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CHARTREUX. s. m. Religieux de l’Ordre de S. Bruno, qui vit fort austèrement, & dans une clôture & une solitude fort étroite. Carthusianus, Carthusiensis. Ce nom vient du village de la Chartreuse en Dauphiné, que Hugues, Evêque de Grenoble, donna à S. Bruno, & où ce saint se retira lorsqu’il commença à fonder cet Ordre en 1086 ; & l’on a donné ce nom aux autres maisons de Chartreux.

On fait dire à M. Valois dans le Valesiana, que les Chartreux ne devroient pas s’appeler en latin Carthusienses, mais Caturciences, du nom du village qui est proche du lieu où ils s’établirent la première fois, qui s’appelle en latin Catorissium, ou Caturissium, & en françois Chatrouse. Mais dans la lettre de fondation du Monastère de Chartreuse, signée du Curé & des habitans du village dont il s’agit, les Religieux de ce Monastère sont appelés Cartunenses, & non pas Caturcienses. Pierre de Cluni, Saint Bernard & les autres Ecrivains qui les ont vu naître, ne les ont point appelés autrement que Cartusienses ; & il ne faut point alléguer la chronique de saint Médard de Soissons, où M. Valois a lu Ordo Caturciensis, puisque cette chronique, qui finit en 1261, est postérieure de près de deux cens ans à la fondation des Chartreux, qui est de l’année 1086. Vign. Marv. Cet Auteur étoit Chartreux.

Les Constitutions des Chartreux se trouvent dans un livre imprimé à Basle en 1510. Il contient tous les Statuts de leur Ordre, & il n’y a point d’impression de ces Constitutions plus ancienne ni plus authentique ; car elle a été reçue, approuvée & autorisée de tout l’Ordre, comme on le voir par le témoignage de François Dupuis, leur Général, qui se lit à la fin de cette compilation. Les Statuts de Guigues y sont les premiers, sous le titre de Statuta & consuetudines D. Guigonis prioris Carthusiæ. M. l’Abbé de la Trappe, dans son ouvrage de la Vie Monastique, s’est servi de ce livre pour prouver que les Chartreux ne vivoient plus dans cette grande austérité à laquelle ils étoient obligés par les Constitutions de Guigues leur cinquième Général. D. Innocent Masson, leur Général, a fait une réponse à l’Abbé de la Trappe, sous le titre d’Explication de quelques endroits des anciens Statuts de l’Ordre des Chartreux. Dans ce petit ouvrage, qui n’a été communiqué qu’à très-peu de personnes, il prétend que ce que le P. Guignes a écrit, n’étoit que des Coutumes dans le temps qu’il l’a écrit, comme il s’en explique lui-même dans son Prologue, & qu’il est demeuré sous le titre & les qualités de Coutumes, jusqu’à ce que l’Ordre les a converties en Statuts quelque temps après, en leur donnant la force de loi par l’usage, & en les rédigeant enfin en forme de Constitutions.

Dans l’année 1250, c’est-à-dire, environ deux siècles après la fondation de l’Ordre des Chartreux, un de leurs Généraux, nommé Riffier, fit une compilation des Coutumes de Guigues, qui étoient devenues Statuts par l’usage & par l’approbation des chapitres généraux de l’Ordre. Dom Masson prétend que l’Abbé de la Trappe a donné mal à propos le nom de Constitutions aux Statuts de Guigues, qui n’ont été dans les commencemens que des usages, & non pas des loix. Un Chartreux, nommé Raynaud, fit en 1369 une nouvelle compilation des Statuts de son Ordre : comme il se trouvoit une multiplicité d’Ordonnances faites depuis les anciens Statuts, il ôta cette multiplicité, en les réduisant à un plus petit nombre, sans rien diminuer cependant de l’ancienne austérité. La piété claustrale est encore aujourd’hui plus en vigueur chez les Chartreux que dans aucune autre Maison Religieuse.

Borel dit qu’autrefois on appeloit les Chartreux, Chartrussins, & que ces mots viennent de chartre, qui veut dire prison, comme si les Chartreux étoient ainsi nommés, c’est-à-dire, prisonniers, à cause de la grande retraite dont ils font profession. Il est visible que le nom de Chartreux vient de Chartreuse, où leur premier Monastère fut bâti.

L’histoire du Docteur de Paris, qui pendant qu’on faisoit ses obsèques, ressuscita, déclara qu’il étoit damné, & que l’on prétend avoir été l’occasion de la conversion de S. Bruno, est une fable, dont on n’a parlé que long-temps après la mort de S. Bruno, comme le Chartreux déguisé sous le nom de Vigneul de Marville l’a démontré. Le B. Guigues, cinquième Général de l’Ordre, écrivit les Coutumes de la grande Chartreuse, & ces Coutumes ont servi de règle & de loi à toutes les maisons de l’Ordre. Le Chapitre tenu en 1572, ordonna que les Coutumes de Guigues & les Statuts qui se trouvoient dispersés, seroient rassemblés avec toute l’exactitude & la brièveté possible. Quelques-uns voulurent à cette occasion faire diminuer les austérités de l’Ordre ; mais le Chapitre général n’y voulut point consentir, & les nouveaux Statuts furent imprimés en 1581, sous le titre de Nouvelle collection des Statuts, après avoir été confirmés par trois Chapitres généraux, suivant la coutume de cet Ordre, où aucune Ordonnance faite dans les Chapitres généraux ne peut être reçue, & ne peut passer pour loi, qu’après cette formalité. Par ces nouveaux Statuts il est ordonné que toutes les personnes de l’Ordre seront, Moines, Convers, Donnés & Religieux. Il y avoit auparavant des Rendus ; par ces nouveaux Statuts, il est défendu d’en recevoir. Nous expliquerons en son lieu ce que c’étoit que Rendu.

L’habillement des Moines consiste en une robe de drap blanc, serrée d’une ceinture de cuir blanc, ou de corde de chanvre, ou de l’un & l’autre mêlés ensemble, avec une petite cucule, à laquelle est attaché un capuce aussi de drap blanc. Au chœur & quand ils paroissent en public, ils ont une cucule plus grande, qui descend jusqu’à terre, & à laquelle est aussi attaché un capuce ; aux côtés de cette cucule il y a des bandes de drap assez larges. Ces cucules sont ce qu’on appelle ailleurs des scapulaires.

On peut regarder le Bref que le Pape Urbain II écrivit à Seguin, Abbé de la Chaise-Dieu, pour remettre les premiers disciples de S. Bruno en possession de la grande Chartreuse, comme la première confirmation de cet Ordre. Guigues II, neuvième Général, en obtint une plus authentique d’Alexandre III, dontla Bulle est du 17 Septembre 1170, & les mit sous la protection du Saint Siège. Voyez les Annales Ordinis Carthusiensis, par le R. P. Innocent Masson, Général, & le P. Hélyot, Tom. VII, c. 52.

Chartreux, se dit aussi d’un Monastère de Chartreux. Saint Louis a fait bâtir les Chartreux de Paris.

Chartreux. On appelle Pille des Chartreux, une espèce de laine que l’on tire d’Espagne, pour l’employer dans les meilleures manufactures de lainerie.

Chartreux. Le vulgaire nomme ainsi une sorte de chat, qui a le poil gris cendré tirant sur le bleu. C’est une espèce de fourrure dont les Pelletiers font négoce.