Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHIMÈRE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 541-542).
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CHIMÈRE. s. m. Terme de Mythologie. Monstre fabuleux que les Poëtes ont feint avoir la tête d’un lion, le ventre d’une chèvre, & la queue d’un serpent, & qu’on dit avoir été défait par Bellérophon, monté sur le cheval Pégase. Chimæra. Le fondement de cette fable est qu’il y a un mont en Lycie du même nom, qui est un Volcan, vomissant des flammes, dont les sommet qui est désert, n’est habité que par des lions ; le milieu où il y a de bons pâturages, est abondant en chèvres ; le pié, qui est marécageux, est plein de serpens. Ainsi, dit Ovide,

Mediis in partibus hircum,
Pectus & ora leæ, caudam serpentis habebat.

Parce que Bellérophon fut le premier qui alla habiter cette montagne, on a feint qu’il avoit tué la Chimère. Pline dit que le feu de cette montagne s’allume avec de l’eau, & qu’il ne s’éteint qu’avec de la terre ou du fumier. Quelques-uns ont dit que ce monstre avoit trois têtes, l’une de lion, l’autre de chèvre, & l’autre de dragon. On voit diverses figures imaginaires qui servent dans l’architecture gothique de gargouilles, & de corbeaux, & qui ne sont que des productions des Sculpteurs ignorans de ces temps-là.

Chimère, se dit figurément des vaines imaginations qu’on se met dans l’esprit ; des terreurs & des monstres qu’on se forge pour les combattre ; des espérances mal fondées que l’on conçoit, & généralement de tout ce qui n’est point réel & solide. Vigilantium somnia, vana & inania commenta, figmenta, deliramenta. En Philosophie on les appelle êtres de raison. Autrefois l’amour & la valeur romanesque étoient la chimère des Espagnols. S. Evr. L’antiquité est un cahos ténébreux, où l’on peut placer des chimères impunément. Jaq. Il y a de certaines chimères qu’on autorise en les combattant gravement, & qu’on ne droit entreprendre de détruire qu’en se jouant. Ab. de Villars. Les contemplatifs se paissent quelquefois de chimères stériles, & de vaines spéculations. Pourquoi sacrifier les plus agréables mouvemens du cœur à cette chimère de bienséance & d’honneur ? Vill. Une imagination échauffée par des vapeurs sombres & lugubres, se forge des chimères qui l’effraient & qui l’effarouchent. S. Evr. Les gens du monde n’estiment que ce qui flatte les sens : les biens de l’ame passent chez eux pour chimère. Nic.

En vain vous vous parez des vertus de vos pères ;
Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères.
Faisons plus. Livrons-nous à d’aimables chimères.
La sagesse le veut ; elles sont nécessaires.
C’est par elles qu’un bien que l’on n’obtiendroit pas,
Se laissant espérer, brille de mille appas ;
Sans elles malheureux, pleins de notre indigence,
Nous n’avons du plaisir que la seule apparence.

Nouv. choix de vers.

☞ L’existence des êtres finis est si pauvre & si bornée, que quand nous ne voyons que ce qui est, nous ne sommes jamais émus. Ce sont les chimères qui ornent les objets réels, & si l’imagination n’ajoute un charme à ce qui nous frappe, le stérile plaisir qu’on y prend, se borne à l’organe, & laisse toujours le cœur froid.

Chimère. En parlant de certaines origines fabuleuses de maison, on dit, que c’est la chimère d’une telle maison. Acad. Fr.

Chimère, est aussi un nom de lieu. Chimæra. Acroceraunia. Chimère est une ville de Turquie en Europe, sur la côte de l’Epire ou de la mer Ionienne, située sur la croupe d’un rocher escarpé de toutes parts. C’est aussi le nom d’une petite contrée, dont cette ville est capitale. Les Cartes marines de la Méditerranée faites par Berthelot, Michelot & Therin, l’appellent La Cumara. Le Cap de la Chimère, autrement de la Languette, ou la Lengua, comme parlent les mêmes Cartes, est celui qui avec le Cap d’Otrante fait l’entrée & l’endroit le plus étroit du Golfe de Venise. Les montagnes de la Chimère, Chimæræ montes, Acroceraunia juga, Ceraunii montes, entre l’Albanie & l’Epire.