Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHRONOGRAPHE ou CHRONOGRAMME

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 566-567).

CHRONOGRAPHE ou CHRONOGRAMME, s. m. Assemblage de plusieurs mots qui font un sens, & qui sont choisis de manières que les lettres numérales qui s’y rencontrent, marquent l’année, ou le millésime de quelque événement. Chronographum, chronogramma. Un exemple fera comprendre la définition de ce qu’on vient d’apporter : si VLtVM est DIffiCI – Les habere nVgas. Voilà un chronographe. Toutes les lettres numérales qui sont dans ce vers Phaleuque sont celles qui sont ici imprimées en grands caractères. VLVMDIICILV. Rangez ces lettres selon l’ordre du nombre qu’elles signifient, MDCLLVVVIII. M signifie mille, D signifie cinq cens, C signifie cent, L signifie cinquante, & par conséquent deux LL signifient cent, V signifie cinq, & trois VVV quinze, I signifie un, trois III trois ; ainsi le chronogramme si VLtVM est DIffiCI – Les habere nVgas, signifie MDCCXVIII. Mil sept cens dix-huit. Ces misérables jeux d’esprit étoient devenus fort à la mode depuis deux ou trois cens ans. On en a connu le ridicule en France ; mais la mode en subsiste encore en Allemagne & ailleurs, où l’on fait des chronographes, à une naissance, à un mariage, à l’inauguration d’un Prince, à une prise de bonnet de Docteur, &c. comme on fait des Sonnets en Italie. Le sieur Des Accords qui a fait des recherches sur les chronographes, dit qu’on les a employés en deux manières. La première consistoit à se servir simplement de lettres numérales pour marquer l’année d’un évenement, après-quoi chacun donnoit à ces lettres numérales la signification qu’il jugeoit à propos. Ainsi le Pape Léon X, ayant fait poser ces lettres numérales MCCCCLX sur une table d’attente, pour marquer l’année de son Pontificat, elles furent interprétées de la sorte : Multi Cardinales Cœci Crearunt Cœcum Leonem Decimum. La seconde espèce est celle qui consiste en une sentence, dont les lettres numérales marquent une année. Des Accords ne les faisoit remonter qu’aux derniers Ducs de Bourgogne ; mais dans l’Eglise de Saint Pierre à Aire on lit sur une vitre ce chronogramme : bIs septeM præbendas, wbaLdVIne, dedisti ; qui marque l’année 1062. MLVVII, ou MLXII. Le D n’étoit point encore lettre numérale. Elle ne l’étoit pas même en 1465, au temps de la bataille de Montlhéri, comme il paroît par ce chronographe françois qui marque cette année là : à CheVal, à CheVal, gensdarmes, à CheVaL, ni même en 1485 comme une autre chronographe françois le montre. Il y a des chronographes moraux, des chronographes sententiaux, il y en a de purs chronologiques.

Ce mot vient de χρὼνος, temps, & de γράφω, j’écris. La première fois que l’on trouve ce mot employé en ce sens, est au chronographe qui fut fait pour l’élection d’Etienne, Roi de Pologne, en 1576. Avant ce temps-là, & même après, on les appeloit Vers numéraux ou numéraires.

Il y a une Dissertation Analytique sur les chronographes, imprimée à Bruxelles en 1718. On écrit ces lettres numérales en caractère plus gros deux ou trois fois que le reste du contexte, afin de les distinguer plus facilement. Ces lettres sont les M, les C, les L, les X, les V, & les I. On dit des Vers chronographes, une Inscription chronographe, une Epitaphe chronographe. Celle-ci est celle où toutes les lettres que je viens de citer, qui entrent dans sa composition, étant additionnées, marquent l’année de la mort de celui pour qui on l’a faite, & ainsi des autres pièces. Ce mot dans tous les exemples ci-dessus est adjectif ; mais il est substantif lorsqu’on dit absolument un chronographe. Les chronographes ne sont pas toujours en vers, ils sont quelquefois en prose, & ce sont les meilleurs ; car on est trop gêné dans le choix des mots qui n’aient que les lettres numérales nécessaires, pour qu’on en puisse aisément faire de bons en vers.

Chronographe. s. m. Auteur qui a écrit sur la Chronologie. Chronographus, a. Eratosthenes, Julien l’Africain, Eusèbe, Syncelle, sont d’anciens Chronogaphes. Scaliger, le P. Pétau, Jésuite, sont de savans Chronographes.