Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COLÈRE

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(2p. 678).
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COLÈRE. s. f. C’est, dit M. de la Chambre, une passion mixte, composée de la douleur que l’on souffre pour l’injure reçue & de la hardiesse que l’on a pour la repousser. Ira. S. Evr. dit que c’est le ressentiment d’une injure & le désir de s’en venger. C’est, suivant M. Dac., l’agitation d’un sang bilieux qui se porte au cœur avec rapidité.

☞ Locke définit la colère, cette inquiètude ou ce désordre de l’ame que nous ressentons, après avoir reçu quelqu’injure, & qui est accompagné d’un désir pressant de nous venger. D’après cette définition, on peut regarder le mot de colère comme ayant un caractère commun avec courroux & emportement : mais la colère dit une passion plus intérieure & de plus de durée, qui dissimule quelquefois, & dont il faut alors se défier. Le courroux enferme dans son idée quelque chose qui tient de la supériorité & qui respire hautement la vengeance ou la punition. Il est du style plus ampoulé. L’emportement n’exprime proprement qu’un mouvement intérieur qui éclate & fait beaucoup de bruit, mais qui passe promptement. Syn. Fr. Horace appelle la colère une courte fureur. Ira, furor brevis est.

☞ On peut regarder la colère comme une émotion de l’ame qui la rend capable d’efforts violens, qu’elle n’eut point fait sans être tirée de son assiette. Elle vient de l’extrême sensibilité que nous avons pour tout ce qui nous blesse ; l’orgueil de l’homme ne peut souffrir une injure. Senèque dit que sans la colère l’ame seroit dans une paresseuse indolence ; que c’est un feu qui anime le courage, & que c’est par elle qu’un grand cœur repousse fiérement un outrage.

☞ La colère n’est vertueuse que quand elle prend les armes pour défendre la raison. Elle est juste & raisonnable, lorsqu’on est ému pour procurer un bien ou empêcher un mal. Alors elle s’appelle zéle.

La colère est superbe, & veut des mots altiers. Boil.

☞ On se sert aussi du mot colère pour déguiser certains mouvemens impétueux qu’on observe dans les animaux. La colère du Lion. Un singe en colère.

☞ On dit figurément la colère de Dieu, du ciel : & quoique Dieu soit exempt des passions, quand sa justice l’oblige à punir les pécheurs, on dit qu’il est en colère.

Que les méchans apprennent aujourd’hui
A craindre ta colère. Rac.

Ainsi du Dieu vivant la colère étincelle. Id.

☞ On le dit même des choses inanimées pour exprimer, par exemple, les flots impétueux de la mer. La mer n’est jamais si belle que dans sa colère ; pour dire, lorsqu’elle est émue & agitée, lorsqu’elle s’enfle & qu’elle mugit. Bouh. La colère des vents.

Colère substantif n’admet jamais de pluriel. Corneille l’a pourtant employé dans Andromède. C’est une faute.

☞ Voltaire dans ses, remarques sur le Cid, à propos de ce vers,

Ne peut pour mon supplice avoit trop de colère,


observe que Corneille a abusé de ce mot. On n’a point de colère pour un supplice. C’est un barbarisme. Enfin dans ses remarques sur ce vers de Cinna,

Sans emprunter ta main pour servir ma colère.


il observe que ce mot de colère ne paroît peut-être pas assez juste. On ne sent point, dit-il, de colère pour la mort d’un pere mis au nombre des proscrits il y trente ans. Le mot de ressentiment seroit plus propre ; mais en poësie colère peut signifier indignation, souvenir des injures, désir de vengeance.

☞ Les Anciens avoient fait une divinité de la colère. Voyez Ira.

Colère, adj. m. & f. qui est sujet à se mettre en colère. Iracundus. Les gens colères sont en danger de s’attirer de méchantes affaires. Sans la complaisance que la civilité a introduite, les opiniâtres, les colères, enfin tous les gens de tempéramens violens & contraires, ne pourroient vivre ensemble. M. Scud. Horace veut qu’on représente Achille colère, inexorable, & comme si les loix n’étoient pas faites pour lui. S. Evr.