Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COMMERCE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 719-721).
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☞ COMMERCE, s. m. signifie en général communication réciproque, & plus particulièrement communication que les hommes se font entr’eux de leurs marchandises, ordinairement par vente & par achat. Commercium. Un tel Banquier fait un grand commerce d’argent. Ce Marchand fait le commerce en gros ; celui ci ne le fait qu’en détail. Le commerce d’Orient est celui qui se fait par la Méditerranée à Alexandrie, à Smyrne, à Alep. Le commerce des Indes, celui qui se fait à Surate, à Batavia. Le commercedu Nord, celui qui se fait à Lubec, Dantzic, à Archangel, &c. Toute la richesse des Hollandois vient d’avoir bien fait le commerce. Le Consul du Caire est celui qui fait tout le commerce du sené. Anciennement tout le commence se faisoit par échange. Dac. Scipion, le destructeur de Numance, peut-être pour éviter jusqu’à l’ombre du négoce & du commerce, n’acheta & ne vendit jamais rien pendant 54 ans qu’il vécut. Voyez plusieurs choses sur le commerce dans les Instituts du Droit Consulaire par Jean Toubeau.

☞ Le negoce, dit M. l’Abbé Girard, regarde les affaires de banque & de marchandises. Le commerce & le trafic ne regardent que celles de marchandises ; avec cette différence, ce me semble, que le commerce se fait plus par vente & par achat ; & le trafic par échange.

Il y a environ 600 ans que les Allemans & Italiens ranimèrent le commerce, presque éteint dans l’Europe par les guerres continuelles, & sur tout par les pirateries des Normans. Le commerce des Italiens se faisoit à Alexandrie, & dans les ports de Syrie ; ils en apportoient des épiceries, des drogues, des soies, qu’ils achetoient des Arabes, maîtres de l’Egypte, de la Syrie & de la Perse, & qui de leur côté trafiquoient avec les Indiens & les Chinois. Ce commerce des Italiens étoit un reste de celui que les Romains & les Grecs avoient fait dans les mêmes lieux : c’est à ce commerce que les fameuses Républiques de Venise, de Gênes, de Pise & de Florence, durent leur accroissement & leur éclat. Le trafic des Allemans ne venoit pas des Romains, il étoit plus ancien, & s’étoit toujours soûtenu. Vers la fin du XIIe siècle les villes d’Allemagne situées sur la mer Baltique, & les grosses rivières qui s’y rendent, commerçoient beaucoup dans les États voisins. Comme leur commerce étoit souvent troublé par les pirates, soixante & douze de ces villes s’unirent ensemble, pour se défendre, & furent appelées Anseatiques du vieux mot Tudesque, ansa, qui signifie confédération, comme M. Leibnitz l’a montré. Leur commerce fleurit jusques vers le commencement du XVIe siècle, ou la fin du XVe. La division qui se mit entre ces villes, à peu près au même temps de la découverte que firent les Portugais d’une nouvelle route pour aller aux Indes par le Cap de bonne Espérance, fit tomber le commerce des Italiens. Celle de l’Amérique & des mines du Pérou & du Mexique, fit tourner de ce côté ; Cadix & Séville devinrent le centre de ce riche commerce. Le commerce d’Europe n’en souffrit point, le Nord & le Midi ont mutuellement besoin l’un de l’autre. La navigation depuis la mer Baltique jusqu’à la Méditerranée étoit longue & difficile. La situation de la Flandre, les manufactures qui y fleurissoient depuis le Xe siècle, & les foires franches de ce pays, engagèrent les Négocians du Midi & du Nord à établir leurs magasins dans Bruges, & puis dans Anvers. L’établissement de la République de Hollande, l’accueil favorable qu’elle fait aux étrangers, le refuge qu’elle donne aux Religionnaires, y ont attiré les ouvriers, les manufactures, & fait périr le commerce d’Anvers, qui l’emportoit beaucoup sur Amsterdam. Les mêmes raisons & la commodité de la multitude des ports d’Angleterre, la bonté des laines, l’industrie des ouvriers, y ont fait passer une grande partie du commerce. Voyez le grand Trésor historique & politique du florissant commerce des Hollandois, &c. Le Ie Chap. de ce Livre est une Histoire curieuse du commerce d’Europe.

☞ Le commerce, considéré par rapport au corps politique, est proprement la circulation intérieure des denrées d’un pays ou de ses colonies, l’exportation de leur superflu, & l’importation des denrées étrangères, soit pour consommer, soit pour les réexporter. Encyc.

☞ Ce commerce se divise en intérieur & extérieur.

☞ Le commerce intérieur est celui que les Sujets d’un Prince font entr’eux, dans l’étendue seulement du même état dont ils sont Sujets. Cette circulation extérieure est la consommation que les Citoyens font des productions de leurs terres & de leur industrie.

☞ Le commerce extérieur est celui qu’une société politique fait avec les autres. Il renferme toutes les espèces de commerces, soit par terre, soit par mer, que les Sujets du même État ont coutûme de faire au delà de sa frontière.

☞ Le commerce précaire est celui qui se fait par une nation avec une autre qui est son ennemie, par le moyen d’un troisième qui est neutre, & qui veut bien souffrir qu’on emprunte ses terres & son nom pour le faire.

Commerce signifie aussi la correspondance, l’intelligence qui est entre les États. Les Anglois ont rompu tout commerce avec la France. On a rappelé l’Ambassadeur d’Espagne ; il n’y a plus de commerce entre ces deux Nations.

Commerce se dit aussi de la correspondance, de l’intelligence qui est entre les particuliers, soit pour des affaires particulières ou simplement pour entretenir l’amitié. Ce Savant a commercé avec tous les habiles gens de l’Europe. Ces amis ont un commerce d’esprit & d’amitié ensemble. Il y a quelque chose de plus aisé & de plus poli, dans le commerce des femmes, que dans celui des hommes. S. Evr. Nos yeux faisoient un commerce continuel de regards éloquens. Vill.

On dit, en ce sens, le commerce de la vie, le commerce du monde, en parlant des choses qui entretiennent la société civile, des manières d’agir qui s’observent dans le monde. La science commence un honnête homme, & le commerce du monde l’achève. S. Evr. La vie de la plupart des hommes n’est qu’un commerce de complimens & de flaterie, pour se tromper les uns les autres. Bell. La providence entretient la charité parmi les hommes, par le commerce de secours & d’assistances mutuelles qu’ils se rendent. Fléch. Le monde est un commerce d’apparence de bonne foi & de tendresse. S. Evr. Il n’est pas nécessaire de rompre tout commerce avec les hommes pour s’unir à Dieu. Id. Les beaux esprits ne sont pas toujours les plus commodes pour le commerce. Bell. La nature donne une partie de l’esprit, & le commerce du monde donne l’autre. Le Ch. de Mer.

On dit qu’un homme est de bon commerce ; pour dire, qu’il est d’agréable société ; & d’un commerce sûr, pour dire qu’on peut se fier à lui, lui confier un secret.

Enfin pour finir sur cela,
Catulle, Tibulle, Properce,
Et gens de ce calibre-la.
Sont tous d’un assez bon commerce. P. Du Cerc.

Le mot de commerce, en notre langue, est de soi indifférent au bien & au mal, & c’est le terme qu’on y joint, ou la matière dont il s’agit, qui le détermine à l’un ou à l’autre ; ainsi nous disons en ce qui regarde les mœurs, un bon commerce, un mauvais commerce, un commerce innocent, un commerce légitime, un commerce illicite, un commerce de débauche, un commerce d’esprit, un commerce de lettres. Dans tous ces exemples le terme qui est joint à commerce en détermine la signification. Dans les exemples suivans, c’est la matière ; un tel fréquente une telle femme, dont la conduite n’est point régulière : il a commerce avec elle, ils ont commerce ensemble. Il est dangereux d’avoir commerce avec les femmes débauchées. En ces cas-là, commerce donne une mauvaise idée, parce que la matière est mauvaise d’elle-même : mais je dirois en parlant d’un homme sage & d’une femme vertueuse, qui s’écrivent très souvent, ils ont un grand commerce, cela ne laisse rien penser de mauvais. La matière détermine aussi à un sens honnête le mot de commerce, lorsqu’il s’agit du mariage ; ainsi on peut dire, Saint Henry & sa femme vivoient comme frere & sœur, ils n’avoient point de commerce ensemble, ils ont été plusieurs années ensemble sans avoir aucun commerce. Dans ces exemples, commerce s’entend d’un commerce légitime, & ce mot placé, comme il est, ne présente à l’esprit aucune idée de débauche ; c’est donc à tort que quelques Critiques se sont scandalisés de cette expression du Nouveau Testament traduit par le P. Bouhours : Marie sa mere ayant été mariée à Joseph se trouva enceinte par la vertu du S. Esprit, avant qu’ils eussent commerce ensemble, comme si le mot de commerce blessoit les oreilles chastes, & devoit passer pour une impropriété & un terme deshonnête.

Commerce se dit encore en Philosophie de la correspondance mutuelle de l’ame & du corps, c’est-à-dire, de l’action de l’ame sur le corps, & du corps sur l’ame. Ce commerce peut être conçu de deux sortes, comme physique ou moral. Commerce physique de l’ame & du corps, c’est, comme je l’ai dit, l’action mutuelle du corps & de l’ame l’un sur l’autre. Le commerce moral est celui qui seroit, s’il n’y avoit que des causes occasionnelles, c’est-à-dire, si c’étoit Dieu qui, à l’occasion de certains mouvemens du corps, produisît en l’ame certaines perceptions ou sentimens, & à l’occasion de certaines perceptions, certains mouvemens dans le corps. Ce commerce moral est une chimère dangereuse en matière de Religion & de mœurs, & qui détruit absolument la volonté, la liberté, le mérite & le démérite, & toutes les vertus & les mœurs.

Commerce. s. m. Jeu de cartes qui se joue avec le grand jeu complet, & depuis trois personnes jusqu’à huit ou neuf. L’as est la première carte, & les autres suivent à l’ordinaire : on en donne à chacun trois. Chacun met devant soi un pareil nombre de jetons appréciés à ce qu’on veut. Chacun vise à avoir tricon, séquence, ou le point ; car ce sont les uniques choses qui gagnent. Le tricon l’emporte sur tout, la séquence après, & le point le dernier. Pour parvenir à cet avantage, on commerce avec le Banquier, c’est-à-dire, celui qui a fait, en changeant une de ses cartes contre une du talon qu’il vous délivre, & lorsqu’on a trouvé ce que l’on cherche, on déclare qu’on s’y tient. Ce jeu se joue quelquefois d’une manière bien plus compliquée, mais quelquefois moins.