Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CORMORAN

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 917-918).
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CORMORAN. s. f. oiseau aquatique, qui approche de la figure du corbeau, ou du pélican de Mer, selon quelques autres. Philacrocoran, corvus aquaticus. Il a le bec long aussi-bien que le cou, & le pié plat. On l’appelle aussi corbeau pêcheur, ou corbeau marin. Il est fort glouton, & grand destructeur de poisson. Le cormoran avale de gros poissons à cause qu’il a le gosier fort large. Il est de la grandeur d’un chapon ; son bec est long, aigu & rougeâtre. Son plumage est noir ou gris fort brun ; un peu verdâtre par les aîles mais au dessous du cou & du ventre il a des plumes blanches bordées de noir. Sous les grandes plumes il a un duvet gris fort fin, comme le cigne ; mais celles de la tête & du cou sont épaisses & menues comme de la frange. On prépare sa peau comme celle des vautours pour échauffer l’estomac. Son bec par les côtés est gris & rougeâtre. Il est noir par dessus, long de trois pouces, crochu & pointu. Sa tête est presque toute dénuée de plumes, & couverte d’une peau qui a beaucoup de ressemblance à de la chair. Il lui tombe des poils du cou comme une jubé, & de même que l’on en voit aux chapons. Ses piés sont de même, hormis qu’ils sont mêlés de quelques plumes dorées, & qu’ils sont plats.

Les cormorans font leur nid sur les arbres, & tiennent leur perche sur le bord des étangs, ou le long des eaux salées. Agricola dit qu’ils se transportent en hyver aux lacs & aux rivières qui ne gèlent point. Il jette en l’air le poisson qu’il a pris pour le recevoir dans son bec par la tête, & l’avaler plus commodément. On s’en sert pour la pêche, en lui mettant un anneau de fer au bas du cou, par le moyen duquel on lui fait rendre le poisson qui est demeuré dans son œsophage qui est fort large. Il a les yeux petits, les piés courts, noirs & luisans, couverts d’écailles dont les doigts sont joints par des membranes picotées comme du chagrin. Le plus grand doigt a cinq os ou phalanges, celui d’après quatre, le troisième trois, le quatrième deux. Il a des ongles crochus & pointus, dont le plus grand est le dentelé. Il est le seul des plongeons qui se perche sur les arbres, selon Aristote. Les Médecins appellent ce gente d’oiseau palmipèdes. La chair des cormorans n’est pas fort exquise, ni fort délicate.

Ménage dérive ce mot de corvus marinus, & ajoûte que les anciens Gaulois disoient more, pour signifier la mer. Albert le Grand l’appelle carbo aquaticus.

Il y a une autre espèce de cormoran d’une taille plus petite que soie. Son bec est large, l’extrémité en est pointue. Il a des dents très-aigües, & en quantité. Sa couleur est composée de blanc & de jaune qui tire sur le roux, ainsi que ces piés. Sa poitrine est blanche. Toutes les autres parties sont diversifiées.

On parle encore d’un autre oiseau de la même espèce, ou approchant, appelé Morphex ; & en Allemagne Scholacheren. Il est noir ; son bec est dentelé comme une scie, & fort robuste ; ses ongles forts. Il plonge dans l’eau, & pêche de grands poissons, sur-tout les anguilles. Ces oiseaux se mettent en troupe pour faire leurs nids, & les construisent sur des arbres fort élevés proche des eaux. Ils nourrissent leurs petits de poissons. Leur fiente dessèche & fait mourir les branches des arbres sur lesquelles ils se mettent, ainsi que le héron. Ils ont le ventre & la poitrine cendrée. Leur vol est très-lent. Les Allemands les appellent oies aux anguilles. Probablement ce n’est autre chose que notre cormoran.

A la Chine, on élève des cormorans à la pêche ; comme nous dressons ici les chiens, ou même les oiseaux à la chasse. Un Pêcheur en peut facilement gouverner cent ; il les tient perchés sur le bord de son bateau, tranquilles, attendant l’ordre avec patience, jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au lieu de la pêche. Alors, au premier signal qu’on leur donne, chacun prend l’essor, & s’envole du côté qui lui est assigné. C’est une chose fort agréable que de voir comme ils partagent entr’eux toute la largeur de la rivière ou de l’étang. Ils cherchent, ils plongent & ils reviennent cent fois sur l’eau, jusqu’à ce qu’ils ayent trouvé leur proie ; alors ils la saisissent avec le bec par le milieu du corps, & la portent incontinent à leur maître. Quand le poisson est trop gros, ils s’entr’aident mutuellement ; l’un le prend par la queue & l’autre par la tête, & ils vont ainsi de compagnie jusqu’au bateau, où on leur présente de longues rames. Ils s’y perchent avec leur poisson qu’ils n’abandonnent que pour en aller chercher un autre. Quand ils sont bien las, on les laisse reposer quelque temps ; mais on ne leur donne à manger qu’à la fin de la pêche, durant laquelle ils ont le gosier lié avec une petite corde, de peur qu’ils n’avalent les petits poissons, & qu’ils n’aient plus envie de travailler. P. le Comte.

On appelle ordinairement cormoran, un homme extrêmement sec & maigre.