Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CROCODILE

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 25).
◄  CROCHU

CROCODILE. s. m. Espèce de grand lézard amphibie qui se nourrit dans les joncs sur le rivage des grandes rivières. Crocodilus. Les Crocodiles sont couverts d’écaillés difficiles à percer, excepté sous le ventre où ils ont la peau tendre. Leur gueule est grande, avec des dents aiguës & séparées qui entrent l’une dans l’autre, & il y en a plusieurs rangs. Ils sont fort bas sur les pieds, rampant presqu’à terre. Ils vivent long-tems, & font leurs œufs quelquefois jusqu’au nombre de 60. qu’ils déposent dans le sable : la chaleur du soleil fait éclore les petits sans incubation. Ils ont des yeux de pourceau, & leurs pattes armées d’ongles aigus & tranchans. Il y en a de si grands aux Indes, qu’un homme de la plus grande taille pourroit demeurer debout entre leurs mâchoires quand leur gueule est ouverte.

En 1681. le Sr. du Verney disséqua à Versailles un petit crocodile. Son estomac étoit rempli de quantité de pierres, & d’ailleurs semblable à celui des oiseaux. Avant ce temps-là on n’avoit point vu de crocodile vivant en France. Pendant deux mois que celui-ci avoit été à Versailles, il n’avoit rien mangé. Il étoit long de près de quatre pieds, avoit tout le corps couvert d’écailles, à la tête près. Il ne remuoit que la mâchoire inférieure, la supérieure étoit immobile. Vers le milieu de l’inférieure, il avoit des deux côtés deux glandes, d’où sortoit une liqueur d’une odeur très-désagréable. Vossius parle des crocodiles dans son IIIe. livre De Idolol. C. 47. 55. 56. 59. 68. 73. 74. & examine différentes propriétés de ces animaux, ou qu’on leur attribue. Pline s’aveugle lui-même, lorsqu’en traduisant Démocrite, il dit que le caméléon est fait comme le crocodile, & qu’il est aussi gros que lui. Il ne songeoit pas que le mot Κροκόδειλος, dont s’est servi Democrite, suivant le langage des Ioniens, ne signifie pas un crocodile, mais un lézard ; Vign. Marv. Le crocodile est le symbole du Nil & de l’Egypte qu’il arrose, parce qu’il naît dans ce fleuve. Quelquefois il marque (sur les médailles) des spectacles, où l’on avoit donné au public le plaisir de voir de ces animaux extraordinaires. P. Joubert.

Ce mot vient du Gtec κρόκος, safran, & de δειλᾶν, participe qui signifie craignant. Les crocodiles appréhendent le safran à le voir seulement, & encore plus à le sentir. Quelques-uns aiment mieux le dériver de κρόκη, litus ou ripa, bord, rivage, parce que cet animal accoutumé dans les eaux, n’aime guère à venir à terre, où les hommes lui dressent ordinairement des embûches. En l’Île de Baton il y en a plusieurs qu’on apprivoise, qu’on engraisse, & qu’après on tue, dont on fait un mets très-délicat. Lorsqu’on les blesse, ou qu’on les éventre, leurs entrailles sentent fort bon, & parfument l’air tout-au-tour. Cette odeur ressemble à celle du musc, & quelquefois elle est si forte qu’elle est capable de faire tomber en foiblesse ceux qui la sentent : ceci n’est vrai que des crocodiles d’eau douce, les crocodiles de mer n’ont aucune odeur. On a trouvé quelquefois dans le ventre de ces animaux, des cailloux qu’ils avalent pour appesantir leur corps, & aller à fond parce qu’ils n’y peuvent pas descendre bien avant sans cela. Aux Indes Occidentales on les appelle caymans, & il y en a desi forts, qu’on en a vu un se défendre contre trente hommes, qui lui tirèrent six coups d’arquebusse sans le pouvoir percer. Herrera. On n’en trouve que dans les grands fleuves & dans les pays chauds, comme le Nil, le Gange, l’Orénoque, &c. Thomas Gage dit qu’il s’est garanti d’un crocodile en fuyant & tournoyant tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, sans aller tout droit, parce qu’il ne sauroit tourner son corps que difficilement, à cause qu’il est roide & pesant, & que d’ailleurs il court en avant aussi vite qu’une mule. Les Egyptiens honoroient le crocodile dans une ville qu’ils appeloient la ville des crocodiles, Crocodilopolis, dont parle Strabon. En langage hiéroglyphique le crocodile signifioit la tyrannie dans le Gouvernement politique. Voyez Kirker, Œd. Egypt. T. I. p. 157. 158.

Le crocodile étoit un animal sacré chez plusieurs d’entre les Egyptiens. Ceux de Thèbes & du Lac Mœris lui rendoient un grand culte. Ils en prenoient un qu’ils apprivoisoient : ils lui mettoient aux oreilles des pierres précieuses & d’autres ornemens d’or, & l’attachoient par les pieds de devant : ils lui donnoient pour sa nourriture une certaine quantité de viandes qu’ils appeloient sacrées. Les Egyptiens croyoient que les vieux crocodiles avoient la vertu de deviner, & que c’étoit un bon présage lorsqu’ils prenoient à manger de la main de quelqu’un ; & au contraire un mauvais, lorsquils le refusoient. Lorsque le crocodile qu’on avoit élevé étoit mort, on l’embaumoit, & on le mettoit dans des urnes sacrées que l’on portoit dans le Labyrinthe, où étoit la sépulture des Rois. Ces mêmes animaux étoient regardés avec horreur dans tout le reste de l’Egypte & on y en tuoit autant qu’on pouvoit en attraper. La Religion leur inspiroit cette haine. Ils croyoient que Typhon, meurtrier d’Oreste s’étoit transformé en crocodile.

Crocodile, est aussi un petit animal qu’on appelle autrement Stinx, qui est assez semblable au lézard, ou à de petits crocodiles. Il vit partie dans l’eau, & partie sur la terre. Il a quatre jambes courtes & menues. Son museau est fort pointu, sa queue, courte & menue. Il est assez beau à voir, parce qu’il est couvert de petites écailles fort bien arrangées, de couleur argentine, brunies en divers endroits, de couleur dorée, particulièrement sur le dos. Il demeure toujours petit, & naît en Egypte vers la Mer rouge, en Lybie & aux Indes. On en prend les reins & le ventre pour les faire entrer en la composition du Mithridate. Il a une raie tirée le long de son corps depuis la tête jusqu’à la queue. Il ressemble à nos lézards. Dioscoride l’appelle crocodile terrestre.

Crocodile, se prend figurément & familierement pour méchant, traitre, perfide. Nequam, improbus, perfidus. Ah crocodile ! qui flatte les gens pour les étrangler. Mol.

On appelle des larmes de crocodile, les larmes par lesquelles on veut émouvoir quelqu’un pour le tromper, une feinte douleur qui ne tend qu’à surprendre quelqu’un. Crocodili lachrymæ. Les pleurs des Courtisannes sont des larmes de crocodile.