Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉFAIRE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 161-162).
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DÉFAIRE, v. a. Détruire une chose faite, faire qu’elle ne soit plus ce qu’elle étoit. Faire & défaire sont deux actions opposées. Destruere. On défait en un temps ce qu’on a fait en un autre. Il se dit de toutes sortes d’ouvrages. Quand un Maçon défait un jour ce qu’il a fait l’autre, ce n’est pas le moyen d’achever. J’ai défait la tapisserie, la broderie, la fleur que j’avois commencée ; elle ne me plaisoit pas. Pénélope, pour tromper ses amans, défaisoit pendant la nuit sa toile. Ximenès ne portoit point de linge, & dormoit ordinairement sur la dure, défaisant tous les matins son lit, comme s’il eût couché dedans. Fléchier.

Quand je pense être au point que cela s’accomplisse,
Quelque excuse toujours en empêche l’effet,
C’est la toile sans fin de la femme d’Ulysse,
Dont l’ouvrage du soir au matin se défait. Malh.

☞ On le dit dans ce sens pour rompre une chose conclue & arrêtée. Dissolvere. Défaire un mariage, défaire un marché.

☞ On le dit de même pour délier, dénouer. Solvere. Le bruit couroit par-tout que celui qui pourroit défaire ce nœud, auroit l’Empire de l’Asie. Abl. Ayant fait plusieurs efforts pour défaire les nœuds, il les coupa. Vaug.

En ce même sens on l’emploie à la place de faire mourir, & on dit qu’un homme s’est défait lui-même, qu’une femme a défait son fruit. Mortem sibi vel alteri consciscere.

☞ DÉFAIRE, en termes de guerre signifie, dissiper une armée, ou l’affoiblir au point qu’elle ne puisse plus tenir la campagne. Expugnare, profligare. Alexandre défit les Perses en trois batailles rangées. Samson avec une mâchoire d’âne défit les Philistins.

Défaire, dit plus que battre, & moins que mettre en déroute, qui renferme de plus l’idée d’une fuite précipitée & d’un désordre général de l’armée défaite.

Défaire, se dit des armées : battre des détachemens. Voyez Vaincre, Battre, Déroute.

En ce sens on dit au figuré, Défaire quelqu’un dans la dispute, pour dire, le mettre hors de combat, & le réduire à n’oser, ou ne pouvoir plus parler. Expugnare, superare, perturbare. Ce répondant a été défait dès le premier argument. Ce criminel s’est défait au milieu de son interrogatoire.

Se défaire, dans un sens tout semblable, veut dire, être étonné, surpris, déconcerté, perdre la présence d’esprit. La Comtesse se mit à rire, & ne se défit point de mon effronterie. Bussy Rab. Dom Emmanuel de Lira se brouilla, sans néanmoins se défaire & s’arrêter, ni tomber en confusion. M. Pelisson. Lettr. Histor.

☞ Dans cette acception défaire ne paroît pas d’un style bien correct, & je ne conseillerois à personne de s’en servir.

On diroit mieux que la maladie a bien défait quoelqu’un, pour dire qu’elle l’a bien changé, qu’il est bien amaigri, atténué.

On veut encore dans le Dictionnaire de l’Académie. Qu’on dise qu’un vin se défait, pour dire qu’il s’affoiblit qu’il perd de sa qualité. Ces sortes de vins-là ne sont pas de garde, ils se défont aisément. On peut l’employer comme terme de marchand de vin.

Se défaire d’une chose, quitter, abandonner une chose dont on ne veut plus. Je me suis défait de cette maison, qui me coûtoit trop à entretenir. Il s’est défait de son bénéfice, moyennant pension. Il se faut défaire de toutes ses mauvaises habitudes. Quand on a des défauts dont on ne se peut défaire, il ne faut songer qu’à les cacher. S. Evr. Défaites-vous de vos scrupules. Port-R. On se défait difficilement de l’amour propre. S. Evr. Je veux me défaire de mon humeur triste & mélancholique. P. le Bos. Lorsque la passion s’est une fois emparée de notre cœur, on tache en vain de s’en défaire S. Evr. Il faut obliger les Hérétiques à se défaire de leur esprit, en leur faisant voir sa foiblesse. Maleb. L’esprit ne se défait pas aisément des opinions dont il est bien préoccupé.

Défaire, en ce sens, signifie encore, Débarrasser, délivrer quelqu’un de ce qui embarrasse, de ce qui nuit, de ce qui est à charge. Ne voulez-vous donc pas me défaire de votre Marquis incommode ? Mol. Il s’est défait adroitement de ses gardes, il s’est échappé. Veux-tu te défaire d’un homme, prête-lui de l’argent, & tu ne le verras plus ? Gon. Se défaire de la fièvre. Se défaire d’un domestique, chasser, congédier un domestique dont on est mécontent.

Défaire, se dit aussi pour, se débarrasser de quelqu’un en le tuant, en le perdant tout-à-fait. Perdere, interficere. Darius, pour se défaire d’Alexandre, sollicita même la fidélité des Domestiques d’Alexandre. Vaug.

Défaire, avec le pronom personnel, signifie, dans le Commerce, vendre. Vendere. Ce cheval est beau il vous sera aisé de vous en défaire. Ce Marchand a quitté le trafic, & s’est défait de toute sa marchandise en faveur de son neveu. Ce curieux ne veut point se défaire de ce tableau.

Défaire, signifie figurément, Effacer par un plus grand éclat, par plus de mérite ou de beauté. Superare. Les Dames n’aiment point avoir de belles suivantes qui les défassent. Les couleurs vives & éclatantes défont celles qui sont plus douces. L’écarlate défait toutes les autres couleurs. Le diamant défait toutes les autres pierres précieuses. Cet homme défait tous les autres par la supériorité de son esprit. Je trouve le verbe défaire, employé dans cette acception dans tous nos Dictionnaires, même dans celui de l’Académie. Malgré cette autorité je ne voudrois pas m’en servir. Quand nous avons des mots propres pour rendre ce que nous voulons dire, pourquoi en employer d’autres qui ne présentent point, ou qui ne présentent qu’inparfaitement l’idée accessoire que nous y attachons. Quand je dis qu’un homme défait tous les autres, pour dire qu’il les efface, cette expression est au moins louche.

Défait, aite. part. Il a quelques significations du verbe, en latin comme en françois. Un lit défait. Une armée défaite. Un homme défait, détruit.

Défait, signifie aussi, un homme amaigri, exténué par quelque maladie, pâle, abattu. Pallidus, macilentus, exsanguis. Il n’est pas bien remis de sa maladie, il est encore tout défait. Ce criminel parut si défait lors de sa capture, que cela donna un grand soupçon contre lui. On peint les Hermites avec un visage défait, exténué par les jeunes & les macérations. César averti de se méfier d’Antoine & de Dolabella, répondit qu’il ne falloit rien appréhender de ces visages fardés & enjoués, mais de ces visages pâles & défaits, tels que Cassius & Brutus. Abl.