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Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DOUTE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 450-451).
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DOUTE, s. m. Le genre de ce mot n’est point incertain : quoique Voiture, Balzac, & plusieurs de nos bons Auteurs, qui écrivoient il y a environ un siècle, l’aient fait du genre féminin, il est aujourd’hui du genre masculin. Doute veut dire Incertitude, irrésolution, agitation d’un esprit qui ne connoit pas la vérité, ou qui ne sait de quel côté il se doit déterminer. Dubitatio, hæsitatio. Il faut pourtant remarquer que ces trois mots ne sont synonymes que dans le sens où ils marquent une indécision. L’incertitude vient de ce que l’événement des choses est inconnu ; le doute vient de ce que l’esprit ne sait pas faire un choix ; & l’irrésolution vient de ce que la volonté a de la peine à se déterminer. Ainsi le doute est proprement une indécision de l’esprit qui ne sait pas faire un choix On est dans le doute de ce qu’on doit faire, sur des opinions, &, selon Aristote, le doute est le commencement de la science. Mén. Le doute des Athées est un doute de ténébres, qui ne conduit point à la vérité ; mais le doute des Philosophes aide à la trouver. Maleb. L’opinion est un milieu entre le doute & la science : le doute laisse l’esprit en suspens, & la science prononce déterminément. En bien des choses difficiles, il vaut mieux pencher vers le doute que vers la crédulité. Mont. Il faut courir après la raison, & chercher la vérité par les doutes & par la dispute. Balz. Il y a un doute qui tient l’esprit absolument suspendu, & indéterminé ; & un doute qui est seulement accompagné de la crainte de se tromper. Les Sceptiques étoient dans un doute perpétuel. Les dévots sont toujours pleins de doutes & de scrupules. Les doutes passagers affoiblissent la foi, & ne la ruinent pas. Il ne faut pas être flottant entre le doute & la foi. Maintenant dans la Justice on révoque tout en doute. Ce doute, cette crainte est bien fondée. Le P. Bouhours a proposé plusieurs doutes sur la Langue.

☞ On distingue en Philosophie deux sortes de doutes, l’un effectif & l’autre méthodique. Le doute effectif est celui par lequel l’esprit demeure en suspens entre deux propositions contradictoires, sans avoir aucun motif dont le poids fasse pencher d’un côté plutôt que d’un autre. C’est le doute des Pyrrhoniens. Le doute méthodique est celui par lequel l’esprit suspend son jugement sur des vérités dont il ne doute, pour s’affermir de plus en plus dans ses connoissances. C’est le doute introduit par Descartes. Dubium effectivum. Dubium methodicum. Ce doute général, dans lequel les Pyrrhoniens se renferment, sans que rien puisse les en faire sortir, est impossible, pernicieux à la société, ridicule & extravagant. Voy. Pyrrhonien.

Le mot de doute vient de dubita, terme de la basse Latinité, qu’on a dit pour dubitatio.

Doute, signifie quelquefois crainte, appréhension. Le doute où je suis qu’il ne lui arrive du mal, fait que je ne le quitte point. Il signifie aussi Scrupule. Ce cas de conscience n’a pas été si bien éclairci, qu’il ne me reste encore quelque doute.

Doute. Figure de Rhétorique, par laquelle l’Orateur paroît en suspens sur ce qu’il doit faire & dire. Que ferai-je ? à qui m’adresserai-je ? &c. Ceux qui s’abandonnent à la violence de leurs passions sont dans une perpétuelle inquiétude. Ils prennent un dessein, & puis ils le quittent, & ces divers mouvemens poussent leur esprit de tous côtés. Or la figure qui représente cette suspension, & cette incertitude, s’appelle doute. Dubitatio.

Sans doute. Façon de parler adverbiale, qui signifie, Hors de doute, certainement. Sine dubio, dubitatione ; indubitatè, indubitanter. Vous avez sans doute bien pris vos mesures pour un si grand dessein. Voit.

Le Ciel s’est fait sans doute une joie inhumaine
De rassembler sur moi tous les traits de sa haine.

Racine.