Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/Tome 2/451-460

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Fascicules du tome 2
pages 441 à 450

Dictionnaire de Trévoux, 1771
Tome 2, pages 451 à 460

pages 461 à 470


& autres. Les Bouchers faisoient autrefois le débit de la chair de porc. Les Charcutiers ont depuis été dispensés d’acheter des porcs chez les Bouchers. Ils ont eu la permission d’en débiter eux-mêmes la chair crue ; mais sous les mêmes conditions que les Bouchers, c’est-à-dire, de passer l’examen des Languayeurs, des Tueurs & des Courtiers ou Visiteurs de chair. De la Mare, Traité de La Police, Liv. IV, T. V, cap. 2. Il est défendu aux Charcutiers de vendre les chairs d’aucun porc ladre. Id.

Ce qu’on appelle aujourd’hui Charcutier, ne faisoit autrefois qu’un même métier & un même corps avec ceux que l’on nomme Rotisseurs, & les mômes gens apprêtoient & vendoient la chair de porc avec toutes sortes d’autres viandes cuites, & on les nommoit Oyers. Il y a beaucoup d’apparence que ces Oyers retranchèrent de leur profession le droit des chairs de porc, & de toutes les chairs bouillies ou assaisonnées, & celui du poisson & des légumes. D’autres particuliers prirent ce qui avoit été retranché de la profession des Oyers, ou ce qu’ils en avoient eux-mêmes abandonné, & l’on en forma ensuite une autre Communauté, sous le nom de Charcutiers, par Lettres Patentes du 17 Janvier 1475. Ces Lettres, qui sont du Prévôt de Paris, contiennent les premiers statuts qui aient été donnés aux Charcutiers en dix-sept articles. On en ajoûta 8 ou 9 en 1477, en donnant entrée dans ce métier à un plus grand nombre de gens qu’on n’avoit fait deux ans auparavant : & ainsi se forma la Communauté des Charcutiers à Paris. Ces Réglemens & ces statuts se trouvent dans le Traité de la Police, de M. de la Mare, Liv. V, T. XXI, c. 5, où il traite des Charcutiers, & ils y sont appelés Chaircuitiers & Saucissiers. Ces statuts reçoivent sans apprentissage & sans chef d’œuvre ceux qui exerçoient actuellement ce métier dans Paris ; mais ils demandent pour la suite quatre ans d’apprentissage & chef d’œuvre. D’autres réglemens leur permettent d’ouvrir les Dimanches, & les obligent à remplir chacun à leur tour les quarante places de la Halle le Mercredi & le samedi. Voyez tous ces réglemens de Police dans l’endroit cité, & ch. 6.

CHARCUTIÈRE, s. f. Femme de Charcutier, ou femme qui fait le métier de charcuter. Propola coctivæ carnis, coquela carnaria.

CHARCUTIS. Vieux mot qui s’employoit autrefois en parlant d’un grand massacre, d’une grande défaite. En cette journée il se fit un horrible charcutis. Cædes.

CHARDON. s. m. Ce mot s’applique par le vulgaire à toute sorte d’herbe épineuse & piquante. Quelques ouvriers en laine appellent chardon une plante dont les têtes servent à chardonner les étoffes, d’où vient le mot de chardonner, pectere. On dit aussi d’une plante qu’elle a les feuilles de chardon, lorsqu’elles sont découpées par leurs bords en quelques segmens qui sont armés de piquans, de la même manière que les chardons ordinaires en sont fournis.

Chardon. s. m. Carduus, est parmi les Botanistes le nom propre d’un genre de plantes, dont les fleurs sont à fleurons posés sur des embryons qui deviennent des graines chargées d’une aigrette. Ces fleurons sont renfermés dans un calice qui est d’abord arrondi, & qui s’évase ensuite dans sa maturité. Il est formé par plusieurs écailles appliquées les unes sur les autres, & terminées toujours par un piquant. Cette pointe des écailles du calice sert à distinguer le chardon d’avec les cirsium & les jacées. Il y a plusieurs espèces de chardons. Les unes sont épineuses de tous côtés, & par leurs feuilles & par leurs tiges, & par leur tête ; d’autres ne le sont que par leurs feuilles & leur tête ; d’autres enfin n’ont que la tête armée de piquans. Les feuilles de chardon ne sont pas pareilles dans toutes les espèces ; : les unes les portent entières comme le chardon étoilé à feuilles de giroflée jaune. Dans d’autres, elles sont larges, plissées & coupées en segmens larges ou étroits, semblables aux feuilles d’acanthe, ou de coquelicot, de chicorée, ou de corne de cerf. Le chardon Notre-Dame, carduus marianus, sive lacteis maculis notatus, les a larges, & marquées de veines ou de taches blanches, Voyez les Instituts de Botanique de M. de Tournefort pour le dénombrement des espèces.

Chardon à Bonnetier ou à Foulon, ou Chardon à carder. Carduus Fullonum, Dipsacus. Plante dont les Bonnetiers & les Foulons de lame se servent pour carder la laine, & pour tirer les poils des draps. Sa racine est simple, blanchâtre, chargée de quelques grosses fibres, & qui donnent des feuilles longues d’un pied, & d’un pied & demi sur quatre pouces de large, vert clair, ridées, un peu velues, dentelées sur leurs bords, relevées en-dessus d’une grosse côte épineuse & plus tendre que dans les feuilles des tiges : sa tige sort seule de la même racine, & s’élève à la hauteur de quatre à cinq, & même de six pieds quelquefois, grosse comme le doigt, droite, cannelée & épineuse, garnie de feuilles opposées, & tellement jointes à leur baie qu’elles embrassent la tige qui les enfile. Ces feuilles se terminent en pointe, & sont plus petites & plus épineuses. De leurs aisselles sortent des branches opposées & divisées en deux autres branches, qui portent à leurs extrémités une tête longue de deux à trois pouces, quelquefois plus, composée de plusieurs écailles fermes & terminées en pointe, lesquelles forment comme des alvéoles aux fleurs qui sortent d’entr’elles, & qui sont des fleurons pâles légèrement lavés de pourpre ; découpées à leurs bords en quatre segmens obtus. Elles portent sur des embryons qui deviennent autant de semences oblongues, cannelées, & à quatre pans. On distingue le chardon à Bonnetier en cultivé, qui a les écailles de sa tête terminées par une pointe crochue ; & en sauvage, qui les a toutes droites. Les Cardeurs ne se servent que du cultivé. Il se rencontre quelquefois des vers dans les têtes de cette plante ; & on prétend que si on les porte sur soi, elles éloignent les maux de dents & la fièvre. L’eau qui se ramasse à la baie de ses feuilles est recommandée pour les maladies des yeux.

Chardon bénit. Cnicus silveltris hirsutior ; sive carduus benedictus C. B. Plante sudorifique fort employée en médecine ; mais comme elle n’est pas bien commune, on la cultive dans les jardins. Sa racine est blanchâtre, charnue, & divisée en quelques branches. Elle donne des feuilles découpées comme celles du laitron, gluantes & épineuses au toucher, velues, & d’entre lesquelles s’élève une tige branchue presque dès sa naissance, droite en partie, & en partie couchée sur terre, garnie de feuilles alternes, des aisselles desquelles sortent de petites branches, terminées par une tête écailleuse & épineuse remplie de fleurons jaunes découpés en cinq. Ces têtes sont grossies par quatre à cinq feuilles vertes, dentelées, & armées de piquans sur leurs bords, & à leurs extrémités. Ces feuilles forment une espèce de chapiteau qui distingue ce genre de ses semblables. Lorsque la fleur est passée, chaque embryon de graine, qui soutenoit un fleuron, devient une semence oblongue, étroite, grisâtre, & garnie d’une aigrette blanche. L’eau du chardon bénit entre dans les potions cordiales & dans les potions sudorifiques. Son sel a à peu près les mêmes usages. La décoction de toute la plante est quelquefois purgative, & fait vomir, surtout lorsqu’elle est trop chargée. Le chardon bénit mêlé avec des diurétiques, pousse par les urines au lieu de faire suer. Au défaut de chardon bénit on peut se servir de l’espèce nommée Cnicus attractilis lutea dictus. On a remarqué qu’elle avoit les mêmes propriétés.

Chardon étoilé, ou Chausse-trappe. Carduus stellatiis, sive Calcitrapa. Espèce de chardon dont la racine est grosse & longue comme celle des petits raiforts qu’on appelle raves à Paris, longue d’un pié au plus, de la grosseur du doigt vers son collet, blanchâtre, changée de quelques fibres branchues, & qui donne plusieurs feuilles velues, couchées sur terre, longues de trois à quatre pouces, découpées comme celle du bluet ou du coquelicot, mais d’un vert gai. De leur milieu part une tige branchue, arrondie, blanchâtre, haute d’un pié ou deux, chargée de feuilles pareilles à celles du bas, mais plus découpées ; les extrémités de ces tiges & branches portent des têtes écailleuses, épineuses, grosses comme des noisettes, & dont les épines sont longues de plus de demi-pouce, blondes, & disposées en manière d’étoile, lorsque la tête ne s’est point évasée,& que les fleurons qui sont pourpres ne paroissent point. Sa semence est oblongue, lisse, polie, plus petite que la graine de perroquet, autrement carthama.

Cette plante croît communément à la campagne sur le bord des chemins, & dans des lieux & terres incultes. Sa racine est très-apéritive & diurétique. On l’emploie avec succès pour les coliques néphrétiques. M. de Balville, Intendant du Languedoc, se trouvant bien de l’usage de cette racine, fit imprimer la manière dont il s’en étoit servi. Depuis ce temps-là on fait prendre la poudre de son écorce délayée dans du vin & ; plusieurs personnes se sont apperçues qu’elle charrioit le sable & le gravier, & qu’en en prenant de temps en temps avec précaution, leurs accès de colique néphrétique n’étoient plus si fréquens. Dans le mémoire de M. de Balville, on ne prend l’infusion de l’écorce de cette racine que le 28e jour de la lune de chaque mois, & il faut que la racine ait été cueillie vers la fin du mois de Septembre : deux circonstances assez inutiles, puisque ce remède agit tout aussi bien les autres jours de la lune que le 28, & qu’on peut presque en tout temps cueillir ces racines, parce que cette plante ne porte point de tige la première année, & qu’elle paroit dès qu’elle a donné ses semences, de même que les autres chardons. On a soin de prendre les racines de celles qui ne sont pas montées ; leurs racines n’étant pas si ligneuses, comme il arrive à toutes les autres plantes, dont la racine n’a presque point d’écorce, lorsqu’elles sont prêtes à donner leurs fruits. Leurs racines sont cordées, comme on dit communément.

Chardon hémorroïdal. Cirsium arvense, sonchi folio radice repente, cause tuberoso, Inst. R. Herb. On mettoit autrefois cette plante parmi les chardons à cause qu’elle est remplie de piquans. On l’a appelé chardon hémorroïdal, parce qu’il se forme quelquefois des nœuds à sa tige à l’occasion des piquures d’insectes ; & on prétend que ces nœuds portés dans la poche garantissent des douleurs des hémorroïdes. Cette plante a sa racine blanchâtre & rampante. Elle donne dans sa longueur des tiges hautes d’un pié & demi ou de deux piés, plus menues que le petit doigt, cannelées, moëlleuses, & longues de quatre à cinq pouces sur moins d’un pouce de largeur, découpées & plissées sur leurs bords, armées de piquans très-fins ; vertes en-dessus, & pâles ou blanchâtres en-dessous. Lorsque cette tige n’est point piquée, & qu’elle ne forme pas un nœud vers son extrémité, elle se divise en quelques branches qui portent des têtes allongées, à écailles, dont les piquans sont foibles, & à fleuron d’un pourpre pâle, portés sur des embryons qui deviennent des semences couleur d’alun & chargées d’aigrettes. Cette plante vient communément dans les champs & dans les vignes ; mais on ne trouve ces sortes de nœuds, que lorsqu’elle naît dans des lieux humides à l’abri de quelques arbres.

Chardon Notre-Dame, ou Chardon laité. Carduus albis maculis notatus, vulgaris. C. B. Pin. Il est ainsi appellé à cause des taches blanches qui sont répandues sur ses feuilles. Les racines de cette plante sont grosses, longues, & poussent plusieurs feuilles longues d’un pié & demi, larges de demi-pié environ, découpées sur leurs bords, comme ondées, armées de piquans affilés, vert gai en-dessus, & comme veinées par des taches d’un blanc de lait dans les endroits de leurs principales nervures. Ses tiges sont droites, chargées de quelques feuilles pareilles à celles du bas, mais moins amples ; elles sont terminées par quelques branches qui portent des têtes écailleuses, fort épineuses. Ses fleurs sont purpurines, & ses semences grosses comme celles du carthame, noirâtres & fort adoucissantes. On les emploie en émulsion dans les ardeurs d’urine. On mange les jeunes pousses de cette plante de même que celles de quelques autres chardons.

Chardon Roland. Eryngium vulgare ou le panicaut, le chardon à cent têtes. Plante qui n’est point du genre des chardons. Sa racine est longue de plus d’un pié, grosse comme le doigt, brune en dehors, blanche en dedans, douçâtre, composée d’une écorce épaisse, tendre, & d’un nerf ou cœur ligneux. Elle donne quelques feuilles fermes, sèches, piquantes, découpées en trois ou quatre segmens longs d’un pouce & demi ou de deux pouces, sur moins d’un pouce de largeur, dentelées sur leurs bords & d’un vert pâle. La tige qui sort d’entre ces feuilles, est haute d’un ou deux pics, plus mince que le petit doigt, cannelée, & chargée de feuilles pareilles à celles du bas, mais plus arrondies & plus découpées. Cette tige se divise ensuite en plusieurs branches qui portent chacune une tête grosse comme le pouce ; longue d’un demi pouce, garnie à sa base de quelques petites feuilles qui forment une espèce de fraise. Chaque fleur est composée de cinq petites pétales blanchâtres, & soutenues par un calice qui devient ensuite un fruit à deux semences jointes ensemble. Le panicaut marin se distingue du vulgaire par ses feuilles plus arrondies, moins découpées & plus plissées, & par leur couleur. La racine du panicaut est apéritive, diurétique ; on l’emploie dans les bouillons, les tisanes & les aposèmes. On recommande les racines confites du panicaut marin, pour la phthisie. Voyez Le Dict. de James.

CHARDON. Terme de Fleuriste. C’est une anémone dont les béquillons sont fort étroits. Morin. Quelque grosseur & quelque coloris qu’elle ait, elle est détestable. Id.

Chardon, chez les Serruriers, se dit des pointes & crochets de fer qui se mettent sur des barreaux, sur une grille de fer ou sur le chaperon d’un mur, pour empêcher qu’on ne passe par-dessus. Carduus ferreus.

On dit proverbialement qu’un homme est amoureux, gracieux comme un chardon ; pout dire, qu’il est mal gracieux, rébarbatif.

Chardon. (Notre-Dame du) Ordre militaire projeté en 1369 & institué en 1370, le jour de la Purification de la sainte Vierge, à Moulins, par Louis II, Duc de Bourbon. Cet Ordre étoit composé de 26 Chevaliers. Le Prince & ses successeurs devoient être les Chefs de l’Ordre. Les Chevaliers portoient toujours la ceinture de couleur bleu céleste, doublée de satin rouge, brodée d’or, & sur laquelle on lisoit ce mot Espérance, en broderie d’or aussi. Aux grandes fêtes, & principalement à celle de la Purification, que le Prince tenoit table ouverte aux Chevaliers, ils étoient vêtus de soutanes de damas incarnat, à manches larges, & ceintes de leurs ceintures bleues. Le grand manteau de cet Ordre étoit d’un bleu céleste, doublé de satin rouge : & le grand collier de fin or, du poids de dix marcs, fermant à boucle & ardillons d’or par derrière. Il étoit composé de lozanges & de demi-lozanges à double orle, emaillées de vert, percées à jour, remplies de fleurs-de-lis d’or, & du mot Espérance, écrit dans les lozanges en lettres capitales à l’antique. De ce collier, pendoit sur l’estomac une ovale, dans laquelle étoit l’image de la sainte Vierge, entourée d’un soleil d’or, couronnée de douze étoiles d’argent, avec un croissant de même sous ses piés, & au bout une tête de chardon émaillé de vert. Leurs chapeaux étoient de velours vert rebrassés de palmes de soie cramoisie, sur lequel étoit l’écu d’or à la devise Alen, Alen, qui veut dire, allons ensemble, pour marquer l’union qui devoir être entr’eux.

Le nom de Notre-Dame du Chardon vient du chardon qui étoit au bout de l’ovale qui pendoit du collier, & de ce que la ceinture de l’Ordre fermoit à boucle & ardillons de fin or, ébarbillonnés & déchiquetés avec l’émail vert, comme la tête d’un chardon. L’Abbé Justiniani traite de cet Ordre dans son Tom. II, ch. 60, p. 16.

Il y a aussi en Ecosse un Ordre du Chardon, autrement du bouquet de Rue, ou de saint André, & de saint André du Chardon. Nous en avons parlé au mot André. L’Abbé Justiniani en traite fort au long dans Historia di tutti gl’ Ordini militari & Cavallereschi. Tom. I, chap. 16.

CHARDONAL ou CHARDOUNAL. s. m. Vieux mot. Cardinal. Cardinalis. Le Reclus de Moines manuscrit dit :

Quand je me suis el retour,
De la grant court je fis un tour,
La ou mainent li Chardonnal
Mais tous les trouvai d’un atour
Cha & la tous sont mercatour. Du Cange.

CHARDONNER. v. a. Terme de Manufactures de lainage. C’est tirer le poil d’une étoffe avec des chardons. Pilos carduis erigere. On ne chardonne que les ouvrages en laine.

CHARDONNERET. s. m. Petit oiseau recommandable pour la beauté de son plumage, & celle de son chant. Le chardonneret est plus petit que le pinson : il a sur le devant de la tête & à la gorge des marques rouges ; le haut de sa tête est noir ; les tempes blanches ; les aîles noires & diversifiées de blanc : dans les grandes pennes on voit une bande jaune de part & d’autre. Le jeune chardonneret n’a point de rouge sur la tête ; mais il est d’une couleur cendrée qui tire sur le roux. Les Oiseleurs les appellent grisets ; ils les vont prendre dans les prés pendant le mois de Juillet. Le chardonneret mâle a la tête, la gorge & le dos plus noirs. Sa tête est aussi plus longue & plus plate que celle de la femelle : celle-ci a les aîles cendrées, la gorge blanche & la tête rouge. Il y a d’autres chardonnerets qui ont le tour du bec noir, & le tour des yeux, qui a coutume d’être rouge aux autres, est blanc. L’on en trouve aussi en Italie qui ont tout diversifié de couleurs différentes des autres, si l’on en croit quelques Auteurs. Enfin il y en a qui sont blanchâtres, & d’autres qui sont blancs, & ont la tête rouge.

Le chardonneret fait son nid dans les épines, & dans les arbrisseaux. Il fait trois fois l’an des petits ; savoir, aux mois de Mai, de Juin & d’Août. Ceux du mois d’Août sont les meilleurs. Ils sont sept ou huit œufs pour l’ordinaire. Ceux qui font leur nid dans les épines, ont quelques plumes orangées, & sont plus estimés que les autres, parce qu’ils sont plus forts & plus robustes, & qu’ils chantent mieux. Ils sont différens des autres en ce que leur pennage est plus gris & plus obscur. Les noirs sont communément bons. Les chardonnerets vivent jusqu’à vingt ans & plus.

Le chardonneret niais est beaucoup meilleur que les autres à tenir en cage. Il faut le mettre auprès d’une linotte, d’un serin de Canarie, ou d’une fauvette, & son chant sera composé de quelque partie des leurs : & la diversité en sera plus agréable. Il faut prendre garde qu’il n’entende point d’autre chardonneret, afin qu’il ne s’arrête point à son chant. Willoughby parle dans son Ornithologie d’un chardonneret qu’on nourrissoit dans une cage depuis 25 ans, & auquel on étoit obligé de couper tous les huit jours le bec & les ongles, afin qu’il pût manger & se soutenir.

On appelle cet oiseau chardonneret, parce qu’on le voit ordinairement sur les chardons, dont il mange les semences. Il vit environ 15 ans, & est sujet à des vertiges. Olina. Les Grecs l’appellent ἀκανθὶς, d’ἄκανθα, spina ; les Latins carduelis, de carduus. Les Italiens le nomment cardello, ou cardellino ; les Espagnols jilguerito.

CHARDONNERETTE. Voyez Chardonnette.

CHARDONNET. s. m. Ce mot est un diminutif de chardon, & signifie petit chardon, mais il ne se dit qu’en parlant d’une Eglise de Paris, qu’on appelle Saint Nicolas du Chardonnet.

CHARDONNETTE. s. f. Quelques-uns disent cardonnette. Plante qui est une espèce d’artichaut sauvage. Elle est semblable à l’artichaut des jardins. Sa tige est fort haute. Ses feuilles sont grandes, garnies de piquans tout à l’entour, de même que ses têtes. Ses fleurs sont de couleur de pourpre. Cinara silvestris latifolia ou scolymus Dioscoridus. Voy. Carline : c’est la même chose.

Chardonnette, se dit aussi des fleurs de la plante qu’on appelle chardonnette. Les Paysans s’en servent au lieu de présure pour cailler le lait.

Chardonnette, ou Chardonnerette. Assaisonnement fait avec le chardon d’Espagne. N’ayez point de Religion, moquez-vous à gogo des Prêtres & des Sacremens de l’Eglise, & de tout droit divin & humain : mangez de la chair en Carême en dépit de l’Eglise, il ne vous faudra d’autre absolution, ni d’autre chardonnerette, qu’une demi-dragme de catholicon Sat. Menip. t. L, p. 7, art. 15. M. Le Duchat, tom. 2, p. 32 & 33 de la Sat. Menip. a fait une savante remarque sur ces mots, qui a été mal copiée par le dernier Editeur du Richelet.

CHARDONNIÈRE. s. f. Terre pleine de chardons. Carduetum.

CHARDOUSSE. s. f. Nom qu’on donne en quelques endroits à la carline. Voyez Carline.

CHARÉE. Voyez Charrée.

CHARENÇON. Voyez Charanson.

CHARENTE, s. f. Est le nom que nos Historiens donnent à un fameux vaisseau de la flotte que Louis XI fit partir de Provence en 1500 pour la conquête de Naples sous les ordres du Seigneur de Ravestein, Gouverneur de Genes. Ce vaisseau, dit un Auteur contemporain, portoit douze cens soldats sans les matelots, & deux cens pièces d’artillerie, dont il n’y en avoit que quatorze grosses, les autres n’étoient que des fauconneaux & d’autres semblables petites pièces. P. Daniel, T. II, p. 1687 1788.

Charente. Rivière, voyez Charante.

CHARENTON. Bourg de France sur la Marne, un peu au-dessus de l’endroit où elle se décharge dans la Seine. Carentonium. Un Temple que les Huguenots y avoient avant la révocation de l’Edit de Nantes, & où ceux de Paris faisoient leurs assemblées, a fait souvent parler de ce lieu. Daille, Alix, Claude, ont été Ministres à Charenton. On a dit par une espèce de proverbe, aller à Charenton. Aller à la Messe à Charenton, pour se faire Huguenot.

Il y a Charenton en Bourbonnois, célèbre par une Abbaye de Bénédictines, qui vers le commencement du dernier siècle reçut la réforme du Val-de-Grace. P. Hélyot, T. VI. p. 332.

☞ CHARETTE. Voyez Charrette.

☞ CHARGE. s. f. Ce mot se prend dans je ne sais combien d’acceptions différentes. Quelquefois il est employé dans la signification de fardeau, faix ; & pour l’ordinaire on fait ces trois mots synonymes, qui ne le sont pourtant que par l’idée générale qu’ils renferment. La charge est ce qu’on doit ou ce qu’on peut porter ; de là l’expression proverbiale qui dit que la charge d’un baudet n’est pas celle d’un éléphant. Onus. On dit de la charge qu’elle est forte. Cette charge est trop forte pour moi. Je ne sais pas pourquoi les Vocabulistes, qui avoient pourtant sous les yeux les remarques de M. l’Abbé Girard, s’avisent de dire charge lourde. C’est du fardeau qu’on dit qu’il est lourd ; parce que le fardeau est ce qu’on porte ; de même qu’on dit du faix qu’il accable, parce qu’il joint à l’idée de ce qu’on porte celle d’une certaine impression sur ce qui porte.

☞ Ce mot vient, dit-on, de carg qui en vieux langage bas-breton signifioit la même chose.

Charge, en terme de Maçonnerie, se dit de ce qui pese sur un mur, poutre, ou autre corps. On donne de la charge à une voûte à proportion que les arcboutans sont forts. Il faut étayer cette poutre, parce qu’elle porte une charge trop forte. Les Maçons appellent aussi charge de plancher, une certaine épaisseur que l’on met sur les solives & ais d’entrevoux, ou sur le hourdi d’un plancher, pour recevoir le carreau, ou aire de plâtre, qu’on y doit mettre.

On dit particulièrement, qu’il faut payer les charges d’un mur, quand un voisin éleve un mur mitoyen pour bâtir dessus : c’est indemniser le voisin de la nouvelle charge qu’on met sur le mur mitoyen, ce qui s’estime à raison de six toises l’une. Voyez l’art. 197 de la Coutume de Paris.

Charge, est aussi une certaine mesure d’un poids proportionné à la force de celui qui le porte. Ainsi on dit, une charge de cotrets, de fagots ; pour dire, 18 ou 20 cotrets ou fagots, que peut porter un Crocheteur. Une charge de charbon contient deux mines. Une charge de blé. La charge d’un mulet c’est 400 livres ; d’un chameau, c’est mille livres. Ce vaisseau a sa charge ; pour dire, il en a autant qu’il en peut porter. La charge des carraques de Portugal est de deux mille tonneaux, c’est à-dire, qu’elles portent quatre millions de livres pesant. Ce vaisseau n’a pas trouvé en ce port des marchandises pour sa charge, il en est sorti avec demi-charge. On appelle Vaisseaux de charge, ceux qui suivent une armée navale pour porter les munitions & les provisions.

Charge, se prend encore pour une certaine mesure ou quantité de choses qui sont dans le commerce. La charge de Marseille est composée du poids de trois cents livres. Celle d’Arles est du même poids. La charge de S. Gilles est de dix-huit à vingt pour cent plus grande que celle d’Arles. La charge de Tarascon est de deux pour cent plus foible que celle d’Arles. La charge de Toulon est composée de trois setiers du pays ; chaque setier contient une hémine & demie, & est égal à celui de Paris.

Charge, signifie aussi l’action de charger. Impositio oneris. Pour la navigation des rivières il y a trois jours de charge, ou de planche, & autant pour la décharge ; c’est-à-dire, pour donner le loisir aux Marchands de charger & de décharger.

Charge, en termes de l’art militaire, signifie le choc de deux armées qui en viennent aux mains. Pugna. On dit en ce sens la première, la seconde charge. La charge a été rude, vigoureuse. Sonner la charge. Bellicum canere, donner le signal du combat. Soutenir la charge. Retourner à la charge.

En ce sens on dit figurement, qu’on retourne à la charge, ☞ quand on fait une nouvelle tentative, quand on fait de nouveau la même demande qui a été déja refusée. Rem eamdem post repulsam denuò petere.

Charge est aussi une certaine mesure de poudre qu’on met dans les armes à feu pour leur faire faire leur effet. Pulveris ac globi tormento displodendo modus. La charge de canon est environ la troisième partie du poids de son boulet. La charge d’une mine est ordinairement un millier de poudre ; mais on la proportionne à la nature & au poids du terrain qu’il faut qu’elle enlève. On donne double charge aux canons pour les essayer.

Charge, se dit aussi des fournimens qui sont attachés aux bandoulières des Mousquetaires, qui servent à donner la charge à un mousquet. Pulveris ac plumbi areæ fistulæ displodendæ modus, pulveris pyriitheca. Ces fournimens ne sont autre chose que plusieurs petits étuis couverts de veau, dans chacun desquels les soldats renferment ce qu’il faut de poudre pour charger leurs armes à feu. Ouvrir la charge avec ses dents.

Charge, se dit figurément de tout ce qui ☞ donne lieu à l’exercice des facultés de l’ame, & dans ce sens, ainsi que dans le propre, il emporte avec lui une idée de contrainte. On le dit de tout ce qui est onéreux. Onus. L’action de l’esprit s’étouffe par trop d’étude ; c’est une charge qui l’accable. Mont. Il est mal-aisé de bien aimer ceux qui nous sont à charge. Vaug. Une vieille fille est à charge aux autres, & à elle-même. Le Grand Théodose refusa l’Empire, & l’on remarqua que ce n’étoit point par une vaine cérémonie, mais par une véritable sagesse, qui lui faisoit regarder cet honneur comme une charge difficile. Fléch.

C’est une charge bien pesante,
Qu’un fardeau de quatre-vingts ans. Quinaut.

Une tutelle est une charge, & non pas un avantage. Cette veuve a cinq enfans à sa charge ; c’est-à-dire, qu’elle est obligée de les nourrir, entretenir & avancer. Cet importun est à la charge de ses amis, c’est-à-dire, qu’il leur emprunte, & qu’il vit à leurs dépens. Une Abbaye régulière est un bénéfice à charge d’ames. Les secrets, soit les nôtres, soit ceux que l’on nous confie, peuvent encore porter le nom de charge, à cause de la peine que les indiscrets ont à les garder.

L’homme indiscret, dont la bouche imprudente,
Dépose d’un secret la charge trop pesante,
Voit bientôt son secret follement confié ;
Par d’indiscrets amis à d’autres publié. Vill.

Charge, se dit en ce sens des clauses & conditions qui sont stipulées par un acte ou contrat, ou qui sont naturellement attachées à la chose dont on traite. Lex, conditio. Il a vendu cette terre à la charge d’une telle servitude, à la charge de payer tels & tels créanciers, à la charge du réméré, eâ lege, eâ conditione. On donne tous les baux à la charge de cultiver & entretenir les lieux en bon père de famille. Il lui a fait ce plaisir à charge d’autant.

Charges d’un testament, sont des engagemens que le Testateur impose à l’héritier ou autre, à qui il fait quelque libéralité par son testament, comme s’il charge son héritier ou un légataire d’un usufruit, d’une servitude, ou d’une rente viagère en savent d’une tierce personne.

Charges de la Communauté, sont des dettes mobiliaires qui doivent être acquittées par la communauté des conjoints.

Charge, signifie aussi, pension, rente, redevance dont une chose est tenue envers une autre. Onus, impensa. Il a quitté le Bénéfice à cause de ses charges. Il doit une rente de cent setiers de blé, c’est une grosse charge. Il ne vaut pas cent écus, toutes charges faites. Cette redevance est une charge foncière. Les charges foncières sont les redevances qu’on a imposées après le cens, sur les héritages lorsqu’ils ont été aliénés. Census secundarius, census. Les charges foncières doivent être payées & supportées par celui qui possède l’héritage qui a été aliéné ; sinon il le doit abandonner. Loiseau.

Charge réelles, & redevances annuelles, sont des droits dus par les héritages, comme le cens, le surcens ou rente foncière, le champart ou autres, selon la disposition des coutumes, ou l’usage des lieux.

Charge, est encore un impôt, une levée de deniers pour fournir aux dépenses & aux nécessités de l’Etat, d’une Communauté. Tributum, vectigal. C’est au peuple à supporter les charges de l’Etat. Durant la guerre on est obligé de mettre de nouvelles charges, de nouvelles impositions. Les propriétaires des maisons sont obligés aux charges de ville, qui sont boues, lanternes, pauvres, logemens de soldats, fortifications, &c.

Charge, signifie encore ☞ figurement en matière criminelle, les preuves, les indices qui résultent des informations & autres pièces du procès contre un accusé. Dans ce sens il est employé au pluriel. Examiner les charges. On a porté les charges & informations au Greffe, c’est-à-dire, les actes qui contiennent la plainte de la partie, & les dépositions des témoins. On dit qu’un accusé prend droit par les charges, lorsqu’il est sur de son innocence ; qu’il n’y a point de preuve contre lui ; & qu’il s’en rapporte au dire des témoins, qu’il n’est point besoin de lui confronter. L’Ordonnance veut qu’on entende les témoins à charge & décharge, pour être contre l’accusé.

Charge, signifie souvent une dignité, un office qui donne pouvoir & autorité à quelqu’un sur un autre. Munus, dignitas, magistratus. Il y a des charges seulement utiles par les revenus, les émolumens qui y sont attachés ; & d’autres qui sont honorables par les fonctions & par le rang qu’elles donnent. Les charges de Chancelier, de Premier Président, sont les premières charges du Royaume. Il y a quatre principales sortes de charges : celles de la Maison du Roi ou des Princes, comme Grand Chambellan, Grand-Maître de la Garderobe, des Cérémonies : celles de l’armée, comme de Maréchal de Camp, Mestre de Camp, de Capitaine, d’Enseigne : celles de Robe, ou de judicature, comme de Conseiller, de Greffier : & celles de Finances, comme Intendant, Contrôleur, Trésorier, Receveur, & Payeur. On dit qu’un homme est en charge, pour signifier qu’il exerce une charge qu’il en fait actuellement les fonctions. Magistratum, munus exercere : qu’il est hors de charge, quand le temps de son exercice est expiré ; & cela se dit particulièrement des magistratures & des dignités électives, & non perpétuelles. Defunctus magistratu. On dit, exercer une charge en titre, quand on en a les provisions ; Exercere magistratum cum jure obtentisque ad eam rem tabulis, & par commission, lorsque la charge n’a point de titulaire, ou qu’il est interdit ou absent. Cum delegatâ potestate aliquo munere defungi, ou absentis aut mortui partes implere. On dit, être pourvu d’une charge en survivance, quand on a droit de l’exercer après la mort ou en l’absence du titulaire. Designari successorem alteris muneris. Il y a aussi des charges municipales, ou des charges de ville qu’on obtient par élection ; & des charges de Communautés.

La vénalité des charges, qui se pratique en France n’a été en usage dans aucune République, & ne trouve point d’exemple ailleurs. Il semble que les charges doivent être la récompense du mérite, & qu’on les doit proposer comme un prix qui serve d’aiguillon à la vertu, & qui anime au travail. On hasarde à remplir les charges de personnes incapables, en n’y admettant que ceux qui ont de quoi les acheter. C’est, disoit un Ancien, comme si dans un vaisseau on faisoit quelqu’un Pilote pour son argent.

L’argent seul au Palais peut faire un Magistrat. Boil.

Dans le temps de la République Romaine les charges étoient conférées par l’élection du peuple. Les Empereurs s’étant emparés du droit du peuple, nommoient seulement les Grands Officiers ; & ces Grands Officiers nommoient les Officiers inférieurs, qui dépendoient de leurs charges. Le même ordre fut observé en France. Le Roi par l’avis de son Conseil nommoit les premiers Officiers de la Chambre des Comptes & des Finances. Les Baillifs & les Sénéchaux étoient aussi pourvus directement par le Roi. Mais les Officiers inférieurs étoient choisis par les Comtes ou par les Ducs, & par les Officiers supérieurs. Jusqu’à François I, le Chancelier avoit droit de pourvoir à toutes les charges sans gages, ou dont les gages n’excédoient point vingt-cinq livres. Par une Ordonnance de Charles VI de l’an 1440, il y fut réglé que les Officiers du Parlement & autres de Justice, seroient nommés par le Parlement même, en présence du Chancelier ; & ceux des Finances par la Chambre des Comptes. Pendant que les Anglois occupoient la France, ils introduisirent la collation, la nommination arbitraire du Roi. Après qu’ils furent expulsés, l’on inventa sous Charles VIII un expédient entre la nommination absolue du Roi & l’élection ; c’est que le Parlement & la Chambre des Comptes nommeroient trois personnes, & que le Roi choisiroit celui qu’il lui plairoit de préférer. Ce partage équitable entre le Roi & les Sujets, a subsisté jusqu’à la vénalité des charges. Elle commença du temps de Louis XI, par le besoin d’aquitter les dettes de Charles VIII, son prédécesseur.

Au XIVe siècle, toutes les Charges de Judicature étoient censées vacantes par la mort du Roi. Louis XI, pour se concilier l’amitié des Officiers du Royaume, fit en leur faveur une Ordonnance, par laquelle il leur assuroit leurs Charges pour toute leur vie, déclarant qu’elles ne seroient jamais vacantes que par leur mort, ou en cas de forfaiture, ou par leur démission volontaire. P. Daniel, T. II, p. 1455. Louis XII rendit vénales les Charges qu’on appeloit Offices Royaux, qui n’étoient point de judicature. Id. T. II, p. 1671 & 1672. Ce fut en 1515, à l’occasion de la guerre d’Italie, que François I entreprenoit, que les Charges de judicature commencèrent à devenir vénales en France. A la vérité Louis XII, pressé par la nécessité de l’Etat, avoit déjà vendu quelques Offices ; mais c’étoit dans le dessein de remettre les choses sur l’ancien pié, dès qu’il auroit la paix ; & il avoit excepté de ce nombre les Magistratures de Justice : le Chancelier Duprat fut auteur de cette innovation. Voyez le P. Daniel dans François I, Tom. III, p. 8.

Je pourrois vous faire voir S. Augustin dans une sainte horreur des Charges, & regardant comme un fardeau redoutable ces dignités qu’on recherche avec une ambition séculière. Flech. Une téméraire jeunesse se jette d’ordinaire sans étude & sans connoissances dans les Charges de la Robe. Id. La principale chose qui soutient les hommes dans les grandes Charges, d’ailleurs si pénibles, c’est qu’ils sont sans cesse détournés de penser à eux. Pasc. Combien d’ames oisives qui n’apportent d’autres préparations à leurs Charges, que celle de les avoir desirées, pour satisfaire leur orgueil & honorer leur paresse ? Flec.

☞ Quoiqu’on donne indistinctement le nom de Charges à toutes sortes d’Offices, parce qu’en effet tout Office est une Charge, il ne faut pourtant pas confondre ces mots.

Charge est un nom général qui comprend d’autres emplois distingués des Offices, en ce qu’on les exerce sans provisions, & seulement pour un temps : au lieu que pour les Offices, il faut des lettres du Prince qui en assurent le titre aux Officiers pendant leur vie.

☞ Ainsi les Charges des Parlemens & des autres Compagnies supérieures, celles des Présidiaux, Bailliages & Sénéchaussées, sont des Offices ; au lieu que les Charges Municipales, comme d’Echevins, de Consuls, &c. ne sont pas des Offices, parce que ceux qui y sont appelés ne les exercent que pour un temps, & sans autre titre que celui de leur élection.

☞ Les Commissions que le Roi donne sont une autre espèce de charges : quoiqu’on ne leur en donne pas le nom, elles en ont en effet le caractère, qui est de revêtir d’un emploi public. Les Ambassadeurs, les Intendans des Provinces, les Chambres de Justice, &c. sont des Commissions, & sont à ceux que le Roi y appelle, une Charge pour exercer une fonction publique, sans titre d’office.

☞ Mais il y a cette différence entre ces Commissions & les Charges Municipales & autres semblables, que les Commissions sont pour un temps indéfini, & cessent quand il plaît au Roi de les révoquer ; au lieu que les Charges Municipales ont leur durée pour un temps réglé.

☞ Ainsi les Offices sont pour la vie, & ceux qui en sont pourvus ne peuvent être révoqués sans cause.

☞ Les Charges Municipales & autres sont pour un certain temps, après lequel leur emploi finit, & passe à une autre personne ; mais ceux qui en sont revêtus ne peuvent être révoqués ni destitués sans cause, pendant le temps que doit durer leur exercice.

☞ Enfin les Commissions sont pour un temps indéfini, tel qu’il plaît au Roi, de sorte que ceux qui en sont chargés, peuvent être révoqués en tout temps & sans aucune cause.

Charge, se dit quelquefois d’une commission verbale, ou sans titre ou passagère, quand on donne à quelqu’un le soin ou la garde de quelque chose. Provincia, negotium. On lui a donné la charge d’un tel recouvrement. Il a la charge de fournir des vivres, des logemens à ses troupes. Il n’est pas responsable du vol qui a été fait en cette maison, les meubles n’étoient point en sa charge. En ce sens ; on appelle une femme de charge, celle qui a le soin de la vaisselle d’argent, du linge, &c, dans une grande maison ; & dans les Communautés, un tel a la charge de la Sacristie, du Cellier, de l’Infirmerie, &c. C’est aussi en ce sens que l’on dit, un bénéfice à charge d’ames, tel qu’une Cure, parce que les ames des fidèles sont confiées au soin du Curé.

Charge, signifie encore mandement, procuration. Præscripta negotii gerendi auctoritas. Il a donné charge à son Commis de faire votre expédition. Un Procureur est sujet à désaveu, quand il a occupé, quand il a fait des offres sans charge, sans mandement spécial. Ce Banquier a donné charge à son correspondant d’acquitter une telle lettre de change.

Charge, se dit aussi du soin qu’on prend des affaires d’un Etat, d’une maison, en vertu d’une commission particulière. Ce Ministre prend sur lui toute la charge, tout le faix des affaires du Royaume. Cet Intendant, ce Solliciteur, a la charge des affaires & procès de cette famille.

Charges du mariage, sont l’entretien du ménage, la nourriture & l’éducation des enfans qui en proviennent ; pour raison de quoi la dot est donnée au mari, afin qu’il puisse subvenir aux nécessités de sa famille, dont il est le chef.

Charge, en termes de Maréchallerie, est un cataplasme, un appareil ou onguent fait de miel, de graisse, de térebentine, & quelquefois de lie de vin, & autres drogues, qui sert à guérir les foulures, les enflures, ou autres maladies des chevaux, procédentes de quelque travail ou effort violent, lorsqu’on l’applique sur les parties offensées, ou qu’on les en frotte. Cataplasma.

Charge, en termes de Peinture, est une représentation exagérée de quelque personne, que le Peintre fait pour se réjouir, & à laquelle il conserve de la ressemblance en ridicule. Il n’est pas nécessaire que le Peintre ait toujours intention de se divertir pour qu’on puisse dire qu’une chose est chargée. Res aliqua per picturam exaggerata. Ceux qui ont une véritable idée de la correction, de la simplicité régulière, & de l’élégance de la nature, traiteront de superflu ces charges qui altèrent toujours la verité. De Piles. Peu de Peintres ont le génie de bien faire des charges. Ces sortes de charges se font en outrant ce qu’il y a de vrai dans la personne que l’on peint, soit dans l’excès, soit dans le défaut. Ainsi, quand d’un nez un peu plus long que la nature ne le donne au commun des hommes, on en fait un nez excessivement long ; ou que d’un nez un peu plus court qu’il ne devroit être, on en fait un nez tout-à-fait camus, cela s’appelle la charge de celui qu’on a voulu représenter. Il en est de même de toutes les autres parties du corps, dont les excès & les défauts sont outrés par le Peintre.

☞ La prose & la poësie ont leurs charges comme la peinture. Ces charges dans lesquelles la vérité & la ressemblance exactes ne sont altérées que par l’excès du ridicule, ne doivent jamais rendre l’objet méconnoissable. C’est une règle qui ne paroît pas assez scrupuleusement observée dans la plûpart des pièces de Théâtre, où les caractères, dans le comique, sont presque toujours trop chargés.

Charge, en termes de Jardinage, est une bourse ou œil de fleur, oculus, d’où vient qu’on dit que les arbres chargent beaucoup, quand ils ont beaucoup de ces charges, & qu’ils apportent beaucoup de fruit.

Charge à cueillette ou au tonneau. C’est un terme usité sur l’Océan. On dit qu’un vaisseau est chargé à cueillette, lorsque sa charge a été faite de l’amas de diverses marchandises que le maître a reçues de divers particuliers, pour faire le chargement de son vaisseau.

Charge à quintal, c’est un terme de Méditerranée, qui signifie la même chose que charge à cueillette.

Charge à la côte. Vaisseau chargé à la côte. C’est quand il a été forcé par le gros vent à se tenir près de la terre, dont il ne peut s’éloigner quelqu’effort qu’il fassse.

Charges, en termes de Magie noire & de Sortilège, signifie le charme & le sort que les Sorciers mettent en quelque lieu pour y faire leurs prétendus maléfices. Incantamentum, fascinatio. C’est un pot de terre neuf, vernissé, non acheté, ni marchandé, dans lequel ils mettent du sang de mouton, de sa laine, & du poil de plusieurs bêtes, avec quantité d’herbes & de poisons qu’ils brouillent avec plusieurs grimaces & cérémonies superstitieuses & sacrilèges, en proférant plusieurs paroles & invocations des Démons. Ils mettent ce pot dans un lieu secret de la bergerie, ou autre endroit où ils veulent faire quelques maléfices ; & alors ils l’arrosent avec un peu de vinaigre, selon l’effet qu’ils veulent qu’il produise. Ce sort dure certain temps, & ne sauroit être levé que par celui qui l’a mis, ou par quelque supérieur qui causera la mort du premier. L’histoire de cette espèce de sortilége est amplement décrite dans les procès d’un nommé Bras de fer, fameux Sorcier, qui étoit au mois de Mars 1688, dans les prisons du Parlement appelant d’une sentence, par laquelle lui & ses complices furent condamnés à être pendus & brûlés. Dans ce procès il y a des choses si extraordinaires, qu’elles feroient presque croire aux sortiléges.

Charge, (à la) adv. A condition. Eâ lege, eâ conditione. A la charge de reprise. A la charge d’autant, c’est-à-dire, à la charge de faire le réciproque, ou de rendre la pareille.

Charge, se dit proverbialement en ces phrases, il faut prendre le bénéfice avec ses charges ; onera ; pour dire, qu’il faut souffrir les incommodités d’une chose, dont on tire d’ailleurs des avantages. Quem sequentur commoda, debent sequi & incommoda. On dit aussi, qu’une charge est le chausse-pied du mariage ; pour dire, qu’un homme en France trouve plutôt à se marier quand il est revêtu d’une charge.

CHARGEAGE. s. m. L’action de charger. Sciences des Ingénieurs, L. III, p. 41.

CHARGEANT, ANTE. adj. Ce qui pèse, ce qui charge, ce qui incommode. Gravis, onerosus. On ne s’en sert point au propre. On l’a dit au figuré en parlant des emplois, des charges ou dignités, des affaires. Il disoit que cette dignité étoit trop chargeante pendant les troubles de ce siècle, Flech. Malgré cette autorité, ce mot n’a pas été reçu.

CHARGEMENT. s. m. Terme de Marine & de Commerce. C’est la charge d’un vaisseau : on le dit aussi de toutes les marchandises chargées sur un vaisseau. Navis onus. C’est la même chose que cargaison.

Chargement, signifie aussi l’acte par lequel il paroît qu’un Marchand a chargé telle quantité de marchandises sur un vaisseau. Acad. Fr. Il a produit le chargement & les connoissances de telles marchandises.

Chargement, dans Rabelais, signifie l’action par laquelle on frappe. Et de cettui coup ne sentit que le chargement.

CHARGEOIR. s. m. Terme de Canonier. Instrument avec lequel on charge le canon. Instrumentum quo pulvis sulfuratus & globus tormento induntur. Cet instrument est garni de sa lanterne, de sa lampe, & de deux boîtes pour charger la poudre à canon

☞ C’est aussi dans les Manufactures de salpètre une espèce de selle à trois pies sur laquelle on place la hotte, qu’on appelle bachou, quand il s’agit de la charger.

☞ CHARGER. v. a. Ce mot a toutes les acceptions du mot charge, tant au propre qu’au figuré. C’est en général mettre une charge sur quelque chose. Onerare. On charge un mulet, un cheval, un bateau. Charger un âne de pommes. Onerare pomis costas aselli. Il faut un homme pour charger ces Crocheteurs. Les Chameaux sont dressés à se baisser quand on les charge.

On le dit dans un sens approchant, pour, peser sur. Cette poutre charge trop cette muraille. Gravare. Tout cet attirail chargeroit trop le carosse.

On dit en termes de Marine, charger un vaisseau, pour dire, lui donner sa charge, le remplir d’autant de marchandises qu’il peut en porter ; le charger en grenier, c’est-à-dire, le charger de marchandises sans être embalées ni entonnées. Charger un vaisseau à cueillette, c’est le charger de marchandises reçues de différens particuliers : ce terme est usité en ce sens sur l’Océan ; mais sur la Méditerranée, pour exprimer la même chose, on dit charger au quintal. Charger la pompe d’un vaisseau, c’est y jeter de l’eau par en haut ; charger à la côte, se dit sur mer d’un gros vent qui force un vaisseau à se tenir près de terre, sans pouvoir gagner la pleine mer.

Charger, se dit aussi des alimens qui sont difficiles à digérer. Les écrevisses chargent l’estomac, on a de la peine à les digérer. Vous me chargez trop, en me voulant faire boire des rasades. L’usage de ce mot en ces phrases est fondé sur ce qu’on sent un poids dans l’estomac après avoir beaucoup mangé & beaucoup bu, ou après avoir mangé de certaines choses.

Charger, se dit encore en termes d’Horloger. Charger un balancier, c’est le rendre plus lourd pour retarder la montre ou l’horloge. Tardare Horologium addito ad libramentum pondere. Les balanciers des monnoies sont fort chargés de plomb.

Charger la glace, chez les Miroitiers, c’est mettre le mercure derrière la glace, & mettre des poids sur la surface pour en faire écouler le vif-argent superflu. Diffundere, oblinire mercurio.

Charger, chez les Doreurs, c’est appliquer l’or sur une pièce où il n’y en a point encore, ou en mettre de nouveau dans les endroits ou il n’y en a pas assez.

☞ Dans plusieurs arts & métiers, le mot charger conserve cette signification, ou une à peu près semblable. Voyez Charge.

Charger, se dit aussi chez les Brodeurs, les Ciseleurs, &c. Un habit chargé de broderie, de passemens. Cet écu est chargé de trois fleurs de lis. Em parlant des grandes qualités du Roi.

Déjà pour les chanter tel accorde sa lyre,
Et tel pour en charger le marbre & le porphyre,
D’un ardeur incroyable aiguise son ciseau.

Charger. En termes de Monnoie on dit, charger la coupelle d’affinage ; c’est après que le plomb y a bouilli quelque temps, y jeter les matières, c’est à-dire, l’or ou l’argent qu’on veut affiner. Charger les creusets, charger le creuset de matières ; c’est y jeter les matières, c’est-à-dire, l’or ou l’argent pour les fondre. Charger le fourneau de charbon, c’est y jeter du charbon.

Charger. Les Corroyeurs se servent de ce terme en parlant de divers apprêts qu’ils donnent à leurs cuirs. Ils disent, charger un cuir de bière, le charger d’alun, le charger de couleur ; pour signifier, l’imbiber d’un dose suffisante de toutes ces drogues & ingrédiens.

Charger la chaudière ; c’est y mettre les ingrédiens nécessaires.

Charger le peigne. Terme de Manufacture de lainage. C’est mettre & insérer dans les dents du peigne la quantité convenable.

Charger, est aussi un terme de Vinaigrier, qui signifie, emplir. Implere. Charger les vaisseaux. Pot à charger. Entonnoir à charger.

Charger, est aussi un terme de Fileuse. Il signifie, mettre du chanvre, du lin autour de la quenouille pour filer. Circumdare. Je vais charger ma quenouille. Ma quenouille est bien chargée.

Charger, en termes de Guerre, signifie, attaquer vigoureusement l’ennemi. In aciem hostium irruere. Les ennemis nous chargèrent d’abord en telle occasion ; mais nous les chargeâmes à notre tour. Ils avoient ordre de ne se point découvrir, que l’ennemi ne fût passé, pour le charger en queue. Ablanc.

Charger se dit aussi, pour exprimer l’action de celui qui en frappe un autre. Si vous le mettez en colère, il vous chargera. Charger quelqu’un de coups, le battre excessivement ; le charger d’injures, d’opprobres, Contumeliis proscindere ; c’est l’en accabler.

☞ On dit burlesquement, charger de bois, le dos de quelqu’un fuste dolare lumbos ; lui donner des coups de bâton.

Il pourroit bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos comme il a fait mon front. Mol.

Charger, se dit aussi des armes à feu. Tormento ou fistulæ ferreæ, sulfuratum pulverem ac globum indere. C’est mettre dans une arme à feu, ou dans une pièce d’artillerie la quantité de poudre suffisante & les balles, le boulet ou autres choses nécessaires pour l’effet qu’on se propose. Un canon se charge avec des boulets, des cartouches, des balles ramées. Les ennemis ont éventé la mine depuis qu’elle a été chargée, ils en ont tiré la poudre. Il a chargé ses pistolets.

Charger, se dit au figuré, de ce qui peut donner lieu à l’exercice des facultés de l’ame. Charger sa mémoire d’une chose, mettre une chose dans sa mémoire, & s’appliquer sérieusement à la retenir. Memorià aliquid custodire. Il ne faut charger sa mémoire que de bonnes choses. Charger sa mémoire de bagatelles.

☞ On dit aussi qu’il ne faut pas trop charger la mémoire des enfans, pour dire, qu’il ne faut pas les obliger à retenir trop de choses.

Charger sa conscience de quelque chose, prendre quelque chose sur sa conscience, s’en rendre responsable devant Dieu.

Charger, signifie aussi, imposer quelque condition onéreuse. Onus imponere. Un héritier est chargé d’acquitter les dettes de les legs d’un testateur. Un usufruitier est chargé d’acquitter les rentes annuelles dont le bien qu’il possède est tenu.

Charger, signifie aussi, mettre des impositions trop fortes. Tributum, vectigal imponere. On a trop chargé de tailles ce pauvre homme sur le rôle. Cette marchandise est trop chargée de douanes. On dit dans le même sens, charger une Election, une Province, &c.

Charger signifie encore, donner ordre, commission à quelqu’un de faire quelque chose. Dare rei alicujus provinciam, negotium. Cet homme a été chargé d’une négociation où il a bien réussi. Il ne devoit pas se charger de faire une telle harangue, puisqu’il n’étoit pas en état de parler. Cet Ambassadeur étoit expressément chargé par ses instructions, de faire instance sur la restitution d’une telle place. C’est un tel Avocat qui est chargé de ma cause, de mon sac, de mes mémoires.

Charger, d’ordinaire avec le pronom personnel, signifie, prendre sur soi, se rendre responsable. Aliquii in se recipere. Jesus-Christ s’est chargé de tous nos péchés & de toutes nos misères. Confiez-moi votre affaire, je me charge du succès. Cet Entrepreneur s’est chargé de venir à bout d’un tel dessein. Le Courier se charge de rendre ma lettre en main propre. Je ne me suis chargé que de ma propre conduite, & je ne répons qu’à moi-même de mes études & de mon loisir. Flech. Les Rois chargés du gouvernement, n’auront-ils que les inquiétudes & les fatigues ? & veut-on qu’ils tremblent devant la loi, qui est leur propre ouvrage ? Tourr.

De l’intérêt du ciel pourquoi vous chargez-vous ?
Pour punir le coupable a-t-il besoin de nous ? Mol.

Se charger, se dit aussi dans un sens propre, pour, mettre quelque fardeau sur sa tête, sur ses épaules, sur soi, sur son corps, de quelque manière que ce soit. Il n’a que faire d’aide, il se charge bien lui-même.

☞ On le dit aussi dans le commerce des marchandises de mauvais débit, & dans la vie civile, de ce qui nous est à charge. Onerare, gravare. Un Marchand intelligent ne se charge point de mauvaises marchandises, n’en prend point dans ses magasins.

☞ C’est quelquefois un malheur d’avoir des parens pauvres, dont on est obligé de se charger.

Charger, se dit aussi dans le commerce, pour, marquer sur son registre. Aliquam pecuniæ summam in rationem inducere, rationibus inferre. Il tant qu’un Marchand charge son registre des payemens qu’on lui fait. Le registre de ce Banquier est chargé de l’envoi d’une telle commission en Cour de Rome.

☞ On dit dans le même sens, charger un compte d’une dépense, d’une recette, pour dire qu’on a porté dans ce compte la recette & la dépense dont il s’agit.

Charger signifie, accuser quelqu’un en Justice, ou déposer contre celui qui est déjà accusé. Accusare, criminari. Ce prisonnier est chargé, est prévenu de plusieurs crimes, il y a divers témoins qui le chargent. Il a été chargé par le testament de mort d’un tel.

☞ On le dit dans le même sens dans les choses où il n’est pas question du criminel. Ils ne cessoient de le charger, tantôt d’avarice & tantôt de trahison. Vaug. Les vieillards louent le passé & blâment le présent, chargeant ainsi le monde du chagrin de leur âge. Il signifie ici rejeter, faire tomber sur. Transferre in, &c.

Ainsi l’antiquité, de cent crimes divers,
Osa charger les Dieux qu’adoroit l’Univers.

Charger, en termes de Peinture, signifie, outrer une chose, ajouter à la vérité, faire une exagération burlesque des principaux traits qui contribuent à la ressemblance ; représenter avec exagération les traits qui rendent le visage d’un homme difforme & ridicule, sans le rendre méconnoissable. Rem aliquam pingendo exaggerare. Ce Peintre a chargé ce portrait, pour dire, il a bien fait un portrait qui ressemble en quelque chose ; mais dans lequel la vérité & la ressemblance exacte sont altérées par l’excès du ridicule. ☞ On le dit dans le même sens au figuré. Ce médisant a chargé l’histoire qu’il nous raconte, il y a ajoûte beaucoup de choses de son crû, il a exagéré avec malignité. Charger un portrait, un caractère ; exagérer avec malignité les défauts d’une personne.

☞ On le dit de même en Littérature, de la Prose & de la Poësie, Voyez Charge ; ainsi que des ornemens superflus du style. On reprochoit à Ciceron que son éloquence étoit chargée de paroles & de pensées superflues. Nicol. Les Commentateurs sont d’ordinaire chargés d’une vaine & fastueuse érudition. La Bruy. Charger une pièce d’incidens, mettre trop d’incidens dans une pièce de théâtre.

Charger un mot. Cette expression se dit des écritures sur lesquelles on met d’autres écritures, pour les corriger : ainsi un mot chargé, est un mot qu’il faut corriger ; & au lieu de l’effacer, on écrit sur ce même mot un autre mot : ce qui fait bien souvent qu’on ne peut lire ni l’un ni l’autre. Cela est défendu ; & dans des procédures criminelles, il ne faut point charger les mots, mais raturer & remettre le véritable mot à la marge avec renvoi.

Charger est aussi un terme de Jardinage. On dit qu’un arbre charge peu ou beaucoup, pour dire qu’il donne peu ou beaucoup de fruit. L’épargne charge beaucoup tous les ans ; Ferax est, multis pomis se se induit. Le petit rousselet charge peu, prend peu de boutons à fruit. Dans cette acception ce verbe est neutre. Les Vocabulistes auroient dû le dire.

Charger, se dit proverbialement en ces phrases. Il a été bien chargé d’appointement, pour dire, il a été bien battu à coups de poing. Il est revenu chargé comme un mulet, pour dire, il en avoit autant qu’il en pouvoit porter. On dit d’un homme qui n’a point d’argent, qu’il est chargé d’argent comme un crapaut de plumes. Tout cela est bien bas.

CHARGÉ, ÉE. part. Il a les significations de son verbe. On dit au figuré, un homme chargé de famille, d’enfans, de dettes, de crimes. Un Héros chargé de gloire. Ces deux premiers Ministres chargés des intérêts & du destin des deux nations, faisoient valoir leur habileté à disputer les droits des couronnes. Flech.

On appelle une couleur chargée, lorsqu’elle est forte, & tire vers le plus obscur de la même nuance. Color adstrictus, nubilus & prestus, austerus, satur. On dit aussi, une écriture trop chargée, quand il y a trop d’encre. Une feuille d’impression trop chargée, lorsqu’elle est trop pleine & trop grande.

☞ On dit populairement d’un homme fort gras, qu’il est chargé de cuisine ; de celui qui a de grosses mâchoires, qu’il est chargé de ganache : ce qui se dit figurément d’un homme épais de corps avec un esprit matériel. Chargé d’années, quand il est fort vieux. Gravis ætate, annis. En termes de Maréchallerie & de Manège. Un cheval chargé d’encolure, chargé de tête, c’est-à-dire, qu’il y a quelque chose de trop dans les parties du cheval que l’on nomme la tête, l’encolure, qu’elles sont trop grosses, trop épaisses.

Chargé, en termes de Blason, se dit quand sur le chef, sa croix, le pal, & sur toutes les autres pièces honorables de l’écu, il y a quelqu’autre figure, & quand sur cette dernière on y en a mis quelqu’autre, on dit surchargé. Onustus. Il porte d’or à la croix de gueule chargée de cinq coquilles d’argent.

Chargé, ée, se dit aussi en Peinture de ce qui est trop marqué, exagéré. Exaggeratus. Annibal Carache se plaisoit à faire des portraits chargés, & y réussissoit fort bien. Pour qu’une chose soit chargée il n’est pas nécessaire que le Peintre ait eu intention de la rendre ridicule, il suffit qu’elle soit outrée. Tout ce qui est chargé est hors du vrai… cependant il y a des contours chargés qui plaisent, parce qu’ils sont éloignés de la bassesse du naturel ordinaire. De Piles. On ne peut s’empêcher de louer dans quelques grands ouvrages les choses chargées, quand une raisonnable distance d’où on les voit les adoucit à nos yeux. Idem. Les Peintres appellent un portrait chargé, lorsqu’on représente un visage avec des traits marqués avec excès, & de telle manière qu’avec trois ou quatre coups de crayon ou autrement on connoît une personne, quoique ce ne soit pas un véritable portrait, mais plutôt des défauts marqués. Félibien.

On dit que le temps est chargé, quand il est couvert de nuages & disposé à la pluie.

On dit qu’un homme a les yeux chargés, pour dire qu’ils sont enflés, remplis d’humeurs.

On appelle des dez chargés, de faux dez, des dez pipés, dont se servent ceux qui veulent tromper aux jeu.

Ce sont des dez, dans les trous desquels ils mettent du plomb d’un côté, afin de les faire tomber de ce côté.

On appelle une pièce chargée, celle qu’on a affaibli de son propre métal, & à laquelle on a ajouté un morceau de métal étranger pour la rendre de poids. Nummus aureus cui pars metalli alicujus adjecta est, ad compensandam ejusdem levitatem ; ou addito pondere factus legitimus.

CHARGEUR. s. m. Officier de ville qui est établi pour charger & arranger les bois dans les membrures sur les ports, afin que le bourgeois ne soit point trompé. On les appelle aussi Gagne-deniers.

Chargeur, est aussi un manœuvre qui sert dans les atteliers à charger les autres. Il y avoit tant de hotteurs & tant de chargeurs à faire cette terrasse. Dans les grosses forges c’est celui qui est chargé d’entretenir le fourneau toujours en fonte.

Chargeur, est aussi un Officier d’Artillerie commis pour charger le canon. Præfectus instruendis pulvere ac globo tormentis.

Pour un canon, il faut deux Canoniers, trois Chargeurs & trente Pionniers. De la Font.

Chargeur. Celui qui charge. On appelle Marchand Chargeur, celui à qui appartiennent les marchandises dont un vaisseau est chargé.

CHARGEURE. s. f. se dit en terme de Blason, des pièces qui en chargent d’autres. Partes scuti onusiæ. La chargeure ne diminue pas la noblesse des armes : comme fait la brisure.

CHARIAGE. s. m. Charroi, l’action de transporter dans une charette ou chariot. Vectura. Il signifie aussi la peine & le salaire du Voiturier. Vecturæ pretium ac merces, ou labor. Le chariage est fort difficile en cette saison. Il conte tant pour le chariage depuis là jusqu’ici. Il faudroit charriage, conformément à l’étymologie ; mais l’usage y est contraire,

CHARIEN. s. m. C’est le nom d’une plante dont la racine étant appliquée pendant quelque temps sur le nombril, fait sortir le fœtus qui est mort dans la matrice. Je ne saurois dire précisément quelle est cette plante. Quelques Auteurs prétendent que c’est le tithymalus characias. Χάριεν. Dict. de Jam.

☞ CHARIER. v. a. Voiturer dans une charrette ou chariot. Carro, plaustro vehere. Charier du vin, du blé, du bois. J’ai fais charier tous mes foins.

Charier, se dit aussi des choses liquides, qui dans leurs cours en emportent, en entraînent d’autres avec elles. Vehere, secum deferre. Cette rivière charie du sable, du gravier. Il y a des rivières qui charient de l’or. Aurifluus. Le sang charie des mauvaises humeurs. On le dit aussi, de l’urine, quand elle entraîne quelqu’autre matière avec elle. Urine qui charie une grande quantité de matières épaisses & grossières. Degori.

Charier, en termes de Fauconnerie, se dit quand l’oiseau emporte sa proie, & ne revient point lorsqu’on le réclame. Avolare cum præda. On dit aussi qu’un oiseau de proie charie un perdreau, quand il le poursuit & le pourchasse, Persequi, insequi.

☞ Ce verbe est quelquefois neutre, comme quand on dit charier droit, se conduire comme l’on doit, s’acquitter de son devoir. Officio fungi, parere, officium implere. Je vous apprendrai à charier droit.

☞ On dit par ellipse qu’une rivière charie, quand on voit plusieurs glaçons suivre le courant de la rivière.

☞ Ce mot vient de carrucare, qu’on a dit dans la basse latinité. Carruca, coche, carrosse.

Charié, ée. part.

Charié, ée. adj. Vieux mot : carié, vermoulu.

☞ CHARIOT. s. m. Voiture ordinairement à quatre roues, propre à transporter différentes choses. Carrus, currus. Il a amené deux chariots de bagage. On envoie chercher des provisions avec un chariot. Les enfans ont de petits chariots pour se divertir : ils sont faits d’osier : on s’en sert pour divertir & pour promener les enfans qu’on fait asseoir dedans.

Chariot, a signifié autrefois la même chose que char : & ainsi on a dit, le chariot du Soleil. Il y avoit des chariots de triomphe à ce carrousel. On couroit aux jeux olympiques avec des chariots. On combattoit sur des chariots armés de faulx, chez les anciens.

On appeloit autrefois dans les armées le chariot, & en italien, il caroccio, un grand chariot, couvert d’ais, & tapissé de fins draps mi-partis de blanc & de rouge, ou bien d’autres livrées, suivant le caprice du peuple qui s’en servoit. Au milieu de ce chariot il y avoit comme un mât de navire élevé, du haut duquel la bannière de la ville ou du peuple voltigeoit çà & là avec plusieurs cordons de soie, qui étoient gouvernés & tenus en état par autant de jeunes hommes forts & robustes, qui avoient aussi le soin de sonner les alarmes & les diverses factions de guerre, avec une cloche, qui étoit attachée au sommet ou à côté de l’arbre. Toute cette machine étoit ordinairement traînée par trois paires de bœufs houssés & caparaçonnés des mêmes couleurs que le chariot : huit trompettes la suivoient, comme aussi tous les Prêtres & Religieux de l’année ; & celui qui avoit charge de la conduire, étoit accompagne de grand nombre de soldats pour la défendre. Antonio Campo & Collenucio décrivent à peu près de cette façon il carrocio, dont les habitans de Milan & de Crémone se servoient pendant les guerres de l’Empereur Frédéric II. Chaque ville y ajoutoit ou diminuoit quelque chose. Celui des Florentins, au rapport de Giovan Villani, avoit deux arbres, étoit couvert de rouge, n’étoit tiré que par deux bœufs, & pour la cloche nommée par eux martinella, elle étoit portée sur un autre chariot. Les villes de Parme & de Boulogne avoient aussi chacune le leur, aux environs duquel on tenoit le Conseil de guerre, on rallioit les troupes, on retiroit les blessés, on gardoit les prisonniers, & l’on s’obstinoit furieusement au combat. Perdre cette machine c’étoit une infamie ; & la sauver en cas d’une déroute, c’étoit chose impossible, à cause de sa pésanteur, & de l’embarras qu’il y avoit tout à l’entour : aussi n’étoit-il non plus permis aux Lombards d’abandonner cette machine, que l’Aigle aux Romains, l’Oriflamme aux François, & le grand étendard à ceux de Gand. Mascur. Nous avions aussi dans nos armées un chariot semblable, sur lequel étoit portée la bannière de France. Voyez Bannière. Cette machine a duré jusqu’à l’invention de l’artillerie. Mascur.

Les Cordiers appellent chariot ou carrosse, une planche montée sur deux petites roues qui leur sert à assembler du cordage.

Chariot est aussi une constellation céleste, ainsi nommée par le peuple, à cause qu’elle ressemble en quelque façon à un chariot. Plaustrum. C’est celle qu’en Astronomie on appelle la petite Ourse, qui a sept étoiles, dont quatre font la ressemblance des quatre roues, & les trois autres en droite ligne paroissent en être l’attelage ou le timon. C’est la dernière & la plus voisine de notre pôle. Il y a le grand & le petit chariot. La grande Ourse est le grand chariot, ou le chariot de David. On appelle aussi chariot de mer, l’une des constellations méridionales, autrement nommées Navire d’Argo.

Chariot. C’est une mesure ou estimation, à laquelle on vend à Paris la pierre de taille ordinaire. Le chariot contient deux voies, & chaque voie cinq carreaux, c’est-à-dire, environ 15 piés cubes de pierre.

☞ Il y a aussi des chariots destinés uniquement à porter le corps d’une pièce de canon.

CHARISIES. s. f. Fêtes en l’honneur des Grâces, que les Grecs appellent Charites. ☞ On y donnoit pour prix au plus vigoureux danseur, des espèces de gâteaux, nommés charisia.

CHARISTICAIRE. s. m. Commendataire, Donataire. Celui à qui l’on a donné la jouissance des revenus d’un Monastère, Hôpital ou Bénéfice. Charisticarius ; Commendatarius ; bonorum sacromm, ou Ecclesiasticorum usufructuarius. Les Charisticaires étoient parmi les Grecs des espèces de donataires ou commendataires, qui jouissoient de tous les revenus des Monastères, ou des Hôpitaux, sans en rendre compte à personne. On rapporte le commencement de cet abus aux Iconoclastes, & particulièrement à Constantin Copronyme, le mortel ennemi des Moines, dont il donnoit les Monastères à des étrangers. Après l’extinction de cette hérésie, leurs biens leur furent rendus ; mais dans la suite les Empereurs & les Patriarches confièrent des Monastères & des Hôpitaux à des gens de qualité, non par manière de don, & pour en retirer aucun profit temporel, mais pour les réparer, ou les orner, & en être les protecteurs. Ensuite on alla plus loin ; l’avarice s’y mêla : on donna les Monastères & les Hôpitaux à ceux même qui étoient en bon état, & les plus riches ; Sisinnius, Patriarche de Constantinople, s’y opposa, mais en vain. Après lui le mal devint encore plus grand ; on donna toutes ces maisons grandes & petites, riches & pauvres ; celles des femmes comme celles des hommes ; & on les donna même à des Laïques & à des gens mariés ; que dis-je ? à des Gentils, & quelquefois deux à une seule personne. Jean d’Antioche, qui rapporte tout ceci dans un traité qu’il a fait contre cet abus, & que M. Coutelier a publié dans ses Ecclesiæ Græcæ Monumenta, T. I, p. 159, rapporte la formule de ces donations, par laquelle il paroît qu’on donnoit ces maisons à vie, & quelquefois pour deux personnes, c’est-à-dire, qu’on donnoit aussi quelquefois la survivance à l’héritier, ἐπὶ ὀ ξώης σου ἢ ἐπὶ δύοις προτώποις. Voyez ce discours de Jean, ch. VIII, IX, X.

CHARISTIES. s. f. pl. Fêtes que les Romains célébroient le 11e des kalendes de Mars, c’est-à-dire, le 19e Février. Voyez Caristies.

☞ CHARITABLE. adj. m. & f. C’est en général celui qui a de la charité pour son prochain. Voyez Charité ; & plus particulièrement celui qui est prompt à l’assister, soit par ses aumônes, soit autrement ; & en parlant des choses, il signifie ce qui part d’un principe de charité. Erga inopes liberalis, benignus, beneficus. On ne peut être bon Chrétien si on n’est fort charitable. Les hommes appellent charitables ceux qui flattent leurs défauts, parce qu’ils ne sauroient convenir qu’on les puisse découvrir avec justice. Port-R. On se fait un devoir extérieur de l’aumône, on la donne comme riche, & non pas comme charitable. Flech. Il ne faut pas s’autoriser dans l’indiscrétion d’un faux zèle, ou dans le plaisir malicieux de censurer son prochain, sous prétexte de donner un avis charitable & fraternel. De Vill. Je suppose qu’un Moine est toujours charitable. La Font. Il y a un livre du Médecin & de l’Apothicaire charitable, qui enseigne à faire les remèdes à la maison, en faveur des pauvres : il est du sieur Guibert.

CHARITABLEMENT. adv. D’une manière charitable. Amicè, benevolè, amanter, studiosè. Dans cette Abbaye, en cet Hôpital, on reçoit charitablement tous les passans. Il faut corriger charitablement son prochain. Arn.

CHARITATIF. adj. m. Terme du Droit Canonique, qu’on joint toujours avec don ou subside. On appelle subside charitatif, un secours modéré que le Concile accorde à l’Evêque lorsqu’il se trouve dans quelque urgente nécessité. Impensum Episcopo egenti subsidium. Par exemple, quand ses revenus ne suffisent pas pour se trouver à un Concile, &c.

CHARITÉ, s. f. L’une des trois vertus théologales, & celle qui est principalement recommandée aux Chrétiens. Charitas. ☞ Les Théologiens la définissent, une vertu Théologale par laquelle nous aimons Dieu de tout notre cœur, & notre prochain comme nous-mêmes. Ainsi la charité a deux objets matériels, comme on parle dans l’école, sur lesquels elle s’exerce, Dieu & le prochain. On doit aimer Dieu par dessus toutes choses ; on doit tout faire, tout sacrifier, tout entreprendre, tout souffrir pour Dieu, & être prêt à cela. La charité, nous met habituellement dans cette disposition. La charité nous fait aimer Dieu pour lui-même, & le prochain pour Dieu. La charité nous fait aimer le prochain comme nous-mêmes, c’est-à-dire, qu’elle nous le fait aimer véritablement & sincèrement comme nous nous aimons nous-mêmes, mais ce n’est pas à dire qu’on soit toujours obligé à faire pour le prochain tout ce qu’on fait pour soi-même ; ainsi dans un naufrage on n’est point obligé de donner une planche sur laquelle on se sauve, à un autre qui perira infailliblement si on ne la lui donne. Mais elle nous oblige à faire pour le prochain tout ce que nous voudrions raisonnablement qu’on fît pour nous ; & à ne lui point faire ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît. La charité est la plus excellente de toutes les vertus ; elle n’est pas la première, c’est la foi qui est le principe & le fondement de notre justification : mais la charité est plus parfaite, elle subsistera toujours. Dans le ciel la foi cessera par la claire vision de Dieu, l’espérance par la possession des biens que Dieu nous promet, mais la charité sera encore plus parfaite qu’elle n’étoit sur la terre.

Il y a beaucoup d’endroits dans S. Augustin qui semblent demander la charité actuelle dans toutes nos œuvres. Voici ce que le P. Amelot a remarqué sur cette question dans son Abrégé de Théologie, p. 547. Les plus éclairés d’entre les Docteurs & les plus ardens pour la doctrine de Saint Augustin, comme Estius, Sylvius, Sinnichius, Bannès & tous les Disciples de Saint Thomas, ne croient pas que l’amour actuel de Dieu soit toujours commandé ; & quelque zélés qu’ils soient pour la charité, ils se règlent par Saint Thomas, qui n’a pas craint de dire dans sa Somme, que nous ne péchions point contre le précepte qui nous oblige de rapporter toutes nos œuvres à la gloire de Dieu, en ne les y rapportant pas actuellement, & qu’il suffit de rapporter habituellement à Dieu notre personne, & ce qui en dépend. Non facit contra hoc præceptum quicumque non actu refert in gloriam Dei omne quod facit, sufficit ut habitualiter referat se & omnia sua in Deum. Tom. II, quæst. 88, à 1, ad 2. Le même Saint Docteur s’étoit contenté de dire que le rapport de tout ce qui est en nous à la gloire de Dieu, se devoit entendre, ou du rapport actuel, ou de l’aptitude à y être rapporté, vel in actu, in aptitudine referendi. Ce qu’Estius dit sans le reprendre, que le Cardinal Cajetan a étendu aux