Dictionnaire de la Bible/Babylone
1. BABYLONE (hébreu : Bâbél ; Septante : Βαβυλών ; Vulgate : Babylon ; textes cunéiformes : forme non sémitique :
Tin-tir (Bois de vie) ;
(idéographique) Bab ili (porte des dieux) |
(phonétique) Ba-bi-l(u). |
I. Nom. — L’étymologie du nom de la ville nous est
donnée par la Genèse, xi, 9 : à la suite de la confusion
404. — Plan fragmentaire de Babylone, traversée par l’Euphrate.
D’après une tablette cunéiforme.
des langues, on nomma la ville inachevée Bâbel, c’est-à-dire « confusion ». Tous les rationalistes et beaucoup
d’assyriologues, comme Eb. Schrader-Whitehouse, The cuneiform Inscriptions and the Old Testament, t. i,
p. 113-114 ; Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 213,
combattent l’étymologie biblique pour y substituer celle
qu’indiquent les textes babyloniens, Bab-ili, « porte de
Dieu ou des dieux ; » mais rien ne prouve que l’étymologie
donnée par Moïse ne soit pas la plus ancienne, et par
conséquent la vraie : les Orientaux, pour bien des raisons
différentes, changent facilement les étymologies des noms
propres, souvent même au risque de les déformer un peu.
Cf. Journal asiatique, janvier 1893, p. 88. En outre, si
un auteur hébreu avait fourni cette étymologie, il nous l’eût
donnée, d’après les principes de sa propre langue, sous
la forme pilpel des verbes עע comme bâlal, « confondre, »
et non pas sous la forme contractée assyro-babylonienne
Bâbel, pour Balbel. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., t. i, p. 360-362. On peut ajouter que
si l’étymologie Bab-ili (porte de Dieu) n’eût pas été
factice, et par conséquent la moins ancienne, les Babyloniens
n’auraient pas coupé le mot en trois syllabes, au
mépris de la division des deux mots constitutifs, Ba-bi-lu ;
c’est ainsi que dans le nom de ville Dur-ili (forteresse de
Dieu) les textes respectent toujours la coupure, et n’écrivent
jamais Du-ri-li.
II. Histoire. — Laissée inachevée après la dispersion des
constructeurs de la tour, Babylone fut terminée plus tard ;
elle apparaît déjà comme faisant partie de la tétrapole méridionale
de Nemrod, Gen., x, 10 ; cependant la domination
babylonienne ne paraît établie sur la partie intérieure de la
Mésopotamie que sous la dynastie pal-Tintir (dynastie de
Babylone), qui régna d’environ 2409 à 2146 avant J.-C.,
et dont le roi le plus célèbre fut Ḥammourabi. Épargnée
par l’invasion élamite des Koudourides, la monarchie
babylonienne contribua à expulser les envahisseurs de la
Chaldée et de tout le Sennaar, en y établissant sa propre
autorité. Voir encore sur les origines de Babylone les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, 10 janvier 1893, p. 108. Dès lors l’histoire de Babylone se
405. — Plan des ruines de Babylone. D’après M. Oppert.
confond avec celle de l’empire babylonien. La Bible ne
s’occupe plus de Babylone avant la ruine du royaume
d’Israël ; elle nous apprend alors que le vainqueur assyrien
transplanta en Samarie des colons babyloniens, qui
joignirent au culte du vrai Dieu celui de leurs idoles, et
s’y firent des Sochothbenoth (voir ce mot), IV Reg.,
xvii, 24, 30. Plus tard un roi de Babylone, Mérodach-Baladan,
cherche à faire alliance avec Ézéchias contre
les Assyriens, et l’envoie féliciter de sa guérison ; c’est
alors qu’Isaïe annonce à Ézéchias la captivité de Babylone.
IV Reg., xx, 12-19 ; Is., xxxix, 1-8. C’est dans la capitale
chaldéenne que Manassé est jeté en prison par le roi
d’Assyrie. II Par., xxxiii, 11-13. Enfin la destruction du
royaume de Juda, par Nabuchodonosor, y amène à plusieurs
reprises des convois de Juifs prisonniers, que
Jérémie console et fortifie dans la foi par la lettre insérée
dans Baruch, vi, 1-72 et par celle de Jérémie, xxix.
C’est surtout la captivité de Babylone qui a rendu cette
ville célèbre dans l’histoire sainte. Jer., xx, 4, 12 ; Matth.,
i, 11, 17 ; Act., vii, 43. Ézéchiel habita la Babylonie ;
Daniel y exerça même une charge élevée à la cour ; c’est
à Babylone ou dans les environs que se placent l’érection
de la statue de Nabuchodonosor et la délivrance des enfants
de la fournaise, Dan., iii ; l’histoire de Susanne,
Dan., xiii ; le récit des fourberies des prêtres de Bel, et
la mort du dragon, Dan., xiv ; enfin le double épisode
de la fosse aux lions, vi et xiv, 27-42. Après la prise de
Babylone par Cyrus, une portion des captifs rentrèrent
en Palestine aux différentes migrations mentionnées dans
les livres d’Esdras et de Néhémie ; mais celui d’Esther
nous montre que beaucoup aussi préférèrent continuer
à vivre dans l’empire perse. Le gouvernement des Séleucides,
puis des Parthes, ne leur y fut généralement pas
défavorable (voir cependant Josèphe, Ant: Jud., XVIII,
ix, 9, et G. Rawlinson, The sixth great oriental monarchy,
Londres, 1873, p. 240-244), de sorte que la Babylonie
devint plus tard pour eux un refuge et un centre d’études.
III. Description. — Si la situation de Babylone sur le
bas Euphrate a toujours été connue, il n’en est pas de même
de l’étendue de la cité. Le point de départ est donné
par quelques ruines remarquables, le Babil, le Kasr ou
palais ; mais où étaient les limites, les murs de la ville ? Suivant
Hérodote, ces murs auraient eu 480 stades de circuit
ou 88 800 mètres, 200 coudées de hauteur et 50 d’épaisseur,
ou 92 et 23 mètres ; d’après Ctésias, duquel se rapprochent
Strabon et Diodore de Sicile, le circuit n’était
que de 360 stades (66 600 mètres) ; mais les hauteurs sont
extraordinairement différentes : Ctésias donne 200 coudées
(92 mètres), Pline 200 pieds (61 mètres), et Strabon
75 (23 mètres) ; ils étaient, comme toutes les constructions
babyloniennes, de briques séchées au soleil, avec
revêtement de brique cuite, du bitume en guise de ciment,
et des lits de roseaux pour donner de la cohésion et
drainer l’humidité de l’argile crue. Il y avait cent portes
d’airain. Cf. Jer., l, 15 ; li, 53, 58. M. Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. i, p. 234, croit avoir retrouvé
les traces d’une double enceinte enfermant l’une 513 kilomètres
carrés, l’autre 290. Comme ces traces ne sont pas
évidentes, la plupart des savants anglais révoquent en
doute le plan proposé par M. Oppert. Pour donner à
Babylone une étendue égale au département de la Seine,
ce savant y comprend les localités environnantes, particulièrement
Borsippa ; mais un texte de Bérose, corroboré
par Strabon, XVI, i, 6 et 7, édit. Didot, p. 629, et
surtout par les inscriptions cunéiformes elles-mêmes,
distingue soigneusement les deux villes. Bérose nous
apprend que Cyrus, après la prise de Babylone, s’en alla
faire le siège de Borsippa. Histor. græc. Fragm., t. ii,
p. 508.
406. — Ruines de Babil.
L’Euphrate, endigué entre deux quais de brique bitumée, et coulant entre deux hauts murs percés de vingt-cinq portes, traversait la ville (fig. 404) ; un immense pont, et, s’il faut en croire Diodore de Sicile, un tunnel voûté, rejoignait les deux quartiers. Entre beaucoup de monuments remarquables, généralement assez bas et d’une architecture très massive, rehaussés d’enduit peint et de briques émaillées, ou couverts de plaques métalliques, bronze, argent et or, on admirait le grand temple ou tombeau de Bel et plusieurs palais.
La divinité particulièrement adorée à Babylone était
Mardouk, le Mérodach de la Bible, la planète de Jupiter,
qu’on appelait couramment Bel, « seigneur », le Belos
ou Belus des écrivains classiques, le Bel des prophètes,
Is., xlvi, 1, etc., distinct d’une autre divinité nommée
Bel l’ancien, et mentionnée aussi dans Jérémie, l, 2. Le
temple de Bel, consacré au seigneur Mardouk ou Mérodach,
était surtout remarquable par sa tour à étages ou
pyramide, décrite par Hérodote, i, 183, édit. Didot, p. 60,
et Strabon, xvi, 1, 5, édit. Didot, p. 628, qui lui prête
des dimensions fort extraordinaires. Dans la chapelle qui
couronnait la pyramide, Diodore place trois statues colossales
en or, de Jupiter, Junon et Rhéa, sans doute celles
de Mardouk, Mylitta-Zirbanit, son épouse, et peut-être
Ištar ; deux serpents d’argent, deux lions, trois coupes et une
large table d’or massif. Tout cela fut pillé par les Perses
lors de la conquête de Babylone, ainsi que le sanctuaire du bas de la pyramide. On croit généralement que ses ruines
forment le Babil actuel (fig. 406). Néanmoins M. Oppert
identifie la tour de Bélus avec le Birs-Nimroud (voir Tour de Babel). On peut voir par les bas-reliefs
assyriens ce qu’étaient ces jardins, espèces de terrasses
supportées par des arches et des piliers massifs, et
s’étageant les uns au-dessus des autres (fig. 408), de façon
à rappeler les montagnes couvertes de forêts que désirait
revoir l’une des épouses de Nabuchodonosor. Mais G. Rawlinson,
qui n’admet pas que 4 acres (moins d’un demi-hectare)
de jardins suspendus aient pu donner 37 acres de
ruines, voit dans le Tell-Amran le palais des prédécesseurs
de Nabuchodonosor, déjà mentionné par Bérose. Si l’on n’y
a trouvé ni maçonnerie ni statue, on en a retiré des
briques estampillées au nom de différents anciens rois de
407. — Tell-Amran-Ibn Ali. D’après Rich.
Babylone. À l’est de ces palais on croit voir les traces
d’un vaste réservoir mentionné par Nabuchodonosor sous
le nom de Iabur-šabu. Cet ensemble, qui formait la cité
royale, était entouré d’un côté par l’Euphrate, de l’autre
par deux lignes de remparts se rencontrant presque à
angle droit du côté est, et dont la partie nord aboutissait
au Babil. Autour, et, semble-t-il, principalement au sud,
se groupait l’immense population de Babylone. Hérodote,
i, 180, édit. Didot, p. 59, a remarqué leurs maisons à
trois ou quatre étages, alignées en rues parallèles et perpendiculaires
au cours de l’Euphrate. À Djumjumah, prèsde
Hillah, on a retrouvé, en 1876, les tablettes commerciales
des Egibi, commerçants babyloniens, dont on peut
suivre les transactions pendant environ deux siècles. Sur
la rive droite de l’Euphrate, en face du Tell-Amran,
des ruines encore bien visibles dessinent les contours
d’un palais où les briques sont estampillées au nom de
Nériglissor (Nergal-šar-uṣur). Englobant Borsippa dans
Babylone, M. Oppert place à cet endroit, au Birs-Nimroud,
le temple et la tour de Bel dont parle Hérodote, et les
identifie avec les restes de la tour de Babel (voir Tour de Babel), tandis que H. et G. Rawlinson la confondent avec le
temple de Bel-Mérodach décrit par Strabon, et la placent
au Babil.
Malgré sa force et sa puissance, malgré le luxe de ses habitants, Is., xiv, 8 et suiv. ; xlvii, 1-2 ; Jer., li, 39 ; Dan., vi, 1, malgré la vitalité dont elle fit preuve, réparant bien des fois les désastres des longs sièges qu’elle eut à subir, elle finit par succomber, et par voir se réaliser à la lettre les menaces des prophètes juifs : Is., xiii, 19-23 ; xiv, 4-12 ; xlvii ; Jer., li, 58. Voir le reste de son histoire à l’article Babylonie ; voir aussi Tour de Babel.
Dans le Nouveau Testament, le nom de Babylone est
encore employé dans la salutation finale de la Ire épître
de saint Pierre, v, 13, vraisemblablement pour désigner
Rome et non la Babylone mésopotamienne ; moins encore
Séleucie, ou la Babylone d’Égypte, ou même Jérusalem.
Voir Pierre (première épître de Saint).
408. — Jardins suspendus de Babylone. Essai de restitution.
L’Apocalypse désigne Rome sous le nom allégorique de « la grande Babylone, » xiv, 8 ; xvi, 19 ; xvii, 5 ; xviii, 2, 10, 21 ; au chap. xvii, 9, sont mentionnées les sept collines sur lesquelles elle est bâtie ; au ꝟ. 18, sa domination sur les rois de la terre. L’idolâtrie, la corruption et la puissance matérielle assimilaient ces deux villes ; ce que Babylone fut pour Jérusalem, la Rome persécutrice l’était pour l’Église.