Dictionnaire de la Bible/Péché originel
PÉCHÉ ORIGINEL, péché commis par Adam, à l’origine de l’humanité, et par suite duquel tous ses descendants naissent dans un état de déchéance et de péché.
1o La faute initiale.
1. Le récit de l’épreuve imposée à Adam, de la tentation, de la chute et du châtiment, est consigné dans la Genèse, iii, 1-19. Ce récit peut être interprété avec une certaine largeur, à condition de respecter la réalité du fait. Voir Adam, t. i, col. 175 ; Ève, t. ii, col. 2119. Les Pères l’ont généralement entendu dans son sens littéral, mais l’Église n’a pas condamné le cardinal Cajetan qui l’a expliqué allégoriquement. In Sacram Scripturam Commentarii, 5 in-fo, Lyon, 1639, t. i, p. 22, 25. Voir Vigouroux, Manuel biblique, 12e édit., t. i, pl. 564.
2. Rien dans le récit n’avertit formellement que le premier homme ait agi comme représentant de toute sa race. Il est seulement le premier de tous les hommes. Mais c’est de lui que les autres recevront la vie, et, étant données les lois ordinaires de la nature que l’auteur sacré suppose connues de ses lecteurs, il fallait s’attendre à ce qu’Adam, avec la vie et ses conditions essentielles, transmît à ses descendants quelque chose de ce qu’il était devenu lui-même, par l’abus qu’il avait fait des dons extraordinaires de son Créateur. Toutefois ce n’est pas dans la concupiscence que consiste à proprement parler le péché originel, mais dans la privation de la grâce. L’avenir de l’humanité est indiqué dans l’inimitié annoncée entre la postérité de la femme et celle du serpent et dans les conditions de vie imposées à Adam et à Ève, et par là même à leurs descendants. Du récit de la Genèse, les théologiens ont déduit que nos premiers parents avaient été élevés à un état surnaturel, et qu’ayant perdu par leur faute l’intégrité primitive, ils étaient déchus de leur état et avaient transmis leur déchéance à leurs enfants.
2o Dans l’Ancien Testament.
1. Les écrivains inspirés de l’Ancien Testament ne parlent du péché originel qu’en termes généraux. Job, xiv, 4, à propos de l’homme né de la femme, que Dieu, semble-t-il, ne peut citer en justice sans s’abaisser lui-même, remarque : « Qui peut tirer le pur de l’impur ? Personne. » La Vulgate traduit un peu différemment : « Qui peut rendre pur celui qui a été conçu dans l’impureté ? N’est-ce pas vous seul ? » Les Septante ajoutent au texte les premiers mots du verset suivant : « Qui peut être pur de souillure ? Personne, pas même celui dont la vie n’est que d’un jour sur la terre. » Les Pères ont commenté le texte ainsi formulé. L’idée principale est que l’homme appartient à une race pécheresse et impure, et que l’on ne doit pas s'étonner qu’il soit si peu digne de l’attention divine, ayant hérité d’ancêtres pécheurs. — Au Psaume li (l), 7, on lit ces paroles :
Je suis né dans l’iniquité,
Et ma mère m’a conçu dans le péché.
Comme pour le passage précédent, la doctrine du péché originel, sans être formulée d’une façon tout à fait explicite, donne seule à ces paroles tout leur sens. — On trouve ces autres paroles dans l’Ecclésiastique, xxv, 33 :
C’est par une femme que le péché a commencé,
C’est à cause d’elle que nous mourons tous.
Le texte accuse avec raison Ève d’avoir commencé la première à pécher et d'être la première cause de la mort de tous. Mais Adam, et non pas Ève, était le chef de l’humanité, et par lui ont été transmis le péché et ses conséquences. — Il n’y a pas à s’arrêter au texte d’Isaïe, xliii, 27, disant à Israël : « Ton premier père a péché ; » car il s’agit ici de Jacob. Cf. Ose., xii, 3-5. — L’auteur de la Sagesse, viii, 18-20, prenant le personnage de Salomon, s’exprime dans des termes dont on pourrait s’étonner, s’il fallait les prendre absolument à la lettre : « J’étais un enfant d’un bon naturel, et j’avais reçu en partage une bonne âme, ou plutôt, étant bon, je vins à un corps sans souillure. » Cette affirmation ne peut porter que sur la vie purement naturelle. Un autre texte paraît plus significatif : « Vous saviez bien qu’ils sortaient d’une souche perverse, … car c’était une race maudite dès l’origine. » Sap., xii, 10, 11. Toutefois, comme il s’agit ici des Chananéens, il est clair que la malédiction dont parle l’auteur sacré est celle qu’encourut Chanaan. Gen., ix, 25.
2. Mais si les textes sont peu explicites, on sent que, pour ainsi dire, tout le poids du péché originel pèse sur l’Ancien Testament. Souvent les auteurs sacrés constatent le règne général du péché. « Tous sont égarés, tous sont pervertis ; pas un qui fasse le bien, pas un seul ! » Ps. xiv (xiii), 3 ; lii (lii), 4. « Qui dira : J’ai purifié mon cœur, je suis net de mon péché ? » Prov., xx, 9. L’autre vie, dont l’attente aurait dû réjouir les justes, ne leur apparaît que sous de sombres couleurs. Ils se rendent compte que, même dans le scheʾôl, la paix ne sera pas encore faite entre eux et Dieu, parce que, dans le passé lointain de l’humanité comme dans ses générations successives, il y a quelque chose qui empêche une réconciliation complète et définitive. Cette réconciliation, les anciens l’attendent dans la personne du Messie futur. Au lieu de porter leurs regards vers celui qui fut l’origine de l’humanité, ils les tendent vers celui qui, dans l’avenir, en sera le réparateur et le Sauveur. N’ayant qu’une idée confuse du péché originel et de ses suites, ils sont peu capables par là même de se faire une notion exacte de ce que sera la rédemption. Néanmoins cette attente du Messie libérateur est, dans l’Ancien Testament, la forme la plus concrète et la plus positive sous laquelle on puisse reconnaître la tradition du péché originel.
3o Dans l’Évangile.
Quelques passages de l’Évangile font allusion au péché originel ; mais cette allusion ne peut être comprise que si l’on a présente à l’esprit la notion de la chute et de ses conséquences. Ainsi la lumière du Verbe « luit au milieu des ténèbres », Joa., i, 5 ; le Sauveur vient éclairer ceux « qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort ». Luc., i, 79. Saint Jean-Baptiste présente Notre-Seigneur comme « l’Agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde », Joa., i, 29, c’est-à-dire ce péché dont les conséquences pèsent sur le monde entier. « Si on ne renaît de nouveau, on ne peut voir le royaume de Dieu. » Joa., iii, 3. C’est donc que la vie transmise par Adam ne suffit pas pour conduire l’homme au salut. Les justes de l’ancienne loi en font l’expérience dans le scheʾôl ; mais « l’heure vient où ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui ont fait le bien en sortiront pour ressusciter à la vie ». Joa., v, 25, 28, 29. Le Sauveur fait annoncer que « le royaume de Dieu approche », Luc., x, 9, par conséquent que l’état de choses antérieur, même sous le régime de la Loi, n’était pas le royaume de Dieu, la vraie voie du salut. Il dit aux Juifs, qui se glorifiaient d'être enfants d’Abraham : « C’est seulement si le Fils vous délivre, que vous serez vraiment libres. » Joa., viii, 36. Une servitude générale s’imposait donc à tous les hommes. Enfin, par deux fois, Joa., xii, 31 ; xiv, 30, le Sauveur appelle Satan le « prince de ce monde ». Satan y règne en maître, en effet, depuis sa victoire sur le premier homme ; mais « il va être chassé dehors », et d’ailleurs il n’a rien à lui en Jésus, qui a pris la descendance mais non la servitude d’Adam. — On ne peut tirer aucune conclusion, touchant le péché originel, du texte de Joa., ix, 2. Voir Mal, t. iv, col. 601, 4o. Quand les pharisiens disent à l’aveugle guéri qu’il est « né tout entier dans le péché », ils ne songent pas au péché originel, car ils ne s’appliquent certes pas cette remarque à eux-mêmes. Joa., ix, 34.
4o Dans saint Paul.
1. Saint Paul dégage la notion du péché originel avec précision dans son Épître aux Romains. Pour faire ressortir toute la signification de la rédemption, il établit un parallèle entre Jésus-Christ et Adam, et il écrit : « Ainsi donc, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, ainsi la mort a passé dans tous les hommes, parce que (ἐφ’ᾥ) tous ont péché (Vulgate : in quo, « en qui » ou « en quoi » tous ont péché)… Par la faute d’un seul, tous les hommes sont morts… Le jugement a été porté à cause d’une seule faute pour la condamnation… Par la faute d’un seul, la mort a régné par ce seul homme… Par la faute d’un seul, la condamnation est venue sur tous les hommes… Par la désobéissance d’un seul homme, tous ont été constitués pécheurs. » Rom., v, 12-19. Cet enseignement de l’Apôtre éclaire le récit de la Genèse. Au paradis terrestre, Adam était donc, dans la pensée de Dieu, le représentant de l’humanité, représentant dont l’humanité serait mal venue à se plaindre, puisqu’il jouissait de l’innocence et de tous les dons divins. Adam subissait l’épreuve au nom de toute sa postérité. Seul il a péché personnellement, mais en lui et par lui, tous ont péché, tous ont désobéi, tous ont encouru la mort et la condamnation. En cela, Adam a été la figure de celui qui doit venir, τύπος τοῦ μέλλοντος, forma futuri, Rom., v, 14 ; il a été pour l’humanité, au point de vue du péché et de la condamnation, ce que Jésus-Christ a été au point de vue de la réconciliation et de la vie. Conformément à cette doctrine, l’Église enseigne que « la prévarication d’Adam a nui, non à lui seul, mais à sa descendance ; qu’il a perdu à la fois pour lui et pour nous la sainteté et la justice qu’il avait reçues de Dieu ; que souillé lui-même par son péché de désobéissance, il a transmis à tout le genre humain, non seulement les peines du corps, mais aussi le péché qui est la mort de l’âme ». Conc. Trid., sess. v, De pecc. orig., 2.
2. Dans d’autres passages, saint Paul se réfère à la même doctrine. Il appelle « vieil homme » l’homme tel qu’il descendait d’Adam. Rom., vi, 6 ; Eph., iv, 22 ; Col., iii, 9. Il écrit aux Corinthiens que « par un homme est venue la mort ». I Cor., xv, 22. Aux Éphésiens, ii, 2-3 : « Vous étiez morts par vos offenses et vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance… Nous étions par nature enfants de colère, comme les autres. » Fils d’Adam prévaricateur et volontairement soumis au prince de ce monde, les hommes ne peuvent qu’être désagréables et antipathiques à Dieu.
Le péché originel, qui souille tout homme venant en ce monde, n’a pas atteint le Fils de Dieu incarné. I Pet., ii, 22 ; I Joa., iii, 5 ; Joa., viii, 46. L’Église a défini que la Sainte Vierge, en vue des mérites de son divin Fils, a été préservée de cette souillure, et n’a pas cessé d’être un seul instant « pleine de grâce » aux yeux de son Créateur. Luc, i, 28. — Sur l’interprétation des Pères, à propos du péché originel, voir Turmel, Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, p. 87, 226, 412.