Dictionnaire de théologie catholique/ABSOLUTION au temps des Pères

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 79-87).

II. ABSOLUTION au temps des Pères.

I. Textes patristiques. II. Argumentation.

Examinons quelle importance les docteurs de la primitive Église ont attachée aux textes de saint Jean, xx, 22-23, et de saint Matthieu, xvi, 19 ; xviii, 18, dans la spéculation, et quel sens ils leur ont donné dans la pratique. Y ont-ils reconnu nettement le pouvoir d’absoudre ? Groupons d’abord les documents qui peuvent nous aider à résoudre cette question ; nous verrons ensuite les conclusions qui en découlent.

I. Textes patristiques.

Église syrienne.

Dès le début du IIe siècle, saint Ignace d’Antioche (]- vers 107) dans son épitre aux Philadelphiens, considère l’intervention de l’évêque comme nécessaire pour la réconciliation des pécheurs avec Dieu. « Dieu, dit-il, pardonne aux pénitents, s’ils ont recours à l’unité de Dieu (ou de l’Église) (à l’Église réunie ?) et au consentement de l’évêque, » ad consensum episcopi, ou concilium episcopi, comme portent d’autres manuscrits. Epist. ad P/idadelph., c. VIII, P. G., t. v, col. 833. La fameuse épitre de Clément romain à Jacques de Jérusalem, qui est sûrement pseudépigraphe et de provenance syrienne (M. l’abbé Duchesne, Liber ponti/icalis, t. i, p. 72, la date du n c siècle), attribue expressément aux successeurs des apôtres, et en particulier au successeur de saint Pierre, le pouvoir des clefs. « Je donne à Clément [mon successeur], dit saint Pierre, le pouvoir de lier et de délier qui m’a été donné par le Seigneur, de sorte que tout ce qu’il décrétera sur la terre sera décrété dans le ciel. Car il liera ce qui doit être lié, et il déliera ce qui doit être délié. » Plus loin, l’auteur appelle les évêques, des « clefs ». « Ils ont, dit-il, le pouvoir de fermer le ciel et d’en ouvrir les portes, parce qu’ils ont été faits les clefs du ciel. » P. G., t. i, col. 464, 478. — On trouvera à l’article IX. Absolution chez les Syriens les témoignages de deux Pères illustres, qui ont écrit en syriaque, Aphraates, en 337, et saint Éphrem, quelques années plus tard. — Vers la fin du ive siècle, saint Jean Chrysostome, dans son traité du Sacerdoce, se fait l’écho de la tradition de l’Église d’Antioche quand il écrit : « Des êtres qui ont leur séjour sur la terre, dont l’existence est attachée à la terre, [les prêtres] ont reçu la mission d’administrer les choses du ciel, et sont investis d’un pouvoir que Dieu n’a donné ni aux anges, ni aux archanges ; car ce n’est pas à eux qu’il a été dit : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le « ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié « dans les cieux. » Les princes de la terre ont bien aussi le pouvoir de lier, mais le corps seulement, tandis que le lien dont parle l’Évangile, saisit l’âme même, et va se rattacher aux cieux : ainsi tout ce que les prêtres font ici-bas, Dieu le ratifie là haut, et le Maître confirme la sentence du serviteur. Leur a-t-il donné autre chose qu’une puissance infinie dans les cieux mêmes ? Il dit : « Les péchés sont remis à qui vous les remettrez, et « ils sont retenus à qui vous les retiendrez. » Peut-il exister un pouvoir plus grand que celui-là ? Le Père céleste a donné à son Fils tout jugement : et je vois le Fils transmettre lui-même ce droit tout entier à ses prêtres. » De sacerdotio, l. III, c. v, P. G., t. lxvii, col. 613.

Église d’Alexandrie. —

Dans sa doctrine pénitentielle, Clément d’Alexandrie (f vers 217) s’inspire du Pasteur d’Hermas. Il procède, par conséquent, de Rome. Le récit qu’il nous transmet de la conversion d’un jeune bandit, opérée par saint Jean, à Éphèse, semble indiquer que la pratique des Églises de l’Asie Mineure ne lui est pas inconnue. Après avoir montré comment l’apôtre « garantit au coupable repentant qu’il avait obtenu son pardon du Sauveur, pria pour lui, baisa sa main purifiée par les larmes de la pénitence, et le ramena à l’Église », il décrit certains exercices pénitentiels qui se terminent par « la réintégration du pécheur dans le sein de l’Église ». Puis il ajoute : « Celui qui reçoit l’ange de la pénitence, tôv aYyeXov ttjç (istavoîa ; (mot emprunté à Hermas), n’aura pas lieu de s’en repentir, lorsqu’il quittera son corps ; et ne sera pas confondu, lorsqu’il verra le Sauveur venir dans sa majesté. » Quis dives salvetur, c. xlii, P. G., t. IX, col. 619, 652. « L’ange de la pénitence » n’est autre, sans doute, que le prêtre mi l’évêque préposé aux exercices pénitentiels qui, dans la langue de Clément d’Alexandrie, s’appellent « la seconde pénitence ». Stromala, l. II, c. xiii, P. G., t. viii, col. 996. Encore une locution empruntée au Pasteur d’Hermas. Cette seconde pénitence est celle qu’accomplissent les fidèles qui sont tombés dans quelque péché grave, par opposition à la première pénitencc, celle qui prépare les infidèles à la réception du baptême. — Origène eut l’occasion d’exposer sa pensée, vers’230, sur les fidèles pénitents, en commentant ces mots de l’oraison dominicale : Dimitte nobis débita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Il rappelle le texte de saint Jean, xx, 23, qui confère aux apôtres et à leurs successeurs le pouvoir de pardonner, mais il prétend que l’idolâtrie, l’adultère et la fornication forment une catégorie de péchés irrémissibles. En conséquence, il blâme « les prêtres qui s’arrogent une autorité’qui dépasse la dignité sacerdotale, et qui, par ignorance de la discipline, se glorifient de remettre aussi ces péchés énormes ». De oratione, c. xxviii, P. G., t. xi, col. 528-529. Mais il est clair qu’il n’entend pas ravir, d’une façon absolue, aux prêtres le pouvoir d’absoudre. Dans son HomiL, xvii, in Lucam, il dit : « Si nous révélons nos péchés non seulement à Dieu, mais encore à ceux qui peuvent apporter remède à nos blessures et à nos péchés, ces péchés seront effacés par celui qui a dit : « J’effacerai tes iniquités comme une « nuée. » P. G., t. xiii, col. 18M3. — Le schisme novatien, qui dégénéra en hérésie, provoqua dans toutes les Eglises une protestation énergique et une solide réfutation. Nous possédons un Fragmentum ex libris contra novatianos, de saint Athanase († 373) : « De même, dit-il, qu’un homme baptise par un prêtre est illuminé par la grâce du Saint-Esprit, ainsi celui qui confesse [sa faute] dans la pénitence, reçoit par le prêtre la rémission (de cette faute) en vertu de la grâce du Christ. » Le texte mérite d’être cité : "Qoiiep avQpwTto ; ûrco av-OpwTCou i=psa>ç PaTTTiÇôjievoç çom^erai r/j to - j Ttve’jjjiaTo ; xâpiTt, o’jtoç xa 6 È50u.o), oyoû(j.£voç èv pietavoia 3tà tou ispfto ; Àaij.ëôvei tïjv Scpsaiv -/âpert Xpurroû. P. G., t. xxvi, col. 1316. — Au siècle suivant, saint Cyrille d’Alexandrie (-J- 444), commentant Jean, xx, 22, s’exprime ainsi : « Pourquoi le Sauveur a-t-il donné à ses disciples une dignité qui paraît réservée à Dieu même ? Il a jugé bon que ceux qui avaient reçu l’Esprit divin du Maître, eussent aussi le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés, l’Esprit divin les remettant ou les retenant par leur ministère. Ces hommes qui ont reçu le souille de l’Esprit remettent les péchés (àçiàcri à|xapTi’a ; ) de deux manières : par le baptême et par la pénitence, par la pénitence en ce sens qu’ils remettent ou retiennent les péchés, soit en gourrnandant les fils de l’Église qui sont pécheurs, soit en pardonnant aux pénitents. » In Joa. Evangel., 1. XII, P. G., t. lxxiv, col. 721.

Eglise de Constantinople.

La discipline pénitentielle primitive de cette Église nous est connue par un récit de Socrate et de Sozomène. Si l’on en croit Socrate, l’office de prêtre pénitencier y aurait été institué après l’explosion du schisme novatien ; selon Sozomène, cette institution remonterait plus haut encore, et jusqu’aux origines de l’Église. La confession publique, attachée à la pénitence, étant devenue odieuse, l’évêque choisit dans son presbyterium un prêtre qui fût distingué par son intégrité, sa discrétion et sa prudence, et l’investit de la mission de recevoir l’aveu des pécheurs, de leur imposer des œuvres pénitentielles proportionnées à leurs fautes, et de les absoudre de leurs péchés, absolvebat confitentes (àTîéÀue). La direction supérieure de la pénitence restait toujours à l’évêque qui se réservait particulièrement la réconciliation solennelle au temps de Pâques. Mais l’audition des confessions particulières, le soin de décider si la confession devait aussi être publique, la détermination des exercices pénitentiels, la surveillance des pénitents, tout cela était l’affaire du prêtre pénitencier. Cet office fut supprimé par l’archevêque Nectaire, vers 390. Socrate, Hist. eccl., 1. V, c. xix, /’. < ; ., t. i.xvii, col. 613-017 ; Sozomène, Hist. eccl., I. VU, c. xvi, ibid., col. 1457-1400. — Le pouvoir d’absoudre ne fut pas pour cela été aux prêtres ou aux évoques dans l’Église de Constantinople. Saint Jean Chrysostome, successeur de Nectaire, pratique et préconise l’usage de l’absolution, et de l’absolution répétée. Au concile ad Quercum, tenu en 403, l’une des principales accusations portées contre lui était qu’il avait osé dire aux pécheurs (ce qui était une manière de favoriser la licence) : « Si vous péchez encore, faites de nouveau pénitence, et aussi souvent que vous viendrez à moi, je vous guérirai. » Hardouin, Concilia, t. i, col. 1042.

Eglises de l’Asie Mineure.

Firmilien, évêquede Césarée en Cappadoce († 252), dans son épître à saint Cyprien écrit avec assurance : « Le pouvoir de remettre les péchés a été donné aux apôtres et aux Églises que les apôtres, envoyés par Jésus-Christ, ont établies, et aux évêques qui ont succédé aux apôtres en vertu de l’ordination. » Epist. ad Cyprian., n. 10, P. L.> t. iii, col. 1108. On a fait observer que Firmilien formulait cette déclaration à propos du baptême. Mais il est clair que le pouvoir dont il parle s’étend même aux péchés des fidèles ; l’allusion au texte de saint Jean est indéniable. — Nul Père de l’Église ne s’est occupé, plus que saint Basile († 379), de la discipline pénitentielle. Ses lettres à Amphiloque ont servi de règle aux diverses Églises de l’Asie Mineure. C’est à tort, ce semble, qu’on en a révoqué en doute l’authenticité. M. Funk a démontré qu’elles sont sûrement du {{rom|iv)e siècle. Les canons qu’elles renferment n’indiquent pas expressément quel était le ministre de la réconciliation. Mais ailleurs saint Basile déclare que « la confession des péchés doit être faite nécessairement à ceux à qui a été confiée la dispensation des mystères de Dieu ». Requise breviores. Respons. ad quœstion. 288, P. G., t. xxxi, col. 1281. S’il ne s’exprime pas plus clairement, c’est que le pouvoir sacerdotal d’absoudre n’était pas alors mis en cause. — Saint Grégoire de Nazianze se borne pareillement à réfuter « ceux qui nient que l’Église de Dieu peut remettre tous les péchés. » Orat., xxxix, in SS. Lumina, n. 18-19, P. G., t. xxxvi, col. 350-357. — Ici encore nous retrouvons une condamnation de l’hérésie novatienne. Personnellement Novatien n’attaquait pas le pouvoir des clefs ; il était simplement préoccupé (ambition à part) d’une question de discipline ; il entendait refuser la réconciliation à une classe de pénitents, sous prétexte que telle était la tradition de l’Église romaine. Mais sur cette question purement disciplinaire se greffa bientôt une question dogmatique. Les novatiens, notamment Acésius, au concile de Nicée, prétendirent qu’il « n’était pas au pouvoir des prêtres, mais seulement au pouvoir de Dieu, de remettre certains péchés ». C’est pourquoi leur doctrine fut condamnée. Sozomène, H. E., 1. I, c. xxii, P. G., t. lxvii, col. 925.

Église de Rome et docteurs italiens.

Le plus ancien témoin que nous ayons de la discipline pénitentielle à Borne est le Pasteur d’Hermas (vers 150). « L’ange de la pénitence, » le « préposé à la pénitence », enseigne à Hermas que la femme adultère peut obtenir le pardon de son crime, en faisant pénitence, mais que la rechute doit être sans rémission, parce qu’  « il n’y a qu’une pénitence pour les serviteurs de Dieu », toïç ooOXotç xoO 0eoû (Aetavota èau m’a. Certains docteurs prétendaient qu’il n’y avait d’autre pénitence efficace que celle qui préparait les pécheurs à la rémission de Leurs fautes par la réception du baptême. Le « préposé à la pénitence » déclare fausse une pareille doctrine. « Le Seigneur miséricordieux a eu pitié de sa créature, dit-il, et il a établi cette pénitence (une seconde pénitence ) et m’en a confié’l’administration. C’est pourquoi, après celle grande et sainte vocation (du baptême), si quelqu’un est tenté’par le diable, et pèche, il a (encore) une pénitence. Mais s’il pèche de nouveau, et qu’il Passe pénitence cette dernière ne servira plus à un tel pécheur, car il sera difficilement sauvé, » 6’j<7y.6)o>ç Çr, <reTai. Hermas, Paslor, l. II, proœmium, et Mand., IV, c. i-m, P. G., t. ii, col. 914, 919. Cf. Novum Testamentum extra canonem receptum, par Hilgenfeld, fascicul. 3, p. 39-42. — Les Canons d’Hippolyte, qui sont de provenance romaine et remontent au commencement du ine siècle, sinon à la fin du IIe, mettent dans la bouche du pontife qui consacre un nouvel évêque ces paroles significatives. « Accorde-lui, Seigneur, l’épiscopat, et l’esprit de clémence, et le pouvoir de remettre les péchés. » Canon. Hippolyti, c. xvh ; Duchesne, Les origines du culte, 2e édit., p. 506. Il y a ici une allusion évidente à la parole évangélique ; s’il pouvait y avoir quelque doute sur ce point, les Constitutions apostoliques, qui dépendent en partie des Canons d’Hippolyte, se chargeraient de le lever. « Donne-lui, Seigneur toutpuissant, par ton Christ, la participation à ton Saint-Esprit, afin qu’il ait le pouvoir de remettre les péchés selon ton précepte et ton mandat, xari tt)v èvroXïjv <rou, et de délier tout lien, quel qu’il soit, selon le pouvoir que tu as accordé aux apôtres. » Constit. apost., l. VIII, c. v, P. G., t. i, col. 1073. Nous touchons au pape Calliste († 222) qui, en vertu de son autorité épiscopale et malgré les protestations des montanistes, revendiqua le droit et le pouvoir d’absoudre les péchés les plus graves, y compris l’adultère et la fornication, pourvu que les coupables eussent fait pénitence de leurs crimes : Ego et mechix et fornicationis delicta petentia funclis dimitto, lui fait dire Tertullien, De pudicitia, c. I, P. L., t. ii, col. 979. — On peut rapporter l’institution des prêtres pénitenciers à Rome au pape Simplicius (468-483), puisqu’il établit dans les basiliques de Saint-Pierre, de Saint-Paul, de Saint-Laurent, presbyleros pro pænitentiam petentibus. Liber pontifie., édit. Duchesne, 1. 1, p. 93 ; cf. p. 249. S’il est dit que le pape Marcel († 309) « a divisé la ville de Rome en XXV tituli ou paroisses, pour l’administration du baptême et de la pénitence, » ibid., p. 75, 164, il s’agit de la « pénitence, » préparatoire au baptême. Les prêtres pénitenciers ne fonctionnaient pas encore dans la Ville éternelle à cette date, répartie en un moins grand nombre de tituli. S’il est certain que le pape Innocent I er mentionne en 416, comme « un usage de l’Église romaine, » les exercices pénitentiels, il les a attribué à l’évêque de Rome qui est le « prêtre » dont il parle. « C’est à ce prêtre, dit-il, qu’il appartient de juger de la gravité des péchés, de surveiller la confession du pénitent, et les larmes qui attestent son repentir, et de le faire délier lorsqu’il aura jugé sa satisfaction suffisante. » De pondère œstimando delictorum sacerdotis est judicare…, ac tune jubere dimitti cum viderit congruam satisfactionem. C’est à lui encore qu’était réservée la réconciliation solennelle des pénitents au jeudi saint. Epist. ad Decentium, c. vil, P. L., t. xx, col. 559. Et selon Sozomène, H. E., . VII, c. xvi, P. G., t.LXVii, col. 1461, par cette réconciliation épiscopale, le pénitent « était absous de ses péchés », tïjç âjjiapTia ; àvierai. — Le pape saint Léon écrivait, en 452, à Théodore, évêque de Fréjus : « Voici quelle est la règle ecclésiastique sur l’état des pénitents. L’infinie miséricorde de Dieu vient au secours des fautes humaines de manière à nous rendre l’espoir de la vie éternelle, non seulement par la grâce du baptême, mais encore par le remède de la pénitence ; de la sorte ceux qui ont profané les dons de la régénération, peuvent obtenir la rémission de leurs crimes, à la condition qu’ils se condamnent eux-mêmes, car Dieu, dans son indulgence, a mis les secours de sa divine bonté à ce prix qu’on ne puisse les obtenir que grâce aux supplications des prêtres : sic divinse bonitatis prsesidiis ordinatis ut indulgentia Dei nisi supplicationibus sacerdotum nequeant obtineri. En effet, le médiateur de Dieu et des hommes a donné aux chefs de l’Église le pouvoir de donner à ceux qui confessent [leurs fautes] l’action de la pénitence, et de les admettre par la porte de la réconciliation à la communion des sacrements, lorsqu’ils auront été purifiés par une satisfaction salutaire. » Le pontife presse ensuite les pécheurs de se convertir, de peur que la mort ne les surprenne et ne rende impossible « ou la confession du pénitent ou la réconciliation du prêtre », vel confessio pœnitentis vel reconciliatio sacerdotis. « Il est très utile et nécessaire, écrit-il encore, que le pécheur soit déchargé du poids de ses fautes, avant le dernier jour, par la supplication sacerdotale, » mulluni utile ac necessarium est ut peccatorum reatus ante ultimum diem sacerdolali supplicatione solvatur. P. L., t. liv, col. 1011-1013. On retrouverait aisément la même doctrine dans les écrits du pape Gélase. Nous nous bornerons à invoquer le témoignage de saint Grégoire le Grand († 604) : « Les apôtres, dit-il, ont reçu en partage le pouvoir du jugement suprême, de sorte que, à la place de Dieu, vice Dei, ils retiennent aux uns leurs péchés, aux autres ils les remettent. .. Voici que ceux qui redoutent pour eux-mêmes le sévère jugement de Dieu, deviennent cependant les juges des âmes. » Dans la pratique, le pape met une limite à ce pouvoir d’absoudre. « Il faut peser les motifs, dit-il, et alors seulement doit s’exercer le pouvoir de lier et de délier ; de la sorte, ceux que le Dieu toutpuissant visite par la grâce de la componction, la sentence du pasteur les absout (réellement). L’absolution du président n’est vraie que lorsqu’elle suit la décision du juge intérieur. » Homil., xxvi, in Evang., l. II, P. L., t. lxvi, col. 1200. — Aux témoignages des pontifes romains nous ajouterons, pour l’Italie, ceux de saint Jérôme et de saint Ambroise, que l’Eglise a mis au rang des docteurs. Saint Jérôme dans son épître à Héliodore, n. 8 et 9, exalte la dignité des évêques, « qui ont succédé au collège des apôtres, qui de leur bouche sacrée produisent le corps du Christ, qui nous ont faits chrétiens, qui possèdent les clefs du royaume des cieux, et nous jugent en quelque sorte avant le jour du jugement, » qui claves regni. cselorum habentes quodam modo ante judicii diem judicant. P. L., t. xxii, col. 352-353. — Saint Ambroise est plus explicite : « Dieu seul, dit- il, peut remettre les péchés, mais il les remet par les hommes, à qui il a donné aussi le pouvoir de les remettre. » Et ailleurs : « C’est aux apôtres que le Christ a donné le pouvoir de remettre les péchés, et des apôtres ce pouvoir a été transmis au ministère des prêtres, » quod ab apostolis ad sacerdotum officia transmissum est. Et encore : « Les prêtres revendiquent le droit qui leur a été donné de remettre les péchés par le baptême et par la pénitence. » Et enfin : « Ce droit n’a été accordé qu’aux prêtres, » jus hoc solis permission sacerdotibus est. In Evangel. secund. Lucam, l. V, n. 13 ; De psenit., l. II, c. ii, n. 12 ; l. I, c. viii, n. 36 ; c. ii, n. 1, P. L., t. xv, col. 1639. t. xvi, col. 499, 477, 468. Pour avoir entendu les -quatre grands docteurs de l’Église latine, il ne nous manque plus que le témoignage de saint Augustin. Il viendra à son heure avec les principaux représentants de l’Eglise d’Afrique.

Église d’Afrique.

Tertullien distingue trois sortes de péchés, les minuta ou modica, les média et les majora. Ces derniers, au nombre de trois, l’idolâtrie, l’homicide et la fornication ou l’adultère, sont irrémissibles. De pudicitia, c. i-iii, P. L., t. ii, col. 979. Dieu seul en peut accorder le pardon, même aux pécheurs admis à la pénitence. Quant aux autres péchés, le sévère partisan du montanisme ne dénie pas à l’Église le pouvoir de les remettre : Habet potestatem Ecclesiadclicla donandi. De pudicitia, c. xxi, P. L., t. il, col. 102’t. Il admet même que l’évêque exerce en certains cas le pouvoir de l’Église : Salva >lla ptenitentise specie post fidem, quæ aut levioribus delictis veniam ab episcopo consequi poterit, aul majoribus et irremissibilïbus a Beo solo. Ibid., c. xviii, col. 1017. —A l’égard des lapai, saint Cyprien († 258) maintient le régime de la sévérité. Néanmoins, le souci du salut des âmes lui inspire ce conseil et cette règle : « Que chacun confesse son péché, pendant que celui qui est coupable est encore dans le siècle, pendant que sa confession peut être admise, pendant que la satisfaction et la rémission faite par les prêtres est agréée de Dieu, » dum remissio fa~ cti per sacerdotes apud Dominum grala est. Delapsis, c. xxix, P. L., t. iv, col. 489. — Saint Augustin préconise, en divers endroits de ses ouvrages, le pouvoir d’absoudre confié par J.-C. aux apôtres et à leurs successeurs : « Pierre, dit-il, apparaît dans l’Écriture comme personnifiant l’Église. Surtout en ce passage où il est dit : « Je te donne les clefs du royaume des cieux, » etc. Si Pierre a reçu ces clefs, est-ce que Paul ne les a pas reçues ? Si Pierre les a reçues, est-ce que Jean et Jacques, et les autres apôtres, ne les ont pas reçues ? Et ne sont-ce pas les clefs de l’Église dans laquelle les péchés sont remis chaque jour ? Mais parce que Pierre personnifiait l’Église, ce qui a été donné à lui seul, a été donné à l’Église. » Serm., cxlix, n. 6 et 7, P. L., t. xxxviii, col. 802. Ailleurs, Augustin renvoie les pécheurs « aux évêques, qui exercent dans l’Église le pouvoir des clefs, » venial ad antislites per qttos Mi inEcclesia claves ministrantur. Serm., cccli (douteux), n. 9, ibid., t. xxxix, col. 1547. Citons encore la lettre dans laquelle Augustin blâme la conduite des prêtres qui prennent la fuite à l’approche des Vandales, et dénonce le péril qu’ils font courir « à ceux qui demandent le baptême, à ceux qui demandent la réconciliation ou seulement l’admission à la pénitence, en un mot à ceux qui réclament l’administration des sacrements. Si les ministres l’ont défaut, s’écrie-t-il, à quel malheur sont réservés ceux qui sortiront de ce siècle sans avoir été régénérés ou déliés, » ubi si minislri desint, quantum exitium sequitur eos qui de isto seculo vel non regenerali exeunl vel ligati. Epist., ccxxviii, ad Honoralum, n. 8, P. L., t. xxxiii, col. 1016.

Eglise d’Espagne.

A partir du concile d’Elvire (300), de nombreux conciles réglèrent la discipline pénitentielle. L’hérésie novatienne qui avait partout des adhérents provoqua une lettre de saint Pacien, évêque de Barcelone († 391), réfutant Sempronianus : « Vous dites que Dieu seul peut remettre les péchés. C’est vrai ; mais ce que Dieu fait par ses prêtres, c’est encore lui quilefait, </i(û(i persuos sacerdotes facit, ipsiuspotestas est. Pourquoi donc a-t-il dit aux apôtres : « Ce que vous « lierez sur la terre sera lié dans le ciel ? « Pourquoi a-t-il dit cela, s’il n’est pas permis aux hommes de lier et de délier ? Prétendrez-vous que ce pouvoir n’a été donné qu’aux apôtres ? Mais alors les apôtres seuls ont pu baptiser, seuls donner le Saint-Esprit, seuls reprendre les péchés des nations, car on peut dire que les apôtres seuls ont reçu ces commandements. » Epist., i, ad Sempron., n. 6, P. L., t. xiii, col. 1057. Dans sa Parœnesis ad pxiiitenliam, ibid., col. 1084, Pacien indique à quels péchés s’applique le pouvoir sacerdotal d’absoudre.

Église des Gaules. —

Dès le temps de saint Irénée (avant 200), on voit fleurir en Gaule la discipline pénitentielle. Des femmes perverties par les hérétiques revinrent à résipiscence ; elles confessèrent publiquement leurs crimes, et prirent rang parmi les pénitente. Par quel ministère reçurent-elles l’absolution ? Saint Irénée ne le dit pas. Saint Hilaire, évéque de Poitiers, dans son Commentaire du texte de saint Matthieu, xviii, 8, enseigne nettement que le Seigneur « a remis aux apôtres un jugement en vertu duquel ceux qu’ils lieraient sur la terre, c’est-à-dire ceux qu’ils laisseraient dans les liens de leurs péchés, et ceux qu’ils délieraient, c’est-à-dire ceux qu’ils admettraient au salut en leur accordant le pardon, seraient, en raison de la sentence apostolique, ou absous ou liés dans le ciel », Immobile severitatis apostolicæ judicium prseniisit, ut quos in terris ligaverint, id est peccatorum nodis innexos reliquerint, et i/uos solverint (concessione videlicet veniae receperint in salutem). M apostolica concessione sententise in cselis quoque absoluti sint aut ligati. P. L., t. ix, col. 1021. Citons encore Gennade, prêtre de Marseille (lin du {{rom-maj|V)e siècle), qui dans ses Dogmata ecclesiastica, c. LUI, envoyés au pape Gélase, s’exprime ainsi : « Quant à celui que des péchés mortels commis après le baptême accablent, je l’exhorte à satisfaire d’abord par une pénitence publique, puis, une fois réconcilié par le jugement du prêtre, de s’associer à ceux qui communient, et ita sacerdotis judicio reconciliatum communioni sociari, s’il ne veut pas recevoir l’eucharistie pour son jugement et sa condamnation. » P. L., t. lviii, col. 994.

II. Argumentation.

Des textes cités on peut induire quels étaient le sujet, la matière, le ministre, le moment, la formule, et l’efficacité de l’absolution.

Le sujet de l’absolution est le fidèle baptisé, coupable de quelque péché grave, ou, pour mieux dire, le pénitent. La pénitence formait, à l’origine, un véritable état, comme le catéchuménat. Quiconque, parmi les chrétiens, avait commis l’un des péchés qui étaient considérés comme canoniques, c’est-à-dire soumis au pouvoir des clefs, se rangeait dans la classe des pénitents, non de lui-même, mais par l’autorité de l’évêque ou du prêtre pénitencier. Ainsi s’exerçait le pouvoir de lier que le Sauveur avait accordé aux chefs de son Église. Le pénitent était lié. C’est ce qui explique le texte de saint Éphrem : << Que celui qui a été lié lui demande donc (à Dieu par ses ministres) la rémission complète ; » le texte de saint Augustin, à propos de Lazare : Ligatus erat sicut sunt liomines in confessione peccati agentes psenitentiam, Serm., ccclii, n. 8, P. L., t. xxxix, col. 1558 ; celui de Jean le Jeûneur ou d’un canoniste grec, quel qu’il soit : Oratio super eum qui a sacerdote ligatus est cum absolvitur. Morin, De administrât, sacram. pœnitent., Appendix, p. 90. Cf. Benoit le Lévite († 845) : Quoniam sine manus impositione nemoabsolvitur ligatus. Capilular., i, 116 ; P. L., t. xcvii, col. 715. Tout ceci sera expliqué plus en détail, au mot Pénitence canonique.

Matière de l’absolution. — Les péchés graves constituaient régulièrement la matière de l’absolution. A l’article Confession sacramentelle, on verra par quels moyens les premiers chrétiens obtenaient le pardon des peccata minuta, des menus péchés, ou, comme nous disons aujourd’hui, des péchés véniels. Dans la pratique, tous les docteurs que nous avons cités ne sont pas d accord sur le nombre des péchés rémissibles par les successeurs des apôtres. Origène estime que les prêtres « dépassent leur pouvoir, en remettant les péchés d’idolâtrie, d’adultère ou de fornication ». Tertullien est du même avis, et ajoute l’homicide à cette liste des péchés irrémissibles. Les montanistes et les novatiens préconisent cette doctrine ; c’est pourquoi ils sont frappés par l’Église. Le pape Calliste « déclare qu’il remet le péché de fornication à ceux qui en ont fait pénitence », psenitenlia functis. Saint Ambroise, saint Grégoire de Nazianze, saint Pacien, nous l’avons vii, combattent les novatiens. Saint Augustin formule ainsi le sentiment général : « Il y en a qui ont dit : il ne faut pas accorder la pénitence à tels et tels péchés ; ils ont été exclus de l’Église et sont devenus hérétiques. Pour quelque péché que ce soit, l’Église notre mère miséricordieuse ne perd pas ses entrailles, » in quibuscumque peccalis non perdit viscera pia mater Ecclesia. Serm., ccclii, n. 9, /’. L., t. xxxix, col. 1559. D’où peut provenir l’erreur d’Origène, de Tertullien et des novatiens ? C’est que, selon le sentiment de certains historiens catholiques, notamment de M. Funk, l’Église, pendant un certain temps, avait cru devoir, par mesure disciplinaire, refuser la réconciliation aux homicides, aux idolâtres et aux adultères. Cette pratique n’entamait pas son pouvoir d’absoudre. Mais peu à peu on put croire qu’elle ne possédait pas un pouvoir dont elle ne faisait pas usage. Et c’est ainsi que finit par s’accréditer l’opinion qui déclarait irrémissibles par l’Église, les péchés d’adultère, d’homicide et d’idolâtrie. La conduite du pape Calliste et la condamnation des montanistes et des novatiens remit les choses au point. On remarquera cependant que, selon plusieurs historiens catholiques, les relaps n’étaient pas admis à la réconciliation par l’Eglise primitive. C’était encore là une simple mesure de discipline. Historiquement on en établit l’existence par les textes d’Hermas, de Clément d’Alexandrie, d’Origène, de Tertullien, de saint Ambroise et de saint Augustin. Le mot d’Hermas : « Pour les serviteurs de Dieu, il n’y a qu’une seule pénitence, » est interprété par Clément d’Alexandrie, Stromata, II, 13, P. G., t. vtH, col. 993996, dans le sens d’une seule pénitence canonique après le baptême. On peut voir les autres textes réunis dans notre article sur Le caractère sacramentel de la pénitence publique (Revue du clergé français, 1 er novembre 1898, p. 425, note 2 ; p. 424, note 2 ; p. 429, note 2 ; p. 431, note 1). Cela sera étudié plus à fond, au mot Pénitence canonique. Citons cependant le texte de saint Augustin : « Quoique par une sage et salutaire précaution on n’ait accordé cette très humble pénitence que pour une seule fois dans l’Église, de peur que ce remède devenu vil ne fût moins utile aux malades, tandis qu’il est d’autant plus salutaire qu’il aura été moins exposé au mépris, quel est celui cependant qui oserait dire à Dieu : Pourquoi pardonnez-vous encore à cet homme qui, après une première pénitence, s’est encore enlacé dans les liens de l’iniqnité ? » Epist., cliii, n. 7, ad Macedonium, P. L., t. xxxiii, col. 656. On voit par là que si l’Église ne donnait plus l’absolution aux relaps, elle espérait néanmoins que Dieu leur pardonnerait encore, à cause de sa miséricorde, et de leur repentir. Quant à la détermination des péchés graves remis par l’absolution, les premiers Pères ne sont pas très précis. On a vu que Tertullien désigne comme rémissibles les delicla leviora par opposition aux delicla majora et irremissibilia. Ces péchés, relativement légers, sont encore des péchés graves, distincts des peccata minuta. Par contre, saint Pacien semble enseigner que les seuls péchés qui soient matière nécessaire de la pénitence ecclésiastique et de l’absolution sacerdotale sont les trois péchés d’idolâtrie, de fornication et d’homicide. Parœnesis ad peenitent. , c. iv, P. L., t. xiii, col. 1084. Saint Augustin s’exprime quelque part à peu près de même façon. « Ne commettez pas, dit-il, les péchés pour lesquels il est nécessaire que l’on vous sépare du corps du Christ. Ceux que vous voyez ainsi faire pénitence ont commis des crimes, tels que l’adultère ou d’autres fautes extrêmement graves, facta immania ; c’est pourquoi ils font pénitence. Car si leurs péchés étaient légers, l’oraison quotidienne suffirait pour les effacer. » De symbolo ad catechumenos, c. viii, P. L., t. xl, col. 636. Mais ailleurs on voit qu’il entend par péchés pénitentiels, c’est-à-dire soumis au pouvoir des clefs, d’une façon générale, « ceux que renferme le décalogue de la Loi et dont l’apôtre a dit : « Quiconque les commet, ne possédera « pas le royaume de Dieu, » actio.pœnitentias pro illis peccatis subeunda est, quse legis decalogus conlinet, et de quibus apostolus ait : quoniam qui talia agunt, regnumDeinon possidebunt. Serm., cccli (douteux), De pxiiit., c. vii, P.L., t. xxxix, col. 1542. Bref, les Pères sont d’accord pour déclarer que tous les péchés graves sont soumis au pouvoir des clefs. Mais quels sont les péchés qui doivent être rangés dans cette catégorie, c’est une question pratique où l’on peut observer quelque divergence d’opinion. Ce point sera examiné plus au long, aux articles Péché et Confession.

Ministre de l’absolution.

Saint Ignace d’Antioche indique que « les pénitents n’obtenaient le pardon de leurs péchés que s’ils avaient recours à l’Église réunie et au consentement de l’évêque ». Le rôle "de l’évêque n’est pas nettement déterminé dans ce texte. Le Pasteur d’Hermas etClément d’Alexandrie ( ?) signalent un « ange de la pénitence », sans doute l’évêque ou le prêtre préposé aux exercices de la pénitence et chargé de la réconciliation des pécheurs. Donnait-il l’absolution ? on ne le dit pas. Mais Socrate et Sozomène nous décrivent d’une manière assez détaillée l’office du prêtre pénitencier, dont l’existence remonte, selon le premier au temps de Dèce, selon le second à l’origine de l’Église. Sozomène dit nettement qu’à Constantinople ce prêtre « absolvait » les pécheurs avant de fixer leur pénitence et de les ranger dans la classe des pénitents. Et le même Sozomène nous apprend qu’à Rome, où il ne signale pas l’existence du prêtre pénitencier, l’évêque présidait les exercices pénitentiels et « absolvait » les pécheurs qui avaient achevé leur pénitence. Hist. eccl., 1. VII, c. xvi, P. G., t. lxvii, col. 1461. Qu’on relise nos textes et l’on verra que le pseudo-Clément de Rome, Clément d’Alexandrie, le pseudo-Hippolyte, Cyprien, Chrysostome, Athanase, Jérôme, Ambroise, Augustin, Pacien, Gennade, Léon, Cyrille, Grégoire le Grand, considèrent les sacerdotes, c’est-à-dire les évêques et les prêtres, comme ministres de l’absolution. D’une façon générale saint Augustin les appelle antisliles ; et saint Ambroise déclare énergiquement que le pouvoir d’absoudre n’a été accordé qu’aux prêtres, solis sacerdolibus permissum est. On a vu une objection grave à cette conclusion dans le texte suivant de saint Cyprien : « Si un libellaticus tombe malade en l’absence de l’évêque, il pourra recourir au prêtre, et si le prêtre vient à manquer et que le danger de mort soit imminent, il pourra faire l’exomologèse (la confession) de son péché à un diacre qui lui imposera les mains pour la pénitence, afin qu’il paraisse devant Dieu avec la paix que les martyrs ont sollicitée pour lui par leurs lettres, » libellis. Epist., xii, n. 1, P. L., t. iv, col. 259. De quelle nature était cette réconciliation opérée par le diacre au moyen de l’imposition des mains ? Était-ce une simple réconciliation au for extérieur ? Dans ce cas, il faudrait dire que la réconciliation qui terminait les exercices pénitentiels, même opérée par l’évêque ou par le prêtre, n’avait pas la vertu de remettre les péchés. Cette question a embarrassé les docteurs catholiques.

Voici les différentes réponses qu’ils y ont données.

l°Le P. Morin donne à entendre que saintCyprienaccordait par exception aux diacres le pouvoir d’absoudre, De disciplina in administratione sacrantenti piunttentim, 1. VIII, c. xxiii, comme l’Église accorde au simple prêtre le pouvoir de confirmer, en vertu d’une délégation extraordinaire, dans des circonstances déterminées. Ayant vu le pouvoir d’absoudre, d’abord réservé à l’évêque, s’étendre au simple prêtre, le saint pontife aurait cru possible de le communiquer même au diacre en cas d’extrême nécessité. Cette interprétation est généralement considérée comme inexacte. —

2° On suppose que, selon l’ancienne discipline, la réconciliation avait un double effet, l’un dans le for intérieur en remettant les péchés, l’autre dans le for extérieur en permettant au pénitent, désormais libéré, de participer, comme le reste des fidèles, aux choses saintes et, en particulier, à la communion eucharistique. Selon cette hypothèse, saint Cyprien aurait autorisé le diacre à opérer la réconciliation, sinon au for intérieur, du moins au for extérieur. Dès lors, sans être absous sacramentellement, le libellaticus qui avait donné des signes de repentir était admis, non seulement à la pénitence, mais encore à la paix avec l’Église, et, par la communion eucharistique, purifié de ses péchés. L’impossibilité matérielle de recourir à l’évêque ou au prêtre le dispensait de solliciter l’absolution sacramentelle avant de recevoir le viatique.

— 3° D après une troisième explication, la discipline pénitentielle des premiers siècles comportait une double confession et une double absolution, la première privée, la seconde publique. La pénitence publique, qui constituait ce qu’on appelle l’exomologèse, voir Tertullien, De pœnitenlia, c. ix, P. L., t. i, col. 1243, comprenait parmi ses exercices la confession et avait pour terme la réconciliation finale, dont le caractère n’était pas proprement et nécessairement une absolution sacramentelle des péchés. Dès lors l’interprétation du texte de saint Cyprien devient assez facile. Le libellalicus dont il est question avait déjà dû recevoir l’absolution proprement dite de son péché, pour être admis à la pénitence publique. Sans doute la réconciliation finale qui impliquait la paix de l’Église et le droit de participer à l’eucharistie était d’ordinaire réservée à l’évêque, ou, en cas de nécessité, au simple prêtre. Mais comme le sentiment prévalait dans l’Église, que les pénitents devaient être, en danger de mort, admis à la communion eucharistique, saint Cyprien voulut qu’à défaut du prêtre le diacre vînt à leur secours et les réconciliât. Les mots : manu eis in psenitentiam imposita, forment bien quelque difficulté. L’imposition des mains était le signe ordinaire de l’autorité sacerdotale dans le rite de la réconciliation. C’est en cela que saint Cyprien aurait introduit une nouveauté dans la discipline pénitentielle, sans prétendre conférer pour cela au diacre le pouvoir d’absoudre. L’imposition des mains, signe purement extérieur, n’impliquait nullement l’absolution proprement dite, qui n’avait son efficacité que dans la « prière sacerdotale », comme nous le dirons plus loin. Le sens de in psenitentiam est plus difficile à déterminer. Cela veut-il dire que le diacre admettait par l’imposition des mains le libellatieus à la pénitence ? ou bien cela signifie-t-il qu’il opérait la réconciliation du libellatieus déjà pénitent ? L’exomologesis dont il est question dans le texte appelle plutôt la seconde interprétation, qui est pourtant moins conforme au sens obvie des mots in psenitentiam. Il faut s’en tenir, selon nous, à cette seconde interprétation. De la sorte on peut admettre que le libellatieus, déjà absous par l’évêque, expiait sa faute au rang des pénitents, et que le diacre en l’absence d’un prêtre, était autorisé à le réconcilier, c’est-à-dire à lui rendre la paix de l’Église et à lui accorder le viatique. On comprendra mieux cette théorie si l’on veut bien se reporter à l’histoire de Sérapion que nous a conservée Eusèbe, Hist. eccl., l. VI, c. xliv, P. G., t. xx, col. 629. Denys d’Alexandrie avait décidé que les lapsi ne seraient admis à la communion qu’à l’article de la mort. Les prêtres étaient autorisés à la distribuer aux coupables repentants, surtout s’ils l’avaient demandée pendant qu’ils étaient encore en bonne santé. C’était le cas du vieillard Sérapion. Sur le point de mourir, il envoie son jeune neveu chercher un prêtre. Le prêtre auquel celui-ci s’adressa était lui-même malade. Mais il confia lis saintes espèces eucharistiques au jeune homme, qui les apporta religieusement à son oncle. Sérapion rendit le dernier soupir, aussitôt après avoir communié. « N’estce pas une preuve, remarque saint Denys, que ce vieillard était resté en vie jusqu’à ce qu’il eut été délivré des liens de sa faute et qu’il eût effacé entièrement la tache dont il avait souillé son âme en immolant aux idoles ? » On voit par cet exemple qu’à défaut du prêtre, an simple fidèle donna la communion à un pénitent moribond. A plus forte raison un diacre pouvait-il être chargé de remplir le même office. Saint Cyprien éleva pour les cas d’extrême nécessité cette fonction diaconale à la hauteur d’une institution. Bref, pour comprendre le décret du saint docteur, nous avons à choisir entre deux hypothèses : ou bien la réconciliation finale comprenait, tout à la fois, une absolution au for intérieur et une absolution au for extérieur ; ou bien elle consistait, au moins ordinairement, dans une simple réadmission des pénitents à la communion de l’Église et à la communion eucharistique. Dans le premier cas, la réconciliation opérée par ce diacre aurait été incomplète et n’aurait compris que l’absolution au for extérieur ; dans le second, elle aurait été totale, et aurait eu la même vertu que celle du prêtre ou même de l’évêque. Mais puisque dans ce second cas il y avait simple admission à la communion, jamais il n’en faudrait conclure que les diacres aient exercé proprement le pouvoir d’absoudre.

Moment de l’absolution. —

L’absolution était-elle accordée au moment de l’entrée en pénitence ou au moment de la réconciliation finale ? Les documents vont répondre à cette question. — Nous avons vu par le texte de saint Ephrem que le pénitent, « celui qui a été lié, » ne reçoit qu’à la fin de son expiation « la rémission complète » de son péché. — On se rappelle que saint Augustin, à l’heure de la persécution, blâmait ses prêtres de déserter leur poste, pendant que les uns demandaient le baptême, d’autres la réconciliation, d’autres l’imposition de la pénitence, psenitentise ipsius actionent, tous la consolation et l’administration des sacrements. Si saint Augustin distingue entre la réconciliation et l’action de la pénitence (l’imposition de la pénitence), si les pécheurs réclamaient à grands cris, non pas la réconciliation, mais simplement la pénitence, ce n’était pas pour obtenir même, dans une certaine mesure, l’absolution sacerdotale. La simple imposition de la pénitence n’impliquait pas une sorte d’absolution. Les Constitutions apostoliques, l. II, c. xli, P. G., t. i, col. 696, attachent avec raison la vertu de remettre les péchés à la réconciliation finale : « évêque, impose les mains sur ce fidèle qui a été purifié par la pénitence pendant que toute la communauté prie pour lui, et tu le rétabliras dans les antiques pâturages, et cette imposition des mains sera pour lui comme un [second] baptême ; car, disent les apôtres, c’est par l’imposition de nos mains que le Saint-Esprit était donné aux croyants. » Interrogé (en 405) par Exupère de Toulouse, lequel ne savait comment agir à l’égard des « pécheurs qui, au seuil de la mort, demandaient à la fois la pénitence et la réconciliation », le pape Innocent I er indique deux régimes différents, l’un plus sévère, l’autre plus doux. « L’ancienne coutume, dit-il, voulait qu’on leur accordât la pénitence, mais qu’on leur refusât la communion. » C’était une « rémission », mais non une rémission totale des péchés. Le pape appelle cette concession remissio durior. Cette absolution était valable à cause du danger de mort. Un peu plus tard, le pape Célestin I er († 43 w 2), s’adressant aux évêques des provinces de Vienne et de Narbonne, blâme les prêtres et les évêques « qui refusent la pénitence aux moribonds », et il les accuse d’être « les meurtriers des âmes ». Quid hoc ergo aliud est quant morienti mortem addere, ejusque animant sua crudelilate, ne absolvi possit, occidere… Salutem ergo homini adim.it quisquis mortis tempore pelenli pœnitentiam denegarit. P. L., t. lvi, col. 576. 11 n’est pas question dans ce texte de la réconciliation proprement dite ; l’auteur ne parle que de l’admission à la pénitence, et cependant il semble que l’absolution y soit attachée, ne absolvi possit. Saint Léon, dans l’un des textes que nous avons cités, distingue pareillement entre l’admission à la pénitence et la réconciliation finale : Mediator Dei et hominum… liane præpustlts Ecclesise tradidit potestatem ut et con/itentibus aclionem psenitentiæ darent et eos salubri satisfactione purgatos ad commuuionem sacramentorum per januamreconcxlationisadntitterent. Epist., ciii, adTheodor. , P. L., t. liv, col. 1011. De tous ces documents il semble résulter que la pénitence canonique ou ecclésiastique ne comprenait pas régulièrement une double absolution l’une au début, l’autre à la fin des exercices pénitenliels. Le Sacramentaire gélasien, qui représente sur ce point l’usage romain du temps d’Innocent I", indique bien une prière que le prêtre prononce sur le pénitent le mercredi des cendres, et une autre que le pontife récite le jeudi saint pour réconcilier le pénitent : Suscipis eum IV fcria mane in capite Quadragesimse et cooperis eum cilicio, oras pro eo… In cœna Dominii… dat oralionem pontifex super eum ad reconciliandum. Sacram. Gelasian., i, p. 16, P. L., t. lxxiv, col.. 1064. Le texte que nous avons cité du pape Innocent montre bien que le régime du prêtre pénitencier était, de son temps, en vigueur à Rome, et que la réconciliaiion des pénitents avait lieu le jeudi saint. Or, d’après ce régime, le pécheur n’était pas absous avant d’être admis à la pénitence par le prêtre pénitencier. L’absolution était au terme de la pénitence. Le pénitent, après avoir accompli les œuvres satisfactoires qui lui étaient imposées, « était absous de ses péchés » et réconcilié avec l’Église ; et cette absolution était l’œuvre de l’évêque. En cas de nécessité, en danger de mort par exemple, l’évêque donnait l’absolution ou imposait la pénitence. Si le pénitent survivait, il devait, bien qu’absous, se soumettre à la pénitence publique, à la fin de laquelle il y avait une seconde réconciliation ou absolution.

Forme ou formule de l’absolution.

Saint Léon désigne l’absolution sous le nom de « supplication sacerdotale ». Multum utile ac necessarium est ut peccatorum reatus ante ultimum diem sacerdotali supplicatione solvatur. Et la preuve qu’il s’agit ici d’une absolution réelle et non d’une simple prière d’intercession, c’est que sans elle, nous dit le même Père, le pardon de Dieu ne saurait être obtenu, ut indulgentia nisi supplicationibtts sacerdotum nequeat obtineri. Afin qu’on ne puisse se méprendre sur sa pensée, saint Léon prend soin de rappeler à ce propos le pouvoir des clefs que le Sauveur a donné à ses apôtres et à leurs successeurs : hanc præpositis Ecclesiæ tradidit potestatem. Epist. ad Theodor., loc. cit. La prière récitée par l’évêque ou le prêtre sur le pénitent était multiple, nous l’avons vu. Une première absolution accompagnait l’imposition de la pénitence. Pendant le cours des exercices pénitentiels l’évêque imposait, en priant, la main sur les pénitents. Et enfin une dernière prière épiscopale, accompagnée de l’imposition des mains, opérait la réconciliation finale. De toutes ces oraisons la première et la dernière étaient les plus importantes. Le Sacramentaire gélasien nous a conservé la formule employée par l’évêque le jeudi saint, jour de la réconciliation solennelle des pénitents : « Assiste, Seigneur, à nos supplications et dans ta clémence exauce-moi, moi qui tout le premier ai besoin de ta miséricorde. Bien que ce ne soit pas par le choix de mes mérites, mais par le don de ta grâce que tu m’as établi le ministre de cette œuvre de [réconciliation], donne-moi l’assurance de remplir ton mandat et opère toi-même par mon ministère ton œuvre de piété… Seigneur Dieu, qui as racheté l’homme déchu dans le sang de ton Fils unique, vivifie ce [pénitent] ton serviteur dont tu ne désires nullement la mort… Guéris ses blessures… de peur qu’une seconde mort ne saisisse celui qui a reçu une seconde naissance dans le bain salutaire… Épargne celui qui confesse [ses péchés] afin que, grâce à ta miséricorde, il n’encoure pas les peines qui le menacent et la sentence du jugement futur, » etc. P. L., t. lxxiv, col. 1096. Nous ne possédons malheureusement pas la formule employée par le prêtre pénitencier lorsqu’il absolvait le pécheur et l’admettait au rang des pénitents. Nous ne pouvons tirer argument, pour le VIe siècle, du formulaire attribué à Jean le Jeûneur. Ce Pénitentiel, n’est pas antérieur au xie siècle, étant l’œuvre d’un moine, nommé Jean le Jeûneur. K. Holl, Enthusiasmus und Bussgeivalt beim griechischen Monchtum, 1898, p. 289 sq. L’oraison employée par l’évêque pour la réconciliation du pénitent, oratio ad solvendum confit entem postquam pœnitentiæ tempus complevit, est ainsi conçue : « Seigneur notre Dieu qui êtes apparu à vos disciples, les portes closes, et leur avez dit en leur donnant la paix : Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, etc. Vous-même, Seigneur, selon l’invisible et toute-puissante providence avec laquelle vous administrez toutes choses, jetez un regard sur votre serviteur ici présent, et par ma bouche, bien que je sois un pécheur, effacez les taches de son corps et les souillures dont le péché a couvert son âme, et que celui qui est lié par le canon soit délié du canon et délié du péché qui l’enchaîne, par votre grâce et votre miséricorde, » etc. Morin, op. cit., Appendix, p. 94. L’oraison que récitait le confesseur sur le pénitent, quand il recevait son aveu, était moins longue, mais exprimait la même pensée : Deus tibi indulgeat, etc. La confession achevée, le confesseur disait : « Que notre Seigneur et Maître Jésus-Christ Dieu te pardonne les péchés que tu as confessés en sa présence à ma nullité. » Suit, dans le Pénitentiel, une série d’autres formules d’absolution absolument équivalentes. Morin, loc. cit., Appendix, p. 80. On remarquera que toutes ces formules, aussi bien celles de l’Église grecque que celles du Sacramentaire gélasien, sont déprécatives et non indicatives. Nous ferons pareillement observer que l’oraison de la réconciliation était ordinairement accompagnée de l’imposition des mains, ou de la main, manuum ou manus impositione. Ce rite est signalé par saint Augustin, De baptismo, l. III, c. xvi, P. L., t. xliii, col. 149 ; par le concile de Carthage de 398, can. 76 et 80, Hardouin, Concil., t. I, col. 983, par les Constitutions apostoliques, l. II, c. xxxviii, loc. cit. ; par saint Léon le Grand dans son épitre â Rusticus de Narbonne, P. L., t. liv, col. 1203. Saint Augustin déclare que cette imposition des mains n’est autre chose que la prière de l’évêque sur le pénitent : Manuum imposilio, quid aliud est nisi oratio super hominem. On s’est demandé si ce rite accompagnait également l’absolution du prêtre pénitencier au moment où il imposait la pénitence. Aucun texte ne le donne à entendre. Il semble que la première imposition des mains avait lieu, lorsque le pécheur prenait place parmi les pénitents. C’est ainsi qu’il faut entendre la phrase de saint Léon : per manus impositionem remedium acçipiunt psenitendi. Voir Imposition des MAINS.

Efficacité de l’absolution.

Selon le sentiment des Pères, l’absolution sacerdotale remettait les péchés, effaçait les péchés, à la condition, bien entendu, que le pénitent y apportât toutes les dispositions et conditions requises (dont il sera parlé ailleurs). Qu’on relise notamment les textes de saint Cyprien, de saint Ambroise, de saint Hilaire, de saint Jean Chrysostome, de saint Grégoire le Grand, et l’on verra que la sentence sacerdotale est toujours considérée comme ratifiée par Dieu dans le ciel. Cela devient plus manifeste encore si l’on observe la doctrine des hérétiques sur cette question. Origène estime que les prêtres outrepassent leur pouvoir quand ils prétendent remettre les péchés d’idolâtrie et d’adultère, dont le pardon est réservé à Dieu seul. C’est donc qu’il reconnaissait aux prêtres le pouvoir de remettre tous les péchés, à l’exception de ceux-là. Même raisonnement pour Tertullien : Dieu seul, dit-il, peut remettre les péchés d’idolâtrie, d’adultère et d’homicide. Et les autres péchés ? qui les remettra’? L’Église, dit-il, voire même l’évêque. Tertullien ne se dissimule pas que les catholiques, notamment le pape Calliste, ne reconnaissent pas de péchés irrémissibles. « Ils prétendent (les catholiques) posséder le pouvoir de remettre les péchés. In sua. potestate usurpaverunt. » De pudicitia, c. iii, P. L., t. il, col. 986. Et quelle est l’objection des novatiens ? « Vous usurpez un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu ! » Parleraient-ils de la sorte si l’absolution n’était qu’un simple ministère extérieur sans efficacité réelle aux yeux des catholiques ? « Vous nous objectez, écrit Pacien, que Dieu seul peut remettre les péchés. Mais ce que Dieu fait par ses prêtres, c’est encore lui qui le fait. » Les hérétiques des premiers siècles sont ainsi de précieux témoins de la doctrine de l’Église. — La comparaison que les Pères établissent habituellement entre le baptême et la pénitence montre bien qu’ils attachaient, à l’une comme à l’autre, l’idée d’une véritable rémission des péchés. Voir plus haut les textes d’Hermas, de saint Éphrem, de saint Athanase, de saint Léon, de saint Cyrille d’Alexandrie. Rappelons que Tertullien appelait la pénitence secundo, spes, par opposition au baptême qui était prima spes des hommes pécheurs. De psenitentia, c. vil, loc. cit. Saint Jérôme écrit que les coupables « sont rachetés par le sang du Sauveur ou dans le baptême ou dans la pénitence qui produit la grâce comme le baptême », aut in psenitentia quæ imitatur baptismatis gratiam per ineffabilem clementiam Salvatoris qui non vult perire quemquam. Dialog. contra Pelag., l. I, n. 83, P. L., t. xxiii, col. 527. Il faut rapprocher ce texte de la lettre à Iléliodore que nous avons citée plus haut et qui marque quel est le ministre de la pénitence. « Si l’homicide, dit pareillement saint Augustin, est commis par un catéchumène, il est effacé par le baptême ; s’il est commis par un baptisé, il est remis par la pénitence et la réconciliation. » De adulter. conjugiis, l. II, c. xvi, P. L., t. xl, col. 482. Terminons par une citation de saint Ambroise : « Dans le baptême, il y a rémission de tous les péchés ; que les prêtres revendiquent le droit qui leur a été accordé de remettre les péchés soit par la pénitence, soit par le baptême, quelle différence y faites-vous ? C’est dans les deux cas un seul mystère. » In baptismo utique remissio peccatorum omnium est ; quid interest, utrum per psenitentiam, an per lavacrum, hoc jus sibi daluni sacerdotes vindicent ? De peenitent., l. I, c. viii, n. 36, P. L., t. xvi, col. 476. Ou il faut nier que le baptême ait eu la vertu d’effacer les péchés, ou il faut admettre que la pénitence, ou pour mieux dire l’absolution sacerdotale, possédait la même vertu. C’était du moins le sentiment des Pères. Et je l’ajoute par manière de conclusion, si le baptême était un sacrement, la pénitence l’était pareillement. — Mais on peut se demander (et c’est là une question, d’ailleurs purement spéculative, d’une extrême gravité) à quelle absolution était attachée l’efficacité que nous pouvons appeler sacramentelle, c’est-à-dire la rémission réelle du péché, du reatus culpse. Si l’on presse le langage de certains Pères, il semble que la rémission du péché était subordonnée à la réconciliation qui marquait le terme de la pénitence, et dépendait par conséquent de l’absolution finale. D’autre part, on voit que la réconciliation pouvait être opérée, à Carthage, par un simple diacre, même avec le rite de l’imposition des mains. Nous apprenons, en outre, par Denys d’Alexandrie qu’un pénitent (exemple Sérapion), en cas d’extrême nécessité, pouvait recevoir l’eucharistie sans réconciliation aucune. De ces deux faits ne pourrait-on pas conclure que l’absoltition finale n’avait pas pour effet direct et principal d’effacer le reatus culpse ? En ce cas, il faudrait reporter à la première absolution, à celle que donnait le prêtre pénitencier, en tout cas à celle qui précédait l’admission à la pénitence, l’efficacité sacramentelle. Nous nous trouvons ainsi en présence de deux hypothèses que Sozomône nous suggère dans un même chapitre, loc. cit., quand il dit que le prêtre pénitencier « absolvait ceux qui se confessaient », avant de les admettre au rang des pénitents, et qu’il ajoute qu’à Rome le pénitent « était absous de scs péchés » par la réconciliation épiscopalc du jeudi saint. Laquelle de ces deux absolutions remettait réellement les péchés ? Et si c’était la première, quelle était l’efficacité de la seconde ? A ces questions le P. Palmieri, le savant professeur du Collège Romain, répond de la manière suivante : La véritable absolution, rémissive des péchés, était celle qui suivait immédiatement l’aveu du coupable et accompagnait l’imposition de la pénitence ; la sentence de réconciliation qui marquait le terme de la pénitence publique était, en même temps que la réadmission du pénitent à la communion de l’Eglise au for extérieur, une absolution a reatu pointe, en d’autres termes, l’octroi d’une véritable indulgence. Sans doute l’une et l’autre absolution peut être dite absolutio a peccatis, mais la première seule était proprement une absolution a reatu culpse. On verra ailleurs ce que les théologiens entendent par la coulpe et la peine du péché. Inutile d’entrer ici en plus ample explication. Suivons seulement le raisonnement de Palmieri, l’absolution que l’évêque administrait au terme de la pénitence était une absolution ab aliquo vinculo coram Deo, puisque la formule dont il se servait était semblable à celle qu’employait le confesseur en absolvant le pécheur après avoir entendu sa confession. (Palmieri invoque ici les formulaires connus par le Pénitentiel de Jean le Jeûneur et les Pénitentiels latins les plus anciens.) Or on ne peut y voir une absolution a debito peragendse pmnitentim, une dispense des exercices pénitentiels, puisque, en général sinon dans tous les cas, la pénitence était pleinement accomplie. Ce n’était pas davantage une absolution a reatu cidpæ, car l’évêque qui l’administrait le jeudi saint n’avait pas reçu précédemment l’aveu des pénitents. A moins d’admettre que dans l’administration du sacrement de pénitence, un ministre recevait l’aveu des fautes, tandis qu’un autre en octroyait le pardon, on ne peut dire que cette absolution finale fût l’absolution rémissive de la coulpe. Qu’était-elle donc ? Simplement une absolution a pœna, communément appelée absolution des péchés, absolutio a peccatis, écrit Palmieri, De psenitentia, loc. cit., p. 509. Cette théorie explique, à coup sûr, la plupart des textes patristiques. Il reste à examiner pourquoi les Pères n’ont pas fait cette distinction entre l’absolution qui suivait la confession, et la réconciliation finale qui marquait le terme de la pénitence. Faut-il croire qu’il y avait à cet égard confusion dans leur esprit ? Reconnaissons que la théorie sacramentelle de la pénitence, telle que l’ont établie les scolastiques, ne fut pas familière aux docteurs de la primitive Église. Jamais il ne leur vint à l’esprit de décomposer ce sacrement en tous ses éléments. Voici, à mon sens, comment ils concevaient la pénitence : Pour qu’il y eût rémission totale des péchés commis après le baptême (j’entends par là la rémission de la peine, aussi bien que celle de la coulpe), il fallait que tous les exercices de la discipline pénitentielle, à savoir l’aveu de la faute, l’absolution du prêtre pénitencier, ou de l’évêque, l’admission à la pénitence, les œuvres satisfactoires, enfin la réconciliation fussent accomplis. A défaut de la réconciliation, la vertu rémissive de la pénitence n’était pas complète. Mais quelle était cette vertu ? Dans la pensée des premiers Pères, la pénitence n’est-elle pas considérée comme un second baptême, aussi efficace que le premier ? A ce compte, elle aurait remis non seulement la coulpe, mais encore la peine. Cette efficacité’doit être attribuée à tout l’ensemble des exercices pénitentiels que nous avons énumérés. Réunis, ils produisent l’effet total ; disjoints, ou seulement séparés de la réconciliation, qui en était le terme, ils ont une efficacité moindre. Quelle (’lait l’efficacité particulière de la réconciliation épiscopale, et quelle était l’efficacité soit des exercices pénitentiels en général, soit de l’absolution du prêtre pénitencier, en particulier, les Pères n’ont pas essayé’de le déterminer. Ils avaient l’habitude de considérer la pénitence dans l’ensemble des actes qui la composaient, pour en mesurer la valeur totale. Ils envisageaient surtout dans la pénitence le moyen offert aux pécheurs de rentrer dans la paix de l’Église en même temps que dans la paix de Dieu. Ils ont laissé aux théoriciens de l’avenir le soin d’attribuer à chacun des éléments qui entrent dans la constitution du sacrement sa vertu particulière.

Il n’est pas invraisemblable qu’à Constantinople le prêtre pénitencier ait « absous » les pécheurs aussitôt après avoir entendu leur confession : àniXvt, dit Sozomène. En ce cas, la réconciliation qui suivait la pénitence, ou l’admission à la communion n’eût été qu’une réconciliation au for extérieur, comme cela eut lieu plus tard dans l’Église latine pour la pénitence publique. Mais, en général, dans les premiers siècles, l’absolution proprement dite était celle que donnait l’évêque au pécheur qui avait accompli ses exercices pénitenciels. Le régime de Constantinople aurait été exceptionnel. Il faut donc écarter ; semble-t-il, la théorie d’une double absolution proprement dite, qui est exposée plus haut. La réconciliation finale, faite par l’évêque au jeudi saint, nonobstant les textes de quelques Pères qui lui attribuent une efficacité égale à celle de l’absolution du prêtre pénitencier, n’avait pas cette efficacité. C’est pourquoi elle pouvait être accomplie par un simple diacre.

Morin, Commentarius historicus de disciplina in administration sacramenti pxiiitentise, Anvers, 1682 ; Juenin, De sacramentis in génère et in specie, notamment De confessione, q. v, et De absolutione, q. VII, 3’édit., Lyon, 1711 ; Frank, Die Bussdisciplin von den Apostelzeiten bis zum siebenten Jahrhundert, Mayence, 1867 ; Funk. Bussdisciplin, dans Kirchenlexikon de Wetzer et Welle, Fribourg-en-Brisgau, 1883, t. il, col. 1561 sq. ; Wildt, Busse heisst das Sacrament, ibid., col. 1598 sq. ; Palmieri, Tractatus de pœnitentia, 2\{\{e\}\} édit., Prato, 1896 ; P. Batiitol, Les prêtres pénitenciers romains au vsiècle, àans Compte rendu du troisième Congrès scientifique international des catholiques, Bruxelles, 1895 ; Boudinhon, Sur l’histoire de la pénitence, à propos d’un ouv rage récent, dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, - 1. II, p. 306 sq., 496 sq. ; Vacandard, Le pouvoir des clefs et la confession sacramentelle, dans la Revue du clergé français, 1898 et 1899.

E. Vacandard.