Dictionnaire de théologie catholique/APOCALYPSE (Livre de l')

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 750-758).

I. APOCALYPSE (Livre de I’). Ἀποκάλυψις Ἰωάννου, Apocalypsis sancti Joannis, dernier livre canonique de la Bible et le seul livre prophétique du Nouveau Testament. A raison de l’obscurité de son contenu, cette révélation a donné lieu, de nos jours, à d’ardentes controverses au sujet de son autorité canonique, de son authenticité et de la date de sa rédaction, et de tout temps elle a été interprétée dans des sens bien différents. Nous traiterons successivement et brièvement :
I. de sa canonicité ;
II. de son authenticité ;
III. du lieu et de la date de sa composition ;
IV. du texte et des versions ;
V. de l’histoire de son interprétation ;
VI. des principaux enseignements doctrinaux qu’on y rencontre.

I. Canonicité.

1. Témoignages du iie siècle en sa faveur.

C’est dans l’Asie Mineure, la pairie de l’Apocalypse, que nous trouvons les premiers renseignements relatifs à son existence et à sa réception dans l’Église comme livre canonique. Saint Ignace d’Antioche, Ad Ephes., xv, 3, Funk, Opera Patruni apostolicorum, Tubingue, 1887, t. i, p. 184, fait allusion à Apoc, xxi, 3. Saint Papias, disciple de saint Jean, attestait, au rapport d’André de Césarée, In Apoc. comment., P. G., t. cvi, col. 220, aussi bien que saint Irénée, saint Méthode et saint Hippolyte, la crédibilité, τὸ ἀξιόπιστον, c’est-à-dire l’autorité divine de ce livre. L’évêque de Césarée cite aussi, col. 325, deux observations de Papias sur Apoc., xii, 7. Saint Irénée, Cont. hær., v, 30, n. 1, P. G., t. vii, col. 1203, a appris des vieillards qui avaient vu saint Jean la signification du chiffre de la Bête. En dehors de l’Asie Mineure on n’a relevé que des rapprochements peu concluants entre l’Épître de Barnabe, xxi, 3, et Apoc, i, 33 ; xix, 11, et Apoc, xxii, 18, 19. Funk, Op. Pat. apost., t. i, p. 54, 56. L’auteur du Pasteur d’Hermas ne se sert pas de l’Apocalypse, qui peut-être n’était pas encore connue de son temps à Borne. Saint Justin, Dial. cum Tryphone, 81, P. G., t. vi, col. 670, cite expressément l’Apocalypse et il l’emploie avec les prophéties de l’Ancien Testament pour prouver le règne du Christ à Jérusalem pendant mille ans. Il la regarde donc comme un document de la révélation, comme la prophétie chrétienne correspondant aux prophéties de l’ancienne alliance. Durant la seconde moitié du iie siècle, les documents abondent en faveur de la canonicité de l’Apocalypse, et aucun autre livre du Nouveau Testament n’est attesté par d’aussi nombreux témoignages. Dans sa patrie, l’Asie Mineure, nous la voyons aux mains des montanistes. Saint Méliton de Sardes a composé un traité Περὶ τοῦ διαβόλου καὶ τῆς ἀποκαλύψεως Ἰωάννου, Eusèbe, H. E., iv, 26, P. G., t. xx. col. 392, qui est perdu. Pour réfuter les montanistes, Apollonius se servait de témoignages empruntés à l’Apocalypse de Jean. Eusèbe, H. E., v, 18, col. 480. Saint Théophile d’Antioche agissait de même dans son traité contre Hermogène. Eusèbe, H. E., iv, 24, col. 389. Saint Irénée cite souvent l’Apocalypse, par exemple, Cont. hæres., iv, 20 ; v, 26, P. G., t. vii, col. 1040, 1192, et il ne laisse pas supposer la moindre opposition contre elle. Ce saint évêque ayant passé de l’Asie Mineure en Gaule, il n’est pas étonnant que la lettre des églises de Lyon et de Vienne aux communautés d’Asie Mineure cite Apoc, xiv, 4 ; xxii, 11 ; Eusèbe, H. E., v, 1, P. G., t. xx, col. 413, 432, ce dernier passage comme Écriture. A la fin du second siècle, Tertullien, avant d’être devenu montaniste, connaît l’Apocalypse et l’admet comme prophétie. Il ne lui sait d’autre adversaire que l’hérétique Marcion. En Egypte, Clément d’Alexandrie suit la tradition ecclésiastique et cite l’Apocalypse, par exemple Pœdag., ii, 10, P. G., t. viii, col. 525. Son disciple, Origène, agit de même. Les valentiniens, Irénée, Cont. hser., i, 15, P. G., t. vii, col. 616 ; Philosnplnimena, vi, 49, P. G., t. xvi c, col. 3278, admettaient l’Apocalypse.

2. Doutes en Orient.

Toutefois, c’est dans l’histoire des hérésies du iie siècle qu’il faut chercher les raisons des doutes et des attaques dont l’Apocalypse a été l’objet. Par réaction contre les montanistes qui appuyaient leurs rêveries millénaristes sur l’Apocalypse, les aloges mirent en doute la valeur prophétique de ce livre. Ils ne se donnaient pas comme les représentants de la tradition ecclésiastique, ils n’invoquaient pas d’arguments dogmatiques, mais exclusivement des raisons de pure critique. Voir plus haut col. 898-899. Leur opposition contre l’Apocalypse ne provient que d’un zèle mal éclairé et se trouve en contradiction avec la tradition antécédente de l’Église entière. Elle fut reprise à Borne par le prêtre Caïus. Adversaire décidé du montaniste Proclus, tout en ne partageant pas les erreurs des aloges, Caïus emprunta à ces derniers des arguments contre l’Apocalypse. Lui non plus ne s’appuie pas sur une tradition contraire à la canonicité du livre, il no fait valoir que des convenances théologiques. Voir col. 900. Mais il fut réfuté par saint Hippolyte, Capita adversus Caium, publiés par Gwynn, Hermathena, t. vi, p. 397-418, et traduits en allemand par Harnack, Die Gwynn’schen Cajus-und Hippolytus Fragmente, dans Texte und Untersuchungen, t. vi, 3e fasc., Leipzig, 1890, p. 121-133, et par Zahn, Geschichte der Neutestamentlichen Kanons, t. ii, 2, Erlangen, 1892, p. 973-991. L’Église romaine resta fidèle à la tradition ecclésiastique et continua à recevoir l’Apocalypse de saint Jean, malgré les raisons de Caïus. Faisant sans doute allusion à cette discussion, l’auteur du canon de Muratori, qui reproduit la foi de l’Église de Rome, dit : « Nous recevons aussi l’Apocalypse de Jean… bien que quelques-uns des nôtres ne veuillent pas qu’elle soit lue dans l’église. » E. Preuschen, Analecta, Fribourg-en-Brisgau et Leipzig, 1893, p. 133-134. Saint Denys d’Alexandrie, par opposition contre le millénarisme de Népos, reprit l’opinion de Caïus sur l’origine de l’Apocalypse, mais il ne rejeta pas cette prophétie hors du canon. « J’admets, dit-il, que l’écrit est d’un auteur saint et inspiré. » Il n’osait pas repousser tout à fait un livre que beaucoup de chrétiens estimaient grandement. Bien qu’il n’en comprit pas le sens, il en admirait la profondeur et il se fiait plus à la foi de l’Église qu’à son propre jugement. Eusèbe, H. E., vii, 25, P. G., t. xx, col. 697. L’Église d’Alexandrie a toujours conservé l’Apocalypse dans son recueil des Écritures, témoins saint Athanase, Didyme et saint Cyrille d’Alexandrie. Ce livre prophétique néanmoins, par suite des attaques dont il avait été l’objet, tomba dans le discrédit en Orient au cours des siècles suivants. Saint Méthode, évêque de Tyr, affirme, il est vrai, l’inspiration de saint Jean et cite plusieurs fois l’Apocalypse comme Écriture sainte, Convivium decem virginum, i, 5 ; iii, 3 ; v, 8 ; vi, 5 ; viii, 4, P. G., t. xviii, col. 45, 64, 112, 121, 144, 145 ; De resurrectione, 13, ibid., col. 284, et Pamphile, Apologia pro Origene, P. G., t. xvii, col. 596, agit de même. Mais Eusèbe de Césarée, H. E., iii, 25, P. G., t. xx, col. 268, 269, relate les doutes soulevés sur sa canonicité. Il reconnaît qu’on peut la placer, si l’on veut, au nombre des homologoumènes, des livres généralement reçus dans l’Église, ou bien parmi les antilégomènes du second degré, qu’il appelle νόθα, « bâtards, » apocryphes. Les anciens, selon lui, sont partagés de sentiment à son sujet, les uns la plaçant avec les ouvrages acceptés de tous, les autres la mettant hors du canon. Il cite cependant, Demonst. ev., viii, 2, P. G., t. xxii, col. 605, l’Apocalypse comme un livre saint. Qu’en conclure ? Ou bien que dans son Histoire il mentionne simplement le conflit, ou bien que, s’il doutait lui-même de l’autorité divine de l’Apocalypse, il a été inconséquent en la citant comme divine. Saint Cyrille de Jérusalem, Catech., iv, 36, P. G., t. xxxiii, col. 500, ne la mentionne pas dans son canon des Livres saints ; il semble même, Catech., xv, 16, ibid., col. 892, la ranger parmi les apocryphes, en disant que l’Antéchrist régnera trois ans et demi, non d’après les apocryphes, mais d’après Daniel. Il en fait cependant usage. Catech., x, 3, col. 664. De même, Saint Grégoire de Nazianze, Carm., i, 1, 12, P. G., t. xxxvii, col. 474, omet l’Apocalypse, qu’il cite ailleurs, Orat., xxix, 17, P. G., t. xxxvi, col. 96 ; Orat., xlii, 9, ibid., col. 469, ainsi que saint Basile, Adv. Eunom., ii, 14, P. G., t. xxix, col. 600 ; saint Grégoire de Nysse, Adv. Eunom., ii, P. G., t. xlv, col. 501 ; Adv. Apoll., 37, ibid., col. 1208. Toutefois, ce dernier, Orat. in ordin. suam, t. xlvi, col. 549, reproduit Apoc. iii, 5, comme étant ἐν ἀποκρυφοίς. L’Apocalypse n’est pas citée dans la liste des livres du Nouveau Testament du canon 60e de Laodicée, Mansi, Concil., t. ii, col. 574, du 85e des canons apostoliques, P. G., t. cxxxvii, col. 212. Saint Amphiloque, Iambi ad Seleucum, P. G., t. xxxvii, col. 1597-1598, dit que l’Apocalypse est acceptée par quelques-uns, mais jugée apocryphe par le plus grand nombre. Saint Chrysostome ne cite jamais l’Apocalypse et la Synopsis Scripturæ, qui lui est attribuée, n’en parle pas. Théodore de Mopsueste et Théodoret ne s’en servent pas. L’Église syrienne a subi l’influence des Grecs. Bien que saint Éphrem ait souvent cité l’Apocalypse, ce livre ne se trouvait ni dans la Peschito ni dans la recension de la version philoxénienne faite par Thomas de Harkel. Ce ne fut qu’après le viie siècle que les Syriens eurent dans leur langue une traduction de l’Apocalypse. Cosmas Indicopleustes, Topog. christ., 12, P. G., t. lxxxviii, col. 373, ne connaît pas l’Apocalypse.

3. La canonicité admise en Occident.

Tandis que les doutes sur la canonicité de l’Apocalypse se perpétuaient en Orient, l’Occident continuait à maintenir ce livre dans le recueil des livres inspirés. Les attaques de Caïus ne trouvèrent pas d’écho. Les écrivains latins citent tous l’Apocalypse. Quelques-uns cependant connaissent le sentiment défavorable des Églises orientales. Saint Philastre, Hæres., 88, P. L., t. xii, col. 1199, subit l’influence de l’Orient et ne compte pas l’Apocalypse au nombre des livres canoniques. Il parle des aloges qui repoussent l’Apocalypse. Hæres., 60, ibid., col. 1174. Rufin, Exposit. symboli, 37, P. L., t. xxi, col. 374, saint Jérôme, Epist., liii, ad Paulin., P. L., t. xxii, col. 513, inscrivent l’Apocalypse au canon des Écritures. Ce dernier docteur n’ignore pas l’opinion des Églises grecques, mais il suit les anciens écrivains qui sont favorables à l’Apocalypse. Epist., cxxix, ad Dardan., P. L., t. xxii, col. 1103. Saint Augustin, De doct. christ., ii, n. 13, P. L., t. xxxiv, col. 41, les conciles africains tenus à Carthage en 393, 397 et 419, Mansi, Concil., t. iii, col. 924 ; t. iv, col. 430 ; le pape Innocent Ier, dans sa lettre à Exupère, évêque de Toulouse, Mansi, t. iii, col. 1041 ; le décret de Gélase, Labbe, Concil., t. iv, col. 1261, inscrivent l’Apocalypse au canon biblique. Junilius, Instit. reg. divinæ iegis, P. L., t. lxviii, col. 18, 20, connaît les doutes qui existent en Orient au sujet de l’Apocalypse, mais à cause de la foi des Occidentaux, il en fait un livre d’autorité moyenne, c’est-à-dire un livre accepté par un grand nombre de personnes. Ces doutes avaient séduit quelques esprits en Espagne au commencement du viie siècle ; c’est pourquoi le quatrième concile de Tolède, tenu en 633, sous la présidence de saint Isidore de Séville, s’appuyant sur l’autorité des conciles antérieurs et des décrets des pontifes romains, qui ordonnent de recevoir l’Apocalypse parmi les livres divins, excommuniait ceux qui, désormais, ne la recevraient pas. Mansi, Conc., t. x, col. 624.

4. La canonicité admise aussi en Orient. Décret du concile de Florence.

L’Église grecque finit par admettre l’Apocalypse au nombre des livres inspirés. Léonce de Byzance, De sectis, P. G., t. lxxxvi, col. 1204, saint Jean Damascène, De orthodoxa fide, iv, 17, P. G., t. xciv, col. 1180, la citent. Le concile in Trullo mentionnait la diversité des sentiments. Mansi, Concil., t. xi, col. 939. Au ixe siècle, le patriarche Nicéphore, Chronographia, P. G., t. c, col. 1056, rangeait encore l’Apocalypse parmi les antilégomènes. Photius reproduit les décrets divergents de Laodicée et de Carthage. Les canonistes grecs du xiie siècle commentent la décision du concile in Trullo, et justifient l’admission de l’Apocalypse. In canones comment., P. G., t. cxxxvii, col. 213-218. Au xive siècle, Nicéphore Calliste, H. E., ii, 45, P. G., t. cxlv, col. 885, met l’Apocalypse au nombre des livres acceptés depuis longtemps dans les Églises, sans la moindre contestation. Aussi, Eugène IV, au concile de Florence, en 1441, dans son décret d’union pour les jacobites, inscrivait-il avec raison l’Apocalypse dans la liste des Livres saints que les monophysites devaient recevoir. Denzinger, Enchiridion, 5e édit., Wurzbourg, 1874, n. 600, p. 178.

5. Sentiments des protestants. Définition des conciles de Trente et du Vatican.

— Luther, dans la préface de 1522 à sa traduction allemande de l’Apocalypse, déclare que ce n’est ni un livre apostolique, ni un livre prophétique ; il ne peut trouver qu’il ait été inspiré parle Saint-Esprit. Beaucoup de Pères l’ont autrefois rejeté. Mais cette préface, retranchée de l’édition de 1530, fut remplacée, en 1534, par une autre plus modérée et plus favorable à l’Apocalypse. Cf. S. Berger, La Bible au xvie siècle, Paris, 1879, p. 106-107. Zwingle ne pouvait voir dans l’Apocalypse un livre biblique. Dans son Institution, Calvin la cite comme Écriture. En 1546, le concile de Trente, sess. IV, De canonicis Script., définit que l’Apocalypse est un livre canonique. Les luthériens conservèrent longtemps encore les sentiments de leur chef. A partir de la seconde moitié du xviiie siècle, beaucoup de protestants ayant versé dans le rationalisme, nièrent l’inspiration de l’Apocalypse, que le concile du Vatican, en 1870, a de nouveau définie avec celle de tous les livres de la Bible.

Pour plus de détails, consulter les histoires du canon du Nouveau Testament, en particulier, Zahn, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, Erlangen, t. i, 1er  fasc, 1888, p. 220-262 ; t. i, 2e fasc., 1889, p. 560-562, 950-957 ; t. ii, 2e fasc., 1892, p. 967-973, 1021-1022, et W. Bousset, Die Offenbarung Johannis, Gœttingue, 1896, p. 11-33.

II. Authenticité.

Tous les critiques conviennent unanimement qu’à partir de la fin du iie siècle, la tradition ecclésiastique enseigne généralement que l’Apocalypse est l’œuvre de l’apôtre saint Jean. Il suffit de rappeler les témoignages de Tertullien, Adv. Marcion., iv, 5, P. L., t. ii, col. 306 ; d’Origène, dans Eusèbe, H. E., vi, 25, P. G., t. xx, col. 584 ; de saint Pamphile, Apologia pro Origene, P. G., t. xvii, col. 596 ; de Méthode de Tyr, Convivium, i, 5 ; viii, 4, P. G., t. xviii, col. 45, 144 ; de saint Athanase, Epist. ad Amunem monach., P. G., t. xxvi, col. 1177 ; de saint Cyrille d’Alexandrie, De adorat. in spiritu, vi, P. G., t. lxviii, col. 433 ; de saint Cyprien, Test., i, 20, P. L., t. iv, col. 689 ; de Rufin, Exposit. symbol., 37, P. L., t. xxi, col. 374 ; de saint Augustin, De doct. christ., ii, 12, P. L., t. xxxiv, col. 40, etc. Mais les rationalistes modernes attaquent le point de départ de cette tradition et prétendent qu’elle est le résultat d’une confusion entre l’apôtre Jean et le prêtre Jean, son contemporain, qui vivait à Éphèse. Longtemps, ils ont soutenu que l’Apocalypse et le quatrième Évangile ne pouvaient provenir du même auteur. Par un curieux revirement d’idées, beaucoup admettent maintenant l’identité d’auteur de tous les écrits, attribués à l’apôtre saint Jean. La plus ancienne tradition proclame que tous sont sortis de la même plume, et il existe, notamment entre l’Apocalypse et le quatrième évangile, une ressemblance de doctrine et d’expressions caractéristiques, telles que les noms de Λόγος ; et et d’Agneau, donnés à Jésus-Christ, l’image commune de « la source d’eau vive », etc., qui confirme la thèse de l’identité de leur auteur. Mais cet auteur, au lieu d’être, comme on l’a cru depuis des siècles, l’apôtre saint Jean, serait le prêtre Jean, le disciple bien-aimé qui a séjourné à Éphèse. Cf. Harnack, Die Chronologie der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1897, t. i, p. 656-680 ; W. Bousset, Die Offenbarung Johannis, p. 33-51. Sans traiter à fond la question dite « johannine », nous résumerons, au moins, ce qui concerne spécialement l’Apocalypse.

L’auteur de l’Apocalypse se nomme lui-même au début et à la lin de son livre. Il s’appelle Jean et il écrit aux sept Églises d’Asie ; il a vu et entendu les révélations que lui a faites Jésus, dont il est le serviteur. Apoc., i, 4, 9-11 ; xxii, 8. Son nom suffit à recommander son œuvre. Lui-même jouit d’une autorité incontestable sur les Églises d’Asie ; il connaît l’état de ces communautés et il est supérieur à leurs évoques. S’il ne se dit pas apôtre, c’est que ses titres à l’apostolat étaient suffisamment connus, et la manière dont il parle du collège apostolique. Apoc., xviii, 20 ; xxi, 14, ne laisse pas supposer qu’il n’en faisait pas partie. Il se donne certainement comme prophète. Or, dans ces mêmes passages, il loue les prophètes autant que les apôtres de l’Agneau. Si, dans le milieu où il a vécu, il avait existé un autre Jean, il se serait désigné par des caractères plus distinctifs et il aurait évité toute confusion avec son homonyme. Il ne l’a pas fait, parce que, dans les Églises auxquelles il adresse sa prophétie, on ne connaissait qu’un seul Jean, l’apôtre qui avait été exilé à Patmos et qui vivait à Éphèse, celui que la tradition a présenté comme le maître de saint Polycarpe et de saint Papias. D’ailleurs, l’Apocalypse est d’un auteur chrétien, israélite de race et d’éducation religieuse, trahissant à chaque page son origine par les hébraïsmes de sa langue, proclamant l’abolition de la loi mosaïque, l’universalité du règne du Messie et flétrissant l’obstination aveugle de la nation juive : caractères qui correspondent bien à tout ce que nous savons sur l’évangéliste et apôtre saint Jean.

Plusieurs témoignages indépendants d’écrivains ayant vécu dans l’Asie Mineure attribuent, dès le second siècle, l’Apocalypse à l’apôtre Jean. Ainsi, saint Justin, qui est devenu chrétien à Éphèse vers l’an 130, attribue plus tard, Dialog. cum Tryph., 81, P. G., t. vi, col. 670, l’Apocalypse à Jean l’apôtre. Cf. Eusèbe, H. E., iv, 18, P. G., t. xx, col. 376. Il est l’écho de la tradition de l’Asie et il ne parle pas du prêtre Jean. Si l’on tient compte de son témoignage, il faut admettre que saint Jean est l’auteur de l’Apocalypse ou prétendre que le changement du prêtre Jean en apôtre est antérieur à l’an 150. Or la confusion des deux personnages opérée à Éphèse à cette époque est peu vraisemblable. Le témoignage de saint Justin est corroboré par celui de Polycrate, évêque d’Éphèse. Eusèbe, H. E., v, 24, P. G., t. xx. col. 493-496. Saint Méliton, évêque de Sardes, avait fait un commentaire sur l’Apocalypse de Jean. Eusèbe, H. E., iv. 26, P. G., t. xx, col. 392. Saint Irénée a été l’auditeur de saint Polycarpe, qui fut disciple immédiat de saint Jean. Or, il attribue l’Apocalypse à l’apôtre. Cont. hær., iv, 20, P. G., t. vii, col. 1040. Malgré les insinuations de Harnack, son témoignage sur ce point reste valable. Cf. Labourt, De la valeur du témoignage de S. Irénée dans la question johannine, dans la Revue biblique, t. vii, 1898, p. 59-73.

Ces asiates ne connaissent pas le prêtre Jean. L’existence de ce dernier ne repose que sur le fameux texte de saint Papias, qui est devenu obscur à force d’avoir été étudié. Eusèbe, H. E., iii, 39, P. G., t. xx, col. 296-297. Le nom de Jean revient deux fois dans cette citation, d’abord dans une liste d’apôtres dont Papias a connu l’enseignement par l’intermédiaire de leurs disciples immédiats, puis associé au nom d’Aristion avec le surnom πρεσβύτερος et la qualité de disciple. Papias parle d’Aristion et du prêtre Jean comme étant ses contemporains. Eusèbe affirme que Papias les a connus personnellement, y a-t-il là deux catégories distinctes de personnages ? Beaucoup de critiques l’admettent. D’autres pensent que Jean, nommé deux fois, est l’apôtre dont Papias aurait été le disciple immédiat, d’après saint Irénée. Cont. hær., v, 33, P. G., t. vii, col. 1214. Eusèbe distingue les deux Jean ; mais son interprétation du fragment de Papias est accompagnée d’hésitations et implique une contradiction mal dissimulée. Dans sa Chronique, P. G., t. xix, col. 551, il affirme avec saint Irénée que Papias fut le disciple de l’apôtre Jean. De plus, André de Césarée, Anastase le Sinaïte, Maxime le confesseur, et peut-être Georges Ilamartolos, qui ont eu en mains l’ouvrage de Papias, s’accordent à dire que Jean d’Ephèse fut l’apôtre Jean. L’existence du prêtre Jean demeure donc très problématique. On peut soutenir que ce personnage est un être fictif, qui doit son existence supposée aux attaques dont l’Apocalypse a été l’objet au ni’siècle. Du moins, si Papias atteste son existence, il ne lui attribue pas l’Apocalypse.

Les aloges, antimontanistes déclarés, rejetèrent l’Apocalypse parce qu’ils ne voulaient pas de prophétie dans l’Église. Pour des considérations subjectives et théologiques, ils n’admettaient pas son origine apostolique et prétendaient qu’elle ne pouvait être l’œuvre de l’apôtre saint Jean. Or, au lieu de l’attribuer au prêtre Jean comme ils auraient dû le faire, s’il y avait eu une tradition antécédente, ils la disaient l’œuvre de l’hérétique Cérinthe. S. Philastre, Hæres., lx, P. L., t. xii, col. 1 175. L’opinion de ces critiques peu sagaces manque de base historique ; elle suppose l’attribution générale de l’Apocalypse à l’apôtre et évangéliste saint Jean, puisqu’elle y contredit expressément. Le prêtre romain Caïus, dans son Dialogue contre le montaniste Proclus attribuait aussi l’Apocalypse à Cérinthe, Eusèbe, H. E., ni, 28, P. G., t. xx, col. 273, pour des raisons analogues à celles des aloges, dont il était tributaire. Par réaction anti-montaniste et anti-millénariste et sans appui sur une tradition’contraire à l’authenticité apostolique du livre, il s’écarta maladroitement du courant traditionnel. Lui non plus ne connaissait pas le prêtre Jean, distinct de l’apôtre.

Saint Denys d’Alexandrie apprit, par l’intermédiaire de Caïus, les objections des aloges contre l’Apocalypse et leur attribution de cet ouvrage à Cérinthe. Eusèbe, H. E., iii, 28, P. G., t. xx, col. 276. Sans partager leur erreur, il reprit, sous une forme adoucie, leurs attaques contre un livre qui lui semblait favoriser le millénarisme. Il ne contestait pas que l’auteur de l’Apocalypse se nommât Jean ; mais il n’aurait pas facilement accordé qu’il était l’apôtre de ce nom, le fils de Zébédée et le frère de Jacques, l’auteur du quatrième Évangile et de l’Épitre catholique. La différence de style, de plan et d’esprit de ces écrits était, à ses yeux, un indice de la diversité des auteurs. D’ailleurs, tandis que l’apôtre Jean n’a pas mis son nom en tête de son Évangile, l’auteur de l’Apocalypse se nomme. Saint Denys le croyait sur parole, mais il ne savait quel était ce Jean. Il ne se dit ni le disciple bien-aimé, ni le frère de Jacques, mais seulement le témoin de Jésus. « J’estime, ajoute l’évêque d’Alexandrie, que l’apôtre Jean a eu beaucoup d’homonymes. » Les Actes des apôtres nomment Jean Marc. Il ne paraît pas qu’il soit l’auteur de l’Apocalypse, car il n’est pas allé en Asie avec Paul et Barnabe. L’auteur de l’Apocalypse est un autre Jean, un de ceux qui ont vécu en Asie. Or, on dit qu’il a existé à Éphèse deux tombeaux, élevés à la mémoire d’un Jean. La diversité d’idées et de style, qu’on remarque entre l’Évangile ou l’Épître de l’apôtre Jean et l’Apocalypse, oblige à attribuer ce dernier ouvrage à une autre personne. Eusèbe, H. E., vii, 25, P. G., t. xx, col. 696-701. Saint Denys est amené à émettre cette hypothèse par opposition contre l’évêque égyptien Népos, qui trouvait dans l’Apocalypse l’idée du millénarisme. Eusèbe, H. E., vii, 24, ibid., col. 692-696. L’intérêt de la polémique le pousse à nier l’authenticité apostolique de ce livre. Pour ce faire, il n’invoque pas une tradition ecclésiastique antérieure ; c’est par des arguments critiques qu’il essaie de justifier sa supposition. Il ne connaît pas Jean l’ancien ou le prêtre. Il n’apporte en faveur de son sentiment qu’un on dit sur l’existence de deux monuments commémoratifs, auxquels, à Éphèse, le nom de Jean était rattaché. Argument peu solide, car saint Jérôme, De viris illustribus, 9, P. L., t. xxiil, col. 655, avoue que, de l’avis de quelques-uns, ces deux mausolées rappellent la mémoire du seul Jean l’évangéliste. Eusèbe, II. E., iii, 39, P. G., t. xx, col. 297, cherche enfin à donner une base historique à cette tradition orale des deux sépulcres. Il la rapproche des paroles de Papias, qui distinguent l’apôtre et le prêtre Jean, et il en conclut que si l’Apocalypse n’est pas de l’apôtre saint Jean, elle provient du prêtre Jean. La conclusion d’Eusèbe n’est que le résultat d’une interprétation personnelle, indécise et sujette à caution. Adversaire résolu des millénaristes, il voudrait attribuer l’Apocalypse à un Jean, distinct de l’apôtre ; il n’ose se prononcer catégoriquement, et il croit que Papias parle de deux Jean. Une opinion si hésitante et si faiblement fondée laisse très douteuse l’existence du personnage, nommé le prêtre Jean, et ne peut contre-balancer la tradition ecclésiastique qui, de tout temps, a tenu l’apôtre saint Jean pour l’auteur de l’Apocalypse.

Tiefenthal, Die Apokahjpse des hl. Johannes, Paderborn, 1892, p. 75-79 ; Trenkle, Einleitung in das N. T., Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 156-160 ; A. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore dissertatio, Louvain, 1899, passim, et La question johannine, dans la Bévue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1900, p. 201-211, 419-427 ; Zahn, Apostel und Apostelschùler in der Provinz Asiens, dans Forschungen zur GeschiclUe des neutestamentlichen Kaiwns und der nUkirchliclien Literatur, Leipzig, 1900, t. VI, p. 175-217 ; Swete, The Apocalypse of St. John, Londres, 1906.

III. Lieu et époque de la composition.

Saint Jean nous apprend qu’il a vu en esprit les choses qu’il rapporte, un jour de dimanche, lorsqu’il était dans l’île de Patmos. Apoc, I, 9, 10. Il y a tout lieu de penser qu’il a mis aussitôt par écrit ces visions, dans l’île même, voisine d’Éphèse et de ces Églises de l’Asie Mineure auxquelles l’apôtre adressait ses lettres. Le contenu du livre et ce fait que l’Apocalypse a été connue en Asie Mineure tout d’abord confirment le sentiment desanciens. La date a été rapportée par saint Irénée, Cont. hær., v, 30, n. 3, P. G., t. vii, col. 1207, à la fin du règne de Domitien. Saint Victorin de Petlau donne plusieurs fois la même indication dans ses Scholies sur Apoc, x, 11 ; xvii, 10, P. L., t. v, col. 333, 338. Eusèbe, H. E., iii, 18, P. G., t. xx, col. 252 ; Chron., ii, P. G., t. xix, col. 552, la répète après saint Irénée, ainsi que saint Jérôme, Cont. Jovin., I, 26, P. L., t. xxiii, col. 257 ; De viris illust., 9, ibid., col. 625 ; Chronic, P. L., t. xxvii, col. 602. Seul, saint Épiphane, Hier., li, n. 12, 33, P. G., t. xli, col. 909, 919, fait exception et affirme que saint Jean revint de Patmos sous le règne de Claude. Son autorité est trop faible pour contredire les affirmations opposées des autres Pères, plus rapprochés des événements et mieux renseignés. Mais les critiques rationalistes regardent l’exil de saint Jean à Patmos comme une légende, sans fondement historique. Corssen, Monarchianische Prologue zu den vier Evangelien, dans Texteund Untersuchungen, t. xv, fasc. 1, 1896, p. 79-80, 86-88. L’historien Hégésippe, dont Eusèbe, E. H., iii, 20, P. G., t. xx, col. 252 : 256, rapporte un fait relatif à cette persécution, n’en parle pas. Son silence ne contredit pas les autres documents. Or, ceux-ci, ajoutent les adversaires, sont en désaccord entre eux. Tertullien, De prxscript., 36, P. L., t. il, col. 49, ne nomme pas l’empereur qui a relégué saint Jean à Patmos et il ne dit pas, comme on le prétend, que ce fut Néron. Les autres s’accordent sur le temps et le lieu de cet exil. Pour des raisons intrinsèques, les rationalistes datent la composition de l’Apocalypse du règne de Néron. Renan, L’Antéchrist, Paris, 1873, p. xxi et 355, la fixe, à quelques jours près, à la fin de l’année 68. Le temple de Jérusalem était encore debout et le blocus de la capitale juive n’était pas encore commencé. Apoc, xi, 1, 2. Le sixième empereur romain, qui existe maintenant, Apoc, xvii, 10, est Néron, dont le nom a, d’ailleurs, la valeur du chiffre de la Bête. Apoc, xiii, 18. Ces raisons sont discutables et très sujettes à caution. Le temple dont parle saint Jean n’est plus le temple de Jérusalem, mais un temple idéal qui est l’Église ou la Jérusalem céleste. Le chiffre de la Bête reste une énigme malgré les nombreuses et diverses interprétations dont il a été l’objet. Les critiques plus récents, qui reconnaissent dans l’Apocalypse des documents différents, seraient portés à concilier les deux opinions. Un premier document, d’origine juive, aurait été composé en 68 ou C9, sous Néron ; un autre, d’origine chrétienne ou, au moins, la rédaction déiinitive de l’Apocalypse actuelle, devrait être rapportée à la fin du règne de Domitien, vers l’an 95. W. Bousset, Die Offenbarung Johannis, p. 161-163.

Batiflol, Anciennes littératures chrétiennes, la littérature grecque, Paris, 1897, p. 59-61 ; Trenkel, Einleitung in das N. T., Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 153-156 ; G. Desjardins, Authenticité et date des livres du N. T., Paris, 1900, p. 177-193.

IV. Texte et versions.

1. Texte.

Saint Jean a écrit l’Apocalypse en un grec incorrect et mêlé d’hébraïsmes, où les éléments du grec classique se rencontrent dans une part minime. D’un bout à l’autre de son livre, on constate les mêmes particularités de lexique, de morphologie et de syntaxe ; ce qui est une preuve de l’unité de composition. Voir Bousset, Die Offenbarung Johannis, Gœttingue, 1896, p. 183-205. Le style cependant, imité de celui des prophètes et rempli d’images grandioses, ne manque pas de cachet personnel et présente des ressemblances avec le style du quatrième Évangile. Voir Bousset, ibid., p. 206-208. Le texte original de l’Apocalypse ne s’est conservé que dans cinq manuscrits onciaux. Les principaux sont le Sinaiticus, l’Alexandrinus et l’Ephræmiticus du ve siècle. Dans les deux premiers, le texte est complet, le dernier a des lacunes. Le Porfirianus Chiovensis, du ixe siècle, est d’accord tantôt avec le Sinaiticus, tantôt et plus fréquemment avec l’Alexandrinus et l’Ephræmiticus. Le Vaticanus 2066, du viiie ou du xe siècle, ne contient que l’Apocalypse. Un phénomène frappant, c’est l’extraordinaire incertitude du texte : sur quatre cents versets environ, les cinq manuscrits onciaux contiennent 1 650 variantes. Les cursifs connus n’ont pas encore été tous collationnés. Le meilleur est celui qui est côté 95, du xie ou du xiie siècle. On trouve un texte assez pur dans 1, 7, 11, 12, 14, 28, 30, 36, 37, 38, 49, 79. Gregory, Prolegomena, Leipzig, 1884-1890, p. 435-437, 676-686.

2. Versions.

— L’ancienne version latine est représentée par les fragments du palimpseste de Fleury, viie siècle, et le commentaire de Primasius pour la recension africaine. S. Berger, Le palimpseste de Fleury, Paris, 1889, p. 15, 16, 21-26. Le Gigas Holmensis, du xiiie siècle, se rapproche de la Vulgate et semble présenter les caractères des textes italiens. Belsheim, Die Apostelgeschichte und Offenbarung Johannes in einer altlateinischen Ueberselzung aus dem Gigas librorum, Christiania, 1879. Les meilleurs manuscrits de la Vulgate, qui est la revision de saint Jérôme, sont l’Amiatinus, viiie siècle, le Demidovianus, xiie, le Fuldensis, vie, l’Harleianus, ixe, et le Toletanus, viiie. Les versions syriaque, arménienne et autres sont plus récentes et ont une moindre valeur critique.

Pour le classement des textes, voir B. Weiss, Die Johannes-Apocalypse, textkritische Untersuchungen und Textherstellung, dans Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1891, t. vii, 1 ; et W. Bousset, Textkritische Studien zur neuen Testament, dans Texte und Unters., Leipzig, 1894, t. XI, 4 ; Id., Die Offenbarung Johannis, p. 170-183.

V. Histoire de l’interprétation.

Saint Jean présente lui-même son livre comme une révélation qu’il a reçue, Apoc, i, 1, et comme une prophétie. Apoc, I, 3 ; xxii, 7, 18, 19. Or il est de la nature de toute prophétie d’être obscure et de ne devenir claire qu’après sa réalisation. L’obscurité est encore plus profonde quand l’annonce prophétique est enveloppée, comme elle l’est dans l’Apocalypse, d’images symboliques qui en voilent I nlijei plutôt qu’elles ne le révèlent. Elle n’a pourtant pas découragé les commentateurs qui, au cours des siècles chrétiens, ont cherché à déchiffrer l’Apocalypse il à en saisir le véritable sens. Leurs interprétations se sont diversifiées presque à l’infini, et il serait très long el peu intéressant d’essayer d’eu débrouiller l’écheveau. Nous nous bornerons à caractériser les principaux | systèmes en suivant, autant que possible, l’ordre chronologique.

1. Les plus anciens commentateurs grecs et latins de l’Apocalypse ont subi l’influence des idées eschatologiques et millénaristes qui avaient cours de leur temps. Saint Irénée n’a pas fait un commentaire de ce livre, comme l’a cru saint Jérôme, De viris illust., 9, P. L., t. xxiii, col. 655, mais dans son traité Contra hæreses, v, 28-36, P. G., t. vii, col. 1197-1224, il a exposé sur la fin des temps des idées empruntées en partie à l’Apocalypse. Dix rois régneront alors ; l’Antéchrist en tuera trois et dominera les sept autres. La seconde Bête, Apoc, xin, est ce faux prophète qui sera de la tribu de Dan. tribu qui, pour cette raison, n’est pas nommée. Apoc, vu, 5-7. Irénée explique le chiffre de la Bête et parait favorable à l’idée d’un règne de mille ans sur la terre. D’après la tradition de ses maîtres, il y aura alors une rénovation du monde qui précédera l’entrée des saints au ciel. Saint Hippolyte avait écrit un De Apocalypsi, mentionné par saint Jérôme, De viris illust., 61, P. L., t. xxiii, col. 707, mais qui est perdu. Dans ses autres ouvrages, il donne sur quelques parties de l’Apocalypse des explications qui se rapprochent de celles de saint Irénée, par exemple, sur le chiffre de la Bête. Il voit dans les deux témoins de Jésus-Christ, Apoc, xi, Élie et Hénoch ; il explique le commencement du chapitre xiii de l’empire romain ; enfin, il admet que les saints régneront mille ans avec le Christ sur la terre. Méthode d’Olympe, Convivium, I, 5 ; VI, 5 ; viii, 4-13, P. G., t. XVIII, col. 45, 121, 144-161, explique quelques chapitres de l’Apocalypse dans le sens spirituel. Saint Victorin de Pettau est le plus ancien écrivain ecclésiastique, dont le commentaire sur l’Apocalypse nous soit parvenu. Scholia in Apoc, P. L., t. v, col. 317-344. Il y expose la théorie de la récapitulation, que beaucoup de ses successeurs lui ont empruntée. Selon lui, l’Apocalypse n’annonce pas une série continue d’événements historiques ; mais le prophète, après avoir prédit certains faits, y revient dans une nouvelle vision pour compléter ses précédentes prédictions. Ainsi la vision des sept coupes répète la vision des sept trompettes qui concernait la fin des temps. Cependant il reconnaît encore Néron dans la Bête du chapitre xiii. Lactance, Institut, div., vii, 14-25, P. L., t. vi, col. 779-813, est encore millénariste et place l’Antéchrist à la fin des temps.

2. Un nouveau système d’interprétation, inauguré par le donatiste Ticonius, exerça une grande inlluence du ive siècle jusqu’au moyen âge. Le commentaire de Ticonius est perdu, mais il est suffisamment connu par les citations qu’en ont faites ses imitateurs. Sa méthode d’explication est, non plus littérale, mais alb-gorisante. Il abandonne le millénarisme et trouve dans l’Apocalypse l’annonce prophétique des destinées, des luttes, des souffrances et des espérances de sa secte. L’Antéchrist n’est plus à ses yeux une personnalité individuelle, c’est la collectivité des ennemis de l’Église. Ticonius recourt aussi à la théorie de la récapitulation. Sa méthode d’interprétation fut adoptée pendant longtemps par les commentateurs latins, qui appliquèrent à la véritable Église ce que Ticonius avait dit du donalisme. Saint Augustin, qui avait été d’abord millénariste, De civitate Dei, xx, 7, P. L., t. xli, col. 667, accepta les vues de Ticonius. Ibid., xx, 7-17, col. 666-683. Saint Jérôme, qui retoucha le commentaire de saint Victorin, suivit la même méthode et entendit l’Apocalypse au sens spirituel. In haiam, xviii, proœm., P. L., t. xxiv, col. 627-629. Primasius, Contment. in Apoc, P. L., t. lxviii, col. 795936, appliqua le premier cette méthode à toute l’Apocalypse. Il fit un commentai’e catholique à la manière de Ticonius et vit dans la prophétie de saint Jean la prédiction de toutes les luttes et des persécutions de l’Église sur terre jusqu’à la fin du monde, sans détermination d’événements particuliers. Il maintint cependant quelques explications, provenant de l’ancienne méthode d’interpréter l’Apocalypse. On retrouve les mêmes principes, appliqués avec une grande variété de détails, dans Cassiodore, Complexiones in Apoc, P. L., t. lxx, col. 1405-1418 ; dans les Homiliæ in Apoc, publiées parmi les œuvres de saint Augustin, P. L., t. xxxv, col. 2417-2452 ; dans Apringius de Béja, Tractus in Apokalipsin, publié pour la première fois par dom Férotin, Apringius de Béja. Son commentaire de l’Apocalypse (Bibliothèque patrologique d’U. Chevalier, Paris, 1900, t. i) ; dans Bède, Explanatio Apoc., P. L., t. xciii, col. 129-206 ; dans Ambroise Ausbert, In Apoc. libri X (Bibliotheca Patrum, Cologne, 1618, t. ix b, p. 305-540) ; dans Beatus, In Apoc., Madrid, 1770 ; dans Alcuin, Comment. libri quinque, P. L., t. c, col. 1087-1156 ; dans Haymon d’Halberstadt, Exposit. in Apoc, P. L., t. cxvii, col. 937-1220 ; dans Walafrid Strabon, Glossa ordinaria, P. L., t. cxiv, col. 709-752 ; dans Berengaudus, Expositio super septem visiones libri Apoc., parmi les œuvres de saint Ambroise, P. L., t. xvii, col. 765-970 ; dans Anselme de Laon, Enarrationes in Apoc., P. L., t. clxii, col. 1499-1586 ; dans Bruno d’Asti, Expositio in Apoc., P. L., t. clxv, col. 605-736 ; dans Rupert, Comment, in Apoc., P. L., t. clxix, col. 827-1214 ; dans Richard de Saint-Victor, In Apoc Joa. libri septem, P. L., t. cxcvi, col. 683-888 ; dans Albert le Grand, Enarrat. in Apoc., Opera, Paris, 1899, t. xxxviii, p. 465-826 ; dans Thomas l’Anglais, Expositio in Apoc., attribuée à saint Thomas d’Aquin et publiée en deux formes différentes, Opera, Paris, 1876, t. xxxi, p. 469-661 ; t. xxxii, p. 1-424 ; dans Hugues de Saint-Cher, Postilla in universa Biblia, Cologne, 1620, t. vii ; dans Martin de Léon, Exposit. libri Apoc., P. L., t. ccix, col. 299-420 ; dans Denys le Chartreux, Comment. in universas Script. sac. libros, Cologne, 1533. Signalons, dans l’Église grecque, André de Césarée, In Apoc. comment., P. G., t. cvi, col. 215-458, dont l’ouvrage manque d’originalité et mélange des interprétations différentes ; Arétas de Césarée, Coacervatio enarrat. in Apoc., ibid., col. 499-786, qui est une chaîne plutôt qu’un commentaire. Tous ces commentaires contiennent surtout des applications morales relatives à la lutte des méchants contre les bons. Quelques-uns toutefois entendent certaines parties de l’Apocalypse de la fin des temps et renferment des données eschatologiques.

3. Cette méthode d’interprétation, qui avait eu tant de vogue depuis le ive siècle, fut supplantée au {s|xiii|e}} par l’école de Joachim de Flore. Pour lui, Expositio in Apocalypsim, Venise, 1527, l’auteur de l’Apocalypse a prédit les sept âges du monde. Le septième et dernier est arrivé, c’est l’âge des moines mendiants, surtout des franciscains, qui feront régner sur terre l’Évangile éternel. Ses imitateurs renchérirent sur ses idées. Ils supposent que l’Apocalypse est écrite pour leur époque ; l’ère des moines est prédite sous l’image du retour de Jésus-Christ sur terre ou du règne du Saint-Esprit. L’Antéchrist, c’est la papauté qui est opposée à la réalisation parfaite de la règle des moines mendiants ; la seconde Bête, l’empereur Frédéric II. Ces explications furent acceptées par Pierre-Jean Olivi, Postilla super Apocalypsi ; Ubertino de Casale, Arbor vitæ, Venise, 1485 ; Télesphore, De magnis tribulationibus et statu Ecclesiæ, Venise, 1516 ; Séraphin de Fermo, In Apocalypsim, Anvers, 1581 ; Annius de Viterbe, Pierre Galatinus et Berthold de Chiemsee, Onus Ecclesiæ'. L’exégèse fantastique de Joachim de Flore fut imitée par les précurseurs de la réforme protestante et par beaucoup de réformés. Wicleff a pris ses idées sur les derniers temps de l’Église dans la prophétie de l’abbé Joachim. Luther a fait imprimer un Commentarius in Apocalypsin, Wittenberg, 1528, qui a été composé en 1390, probablement par J. Purvæus, disciple de Wicleff, et dont tout le but est de montrer que le pape est l’Antéchrist. Après avoir lui-même traité d’abord l’Apocalypse avec défaveur, il l’accepta plus facilement, quand il reconnut le parti qu’il pouvait en tirer contre la papauté. Dans sa préface à l’Apocalypse, écrite en 1534, l’ange du chapitre x représente la papauté, et les deux Bêtes du chapitre xiii sont le pape et l’empereur. La plupart des exégètes luthériens, calvinistes et anglicans adoptèrent ces vues antipapistes et déployèrent des efforts stériles pour prouver que le pape est l’Antéchrist annoncé. W. Bousset, Die Offenbarung Johannis, p. 93-102, déclare cette exégèse « enfantine ».

4. Dans son commentaire sur l’Apocalypse, Nicolas de Lyre inaugura, en 1329, une nouvelle époque. A ses yeux, la prophétie de saint Jean est la prédiction de l’histoire de l’Église depuis sa fondation jusqu’à la fin des temps. Il la divise en sept âges. Le premier, prédit dans la vision des sept sceaux, va de Jésus-Christ à Julien l’Apostat ; le deuxième, annoncé par la vision des sept trompettes, de Julien à l’empereur Maurice ; le troisième, qui est la lutte du dragon avec l’Église, de l’empereur Maurice à Charlemagne ; le quatrième, symbolisé par les sept coupes et célèbre par ses dissensions et ses schismes, de Charlemagne à l’empereur Henri IV ; le cinquième commence à la mort de Henri IV et va jusqu’à l’avènement de l’Antéchrist. Mais comme Nicolas ne se croit pas prophète, il renonce à expliquer l’Apocalypse à partir du chapitre xvii. Cette explication se retrouve dans les commentaires d’Aureolus, d’Ederus, de Lizarazus et de Cœlius Pannonius. Un moment abandonnée, elle fut reprise, au xviie siècle, par le bienheureux Barthélémy Holzhauser. Son commentaire, édité à Vienne en 1850 seulement, fut traduit du latin en français par le chanoine de Wuilleret, Interprétation de l’Apocalypse, 2e édit., 2 in-8°, Paris, 1857. Holzhauser n’avait pas achevé son travail, qui s’arrêtait, Apoc., xv, 4 ; le traducteur l’a continué. Les sept âges de l’Église sont déjà prédits dans les lettres aux sept Églises de l’Asie Mineure et décrits avec plus de détails dans les visions des sept sceaux, des sept trompettes, de la Bête à sept têtes, des sept vases de colère, etc. M. de La Chétardie, Explication de l’Apocalypse, Bourges, 1692, admettait aussi les sept âges de l’Église. En 1762, l’abbé Joubert développa ce système d’interprétation. L’abbé d’Etémare a composé, au xviiie siècle, un commentaire analogue. Explication de l’Apocalypse, Paris, 1866. Verschræge, Claræ simplicesque explicationes libri Apoc., Tournai, 1855, est d’accord pour le fond avec Holzhauzer. Lafont-Sentenac, Le plan de l’Apocalypse et la signification des prophéties qu’elle contient, Foix, 1872, a pris pour bases de son travail les commentaires de La Chétardie et de Holzhauzer. L’abbé Drach, Apocalypse de saint Jean, Paris, 1879, accorde ses préférences à ce système. Toutefois, il ne voit pas dans les sept lettres de saint Jean une histoire symbolique et abrégée de l’Église, et il n’accepte pas non plus toutes les applications à des faits particuliers. Voir encore dans ce sens Waller, Die Offenbarung des hl. Johannes im Lichte der Geschichtstypik, Rixheim, 1882 ; Riedel, Die Apokalypse, Augsbourg, 1887.

5. Les commentateurs catholiques du xvie et du xviie siècle, surtout les jésuites, pour réfuter les explications fantastiques de la majorité des protestants, étudièrent l’Apocalypse d’une manière vraiment scientifique et suivirent deux voies un peu différentes. Ils reconnurent tous que la Babylone du royaume de Patmos était réellement Rome, mais la Borne païenne et non pas la Rome pontificale. Ribera, Comment. in Apoc., Salamanque, 1591, vit dans les cinq premières trompettes l’histoire de l’Église primitive dans ses rapports avec l’empire romain, et à partir de la sixième trompette l’annonce des derniers temps. Le commencement de l’Apocalypse concerne l’époque la plus rapprochée de l’auteur, mais la majeure partie du livre n’aura sa réalisation qu’à la fin du monde qui sera précédée de la venue de l’Antéchrist. Viégas, In Apoc. Joannis apost. comment, exegetici, Cologne, 1613 ; d’autres jésuites, Benoît Pereira, Corneille de la Pierre, Ménochius, Gordon, Tirin, Mariana, de Mendoza, adoptèrent avec de légères variations la même interprétation. Elle a été acceptée au xixe siècle par des catholiques : Bisping, Erklärung der Apoc., dans son Exegetisches Handbuch, Munster, 1876, t. ix ; Krementz, Die Offenbarung des heil. Johannes in Lichte des Evangeliums nach Johannes, Fribourg-en-Brisgau, 1883 ; Gallois, L’Apocalypse de saint Jean, Paris, 1895 (extrait de la Revue biblique) ; Tiefenthal, Die Apokalypse des hl. Johannes erklärt, Paderborn, 1892 ; Mémain, L’Apocalypse de saint Jean et le septième chapitre de Daniel avec leur interprétation, Paris, 1898 ; et par des protestants, Kliefoth, Die Offenbarung Johannes, 1874, etc. D’autres interprètes étendirent davantage l’annonce prophétique des événements de la première Église, de ses combats contre la synagogue et le polythéisme et appliquèrent les deux derniers chapitres seulement à la fin des temps. Salmeron, In Apoc. præludia, dans ses Opera, Cologne, 1615, t. xvi, ouvrit la voie, qui fut suivie par Louis de Alcazar, Investigatio arcani sensus in Apoc., Anvers, 1614. Des protestants, Grotius, Hammond, Le Clerc et Wetstein y entrèrent. Bossuet a rendu célèbre cette interprétation. L’Apocalypse avec une explication, Paris, 1689. Dupin, Analyse de l’Apocalypse, Paris, 1712 ; Calmet, Commentaire littéral, 2e édit., Paris, 1726, t. viii, p. 910-1026 ; Lallemant, Réflexions morales avec des notes sur le N. T., Paris, 1725, t. xii ; Guyaux, Comment. in Apoc., Louvain, 1781, l’adoptèrent, en la modifiant pour les détails. Au xixe siècle, elle a été acceptée par Mgr  de Bovet, L’esprit de l’Apocalypse, Paris, 1840 ; par Stern, Comment. über die Offenbarung, Schaffouse, 1854 ; par Ailloli dans sa version allemande de la Bible et par Beelen dans sa traduction néerlandaise.

6. Dès la seconde moitié du xviiie siècle, les rationalistes ont cessé de voir dans l’Apocalypse une prophétie de l’avenir ; ils y ont reconnu une histoire, écrite sous forme symbolique et apocalyptique. L’auteur parle donc exclusivement de son temps, par conséquent de la lutte de l’Église contre l’empire païen de Borne, figuré par Babylone et la bête. Les sept têtes de cette dernière sont sept empereurs, et l’Antéchrist est Néron, le grand persécuteur des chrétiens. L’auteur a pour but de consoler et d’encourager les persécutés ; il leur annonce le triomphe de l’Église et le retour prochain de Jésus-Christ. Nombreux sont les commentaires qui développent cette idée, nombreuses les variantes de détail. Citons seulement Eichhorn, Comment, in Apoc. Joannis, 1791 ; Ewald, Comment, in Apoc. Joannis, 1828 ; de Wette, Kurze Erklärung der Offenbarung Johannis, 1848 ; Volkmar, Kommentar zur Offenb. Joh., 1862 ; Kienlen, Commentaire historique et critique sur l’Apocalypse de Jean, 1870.

7. Au dernier stade de cette longue évolution, on a recherché les sources de l’Apocalypse. On s’est mis récemment à faire la critique littéraire de ce livre si discuté pour y trouver des principes nouveaux d’interprétation. Trois systèmes différents ont déjà vu le jour : le système des remaniements, celui des sources et celui des fragments. — 1° Le système des remaniements fut proposé par Völter, Die Entzlehung des Apok., Fribourg-en-Brisgau, 1882. L’Apocalypse était un écrit fondamental de l’année 65 ou 66, remanié par trois mains différentes, sous Trajan, sous Adrien et en l’an 140. E. Vischer, Die Offenbarung Johannis, dans Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1886, t. ii, 3, découvrit dans le livre de saint Jean une apocalypse juive remaniée et développée plus tard par une main chrétienne. Il reconnaissait le texte primitif aux idées juives qui y étaient exprimées, et les retouches chrétiennes à leur caractère universaliste. Le professeur Harnack, de Berlin, accepta ces vues. Cf. Bulletin critique, t. viii, 1887, p. 1-5. — 2° Le théorie des sources fut. imaginée par Weyland, Omwerkings en compilatie-hypothese toegepast op de Apok. von Joh., 1888. Un rédacteur chrétien a mis en œuvre et compilé deux sources juives, l’une écrite sous Titus et l’autre sous Néron. Spitta, Offenbarung des Johannes, 1889, a découvert trois sources : celle à laquelle appartient la vision des sept sceaux, écrite après l’an 60, est d’origine chrétienne ; les deux autres sont juives ; celle dont faisait partie la vision des trompettes est du temps de Caligula ; à la troisième appartenait la vision des coupes. E. de Faye, Les Apocalypses juives, Paris, 1892, p. 45-67, 166-191, a adopté les principales conclusions de Spitta. Schmidt, Anmerkungen über die Komposition der Offenbarung Johannis, 1891, prétendit que l’Apocalypse, aussi bien que le IVe livre d’Esdras et l’Apocalypse de Baruch, était un conglomérat de visions différentes. — 3° Weizsäcker, Apostolisches Zeitalter, 1886, préféra la théorie des fragments. Considérant l’harmonieuse construction de l’Apocalypse, il y reconnut un ouvrage bien composé auquel on a ajouté plus tard, des fragments apocalyptiques plus anciens, de dates différentes. Sabatier, Les origines littéraires et la composition de l’Apocalypse de saint Jean, Paris, 1887, tient l’Apocalypse pour un ouvrage chrétien, auquel on a cousu des fragments juifs. Schön, L’origine de l’Apocalypse, 1887, a admis les mêmes conclusions. Bousset, Die Offenbarung Johannis, 1896, p. 127-152, après l’exposé et la discussion des deux systèmes précédents, se rallie à la théorie des fragments, et admet que l’auteur de l’Apocalypse a introduit dans son œuvre des traditions et des morceaux apocalyptiques antérieurs. Hirscht, Die Apokalypse und ihre neueste Kritik, Leipzig, 1896, a critiqué avec bon sens et succès ces théories contraires à l’unité littéraire de l’Apocalypse.

S’il fallait choisir entre un si grand nombre d’interprétations ou simplement indiquer nos préférences, nous serions fort empêché. Sans fixer notre choix, nous écarterions toute explication qui est inconciliable avec le caractère prophétique, que la tradition constante de l’Église a reconnu à l’Apocalypse. Les commentateurs catholiques n’étant pas d’accord sur le sens précis à donner aux visions de saint Jean, c’est à chacun à examiner, dans la grande variété des interprétations orthodoxes, celle qui répond le mieux au texte sacré, scientifiquement étudié.

VI. Enseignements doctrinaux.

L’Apocalypse est un livre spécifiquement chrétien, écrit tout entier pour des chrétiens afin de ranimer leur courage par la description vive des espérances chrétiennes. Son auteur n’est ni un juif, ni un judéo-chrétien, mais un apôtre de Jésus-Christ, né dans le judaïsme, versé dans la tradition juive, nourri des prophètes, entièrement détaché du judaïsme par l’amour de Jésus. Sa doctrine est donc la doctrine chrétienne ; toutefois, elle est exposée au moyen d’images et de symboles familiers aux prophètes de l’Ancien-Testament. Si les commentateurs discutent le sens de ses visions symboliques, ils sont d’accord pour y reconnaître des enseignements précis sur Dieu, Jésus-Christ, l’Église, les anges et la fin des temps.

I. DIEU.

Dieu est décrit avec ses perfections. Il est éternel, comprenant dans son existence toutes les parties de la durée, le passé, le présent et l’avenir ; il est l’alpha et l’oméga, le principe et la fin de tout, le tout-puissant, i, 4, 8 ; iv, 8 ; xi, 17 ; xxi, 6. Il est le créateur du ciel, de la terre, de la mer et de tout ce qu’ils contiennent, x, 6. Ses œuvres sont grandes et merveilleuses, et ses voies justes et véritables, xv, 3, comme ses jugements, xvi, 7 ; xix, 2. Il est juste et rend justice, surtout en punissant les persécuteurs de ses saints, parce qu’il est saint lui-même, vi, 10 ; xv, 4 ; xvi, 5-7 ; xix, 2, Quand il châtie, sa justice est animée par sa colère, ix, 18 ; xiv, 10, 19 ; xv, 1 ; xvi, 1. D’ailleurs, il est le maître, vi, 10 ; le roi des siècles, xv, 3 ; le roi des rois et le seigneur des seigneurs, xix, 16 ; il régnera à jamais, xix, 6 ; et il jugera les princes de ce monde, vi, 15-17, la terre, xvi, la grande prostituée, xvii-xix. Il siège au ciel dans l’appareil de la majesté, comme un roi au milieu de sa cour et il y reçoit les hommages rendus à sa sainteté et à sa toute-puissance, iv, 2-11 ; v, 1, 13 ; xi, 17. Il est digne de respect et mérite l’adoration des hommes, xv, 4, et à la fin des temps, il jugera le genre humain, xx, 12-15. Rien n’arrive que parce qu’il le veut, et ses châtiments se produisent à l’heure qu’il a fixée, vii, 3.

II. JÉSUS-CHRIST.

L’Apocalypse, que Bossuet a appelée « l’Évangile de Jésus-Christ ressuscité », met en pleine lumière le dogme de la divinité du Sauveur. Elle nous fait connaître la personne et l’œuvre de Jésus.

1. Sa personne.

C’est lui-même qui se révèle à saint Jean en même temps qu’il lui manifeste l’avenir, i, 1. Or il se montre à la fois comme homme et comme Dieu. Il est le Fils de l’homme, i, 13 ; xiv, 14 ; le Messie prédit sous ce nom par les prophètes et attendu des Juifs ; il est le lion de la tribu de Juda, de la race de David, v, 5 ; xxii, 16. Mais il est aussi le Fils de Dieu, ii, 18. Le Seigneur n’est donc pas seulement son Dieu, ii, 7 ; iii. 2, 12 ; il est encore son Père, ii, 27 ; xiv, 1 ; il est à la fois son Dieu et son Père, i, 6. Ressuscité d’entre les morts, i, 5, 18 ; ii, 8, Jésus est monté au ciel, où il siège avec son Père, iii, 21 ; vii, 17. Il a les clefs de la mort et de l’enfer, i, 18, comme de la maison de David, iii, 7. Il est le Seigneur des fidèles, xi, 8, qui sont ses serviteurs, i, 1 ; ii, 20 ; xxii, 6. Il a reçu de son Père la puissance sur les païens, et il l’exerce, en les gouvernant avec une verge de fer, ii, 26, 27 ; xii, 5 ; xix, 5. Il est le prince des rois de la terre, i, 5, le roi des rois et le seigneur des seigneurs, xvii, 14 ; xix, 16, comme Dieu dans l’Ancien Testament. D’ailleurs, saint Jean lui attribue les perfections divines. Il est éternel, le premier et le dernier, l’alpha et l’oméga, le principe et la fin de toutes choses, i, 17 ; ii, 8 ; xxii, 13. Voir plus haut col. 901. Il est le vivant, i, 18, aussi bien que Dieu, iv, 9, 10 ; x, 6. Il a l’omniscience divine et ses yeux, comme ceux de Dieu, ressemblent à une flamme brillante, i, 14 ; ii, 18 ; xix, 12 ; il scrute les reins et les cœurs, ii, 23. Comme Dieu lui-même, xxii, 6, il est le Dieu des esprits, i, 4 ; iv, 5 ; il a les sept esprits de Dieu, iii, 1 ; v, 6. Il reçoit les mêmes hommages que Dieu, i, 6 ; iv, 8, 11 ; v, 12, 13 ; vii, 9 ; xv, 3, 4 ; il a droit à l’adoration, vii, 11, qui n’est due qu’à Dieu, xix, 10 ; xxii, 9. Il sera servi avec Dieu pendant mille ans, xx, 6. A tous ces titres, il est donc Dieu et fils de Dieu. Enfin, il est le Verbe de Dieu, xix, 13 ; c’est son nom distinctif, celui qui le caractérise comme la seconde personne de la sainte Trinité.

2. Son œuvre.

Cette œuvre, c’est la rédemption des hommes. Il l’accomplit au titre d’agneau de Dieu. Cette désignation métaphorique, employée vingt-neuf fois dans l’Apocalypse, signifierait à elle seule la satisfaction rendue par Jésus-Christ à la justice divine pour les péchés des hommes, en raison de ses rapports avec l’agneau, prédit par Isaïe, et avec l’agneau pascal, figure du Messie. Mais saint Jean affirme explicitement que cet agneau immolé a racheté dans son sang les hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation, v, 9. Pour ce motif, il est digne de louange éternelle, v, 12-14. Au ciel, il porte encore les glorieuses cicatrices de ses blessures et des coups qui l’ont fait mourir, v, 9. L’efficacité de son sang rédempteur se fait sentir sur terre, où il rend les justes victorieux des méchants, xii, 11, et au ciel, où les bons reçoivent la récompense qu’ils ont méritée par leurs combats terrestres, xix, 7-9. Voir plus haut col. 577-578. Le Christ nous a aimés et nous a lavés de nos péchés dans son sang, i, 5. Il a vaincu Satan et il récompense ceux qui l’ont vaincu comme lui et avec lui, iii, 21. Du reste, il a fondé ici-bas son Eglise pour appliquer aux hommes les fruits de sa rédemption. Cf. Holtzmann, Lehrbuch der neuteslamentlichen Théologie, Fribourg-en-Brisgau et Leipzig, 1897, t. i, p. 467-475.

III. ÉGLISE.

Tout le livre de l’Apocalypse a pour but Je décrire les luttes de l’Église contre le paganisme et ses autres adversaires, avec son triomphe final. Elle apparaît partout comme l’objet de la providence la plus bienveillante et la plus attentive de la part de Dieu et de Jésus-Christ, son fondateur. Dans les trois premiers chapitres, on la voit constituée en églises particulières, ayant à leur tête un ange visible, c’est-à-dire un évêque, qui a charge de les garantir contre l’invasion des hérésies naissantes. Saint Jean nous la présente comme militante ici-bas et triomphante au ciel. A ce double titre, elle est le temple de Dieu, la cité de Dieu, une nouvelle Jérusalem, descendue du ciel d’auprès de Dieu sur terre, iii, 12 ; xxi, 2, 3, 10, et l’épouse de l’Agneau, c’est-à-dire de Jésus-Christ, xix, 7, 9 ; xxi, 2, 9. Elle a pour fondements les douze apôtres de l’Agneau, xxi, 14, et elle remplace l’ancienne Jérusalem. Les juifs qui n’habitent pas en elle sont maintenant de la synagogue de Satan, ii, 9 ; iii, 9. Elle comprend dans son sein le véritable Israël, avec des représentants de ses douze tribus, vii, 4-8 ; xiv, 1, et une foule innombrable de païens de toute nation, de toute race et de toute langue, vii, 9 ; xxi, 24, 26 ; xxii, 2. Elle est ainsi universelle et catholique. Après la consommation de toutes choses, elle remontera au ciel, d’où elle est descendue. Rien de souillé n’y entrera, et les élus y seront illuminés de la clarté de Dieu et y jouiront d’un éternel bonheur, xxi, 22-xxii, 5.

IV. ANGES.

L’Apocalypse parle souvent des anges, bons et mauvais, de leur nature, de leur nombre et de leurs fonctions. Elle les appelle des esprits, i, 4 ; iii, 1 ; iv, 5 ; v, 6, qui sont au service de Dieu. Ils sont inférieurs à Dieu, car celui qui avait servi de ministre pour communiquer à saint Jean la révélation divine, i, 1 ; xxii, 6, 8, refuse l’adoration qui n’est due qu’à Dieu, xxii, 9. Les sept esprits principaux et des milliers d’anges entourent le trône de Dieu, i, 4 ; iv, 5 ; v, 6, 11, et célèbrent les louanges du Seigneur, vii, 11-12, et de l’Agneau, v, 12. Ils brûlent de l’encens devant le trône de Dieu : métaphore qui signifie qu’ils présentent à Dieu les prières des saints et servent ainsi d’intermédiaires entre la terre et le ciel, viii, 3-5. Ils vont aussi sans cesse du ciel à la terre. Non seulement ils sont les organes des communications prophétiques faites au voyant de Patmos, v, 2 ; viii, 6-x, 19 ; xiv, 6-12, mais ils portent encore, interprètent et exécutent les ordres de Dieu, pour le salut comme pour le châtiment. Ils impriment le signe du salut sur le front des élus, vii, 3. Sous la conduite de Michel, ils combattent contre Satan et ses anges, xii, 7-9. Ils ont puissance sur les éléments, xiv, 18, et ils sont les ministres des vengeances divines, xv, 1-xviii, 24. Voir plus haut col. 1189-1192. D’autre part, Satan et les mauvais anges attaquent l’Église, xii, 1-18 ; cet antique serpent se fait adorer sur terre, xiii, 1-10 ; mais, à la fin des temps, son règne sera détruit pour toujours, xx, 1-10.

V. FIN DES TEMPS.

Les enseignements relatifs à la consommation finale sont plus ou moins complets et plus ou moins détaillés, selon que l’on applique l’Apocalypse aux derniers temps, à partir du chapitre iv, du chapitre xiii ou du chapitre xx seulement. Voir Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 751-753, Paris, 1892. Mais il n’est pas certain que la Bête, prédite, xiii, 1-10, soit l’Antéchrist. Voir ce nom, col. 1362. Cet ennemi de l’Église n’est pas nommé dans l’Apocalypse, et Satan, Apoc, xx, 7, est plutôt son inspirateur qu’il ne le désigne lui-même. Nous rapporterons donc seulement à la fin du monde les derniers chapitres de l’Apocalypse. Saint Jean nous y apprend qu’il y aura une résurrection générale et un jugement universel, xx, 11-13, que les méchants iront dans l’étang de feu, xx, 14-15, et que Dieu ayant renouvelé toutes choses, xxi, 1, les élus jouiront dans la Jérusalem céleste de la vision de sa gloire et d’un bonheur sans mélange, xxi, 2-xxii, 5. Cf. Bacuez, Manuel biblique, 7e édit., Paris, 1891, t. iv, p. 704-707.

vi. autres dogmes.

On trouve encore mentionnés dans l’Apocalypse le mérite des bonnes œuvres, iii, 4, 11 ; xiv, 13 ; la récompense réservée aux saints, ii, 10, 11, 17, 23, 25, 28 ; vii, 14, 17 ; xiv, 13 ; xx, 6 ; xxi, 7 ; xxii, 12, particulièrement aux martyrs, ii, 13, 26 ; vi, 9-11 ; xii, 11 ; xix, 2 ; xx, 4 ; la puissance et l’efficacité de leur intercession, viii, 2, 4, et la vision béatifique, xxii, 4.

E. Mangenot.