Dictionnaire de théologie catholique/CLÉMENT V, pape

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 3.1 : CLARKE - CONSTANTINOPLEp. 39-43).

5. CLÉMENT V, pape, successeur de Benoit XL élu le 5 juin 1305, rnort le’20 avril 1314.

C’est à Clément V que revint la liquidation difficile de la situation laissée par Boniface VIII. Benoit XI, en effet, le successeur immédiat de ce pontife, mourut au bout de sept mois de pontilicat et sa mansuétude envers Pliilippe le Bel avait engagé la politique pontificale dans la voie des concessions. Pourtant l’attitude de Benoît XI n’avait pas manqué d’une certaine dignité, tandis que celle de Clément V parut bientôt entachée de faiblesse et même de servilité envers le roi de France.

Le conclave, qui suivit la mort de Benoit XI, se tint à Pérouse où le pape venait d’expirer (7 juillet 1301) ; mais les rivalités des cardinaux favorables, les uns à la mémoire de Boniface, les autres à la France, le firent traîner en longueur. Le mécontentement des Pérugins luna cependant les cardinaux d’en finir. Ils durent jeter les yeux sur un prélat étranger au sacré-collège et les intrigues du roi de France firent tomber le choix sur Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, originaire de Gascogne, et d’une maison apparentée aux ramilles de Périgord et d’Armagnac. Né en 12(54, étudiant des belles lettres à Toulouse, puis du droit à Orléans et à Bologne, il avait fait une rapide carrière comme chanoine de Bordeaux, comme vicaire général de Lyon près de son frère lîrraut, archevêque de cette ville, et enfin connue chapelain du pape. Ce fut Boniface VIII qui le nomma évêque de Comminges et ensuite archevêque de Bordeaux. Bertrand de Got reconnut ces faveurs par un véritable attachement. Quoiqu’il eût connu Philippe le Bel dans sa jeunesse, il brava les défenses du roi et se rendit en 1302 au concile convoqua par Boniface VIII, et dans la suite sa lidélité le contraignit de demeurer quelque temps à Rome loin de s. m diocèse de Bordeaux, qui appartenait bien au roi d’Angleterre, mais sous la suzeraineté de la France. Après la mort de Boniface VIII, Bertrand de Got s’était réconcilié avec Philippe le Bel qui jugea ne pouvoir rencontrer un candidat à la tiare plus capable de se faire accepter par le parti des cardinaux italiens et plus facile’à influencer dans le sens des intérêts français, tout ce i|" il est permis de dire avec assurance des rapports du pape et du roi avant l’élection. Qu’il ail eu des engagements précis, ce n’est qu’une supposition probable suggérée aux historiens par la suite des événements, renforcée pai quelques termes de la correspondance intime de Clément V et de Philippe le Bel. ut à l’historiette de Villani qui a donné un corps à I hypothèse en relatant une entrevue de Pliilippe et de Bertrand à Saint.ban d’Angély, elle est démontrée l.i us- ^ i.iv les itinéraires respectit.s des deux personnages. Bertrand de (.ut lut élu par dix voix sur quinze

(5 juin 1305) ; la nouvelle de son élection le toucha à Lusignan, en Po’toti, au cours d’une visite de sa province. Il s’en retourna tout de suite à Bordeaux où il déclara accepter la tiare et prendre le nom de Clément V (23 juillet).

. Clément V était naturellement bon, tendre, généreux, mais ces qualités dégénéraient en faiblesse. Il connaissait, pour l’avoir vu de ses yeux, l’état des factions italiennes et la guerre sans merci que se faisaient à Rome les Orsini et les Colonna, et dans les plus minuscules Ftats, les Noirs et les Blancs, les Guelfes et les Gibelins. Benoit XI n’avait pu tenir à Rome où tant de pontifes, au xiiie siècle, n’avaient même pas mis les pieds. Clément V craignit de tomber, lui étranger, dans un pareil guêpier, et au lieu de se rendre à Pérouse, il envoya l’ordre aux cardinaux de le rejoindre à Lyon où aurait lieu son couronnement. Après les fêtes magnifiques du couronnement (14 novembre 1305), attristées par l’écroulement d’une muraille qui tua plusieurs personnes et un propre frère de Clément, le pape mena une vie errante. Il lit des séjours en différents endroits, passant par Cluny, par Nevers, Bourges, non sans mécontenter les églises qui devaient faire les frais de séjour d’une cour trop luxueuse. Une maladie le retint longtemps à Bordeaux où il passa une année (1306-1307). A Poitiers, il eut deux entrevues avec Philippe le Bel, et s’y laissa retenir seize mois, en proie aux demandes les plus variées et les plus incessantes (avril 1307-aoùl 1308). Clément V estima prudent de s’éloigner d’un protecteur aussi tyrannique. Il jugea peut-être trop vite qu’il était impossible de se fixer en Italie, ou ses légats avaient remporté quelques succès sur les Vénitiens et repris Ferrare (août 1309), mais où ils n’avaient pu ramener l’ordre et la tranquillité. Ayant d’ailleurs convoqué un concile général à Vienne, il convenait qu’il fût à portée de s’y rendre. Il songea donc à se fixer, au moins provisoirement, à Avignon, ville qui appartenait au comte de Provence, mais qui était enclavée dans le Comtat-Venaissin, propriété du saint-siège. Un lent voyage à travers le midi par Bordeaux, Toulouse, Narbonne, Montpellier, Nimes, trouva enfin son terme à Avignon, au printemps de l’année 1309. Malgré la notification faite de ce choix à la chrétienté, Clément V ne semble pas avoir voulu installer la papauté à Avignon, car il n’y construisit point de palais, se contentant d’un modeste logement chez les frères prêcheurs, ni surtout de transférer le saint-siège en France et lui procurer sur les rives du Rhône un établissement stable. Il y a donc quelque injustice à faire retomber sur ce pontife tous les maux que les historiens se plaisent à rattacher au « transfert » du saint-siège à Avignon. La mesure prise par Clément V était néanmoins regrettable : elle éloignait les papes de leur diocèse sans avantages évidents pour l’ensemble de l’Église ; elle les maintenait à proximité du roi de France dont la tutelle, à en juger par celle de Philippe le Bel, pouvait devenir dangereuse ; elle abandonnait à ses désordres l’Italie où la guerre régnait à l’état endémique ; elle rendait plus difficiles les rapports avec toutes les puissances européennes, jalouses de la prépondérance française ; elle acheminait enfin le saint-siège vers l’élection d’un domicile définitif en France par la prépondérance des Français dans le sacré-collège. L’avenir devait révéler la grandeur du péril de schisme. Ces graves conséquences, non moins que la durée approximative de soixante-dix années, ont fait comparer par les historiens la translation de la papauté à Avignon à la captivité de Babylone.

Des l’élection de Clément V, Philippe le Bel s’était avisé d’un excellent moyen de chantage pour peser sur le pape et le contraindre a toutes les complaisances ; c’était d’insister pour obtenir la reprise du procès d’hérésie intenté à la mémoire de Boniface VIII. Le roi obtint d’abord de la faiblesse de Clément V une conliren

CLÉMENT V

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million de l’absolution déjà donné* ; XI, l’annu lation de la i n loul ce <i" elle

innovai ! dan li droil ecclésiastique, et la déclaration que i.i bulle i him n’enlralnail aucune

lion douvi Ile du roi et di m i I’E|

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mbrai, il < Irléans, i le Main le coup de maître’lu i i i elui qui fail le plus d’honneur à sa de volonté el le moins â son esprit de jui Lice, 1 1 u pape la uppi ! di a templ

l fondés comme les hospitaliers de

rusalem, pour la défense de la Terre-Sainte, apn première cri i ade, avaient perdu quelque peu de leur raison d’être depuis la pri i différusalem par Saladin (1187) il l’éviction définitive des chn tiens de Palestine (1291). Us n’avaient | donnei de rôle analogue

à celui que 1rs hospitaliers allaient remplir à Rhodes et à Malte, ’où ils furent si longtemps le boulevard de la chrétienté. Les grands domaines possédés par 1rs chevaliers du Temple en Angli terre et en France, en Portugal el en Aragon, leur habileté financière dans la gestion des capitaux et la sécurité de l’argent confié à leurs « temples » , construits comme des im prenables, étaient pour l’ordre une source de grandes richesses. Le Temple servait souvent de banquier aux papes, pour ]< recouvrement des sommes dues au saint e, et même aux souverains, notamment aux de France pendant le xiii siècle. Les richesses des templiers, leurs privilèges excitaient l’envie princes besogneux, di - églises appauvries, de même que le mystère dans lequel se tenaient leurs chapitres el se conduisaient leurs opérations, créait autour d’eux une atmosphère très favorable aux soupçons, aux accusations de crimes variés, aux rumeurs sourdes et hosliles. Il y avait probablement lieu chez eux à une réforme et les papes depuis quarante ans pensaient et travaillaient à une fusion des templiers et des hospitaliers. Malheureusement la jalousie des deux ordres, qui avait nui en P destine i h défense des Lieux-Sunls, mettait encore obstacle à la réunion. Philippe le Bel n’avait pas de griefs personnels contre l’ordre des templiers. En 1303, il avait fail remettre au Temple le trésor royal, il n’avait pas non plus à se plaindre de l’attitude des templiers envers lui pendant la rupture de la France avec Boniface VIII, les lettres de protection accordées par le roi au Temple en l’ont foi. Pourtant des l’avènement de Clément V, et pendant les fêtes mêmes du couronnement à Lyon, l’atTaire des templiers fut discutée entre le pape et les g< ns du roi, et elle lit ensuite l’objet de correspondances pendant les deux années qui s’écoulèrent jusqu’à l’entrevue du I du roi à Poitiers en 1307 (vers la Pentecôte !.

Les résistances du pape furent sérieuses. Jacques de Molay, le grand-maitre îles templiers, mandé à Poitiers, sous prétexte du projet de croisade, demanda au pape une enquête qu’il ne pouvait refuser. Lettre au roi du i _ ! l août 1307, Baluze, t. il, p. 7, ">. Mais Philippe savait ce qu’il pouvait user contre la faiblesse et l’irrésolution du pape. Ayant obtenu la permission de commencer une enquête, il brisa toutes les tergiversations de Clément V, en frappant un grand coup. Sur son ordre expédié’dans le plus grand secret, tous les templiers de France furent arrêtés le 13 octobre 1307 au nom de l’inquisition. Les prieurs dominicains avaient reçu du grandinquisiteur de France mandat d’interner et d’inlei I les templiers arrêtés.

Les vrais motifs de la mesure sont contenus doute dans le mémoire du légiste Pierre Dubois qui

niqui ment appai tenant I ordre, i qui | templiers en Oriente ! de s’approprier leur* bien < 1 1 1° île Blet i i rillamn : de la

pour 1 1 justifier révi lent la main, !

III, dans i art di tui i >rant

routes ! lions imaginables sont accumulées

dans h manifeste qui fut lu au peu] I n n tation des templiei chefs principaux : 1 reniement du Cbi

- Le pape, di

1. 1 mes vagui 8 alin de lai a-…il été consulté, el l< roi requis d leur d’hérésie. Ainsi i justifié devant l’opinion

li coup de force, et palliée au point de vue du droit l’irrégularité d’une procédun un oidre

qui relevait directement di la juridiction pontificale.

En conformité des instructi >ns i commis saires du roi mirent b-s biendi - templiers sou questre et s’en improvisèrent lesadrninistrateu aux templiers, illes interrogèrent sommairen puis appelèrent les inquisiteurs qui pro< dèrent à un interrogatoire accompagné de tortures pour obtenir

-.eux. Quelques templierdemeurer, lit : milieu des supplices, el soutinrent jusqu’au bout l’innocence de l’i rdre t de ses coutui lupart dé chirent dans la torture, même des hommes qui avaient fait leurs preuves de bravoure comme le grand-maître

ie - de Molay. et ilreconnurent les uns le rei ment, les autres la pratique de la sodomie, d’à diverses imputations Qétrissanl

Cependant Clément V avait été indigné de l’opération de police faite le 13 octobre, sans sa permission et i il se couvrant de son nom par une allégation abusive. 11 écrivit au roi pour se plaindre du mépris fail d personne et de son autorité (27 octobre) ; mais au lien de tenir ferme au nom du droit, il parut bientôt ébranlé’par les aveux des templiers, au point d’ordonner aux princes chrétii ns d’arrêter li s templiers de leurs États (22 novembre. Puis un nouveau revirement se produit dans son esprit, et il prend enfin les mesures propres à assurer le triomphe de la justice en cette affaire : il suspend la procédure des évéques et inquisiteurs de France et évoque l’affaire à son tribunal, et demande à Philippe de lui remettre la personne et les biens des templiers (1308).

Tandis que le roi proteste de sa bonne volonté, nomme des administrateurs particuliers pour les biens qu’il s’engage à garder au profil de la Terre-Sainte, Nogaret travaille à briser les résistances de Clément et entame contre lui une campagne d’opinion qui I pelle de tout point celle qu’il avait dirigée contre Boniface VIII : mêmes accusationavilissantes, reproches de simonie, de népotisme, d’exactions commises au détriment des édisis, iii, nie recours au zèle catholique du roi et à l’autorité civile pour proti gei l’Église contre propres pasteurs. Une 1 i peuple de France,

conçue dans cet esprit, fut rép indue à profusion en vue de préparer l’élection « L-s d< pub - à l’assemblée que le roi convoquait a Tours pour le mois de mai 1306, et qui présentée à l’opinion comme un instrument de di : pour l’Eglise et de menace contre le pape. De fait, les Etats généraux se prononcèrent contre les templiers.

Fort de cet appui, le roi joignit une deuxième fois le pape qui. après une résistance assez remarquable pour la faiblesse de -on caractère, finit par accepter de rendre aux évéques et aux inquisiteurs de France le droit de procéder en l’affaire, de laisser aux mains du roi les templiers qu’il gardera au nom de l’Église, it leurs biens qu’il fera. irder pudes commissaires choisis mi-partie par le roi, mi-partie par les évéquu

pape disjoignit la cause de l’ordre du Temple de celle di s personnes des templiers. Alin de régler la première, il convoqua un concile général dans la ville de Vienne en Dauphiné pour le mois d’octobre 1310, et en attendant, la seconde allait être instruite dans les cours épiscopales de tous les pays chrétiens.

Une commission pontificale, présidée par l’archevêque de Narbonne, prépara la besogne du concile en recueillant les témoignages. Les hommes qui la composaient et que protégeait l’autorité du saint-siège étaient hostiles à l’emploi des tortures, de sorte que les chevaliers interrogés pouvaient se promettre plus de liberté pour confirmer ou révoquer leurs précédents aveux. Si quelques frères persistèrent dans leurs aveux, si d’autres hésitèrent et recoururent à des faux-fuyants, d’autres en grand nombre dirent nettement que leurs aveux arrachés par la torture étaient contraires à la vérité. Des chevaliers, par centaines, soutinrent l’innocence du Temple, dès qu’ils crurent pouvoir parler en sécurité. Mais les conseillers du roi, Guillaume de Nogaret, Guillaume de Plaisians, avaient trouvé moyen d’assister aux audiences ; lorsqu’ils virent la tournure que prenait le procès d’ensemble intenté à l’ordre, ils précipitèrent le jugement individuel des templiers par les évêques et inquisiteurs. C’est ainsi que le concile de la province de Sens lut convoqué brusquement par l’archevêque de Sens, frère du ministre Enguerrand de Marigny, et comme il faisait fonction du tribunal d’inquisition pour Paris, il usa cruellement de la procédure inquisitoriale pour condamner comme relaps sans les entendre cinquante-quatre chevaliers qui venaient de déposer comme témoins devant la commission pontificale, et qui avaient naïvement révoqué leurs aveux. Ils furent condamnés, puis brûlés publiquement hors de la porte Saint-Antoine, le même jour 12 mai 1310. A la suite de ce tragique événement qui rendait illusoire la liberté du témoignage et de la défense, la commission d’enquête suspendit pendant six mois ses recherches et ne vit plus d’ailleurs comparaître devant elle que les templiers « confès » de tous les crimes et réconciliés par les inquisiteurs.

Dans les pays étrangers, la torture ayant été moins employée, les aveux se firent aussi plus rares. Il est regrettable pour la mémoire de Clément V qu’il ait incité les rois d’Angleterre, d’Aragon, de Portugal à user de la torture. Il semble qu’il ait voulu avoir sous la main le plus d’arguments pour légitimer une suppression résolue dans son esprit. Mais les évêques d’Allemagne, d’Aragon et de Castille, d’Italie avaient montré moins de complaisance que ceux de France et acquitté en masse les templiers.

Le concile de Vienne se réunit seulement au mois d’octobre de l’an 1311. L’épiscopat assemblé dans la ville comptait trois cents membres, qui avaient eu le temps d’étudier cette affaire et qui apportaient de différants pays des convictions favorables à l’ordre des templiers. Il devint bientôt (’vident qu’on n’obtiendrait pas du concile une pure et simple ratification de la procédure française, ni une parodie de justice comme celle qui s’était déroulée devant les inquisiteurs et le France. De Lyon, où il surveillait le concile, le roi Philippe le Bel se rendit à Vienne avec un grand cortège et ce fut en sa présence et en celle du concile, que le pape Clément V lit lire la bulle Vox. in excelso, du 22 mars 1312 et qui est une image fidèle des iversations de son auteur. Il dit n’avoir point de motifs pour condamner à proprement parler les templiers ; mais ceux-ci sont odieux au roi de France, leur procès > fail scandale, il importe de ne pas laisser dilapider des biens considérables. En conséquence, Clément V ne rend aucune sentence définitive et ne condamne pas l’ordre du Temple, mais, par sollicitude pour le bien de l’Église et par voie apostolique, il le

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supprime et l’éteint dans tous les pays de la chrétienté,

Une bulle ultérieure, du 2 mai, adjuge les biens du Temple aux frères hospitaliers. Philippe le Bel bien à regret dut se dessaisir : il exigea l’apuration des comptes de la trésorerie qui avait eu jadis son siège au Temple et reçut de ce chef 200000 livres tournois ; il se fit payer 00000 livres à titre de remboursement pour les irais du procès, bien qu’il eût touché déjà les revenus des biens mis sous séquestre. Ce ne fut, d’ailleurs, que Louis le Hutin qui remit enfin à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem les possessions des templiers, non sans se faire encore attribuer la moitié des meubles et ornements d’église. Malgré ces rançons considérables prélevées par le roi, les hospitaliers reçurent en biens-fonds de grandes richesses, et l’on ne conçoit guère par quelles preuves se soutient l’opinion de saint Antonin qu’ils furent non enrichis mais appauvris par le don fait à leur ordre.

Les templiers qui persistèrent dans leurs aveux après la publication de la bulle Vox in excelso reçurent la liberté ; ceux qui les rétractèrent furent condamnés comme relaps par les tribunaux d’inquisition. Legrandmaitre Jacques de Molay et Geofïroy de Charnay, le précepteur de Normandie, réservés au jugement du pape, ne furent définitivement jugés qu’en 1314. Condamnés à la détention perpétuelle, ils s’accusèrent d’avoir trahi l’ordre par lâcheté pour sauver leur vie et proclamèrent hautement leur innocence. Ils furent aussitôt remis à la justice du roi et brûlés le même jour sur un échafaud (18 mars 1314).

Les templiers étaient-ils coupables ? Les historiens sont depuis longtemps divisés, mais les recherches les plus récentes sont de plus en plus favorables à leur innocence. De preuve matérielle contre eux on n’en a aucune, non plus que de document réel. Tout l’échafaudage du procès repose sur les dépositions de témoins. Or, il est vrai que les charges contre l’ordre sont considérables et résultent d’un ensemble d’aveux qui peuvent faire impression et qui ont dérouté le jugement des contemporains et des historiens. Toutefois ces aveux d’ensemble n’ont été obtenus qu’en France où la justice inquisitoriale et celle des synodes a obéi au roi et généralisé l’emploi de la torture ; la plupart des chevaliers ont rétracté leurs aveux dès qu’ils se sont crus en présence de la justice du saint-siège moins cruelle en ses moyens d’instruction. Au pied de l’échafaud, la plupart des templiers brûlés ont courageusement soutenu leur innocence. Enfin, le mépris des formes de la justice et la fourberie qui annulait savamment et férocement la liberté de la défense suffisent à démontrer l’iniquité des sentences dont les templiers furent victimes. Les désordres réels de leur ordre offraient matière à réforme, mais non à une répression aussi sauvage, poussée jusqu’à l’entière destruction.

Il est assez difficile de préciser la part de responsabilité qui revient à Clé ni V dans cette tragédie. Dans

quelle mesure a-t-il été trompé par le roi ? Dans quelle mesure les templiers confès qu’on laissait arriver jusqu’à lui et les aveux qu’on lui relatait l’ont-ils convaincu de la culpabilité de l’ordre ? Malheureusement pour lui, diverses circonstances de ce procès contribuent à charger lourdement sa mémoire. S’il avait pu faire devant la chrétienté la preuve d’affreux désordres chez les templiers, il n’aurait pas hésité à les frapper, sans même juger nécessaire de les traîner devant un concile général. Ce n’est pas seulement la pitié pour de pauvres gens qui fait tant hésiter le pontife et le fait recourir à de perpétuels moyens dilatoires, c’est aussi le sentiment que des innocents sont poursuivis par une haine injuste. Toutes les mesures favorables à la justice dans l’affaire des templiers sont dues à l’intervention du pape, mais aucune n’estsoulenueparluiaveclermetéetpersévérance. L’on ne peut se défendre du sentiment qu’il a craint

111.

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pour lui-même lea violencei da roi de France Bl le » ci lui ii n i’gdeNogan t dont son pr< di i i urBonilace^ ni

était morl et qu a manque de (ail de lui

un instrument dans la main <l nu politique pules, Ce n i tl pa le i eul exemple dam i I persom erainea dont la faibli roté a bit

plus de mal.1 I que la cru iuté on la violi

C’était en pai ipper aux obsessions de

Phili i dont il avait subi les assauts dai

<j, - 1 1. ne Cli m< nt V avait établi

i. non. A peine installé dans cette ville, il satisfaction de voii la candidature

au trône impérial de Chai les de Valois, frère de Philippe li Bel. Il avait eu la faiblesse d’écrire 1 n 1 aux

ues et aux princes d’Allemagne, mais s’il ne travailla peut-être pas secrètement contre le prince qu’il soutenait en apparence, il mit un véritable empressement à ratifier l’élection du comte Henri de Luxembourg qui fut l’empereur Henri VII (bulle du 26 juillet 1309). Clément était ainsi délivré du souci que lui eût causé un accroissement de l’influence française en Europe.

L’éloignement relatif d’Avignon ne permit cependant pas au pape d’échapper aux instances du roi qui voulait consommer son triomphe sur Boniface VIII, en obtenant une condamnation flétrissante pour la mémoire de ce pontife. Déjà, dans les entrevues de Poitiers, le roi avait repris ses poursuites, avec la pensée de rendre Clément Y plus souple dans l’affaire des templiers. Il avait produit quarante-trois chefs d’accusation, et demandait que le pape entendit les témoignages. Après avoir usé de tous les moyens dilatoires en son pouvoir, Clément Y avait dû s’exécuter. Par une bulle du 23 septembre 1309, il cita devant le Saint-Siègepour le carême suivant toutes les personnes qui voudraient intervenir au procès. Des commissaires fuient nommés pour aller en Italie recueillir les dépositions des personnes retenues dans leur patrie. Nogaret, dont l’absolution était en jeu, apportait à cette affaire toute la passion dont il était capable, tout son art de monter une accusation. On retrouve sa méthode dans l’exagération des crimes : honteuses débauches, blasphème, hérésie, irréligion, assassinats, qui sont imputés à Bonitace, dans l’audace avec laquelle des témoins subornés inventaient les pires turpitudes. Clément V finit par comprendre tout ce qui rejaillirait de honte sur l’Eglise et sur la papauté dans ces lamentables débats, et invoquant l’appui de Charles de Yalois auprès de son frère, il supplia Philippe le Bel de se désister (mai 1310). Ce n’est qu’au mois de février de l’année suivante, au moment où le procès des templiers acheminait leur ordre à une ruine définitive, que le roi déféra aux instantes prières du pape. Il reçut d’ailleurs toutes les satisfactions imaginables en dehors d’une condamnation formelle de Boniface : la mémoire de ce pape est pure et sans tache, mais les intentions du roi, dans le procès, ont été droites ; il est innocent des violences exercées contre le pontife ; les constitutions de Boniface sont annulées en tout ce qui nuirait aux droits du roi et de son État, et les minutes en seront raturées à la chancellerie pontificale (27 avril 1311). Enfin Nogaret reçut l’absolution des censures ainsi que ses complices. Le triomphe de Philippe le Bel était consommé.

Le concile de Vienne où devait se vider la cause des templiers devait aussi s’occuper de doctrine et de discipline. Les erreurs des béghards et des béguines et de Jean-Pierre Cliva furent condamnées par le pape et le concile. Les mémoires demandés par le pape aux évêques sur les réformes désirables offrent un grand intérêt d’information quant à l’état réel îles mœurs chrétiennes ; mais le concile, divisé a cause de l’affaire des templiers et plus redouté du pape que consulté, ne lit à peu près rien en cette matière. C’est cependant à Vienne que le pape rendit un décret pour obliger les grandes uuiur 1 deux chaires pour 1 eu :.t de

Après le con< ile, < : i m ni V r< vint à’uiia le roi Robert de Naples, I II, el

envoya cinq cardinaux à Rome pour couronner !

r Henri VII. Le voyage de l’empereur n’eut lieu qu’au milieu de troubles : il dut livrer un combat entrera Rome et s’faire couronner sous la surveill hostile île’une napolitaine, de

que l’expédition, dont le pa| voir soi :

pacification de llta.h

son pouvoir temporel, n’aboutit qu’à une npi raie des armes au milieu de laquelle Henri s._- i t mei d’excommunication par Clément V pour ses mei contre le royaume de Naples. La mort de l’empei arrivée inopinément près de Vienne le iiî août 1313, empêcha peut-être un nouveau conflit entre la papauté tnpiri I isituationde l’Italie demeurait incertaine ne à l’ordinaire. Après la mort de Ibrni VII, I ment Y publia deux décréta fis. dont le ton contrastait avec l’attitude du pape envers le roi de Francments de l’empereur y étaient assimilés nts

de fidélité féodale et le droit d’administrer l’< n durant la vacance revi ndiqué pour le Saint-Siège.

Clément V contribua à (’tendre le système de fiscalité qui devait susciter bien des mécontentements contre le saint-siège. L’abseni - us fournis ordinairement

par les Etats de l’Église et l’entretien d’une cour hors de ses domaines le forcèrent à demander aux églises de France et d’Angleterre des moyens de subsistance. Les prélats français se plaignirent au roi. En Angleterre où Clément Y. dès le début de son règne, se réserva pour deux ans les revenus d’un an de tous les bénéfices venant à vaquer [fruclus primi anni), il dut se montrer accueillant aux désirs du roi Edouard P r en matière de décimes ecclésiastiques et sévère pour l’archevêque Robert de Winchelsea qui avait tant lutté pour Boniface VIII et que le roi poursuivait pour crime de trahison. Dans les premières années surtout du pontilicat, les expectatives de bénéfice, les dispenses d’âge ou de résidence furent extrêmement nombreuses ; en 130". le pape annula par une bulle les commandes qu’il avait multipliées de façon trop indiscrète. Registre, n. 2263.

Clément Y canonisa le pape Célestin Y. à la demande de Philippe le Bel qui poursuivait encore en cela sa vengeance sur Boniface VIII (5 mai 1313).

Le pape Clément Y avait réuni en un livre les décrétais qu’il avait publiées soit au concile de Vienne soit antérieurement. Ce recueil de 1 Clémentines » . qui a pris place dans le Corpus juris canonici à la suite du Liber sc.rlus de Boniface VIII, était prêt pour la publication lorsque le pape mourut à Boquemaure sur le Rhône, le 20 avril 1311, tandis qu’il se rendait d’Avignon à Bordeaux pour revoir encore une fois sa patrie qu’il n’avait que trop aimée. Après sa mort, le trésor pontifical où il avait amassé’de grosses sommes en vue de la croisade fut mis au pillag

Les fautes politiques de ce pape sont réelles : mais on leur trouverait sans peine beaucoup d’excuses. Son irrésolution et sa faiblesse tenaient peut-être en partie à une très mauvaise santé ; les Italiens avaient de leurs mains éloigné le pape de son véritable siège, sinon tout a l’ait de ses États ; Philippe le Bel, qui rompait si ouvertement avec la politique capétienne, était, dans 1., situation fausse, héritée de Boniface VIII et de Benoit XI, un protecteur au^si redouté que nécessaire. D’autre part les chroniqueurs italiens ont dénigré à l’envi Clé. ment V, ne pouvant lui pardonner l’éloignement du pontifical, et avec la complicité des historiens, l’ont rendu responsable de tous les maux de l’Église qu’il leur a plu d’attribuer au séjour des papes à Avignon, tandis qu’il serait de bonne justice d’en faire remonter une partie à l’ensemble de la politique centralisatrice et théocratique >9

CLÉMENT V — CLÉMENT VI

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les papes du moyen âge, une partie aussi aux successeurs de Clément V qui n’avaient pas pour s’installer en demeure sur le Rhône les mêmes raisons que lui, ou, si l’on préfère, les mêmes excuses. La même faiblesse lui rendit Clément V trop docile aux desseins de Philippe le Bel le rendit aussi accessible aux tentations du népotisme. Quatre de ses proches entrèrent dans le sacré collège, et deux reçurent l’épiscopat. Clément V eut tour successeur le pape Jean XXII.

La mort consécutive de Clément V (20 avril) et de Philippe le Bel (29 novembre), dans la même année, frappa vivement l’imagination populaire et donna lieu à la légende de Jacques Molay assignant du haut de son bûcher le pape et le roi pour une date prochaine au tribunal de Dieu. La légende est jolie, mais c’est une légende.

Regesta Clementis V, édit. des bénédictins, 9 in-fol. et appendice, 1885-1892 ; Baluze, Vitse paparum avenionensium, Paris, 1693, 1. 1 ; Muratori, Scriptores rerum Italicarurn, t. iii, p. 673 ; . m b, p. 441 ; t. m c, p. 147 (Villani, Histoire florentine, 1. VIII, X, Florence, 1823) ; Raynaldi, Ânnates ecclesiastici, Turin, 1866, . xxiii, p. 364 ; Hefele, Conziliengescliichte, édit. Knopfler, vi, p. 391 ; Ehrle, Archiv fur Litteratur und Kirchengeschichte des Mittelallers, 1886, p. 353 ; 1887, p. 1 ; 1889, p. 1 sq. ; Christophe, Histoire de la papauté pendant le xiv siècle, Paris, 1853, t. i ; Rabanis, Clément V et Philippe le Bel, Paris, 1858 ; Boutaric, La France sous Philippe le Bel, Paris, 1861 ; Souchon, Die Papstwahlen von Bonifaz VIII bis Urban VI, Brunswick, 1888 ; Leclére, L’élection du pape Clément V, dans les Annales de Ut faculté de philosophie et des lettres de Bruxelles, 1890, t. l, fasc. 1 ; Kœnig, Die pæpstliche Kammer unter Clemens V und Johann XXII, 1894 ; Lindner, Deutsche Geschichte unter il >.n Habsburgern, 1890, t. I, p. 167 ; Poehlmann, Der Boemerzug Kaiser Heinrichs VII, 1875 ; Wenck, Clemens V und Heinrich VU, 1882 ; Renan, Études sur la politique de Philippe le Bel, Paris, 1899 ; Lacoste, Nouvelles études sur Clément V, 1896 ! Berchon, Histoire du pape Clément V, Bordeaux, 1898 ; W. Otte, Der historische Wert der alten Biographie des Papstes Clemens V, Brestau, 1902 ; voir les ouvrages généraux mentionnés a l’article Boniface VIII sur le différend du saint-siège et de la France.

Sur la fin des templiers, voir les textes publiés par J. Michelet, Procès des templiers, dans la Collection de documents inédits sur l’histoire de France, 1841-1851, et par K. Schottmùller, Der Untergang des Templerordens, 1887 ; travaux spéciaux : Gmelin, Schuld oder Unschuld des Templer Ordens, 1893 ; H. C. Lea, Histoire de l’inquisition au moyen âge, trad. par Salomon Reinach, Paris, 1902, t. iii, p. 284-404 ; Langlois, Le procès des templiers, dans la Revuedes Deux Mondes, t. cm (1891), p. 382 ; Delaville Le Roulx, La suppressio)i des templiers, dans la Revue <estïv » s historiques, t. xlviii (1890), p. 29 ; Lavocat, Le s des frères de l’ordre du Temple, Paris, 1888 ; Prutz, Krilische Bemerkungen zum Prozess des Templerordens, dans Deutsche Zeitschrift fur Geschiclitswissetischa/t, 1894, p. 242 ; renseignements bibliographiques dans la Revue liistorique, mai 1889, et dans Archivio storico ilaliano, 1895, p. 225.

H. Hemmer.