Dictionnaire de théologie catholique/CLEMENCE (Vertu)

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 3.1 : CLARKE - CONSTANTINOPLEp. 31-32).

CLÉMENCE (VERTU). -
I. Notion. II. Avantages. III. Manière de l’exercer.

I. Notion. —

1° D’après la définition donnée par Sénèque, De clementia, 1. II, c. iii, et adoptée par saint Tbomas, Sum. theul., IIa-IIæ, q. et vii, a. 1, la clémence est la modération dans un homme qui a le pouvoir de se venger, ou mieux c’est la douceur dont fait preuve un supérieur quand il punit un inférieur : lenitas superioris adversits inferiorem in constiluendis pœnis. La clémence est la compagne inséparable de la mansuétude. Cependant il ne faut point confondre ces deux vertus. La mansuétude a pour fonction de tenir l’âme dans le calme en réprimant l’impétuosité de la colère : elle convient donc à tous les hommes, aux particuliers aussi bien qu’aux supérieurs. La clémence inspire, à ceux qui ont le droit de punir, une juste modération dans l’exercice de la vindicte publique. Elle est, par conséquent, la vertu propre aux princes, aux magistrats, aux supérieurs, à tous ceux, en un mot, à qui est confié l’exercice de la justice vindicative. Comme le dit Sénèque, op. cit. 1. I, c. iii, il n’y a pas d’hommes à qui la clémence convienne mieux qu’aux rois ou aux princes. Les Syriens vantaient la clémence des rois d’Israël. III Heg., XX, .’11. Assuérus use de clémence envers Esther, Esther, iv, II ; viii, 4, et veut gouverner ses peuples avec clémi née, xiii, 2. Tandis que la douceur modère la colère désir de la vengeance, la clémence modère l’application de la punition extérieure. Ces deux vertus concourent au même effet, en ce qu’elles diminuent, chacune à sa fæon, les peines a infliger aux coupables, la douceur en modérant la colère qui pousserait à excéder dans la punition, la clémence en diminuant la peine elle-même justement infligée.

A la clémence est opposée la cruauté qui, dépassant les bornes d’une juste sévérité, se laisse aller, en chàli. int les coupables, à des excès réprouvés par la droite m. Crudeles vocanturqui puniendi causant habenl, … habent. Sénèque, I. II, c. iv. 2° La clémence est une vertu morale, puisque, en diminuant la punition, elle soumet à la droite raison l’appétil désordonné de punir au delà des justes bornes. Elle n’est ni faiblesse ni indulgence excessive qui favoriserai ! le mal par fausse compassion envers les coupables. Elle peut s’allier avec la sévérité, puisque toutes deux sont conformes à la droite raison. La sévérité n’est inflexible dans la punition que lorsque cela est nécessaire, et la clémence ne diminue les châtiments que

quand il le faut et pour les coupables qui le méritent Elle ne modère jamais la peine au delà des limites que la droite raison permet. Si elle abaisse la peine, c’est en dessous de la loi commune, fixée par la justice légale, dans des cas particuliers et pour des raisons spéciales, lorsqu’elle porte le juge à estimer que tel coupable ne doit pas être puni davantage. S. Thomas, loc. cit., a. 2. Elle ne fait pas valoir les droits stricts de la justice légale pour le bien du coupable. Le juge agit de la sorte, non pas en interprétant la pensée du législateur, ce qui serait de l’épichie, mais par simple modération, qui le porte à ne pas user de tout son pouvoir dans l’imposition du châtiment, afin de ne pas contrister plus qu’il ne faut le coupable lui-même qu’il doit punir. S. Thomas, loc. fit., a. 3, ad l un >.

3° Le docteur angélique, loc. cit., a. 3, voit dans la clémence une des parties potentielles de la tempérance, c’est-à-dire une des vertus secondaires qui, tout en ayant un objet de moindre importance, imitent la vertu principale quant au mode d’opération. Le propre de la tempérance est de modérer la concupiscence qui pousse à l’abus des jouissances sensibles. La clémence aussi exerce un rôle modérateur, en ce sens qu’elle incline à l’indulgence et empêche de se laisser aller à une rigueur excessive dans la punition des coupables.

4° Par suite, la clémence n’est pas, à proprement parler, une vertu principale, puisqu’elle ne porte pas à faire le bien, mais éloigne seulement du mal en diminuant la peine à infliger aux coupables. Elle est cependant une vertu principale secundum quid et in aliquo génère. Elle tient, en effet, une des premières places parmi les vertus qui résistent aux mauvaises passions. En modérant la punition, elle se rapproche de la charité qui est la première de toutes les vertus. Elles ont de commun qu’elles empêchent le mal du prochain, et la clémence produit cet effet ex animi lenitate, in quantum judicat essemquum utaliquis non amplius puniatur. S. Thomas, loc. cit., a. 4, ad 3um.

5° La vertu de clémence se trouve éminemment en Dieu. Il est clément, quand, usant de son pouvoir vindicatif contre les hommes pécheurs, il ne les punit pas selon les droits stricts de sa justice et il renonce par bonté à exiger en entier la peine qu’ils ont méritée par leurs fautes. Sa clémence est louée dans l’Ecriture. Exod., xxxiii, 19 ; xxxiv, 6 ; Jonas, iv, 2 ; II Par., xxx, 9 ; II Esd., ix, 17, 31. Les Cbananéens ne la méritaient pas, tant leurs crimes étaient grands. Jos., XI, 20.

IL AVANTAGES. — Nombreux sont les avantages de la clémence. Elle procure aux supérieurs l’amour et la confiance de leurs sujets, l’rov., xvi, 15. Une sévérité outrée pousse à l’exaspération et à la révolte. La clémence, en faisant accepter avec moins de répugnance les peines que la justice est forcée d’imposer, contribue, pour une large paît, à l’amendement du condamné dont elle adoucit le triste sort, l’rov., xi, 19. Elle est pour les chefs d’Etat la meilleure des sauvegardes. Prov., xx, 28. Un prince qui sait unir la clémence à la fermeté se fait chérir des bons et craindre des méchants. Salvum principem in aperlo clementia prscsïabit. H sec est munimentum inexpugnabile, quse tulum reddit imperium. .1. liona, Manuductio ad cxluni, c. xxxiii.

Un ancien comique a décrit les avantages de la clémence en ces vers :

Proxime Dco propinquat, qui utitur clementia : A bestiis nos séparai clementia.

Clemi ntia nés. sed mai I lecet.

Clementia una homines pares facit diis.

III. Manière de l’exercer. — La clémence ne serait

pas une vertu si elle ne suivait le dielainen d’une raison

droite et éclairée. A van ! de gracier un coupable ou d’adoucir sa peine, il faut donc examiner attentivement les circonstances atténuantes qui peuvent militer en sa faveur, se demander ce qui contribuera le plus efficacement à son relevement moral et au salut de son âme, tout en tenant compte, non des caprices de l’opinion publique, mais des exigences vraies du bien commun.

Sénèque le Philosophe a composé en deux livres un traite De clementia. Il l’a dédié a Néron, son ancien élève, qui devait d. mentir si cruellement les espérances que semblait donner le commencement de son regne. Sénéque définit la clémence, en explique la nature et les effets, montre combien elle est nécessaire a des souverains aussi absolus que les empereurs romains. C. Dorison, Quid de clementia senserit I.. Annæus Seneca, in-8. Cæn, 1892. Saint Thomas, Sum. theol., II II, q. CLVII, a coinmenté avec sa profondeur et sa subtilité habituelles les idées de Seneque et a considéré la clémence, vertu stoïcienne, comme une vertu chrétienne. Cf. S. Antonin. Summa theologiæ, part. IV, tit. IV, c. IX ; Lessius, De justitia et jure, I. IV. L. DESBRU’S.