Dictionnaire de théologie catholique/ESPÉRANCE IV. Aspect intellectuel de l'espérance

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 318-322).

avant tout un jugement de possibilité sur son olrjet : et, pour être prucjente, elle exige que ce jugement soit fondé sur une preuve sérieuse. Saint Thomas l’a très bien vii, et observe que, dans l’espérance théologale, c’est la foi, autre vertu théologale, qui doit porter ce jugement de possibilité. « L’objet de l’espérance, dit-il, est un bien futur, difiicile, mais possible à obtenir. Ainsi, pour que l’on espère, il faut que l’objet soit proposé comme possible. Or, l’objet de l’espérance (chrétienne) est la béatitude éternelle et le secours divin… L’un et l’autre nous sont proposés par 2a foi, (jni nous fait connaître que nous pouvons parvenir à la vie éternelle, et que le secours divin nous a i : té préparé pour cela… Il est donc manifeste que la foi précède l’espérance. » Snm. IheoL, II » II, q. xvii, a. 7.

C’est en ce sens que la foi est appelée le fondement de l’espérance, Heb., xi, 1 ; aujourd’hui des protestants mêmes inclinent à traduire CiTroTTÔui :, par /ondenunt, soutien. Cf. Hastings, Dictionary of the Bible,

art. Hiipe, t. ii, col. 412. C’est en ce sens que la foi

est le fondement et la racine de tout le processus de la justification. Concile de Trente, scss. vi, c. vi et viii. Voir Foi. Les païens, n’ayant pas la foi, ne pouvaient avoir l’espérance. Eph., ii, 12. La foi, pour fonder l’espérance, nous fait reconnaître, d’une part, les attributs divins de toute-puissance, de miséricordieuse Jjonté, de fidélité aux promesses ; de l’autre, les promesses divines contenues de fait dans la révélation que Dieu a bien voulu nous donner. Les premières vérités sont nécessaires, les secondes contingentes. Toutes nous sont présentées par la foi avec une certitude souveraine, et servent de base solide au « jugement de possibilité » antérieur à l’espérance.

Mais la foi, n’ayant pour objet que ce qui est révélé, ne peut projeter sa certitude spéciale sur le fait déterminé de notre salut personnel, parce que ce fait n’a pas été révélé. La foi anirme bien cette proposition conditionnelle : > Je serai sauvé, si je ne manque à aucune condition du salut, telle, par exemple, qiie la persévérance finale. » ÎVIais elle n’affirme pas, purement -et simplement, d’une manière déterminée et absolue : " Je serai sauvé. » Et cependant, c’est bien ce salut personnel, pris d’une manière absolue et déterminée, que l’espérance doit avoir pour objet : j’espère mon salut, purement et simplement. Comme objet, l’espérance déliasse donc la foi. Conséquence : le préambule intellectuel de l’espérance ne consistera pas en un simple acte de foi, mais sera plus complexe. Voici, à peu prés dans tout son développement explicite, la série d’actes qui se dérouleront dans l’intelligence du chrétien, du moins si son esprit est cultive et exigeant ; et doit répondre aux objections du décou-Tagement :

Quoique mon saint soit un bien surnaturel, où ma nature ne peut atteindre, la révélation me dit que Dieu a promis à tous les hommes cette béatitude surnaturelle, I Tim., ii, 1, et il est fidèle en ses promesses : donc, mon salut est pratiquement possible.

On peut m’objecter que la promesse du salut est seulement conditionnelle, ( t qu’ainsi tout demeure en suspens..Mais si la promisse du salut est conditionnelle, la promesse du secours de la grâce ne l’est pas : je suis si’ir d’avoir en toute hypothèse le secours divin sufllsant pour pouvoir me sauver. On peut m’objecter encore les tentations terribles qui viendront m’assaillir. Mais, là aussi, le secours divin ne manquera pas. I Cor., X, 1.3. On peut m’objecter enfin que le secours de la grâce demande m.i coopération pour arriver au but ; que cette coopération n’est pas certaine comme le secours lui-même, et qu’elle finira par manquer, vu la faiblesse et la mobilité de ma volonté. Je « uis bien forcé « l’avouer que ma coopération future n’est pas certaine : mais elle est possible, ce qui suffit au jugement de possibilité, préambule sulïisant de l’espérance. F.t puis, je me rejette du côté de la miséricorde inlime de Dieu, des dons ineffables qu’il m’a déjà faits, en me donnant son Fils, etc., Rom., viii, 32 ; de la puissance de sa grâce qui triomphe de nos faiblesses, du don de persévérance accordé à la prière… Alors, sous l’influence de ces vues de foi, mon désir du salut se nuance de cette confiance qui calme le trouble et les angoisses exagérées de la crainte et qui n’a pas besoin pour cela de la certitude de l’événement, ni même de sa très grande probabilité.

Mais, dira-t-on, un simple jugement de possibilité ne nous avance guère. Le chrétien même qui désespère de son salut peut en reconnaître pourtant la possibilité : car, perdant l’espérance, il ne perd pas nécessairement la foi, et il peut continuer à admettre les promesses et la grâce de Dieu, qui rendent le salut possible. Conmient un jugement, compatible avec le désespoir, peut-il servir de base suffisante à l’espérance ? Ou bien, quelle modification ce jugement de possibilité subit-il dans le désespéré ? — Réponse. — Il peut se faire, c’est vrai, que le désespéré admette spéculatiL’cnient son salut comme possible. : Mais, souvent il en ient mal à propos à s’imaginer que, de fait, il ne sera pas sauvé ; ce jugement sur le fait détruit prutiquenunt le jugement de possibilité. « Car, en matière d’espérance, remarque Théophile Raynaud, la conviction que l’événement n’aura pas lieu, d’où qu’elle vienne, équivaut (pratiquement) à un jugement sur son impossibilité : jugement qui, comme on sait, est un obstacle absolu à l’espérance. » (^pe ; a, Lyon, 16155, t. iii, p. 488. D’autres fois, le désespoir peut venir d’une exigence déraisonnable : on voudrait à tout prix avoir la certitude de son salut, quand on n’en peut avoir que la probabilité ; la volonté a le tort de se buter ; et, sans perdre une estime toute spéculative pour le bien désiré, on arrive, à cause de son incertitude, à en faire pratiquement peu de cas, et à le néi ; lii ; er complètement, en quoi consiste proprement ! e désespoir. « Alors, nous ne voulons plus employer aucun moyen pour l’obtenir. Tant que nous sommes disposés à employer encore quelque moyen, ce n’est pas le complet désespoir. » Ilaunold, Theologia, p. 422.

Concluons que le jugement de possibilité est un terrain sulfisant pour faire germer l’espérance, en y ajoutant, toutefois, cette condition négative, qu’il n’y ait pas alors dans l’esprit une idée arrêtée que l’événement n’aura pas lieu (ou une exigence déraisonnable de certitude). Tanner, Theologia scholastica, Ingolstadt, 1627, p. 516. Que notre jugement sur l’-ivénement dépasse souvent ce minimum, qu’il alfirme (à tort ou à raison) une très grande probabilité, une certitude morale de notre salut, soit : mais ce n’est pas là une condition requise pour l’espérance chrétienne, et ce n’est qu’une conjecture humaine et faillible, qui ne repose pas sur la révélation, et ne doit pas se confondre avec la certitude souveraine de la foi.

Intellectualisme â éviter.

Le préambule intellectuel, du moins dans son minimum, est absolument nécessaire à l’espérance. II lui est tellement enchaîné, que parfois, passant aisément d’un bout de la chaîne à l’autre, et les confondant entre eux, nous appelons « espérance n ce jugement lui-même, cette prévisiou de l’avenir, comme si « espérer » était un acte intellectuel. « Qu’espérez-vous de cette démarche ? » c’est-à-dire que pensez-vous de son ulilité.de son résultat ? « l’n événement inespéré, » c’est-à-dire imprévu. " Il a peu (l’espoir qu’il retrouve son argent, » c’est-à-dire peu de probabilité. Ces abus de langage ont déconcerté quelques théologiens peu connus, qui ont pris l’espérance pour un acte de connaissance, tandis que le sentiment commun de l’École la met dans la partie affective. Écoutons, là-dessus, saint Bonaventure : » Espérer, disent-ils, c’est croire fermement qu’on obtiendra quelque chose. Oui, au sens large, « espérer » signifie une assez ferme croyance, qu’un bien sera obtenu par nous-mêmes ou par autrui ; ainsi, voyant un enfant de bon caractère, on « espère » qu’il sera un jour un excellent homme. Alors « espérer » équivaut à estimer probable, ce qui est bien un acte intellectuel. Mais, l’acception est impropre. » In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, a. 2, q. v, adS"-™, Opem, Quaracchi, 1889, t. III, p. 580.

Si l’espérance théologale était réellement un acte intellectuel, elle ferait double emploi avec la foi, qui suffit par elle seule à fonder, aussi solidement que faire se peut, la prévision de notre salut. On ne verrait donc pas pourquoi Dieu nous a donné deux vertus infuses différentes, la foi et l’espérance ; c’est la remarque de saint Thomas. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q. ii, a. 4. Encore si cette espérance prétendue intellectuelle pouvait ajouter à la foi quelque perfection appartenant h l’ordre de la connaissance. Mais elle n’ajoute ni plus de certitude du salut, nous venons de le voir, ni plus de clarté de vision ; saint Paul nous dit que celui qui espère ne voit pas l’objet espéré. Rom., VIII, 24. Il faut donc, avec l’unanimité morale des théologiens, maintenir cette différence fondamentale entre la foi et l’espérance, que la première, bien qu’aidée par la volonté, est dans l’intelligence, tandis que la seconde, bien qu’aidée par l’intelligence, est dans la volonté. Voir Foi.

Le protestantisme a beaucoup contribué à brouiller ces deux notions, à confondre ces deux vertus. On écrit encore aujourd’hui : « L’espérance est le visage de la foi tourné vers l’avenir… Elle n’est pas quelque chose de surajouté à la foi. L’espérance est foi, et la foi est une assurance et une certitude de ce que l’on espère. Heb., xi, 1. La charité est aussi espérance, puisqu’il est dit qu’elle espère tout. I Cor., xiii, 7. » Herzog-Hauck, Bealencyklopàdic fiir protestantische Théologie, 1900, t. viii, p. 233. Sans doute la foi soutient l’espérance ; et la charité régnant dans un cœur pousse à pratiquer toutes les vertus, et, en ce sens, saint Paul dit que la charité souffre tout patiemment, qu’elle croit, qu’elle espère. Mais ces liaisons étroites entre les vertus ne détruisent pas leur individualité propre, et n’en font pas une seule chose, quand saint Paul, avec insistance, en compte plusieurs. I Cor., xiix, 13. Au reste, d’autres protestants modernes distinguent un peu mieux l’espérance de la foi : « On peut définir l’espérance, le désir d’un bien futur, accompagné de la foi en sa réalisation. » Hastings, Dictionani of ihe Bible, 1899, t. ii, col. 412.

Une autre espèce d’intellectualisme moins radical, mais qu’il faut fuir aussi dans la théorie de l’espérance, serait de vouloir établir une équation parfaite entre la probabilité plus ou moins grande qui nous apparaît en faveur de l’événement futur, et la force ou l’intensité plus ou moins grande de l’espérance : comme si l’accroissement de cette force ne pouvait venir que d’une conclusion mieux prouvée. Il faut un préambule intellectuel, nous l’accordons : il faut arriver à ce jugement pratique que nous pouvons prudemment nous livrer à l’espérance. Mais, une fois cette condition posée, la force du désir, la force du courage et de la confiance ne dépendra pas uniquement de la perfection intellectuelle de nos raisonnements, de l’étude complète que nous aurons faite de la question. Cette force peut s’augmenter autrement, par exemple, de ce fait, que je m’absorbe dans la contemplation des raisons d’espérer, sans regarder attentivement les raisons de craindre. Et cette méthode, de ne regarder qu’un côté de la question, est légitime, quand il s’agit non pas d’un acte intellectuel, d’un jugement spéculatif à porter sur le fait futur, jugement qui, certes, devrait tenir compte de tous les éléments de la question, mais d’un acte de désir et de volonté. On ne demande pas à l’amour d’être impartial et d’apporter des preuves. Vous avez le droit, par exemple, de préférer votre patrie à toutes les autres, c’est-à-dire de l’aimer davantage. Mais si vous venez à transformer cette préférence toute affective en préférence intellectuelle, si, par jugement, vous considérez votre patrie comme étant objectivement au-dessus de toutes les autres, c’est alors qu’on peut vous reprocher le manque de preuves et d’impartialité. De même, en face des difficultés, vous pouvez grandir à volonté votre courage et votre confiance, comme si vous étiez sûr du succès ; on ne peut vous reprocher cet optimisme du cœur, il est peut-être héroïque. Mais, si vous passez de là à l’optimisme du jugement, si, d’après la vivacité de vos impressions, vous prétendez prédire la réussite comme certaine, on pourra vous traiter non pas de héros, mais de naïf.

Ainsi, pour l’espérance chrétienne : nous avons le droit d’en faire croître la force et la fermeté, non pas seulement par un surplus de preuves, mais aussi en nous absorbant dans la pensée des attributs divins qui montrent, soit l’excellence de la possession de Dieu, soit la possibilité de l’atteindre, et en laissant dans l’ombre, pour le moment, les raisons de craindre notre défaut de coopération à la grâce. Oublions-nous nous-mêmes, et notre espérance grandira. Ce procédé ne saurait être trop recommandé aux âmes craintives, tourmentées par l’incertitude du pardon de leurs fautes, ou de leur persévérance et de leur salut. Ce qu’il leur faut, ce n’est pas un raisonnement introuvable qui rende certain ce qui reste incertain c’est la distraction, l’oubli des sujets de crainte, les paroles et les lectures qui portent à la confiance. Mais si nous voulions transporter dans l’ordre intellectuel ce procédé unilatéral et partial, et déclarer qu’il n’y a rien à craindre de notre faiblesse, qu’elle est dans l’affaire du salut une quantité négligeable, nous sortirions de nos droits et de la vérité.

Certitude de l’espérance. —

Ce que nous venons de dire peut servir à montrer le vice du système de Luther. Encore moine, agité par les anxiétés de sa conscience, il cherche le repos dans la confiance du pardon. Mais, en simpliste et en outrancier qu’il est, il veut faire de cette confiance le tout de l’âme, exclure tout ce qui devrait l’accompagner et la mettre au point, la crainte salutaire, les bonnes œuvres, la contrition des péchés, le sacrement de pénitence, toutes choses qu’il finira par attaquer ouvertement comme inutiles et nuisibles. Pour exalter ainsi la confiance aux dépens de tout le reste, il arrive à lui donner des proportions démesurées ; et, comme il la confond, par un fâcheux intellectualisme, avec le jugement qui la précède et la conditionne, il veut que ce jugement sur le pardon divin n’en exprime pas seulement la possibilité, la probabilité bien grande, mais l’absolue certitude. D’après lui, nous devons croire comme article de foi que nos péchés nous sont pardonnes. C’est même l’unique article important à croire pour que Dieu nous pardonne, en effet, et nous sauve : c’est la » foi justifiante » , qui tient lieu de tout.

Nous n’avons pas à relever ce que cette théorie a de compromettant pour le vrai concept de la foi. Voir Foi. Nous ne la jugeons ici que dans son rapport avec le préambule intellectuel de l’espérance, et nous disons : Quand il s’agit d’un jugement absolument certain, il faut des preuves proportionnées : où sont-elles ? Il est certain, dites-vous, il est de foi divin e que Dieu me pardonne en ce moment. Est-ce qu’il vous le dit ? Le concluez-vous d’une révélation générale et conditionnelle, qui vous montre le pardon attaché à certaines conditions de votre part ? Êtes-vous sûr de réaliser ces conditions ? Ou bien, le concluez-vous de quelques émotions qui peuvent n’avoir d’autre origine qu’une excitation nerveuse. Il ne vous reste qu’à recourir à cet illuminisme qui, à toutes les époques, a sévi parmi les protestants. Aujourd’hui encore, dans plusieurs sectes, chaque fidèle doit avoir son grand jour de conversion, où Dieu est censé lui apparaître, lui certifier son pardon ou son salut. William James, dans son livre des Variétés de l’expérience religieuse, en donne de curieux exemples. Cf. Études du 20 octobre 1907, p. 2Il sq.

Le concile de Trente a donc sauvegarde le bon sens aussi bien que la foi, par cette défmition :

Nemini fiduciamet certiOn nedoitpasdirequeles

tudinem reniissionis peccapéchés sont pardonnes à qui torum suorum jactanti et in conque vante sa confiance

ea sola quiescenti peccata et la certitude de la rémis dimitti vel dimissa esse dision de ses péchés et se re cendum est… Vana hîec et poseuniquementlà-dessus…

ab omni pietate remota fiCette confiance est vaine et

ducia. Sed neque illud assebien loin de la piété. Il ne

rendum estoportere eos.qui faut pas dire non plus que

vcrejustificati sunt, absque les vrais justes doivent se

ulla omnino dubitatione persuader sans le moindre

apud semetipsos statiiere se doute.qii’ils sont justifiés…,

esse justificatos… quasi qui comme si, en dehors de cette

hoc non crédit, de Dei propersuasion, on doutait des

inissis deque mort i s et repromesses de Dieu et de l’ef surrectionisChristi efficacia ficacitédelamortetdelaré dubitet. Nam, sicut nemo surrection du Christ. Car, si

piusdeDei misericordia, de l’on ne peut sans impiété

Christi mcrito deque sacradouter de la miséricorde de

mentorum virtute et efficaDieu, du mérite du Christ et

cia dubitare débet : sic quide la vertu des sacrements,

libet, dumseipsum suamque on peut toujours, quand on

propriam infirmitatem et se regarde soi-même et sa

indispositioncm respicit, de propre faiblesse et son peu

sua gratia formidarc et tide disposition, craindre et

merepotest.cumnuUusscire redouter de n’être pas en

valeat certitudine fidei, oui état de grâce, personne ne

non potest subesse falsum, pouvant savoir d’une certi se gratiam Dei esse consetude infaillible de foi, qu’il

cutum. Sess. VI.c. ix, Denest en grâce avec Dieu, zinger, n. 802 (684).

Aux yeux du simple bon sens, quand il s’agit d’un jugement certain, il faut tenir compte de tous les cléments de la question. Le fait de mon pardon ne dépend pas seulement des promesses de Dieu et des mérites du Christ, mais aussi des obstacles que je puis y mettre, de la valeur réelle de ma foi et de mes autres dispositions, ce qu’il m’est difficile d’apprécier. A fortiori pour mon avenir et mon salut : je ne puis sa-oir avec certitude si ma cooiiération à la grâce ne jnanqucra pas un jour. Aussi, le concile ajoute :

Si quis magnum usque in Siquelqu’unditqu’ilaura

fincm persevoranli.Tdonum certainement, d’une ccrti sc certohabiturum absoluta turic absolue et infaillible,

et infallibili certitudine dice grand don de la pcrsévé xerit, nisi hoc ex spcciali ratice finale, hors le cas ex revelatione didicerit, anaceptionnel d’une révélation

thema sit. Sess. Vl.can. 16, particulière, qu’il soit ana Dcnzinger, n. 820 (708). Cf. thème, can. 15.

Ces définitions mettent au point la formule devenue commune parmi les théologiens : « L’espérance est certaine. » Elles nous disent au moins dans quel sens il ne faut pas la prendre : aucun jugement absolu ment certain sur le fait de notre salut personnel ne doit être exigé pour l’espérance ou la confiance, de quelque manière que ce soit ; soit que l’on confonde un (cl jugement avec l’espérance ou la confiance, soit que l’on en fasse seulement un préambule nécessaire, i

Quant à l’explication positive de cette formule théologique, saint Bcnaventure nous avertit qu’elle n’est pas facile. La difficulte vient de ce que l’espérance en général est regardée plutôt comme ayant un objet incertain, voir plus haut, col. 610, et de ce que l’espérance chrétienne elle-même, d’après la doctrine de l’Église, a un objet incertain, le pardon et le salut de celui qui espère. De plus, tout le monde entend par’< certitude » une perfection purement intellectuelle ; or, l’espérance n’est pas un acte intellectuel mais alTectif, voir plus haut, col. 615 ; comment donc peut-elle être certaine ? Il y a deux réponses à cette difficulté, deux explications de cette « certitude de l’espérance » . Elles ne se contredisent point d’ailleurs, et peuvent s’additionner.

La première explication, qui nous pnrait la meilleure, c’est qu’il y a une certaine analogie entre la certitude proprement dite et certaines qualités de l’espérance, comme la fermeté du courage en face des difficultés et dans ce courage, la sérénité, la sécurité, le calme de la confiance. Voir plus haut, col. 609. La certitude n’a-t-elle pas, elle aussi, sa fermeté opposée au doute ? Comme repos de l’intelligence dans le vrai, n’a-t-elle pas sa tranquillité, sa sécurité ? L’analogie est incontestable. Or, si l’on peut, à cause d’une pareille analogie, transporter ; un de nos cinq sens les mots qui ne conviennent proprement qu’à un| autre, et parler de la « gamme des couleurs, de la blancheur de la voix » , etc., on pourra aussi transporter le nom de « certitude » d’une faculté à l’autre, de l’intelligence à la volonté, pour signifier la sereine fermeté d’un mouvement affectif. I^e chrétien qui espère n’a pas de son salut la certitude proprement dite, qui chasse de l’esprit la trépidation du doute : mais il a quelque chose d’analogue, le courage tranquille et confiant qui chasse de la partie affective le trouble, la trépidation de la terreur, l’abattement du désespoir. Son intelligence peut douter quand il considère sa faiblesse, son courage ne chancelle pas.

Cette explication est indiquée par saint Thomas, quand il nous dit que la certitude est premièrement et proprement dans la connaissance, mais qu’elle peut se trouver ailleurs pcr simililiidinem ; que « la certitude de la foi est intellectuelle, mais la certitude de l’espérance est affective » : qu’à la certitude de la foi s’oppose le doute, à la certitude de l’espérance, la défiance ou l’hésitation. » 7 ; i IV Sent., 1. III, disl. XXVI, q. III, a. 4. Saint Bonaventure ajoute ; i Quoique ces deux certitudes soient différentes, cependant elles ont ceci de commun, qu’elles ont chacune une certaine fermeté. La foi affermit l’intelligence contre l’incrédulité ; l’espérance affermit la partie affective contre la défiance… c’est une certaine adhésion virile. » In IV Sent., I. III, dist. XXVI, a. 1, q. v. « La certitude de l’espérance, disent les Salmanticenses, consiste dans la fermeté et la détermination de la volonté à atteindre le salut, et non dans la détermination d’un jugement énonçant qu’on sera sauvé. La perte du salut, qui arrive à plusieurs de ceux qui l’ont espéré, convaincrait de fausseté un tel jugement s’il avait précédé, mais elle n’empêche nullement la détermination et la fermeté de ciiur, tant que dure l’es ;) v.mce (ainsi, le malheur final ne jirouve nullemeiii. qu’on n’ait pas véritablement espéré, ni qu’on ailvspcrésansmotif, ou sans fermeté) » . Disp. II, n..3.3.

Seulement, après cette explication, on peut se demander si les anciens théologiens n’auraient pas mieux fait de parler d’espérance « ferme » , expression plus générale et convenant aussi à la volonté, plutôt que d’espérance « certaine n. expression réservée à l’intelligence. Que voulez vous ? Commentant le texte du Maitre des Sentences, ils y prenaient la définition de l’espérance. Et le Lombard, qui ne semble pas avoir eu de l’espérance une notion bien approfondie, et ne la touche qu’en passant, leur offrait cette définition : « L’espérance est une attente certaine de la future béatitude, » etc. S. Bonaventurc, Opéra, Quaracclii, t. iii, p. 553. Il avait pour lui un mot de saint Augustin sur « l’espérance certaine » . Et puis, les grands docteurs de la scolastique ne pouvaient prévoir l’abus que feraient un jour les protestants de cette certitude de l’espérance ou de la confiance.

Ce qui est remarquable, c’est que le principal texte scripturaire apporté pour la « certitude i’de l’espérance, ne dit rien de plus que la » fermeté » en général. C’est le texte qui a donné à l’art chrétien le pittoresque emblème de cette vertu, une ancre de navire : « L’espérance, qui est jjour notre âme une ancre sûre et ferme. » Heb., vi, 19. La fermeté de l’ancre qui s’agrippe au fond des eaux n’est pas forcée de signifier quelque chose d’intellectuel, et peut aussi bien symboliser le désir courageux du ciel, qui dans les grandes épreuves empêche la volonté de se laisser entraîner à la dérive, la tranquille confiance qui fixe ses inquiétudes. Ce qui est non moins remarquable, c’est que le concile de Trente évite le mot de « certitude » pour employer le mot plus vague de « fermeté » , flrmissimam spem. Voir plus haut, col. 608. L’Église n’a pas autrement défini cette qualité de l’espérance chrétienne.

La seconde explication, qui est très répandue, prend la certitude au sens propre du mot : seulement, elle n’en fait pas une qualité intrinsèque de l’espérance, mais ime pure dénomination qui lui vient de l’acte de foi précédent, en qui réside la certitude. De même que nous appelons « volontaire » un mouvement du corps fait sous l’influence d’un acte de la volonté, ainsi, semble-t-il, nous pouvons dénommer < certain " un mouvement de la volonté fait sous l’influence d’un jugement certain de la foi.

C’est l’explication de saint Thomas, dans II » II’q. xviii, a. 4. Ailleurs, il explique de même comment le nom de fîdiicia vient de fides, quoique la confiance, fidiicia, soit dans la volonté et non dans l’intelligence : « De cette croyance, fides, qui précède, dans l’intelligence, le mouvement qui suit dans l’appétit, reçoit le nom de fiducia. Le mouvement appétitif reçoit une dénomination tirée de la connaissance qui précède, comme un effet tire son nom de sa cause plus connue que lui : car la force qui connaît saisit mieux son acte propre que celui de la force appétitive. > Aperçu profond qu’indique en passant le grand docteur. Il est naturel que notre force de connaître, en se réfléchissant sur elle-même, voie mieux ce qui se passe en elle, ce qui sort d’elle, et au contraire analyse moins bien ce qui est le fait d’une autre force. De là. sans doute, la précision que met notre raison dans l’analyse de ses opérations logiques, et le vague qu’elle rencontre dans l’analyse de ce qui est sentiment, amour, volonté. De là aussi cette tendance ultra-intellectualiste dont doivent se défier le psychologue et le théologien, et qui consiste à transposer dans l’ordre intellectuel, pour les analyser plus facilement, des actes purement aflectifs ; c’est ce qui est arrivé à l’espérance elle même. Voir plus haut, col. 614 sq.

Conciliation de l’espérance avec la crainte salutaire.

Les auteurs nombreux qui donnent cette seconde explication font remarquer avec raison que l’espérance est « certaine du côté de Dieu, incertaine du côté de l’homme, » en d’autres tcrii ; c$, que le jugement infafllible de la foi, d’où l’expérience tire cette dénomination de certitude, porte imiquement sur les promesses divines, sur les attributs divins, toutes choses inébranlables qui ne peuvent faire défaut, Heb., VI, 17, 18, mais qu’il ne porte pas sur la persévérante coopération des hommes, qui peut manquer par leur faute ; et, dans ceux-là mêmes où elle se rencontrera un jour, elle n’est pas révélée, et, par suite, n& peut être l’objet de foi infaillible et divine. De là, à côté d’une possibilité d’espérer, une possibilité de craindre. S’il est essentiel à l’espérance de supprimer les anxiétés troublantes, les terreurs exagérées et nuisibles, il ne lui est nullement essentiel de sujiprimer toute crainte. Et si l’on est libre, pour mieux espérer, de s’absorber dans la contemplation des promesses divines et des divins attributs qui les caractérisent, en oubliant pour le moment sa propre faiblesse, voir plus haut, col. 614, on est libre aussi déconsidérer, à d’autres moments, cette faiblesse humaine qui peut tout perdre, et de redouter les sanctions que Dieu a voulu joindre à sa loi, apparemment pour qu’elles nous ser’ent quelquefois à nous éloigner du mal par une crainte salutaire. C’est ce qu’indiquait plus haut le concile de Trente. Voir col. 617. L’espérance et la crainte, bien qu’elle ? fassent sur l’âme des impressions contraires, pensent se coordonner au même but : la crainte peut s’employer à rendre plus sûre l’acquisition de l’objet espéré. « Poursuivre un bien comme fait l’espérance, fuir un mal comme fait la crainte, voilà qui paraît opposé, dit Guillaume d’Auvergne, et cependant, on n’a pas l’un sans l’autre. Personne n’arrive au bonheur des divines promesses sans échapper au malheur des divines menaces… De plus, la crainte est un remède contre la présomption : ce contrepoids, ce régulateur retient l’espoir et le préserve d’une élévation ruineuse. » De moribus, c. m. Opéra, Paris, 1674, p. 196.

En somme, l’incertitude de notre salut met notre âme entre deux courants contraires d’espérance et de crainte, auxquels elle peut se livrer successivement. Ces deux courants se tempèrent l’un par l’autre : l’espérance retient la crainte dans de justes bornes, pour qu’elle n’amène pas le trouble ou le désespoir : la crainte empêche l’espérance de dégénérer en présomption et en laisser-aller. Suivant qu’une âme fait prédominer dans sa vie normale l’un de ces deux, courants, ou fait prédominer sur tous les deux le motif de la charité parfaite, il y a lieu de distinguer avec les Pères différentes catégories de chrétiens.

Luther et Calvin, parce qu’ils voyaient dans la confiance l’unique moyen de salut dont on ne saurait abuser, et qu’ils y faisaient entrer la certitude absolue du salut personnel, sont arrivés logiquement à condamner la crainte. Sur ! a légitimité et l’utilité de la crainte de l’enfer, voir Crainte, Attrition.

Quand saint Paul dit que l’espérance ne fera pas honte, où —/aTattr/ûvei, spes non confundit, Rom., v, 5, faut-il en conclure que l’événement espéré, le salut, arrivera infailliblement ? Non ; mais lors même que le chrétien qui a espéré sera couvert de confusion à cause des péchés qui l’auront perdu, il restera VTai que son espérance surnaturelle ne lui fera pas de honte. Quand est-ce que l’espérance fait’rougir ? Quand elle a été futile, mal fondée, imprudente ; quand elle a désiré un faux bonheur, poursuivi comme but de la vie un vain fantôme ; quand elle s’est fiée, pour atteindre son but, à des secours débiles, à des promesses trompeuses. Si telle est l’espérance du mondain et de l’impie, Jer., xvii, 5 sq. ; Sap., v, 15, 16, ce n’est pas le cas de l’espérance surnaturelle, prudente, bien motivée, poursuivant le seul vrai bonheur, avec l’aide puissante de la grâce divine. Il n’y a pas à rougir d’un tel acte, quoi qu’il advienne. Cf. Ripalda, —De spe, . dist. XXV, n. 68, Paris, t. viii. p. 135.


V.L’espérance comme acte affectif, analyse plus approfondie

Théorie de l’amour ; nature de l’amour qui est à la base de espérance. Voir plus haut, col. 609. —

C’est un amour intéressé, en ce sens que celui qui espère aime un bien pour soi, et cherche