Dictionnaire de théologie catholique/ESPÉRANCE VI. Matière de l'espérance chrétienne

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 327-328).

Dans cette foule d’objets à espérer, il y a comme une liiérarchie. Au sommet, l’objet principal : c’est Dieu à posséder dans la béatitude, dans la gloire éternelle. Ainsi, dans la révélation plus parfaite du Nouveau Testament, quand il est question de l’espérance, ce grand objet est-il d’ordinaire seul présenté ; non pas qu’il soit le seul, mais parce qu’il domine tous les autres. « L’espérance de la gloire. » Col., i, 27. « L’espérance de la gloire des enfants de Dieu, » Rom., v, 2. « L’espérance du salut. » I Thess., v, 8. « Dans l’espérance de la vie éternelle, que nous a promise le Dieu qui ne ment pas. » Tit., i, 2 ; cf. ii, 13 ; iii, 7. « Ayant confiance d’entrer dans le saint des saints par le sang du Christ, … gardons inébranlable la confession de notre espérance. » Heb., x, 19, 23. « Par la régénération.. Dieu a mis en nous une vive espérance… pour l’héritage incorruptible et indestructible qui vous est gardé dans les cieux. » I Pet., i, 3, 4. « Nous le verrons tel qu’il est ; quiconque a cette espérance, se sanctifie. » I Joa., III, 3. « Si nous espérons recevoir du Christ des biens dans cette vie seulement, nous sommes les plus misérables de tous les hommes. » I Cor., xv, 19.

L’espérance de ce grand objet entraîne avec elle, nécessairement, l’espérance de plusieurs objets secondaires ; qui désire efficacement une fin désire, par une suite nécessaire, les moyens d’y parvenir. Les moyens directs de parvenir au salut, ce sont les grâces multiples, sans lesquelles nous ne pouvons être sauvés ; ainsi dans l’oraison dominicale sont énumérés le pardon des péchés, la protection contre les tentations ; saint Pierre, comme objet de l’espérance chrétienne, ne propose pas seulement la gloire céleste, mais encore la grâce. I Pet., i, 13. Quant aux biens temporels, leur nature les rend quotidiennement l’objet d’une espérance toute profane et toute mondaine ; ils ne pourront donc entrer dans le domaine propre de l’espérance religieuse qu’en une certaine mesure, et à un point de vue spécial : par exemple, comme soutiens nécessaires de nos forces, et moyens indirects de pouvoir travailler pour la vie future, et de pouvoir la mériter. D’ailleurs, le Nouveau Testament n’a plus les promesses temporelles de la loi mosaïque, et les remplace par l’abondance des promesses spirituelles.

Concluons, avec saint Thomas, que « l’espérance regarde principalement la béatitude éternelle, puis secondairement, et par rapport à cette béatitude, les autres choses demandées à Dieu. » Siim. theol., 11= 11-^=, q. XVII, a. 2, ad 2’"".

Dans une science, un art ou une vertu, quand on a ainsi toute une hiérarchie d’objets subordonnés à un seul d’entre eux, celui-ci est appelé en langage scolastique « objet d’attribution » , et sert à distinguer de toute autre, à « spécifier » cette science, cet art ou cette vertu. Au lieu d’un fouillis incohérent où se perdrait l’esprit, cette subordination des objets établit l’ordre, l’unité, la physionomie spéciale de chaque science. L’étude des objets secondaires n’est introduite dans une science qu’en tant qu’elle sert à mieux connaître l’objet principal. La botanique, la chimie et la physique ne sont pas de la médecine : cependant, comme la connaissance des propriétés de certaines plantes, de certains minéraux, de certains phénomènes physiques, sert à la guérison des maladies, objet principal de la médecine, il s’ensuit que le futur médecin devra faire des excursions dans ces diverses sciences en vue de son objet â lui, et en rapporter des subsides au point de vue médical ; il y aura ainsi, comme parties secondaires de la médecine, une botanique médicale, une chimie médicale, une physique médicale. Quand il étudiera l’une de ces parties, il ne pensera pas à chaque instant à la guérison des maladies ; cette perpétuelle intention de l’étudiant n’est pas nécessaire pour établir une subordination qui résulte de la nature même des choses. De même le fidèle qui espère de la bonté de Dieu une grâce particulière ou même un bien temporel, n’a pas besoin de songer à tout instant à la béatitude céleste, et de lui rapporter cet objet : par sa nature même, il s’y rapporte d’une certaine manière, directement ou indirectement, et fait ainsi partie du domaine de l’espérance chrétienne. Cf. Chr. Pesch, l’rselcclioncs Iheologicæ, t. viii, n. 483.

Ainsi l’objet d’attribution n’est pas seulement un objet matériel principal : puisqu’il peut servir à spécifier la science ou la vertu, à en déterminer le domaine et le caractère, puisqu’il est, pour les objets secondaires et purement matériels, la seule’raison de leur introduction dans cette science ou dans cette vertu, il a droit au titre d’objet formel ; l’objet formel étant par définition celui qui détermine les objets matériels, et qui donne à tout l’ensemble unité et caractère spécial.

Voilà donc l’espérance chrétienne assez bien caractérisée déjà, et reconnaissable aux fidèles, quoi qu’il en soit des subtilités où nous allons nous engager.


VII. Motif de l’espérance chrétienne.

Nous entrons dans une controverse singulièrement difficile, qui touche à des questions psychologiques fort délicates. Rappelons d’abord les notions indispensables.

Chaque vertu a comme un ressort essentiel qui fonctionne dans chacun de ses actes : c’est son « motif » (de movco, molum), c’est-à-dire l’objet spécial qui meut, qui met en mouvement la faculté. Si la vertu est inlcllectuelle, le motif sera une raison qui agit sur l’intelligence : ainsi, le motif de la foi chrétienne sera l’infaillible autorité du témoignage divin. Voir Foi. Si la vertu est affcctive, le motif ne sera plus un rayonnement du vrai, mais un rayonnement du bien qui (à travers l’intelligence cependant) attirera la volonté ; ce sera un idéal particulier de bonté morale, propre à chaque vertu ; ainsi la miséricorde est attirée par l’idéal du soulagement des misères, la justice par l’idéal du respect de tous les droits des autres, la tempérance par l’idéal d’une subordination de la matière à l’esprit, de l’homme animal à l’homme raisonnable. Cet idéal, ce motif propre, donne à chaque vertu son espèce, son unité, son degré spécifique de valeur morale dans la hiérarchie des vertus ; il est pour elle la raison d’atteindre les « objets matériels -> qui constituent bon domaine. Il peut donc s’appeler « objet formel » ; et même ce nom, que nous venons de rencontrer sur notre chemin, lui est plus ordinairement réservé. A bon droit cependant, nombre de théologiens préfèrent distinguer deux « objets formels » pour chacune des vertus théologales : objectum formule qiiod, c’est l’objet d’attribution, voir plus haut, col. 631 ; objectum formate quo, c’est le motif. L’un et l’autre, quoique d’une façon différente, contribuent à spécialiser, à caractériser la vertu.

De yjlus, il est telle condition générale à laquelle sont soumis tous les objets matériels d’une vertu, et qui sert à leur délimitation, sans pourtant se confondre avec le motif. « Il ne faut pas, dit Théophile Raynaud, prendre pour des motifs de l’aflection d’espérance toutes ces circonstances, requises dans la chose espérée. Elles doivent s’y rencontrer, parce qu’il est de l’essence de cette affection que son motif soit appliqué à une matière revêtue de ces conditions ; mais elles ne sont pas (toutes) des motifs. » Opéra, Lyon, 1665, t. iii, p. 48’, ). Schiffini fait la même réllexion. De virtutibus, p. 10, 180. Par exemple, une des conditions générales que doit revêtir tout objet d’espérance, c’est d’être difficile à acquérir. Cette difficulté, arduitas, parce qu’elle sert à déterminer la matière de l’espérance, à délimiter son domaine, est