Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VIII. La messe dans la liturgie 7. Le De sacramentis du Pseudo Ambroise

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 37-38).

VII. LE DE SACRAMENTIS DU PsEL’DO-A.MBROISE. —

Ce texte a une réelle importance dans l’histoire liturgique, parce qu’il contient de longs fragments qui se retrouveront presque mot pour mot dans le canon romain.

L’ouvrage est attribué à tort ou à raison à saint Ambroise ; il n’est pas en tout cas postérieur à la fin du ive siècle, et s’il n’est pas de saint Ambroise, comme le veulent encore quelques critiques, il semble composé d’après des notes rédigées sur son enseignement. Son lieu d’origine, d’après L. Duchesne, pourrait être « une de ces Églises du Nord de la péninsule italique où l’usage de Rome se combinait avec celui de Milan, à Ravenne peut-être. » En tout cas ses analogies avec le De mysteriis de saint Ambroise sont frappantes.

Pour toutes ces raisons nous donnerons ici ce texte comme le témoin le plus important et le plus ancien du canon romain, de façon que la comparaison des deux textes soit rendue facile. Texte du De sacram. dans P. L., t. xvi, col. 462-464.

Texte du De sacramentis Canon romain Te igitur

Mémento Domine….

Communicantes….

Hanc igitur oblationem…

Fac nobis (inquit sacerQuam oblationem tu Deus, dos) hanc oblationem ascripin omnibus, quæsumus.benetam, ratam, rationabilem, dictam, adscriptam, ratam, acceptabilem, quod figura rationabilem, acceptabilemest corporis et sanguinis que facere digneris : ut nobis Jesu Christi. corpus et sanguis fiât dilec tissimi Filii tui Domini nostri Jesu Christi.

Qui pridie quam patereQui pridie quam pateretur, in sanctis manibus suis tur, accepit panem in sancaccepit panem, respexit in tas, ac venerabiles manus caalum ad te, sancte Pater suas : et elevatis oculis in omnipotens, aeterne Deus, cselum, ad te Deum Patrem gratias agens, benedixit, fresuum omnipotentem, tibi git, fractumque apostolis gratias agens, benedixit, fresuis et discipulis suis tradigit, deditque discipulis suis dit, dicens : accipite et édite dicens : accipite et manduex hoc omnes : hoc est enim cate ex hoc omnes : hoc est corpus meum, quod pro enim corpus meum. multis confringetur.

Similiter etiam calicem, postquam cœnatum est, pridie quam pateretur, accepit, respexit in cælum ad te, sancte Pater omnipotens, aeterne Deus, gratias agens, benedixit, apostolis suis et discipulis suis tradidit, dicens : accipite et bibite ex hoc omnes : hic est enim sanguis meus.

(Et sacerdos dicit :) Ergo memores gloriosissimæ ejus passionis et ab inferis resurrectionis, in crelmn ascensionis, offerimus tibl hanc iinmaculatam hostiam, hune panem sanctum et calicem vitæ aeternæ ;

et petimus et precamur, ut

Simili modo postquam cœnatum est, accipiens et hune præclarum calicem in sanctas ac venerabiles manus suas, item tibi gratias agens, benedixit, deditque discipulis suis, dicens : accipite et bibite ex eo omnes :

Hic est enim calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti : mysterium fidei : qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum.

Hæc quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis.

Unde et memores, Domine, nos servi tui sed et plebs tua sancta, ejusdetn Christi Filii tui Domini nostri tam beatæ passionis, nec non et ab inferis resurrectionis, sed et in caîlos gloriosæ ascensionis : offerimus præclarac majestati tuse de tuis donis ac datis, hostiam purani, hostiam sanctam, hostiam lmmaculatam, panem sanctum vitæ aeternoe et calicem salutis perpétua ;.

Supra qusc propitio ac

hanc oblationem suscipias in sublimi altari tuo per manus angelorum tuorum, sicut suscipere dignatus es munera pueri tui justi Abel et sacrificium patriarchæ nostri Abrahse et quod tibi obtulit summus sacerdos Melchisedech.

sereno vultu respicere digneris, et accepta habere, sicuti accepta habere dignatus es munera pueri tui justi Abel, et sacrificium patriarche nostri Abrahæ et quod tibi obtulit summus sacerdos tu us Melchisedech, sanctum sacrificium, immaculatam hostiam.

Supplices te rogamus, omnipotens Deus : jubé hæc perferri per manus sancti angeli tui in sublime altare tuum, in conspectu divinae majestatis tuse, etc.

Il faut tout d’abord remarquer que le texte du De sacramentis n’est pas, comme le canon romain, un texte proprement liturgique ; c’est une citation donnée par un écrivain au cours d’un traité sur la messe, texte qu’il explique et qu’il commente, ce qui a permis à certains auteurs, Funk, par exemple, de n’en pas faire grand cas. Il faut ensuite compléter ce texte que nous avons cité, ce qu’on ne fait pas toujours, par les passages qui suivent et qui font partie de la messe.

Le Hsec quotiescumque feccritis, qui manque dans le texte précédent est donné un peu plus loin, IV, vi, 26, col. 464 : Vide quid dicat : quotiescumque hoc jeceritis, loties commemorationem mei facietis donec iterum adveniam.

D’après un autre passage les fidèles disaient Amen après la communion. IV, v, 25, col. 463. A la communion on chante le ps. xxii : Dominus pascit me et nihil mihi deerit. V, ni, 13, col. 468.

On peut même supposer que le Pater dont le commentaire est donné, V, iv, 18 sq., col. 469, se disait à ce moment et se terminait par une doxologie, qui diffère de celle usitée dans les liturgies occidentales mais se rapproche de la doxologie orientale. VI, v, 24, col. 480.

Texte du « De sacramentis » :

Quid requiritur ? audi quid dicat sacerdos : perDominum nostrum Jesum Christum in quo tibi est, cum quo tibi est honor, laus, gloria, magnificentia, potestas cum Spiritu Sancto a sæculis, et nunc et semper, et in omnia sæcula sæculorum. Amen.

On aura remarquée aussi que dans le texte du De sacramentis manquent les mots sanctum sacrificium, immaculatam hostiam, ajoutés par saint Léon.

L’auteur nous donne cette prière comme la formule de consécration, et il est clair par son commentaire que, pour lui, la transformation des éléments s’opère à ce moment. Il semble bien, quoique certains auteurs croient le contraire, que la formule du De sacramentis soit antérieure à la rédaction du canon romain au moins sous sa forme actuelle. Malheureusement l’auteur ne nous dit pas à quelle prière se rattache sa formule. Se reliait-elle directement au Sanctus, ou à la préface en l’absence du Sanclus ? Dans l’un et l’autre cas, ce serait un argument, et on n’a pas manqué d’en user, en faveur de ceux qui rejettent le mémento des vivants avant les prières du canon. De même rien de certain pour les prières qui suivaient, sinon que le canon ne pouvait se terminer brusquement sur l’allusion au sacrifice de Melchisedech. L’auteur n’a cité évidemment dans le texte de la messe que ce qui l’intéressait pour sa démonstration.

Les différences que l’on remarque entre les deux textes ne manquent pas d’importance. Le canon romain a rejeté les mots quod figura est corporis et sani/uinis Jesu Christi, qui pourraient prêter à une équivoque, encore qu’ils soient conformes à une tradition dont on retrouve des exemples notamment dans l’ana

phore de Sérapion. Le sens n’est pas que l’eucharistie n’est qu’un symbole ou une figure. Le contexte du De sacramentis prouve au contraire combien l’auteur est persuadé de la réalité de la présence du corps et du sang du Christ après les paroles de la consécration. Le figura corporis répond en réalité à sacramentum corporis. Il en est de ce terme comme de celui de ôfxotwpLa qui en est le synonyme, et d'àvTÔTUira dont les Grecs se sont servis longtemps et qui eût pu être employé dans un sens orthodoxe. Mais le danger d’une équivoque les a fait abandonner de bonne heure. Cf. Batiffol, L’eucharistie, p. 362 sq. Ici, comme toujours, l'Église romaine nous donne une preuve de son orthodoxie scrupuleuse et vigilante.

Le canon romain supprime l’incise quod pro multis confringetur, qui existe sous cette forme ou sous des formes analogues dans de nombreuses liturgies ; il se contente du pro nobis et pro multis efjundetur ; la répétition du pridie quam paleretur a été supprimée aussi dans la consécration du calice. Au contraire la formule même de consécration du calice est plus sommaire dans le De sacramentis et, si l’on peut dire, plus ramassée, la formule romaine plus ample et plus explicite.

Dans l’anamnèse romaine, l’addition nos servi lui sed et plebs tua sancta, et de l’incise præclaræ majestali tuse de tuis donis ac datis, et les répétitions hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam, le panem sanctum vitæ œternæ et calicem salutis perpetuæ, sont d’importance, et accusent une rédaction plus appliquée ; ils conservent aussi des éléments traditionnels, comme le de luis donis ac datis. Ce n’est pas une simple paraphrase, ce sont des précisions d’une certaine portée. La prière au Père d’accepter ce sacrifice est aussi plus solennelle et plus précise. La substitution du per manus angeli tui au per manus angelorum luorum est heureuse, car c’est le plus souvent sous la forme du singulier qu’il est fait allusion, dans la liturgie et même dans l’Ancien Testament, à l’ange du Seigneur. On sait du reste à combien d’interprétations ont donné lieu ces termes sous lesquels on a même vu le Saint-Esprit ou le Verbe de Dieu. La finale de l’oraison romaine ut quotquot dont il n’est pas fait mention dans le De sacramentis, a aussi une haute signification.

Le texte romain est donc plus étudié, plus complet, plus riche de sens que celui du De sacramentis. Nous y reviendrons dans l'étude de la messe romaine.

Sur le De sacramentis, cf. L. Duchesne, Origines du culte chrétien, 5e édit., p. 187-189. On pourra voir que parmi les critiques l’accord n’est pas encore fait : Ambroisien (rit) t.l, col. 955 ; Probst, Liturgie des IV. Jahrhundertes, p. 233 ; dom G. Morin, Revue bénédictine, 1894, p. 76, et plus récemment P. Batiffol, L’eucharistie, 5e édit., p. 346, 353, 355.