Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME III. Etude synthétique 2. Comparaison des idées messianiques entre elles

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 125-129).

II. Comparaison des idées messianiques entre elles. —

Tout ce qui vient d’être dit sur l’ordre chronologique des prophéties messianiques exige comme complément un classement systématique de leur contenu. Ce groupement logique contribue beaucoup à faire comprendre ce qu’est le messianisme. Cependant, pour nécessaire qu’elle soit, cette classification offre de grandes difficultés, et d’abord la riche variété des idées qui se rapportent à l’avenir d’Israël, puis surtout le fait que ces idées ne semblent pas toujours bien s’harmoniser. On peut les comparer et les grouper d’après leur ressemblance ; mais, comme il résulte de ce que nous venons de dire au sujet de leur développement, on ne peut les unir ensemble en une sorte de mosaïque. M. Touzard, Dictionnaire apologétique, t. ii, col. 1615, a écrit avec beaucoup de raison : « Aucun prophète n’a de l’avenir messianique une vision totale et complète, même en juxtaposant tous les oracles de l’Ancien Testament, on n’arrive pas à un tableau d’ensemble aux contours et aux traits précis. »

1° Manifestation et rèr/ne de Jahvé. —

L’idée prédominante de tout le messianisme, c’est-à-dire de l’eschatologie terrestre des Juifs, est celle d’une manifestation extraordinaire de Jahvé par laquelle il doit intervenir en faveur du peuple élu, et se révéler comme le maître absolu de tous les hommes.

Cette manifestation est souvent nommée le « jour de Jahvé ». Au moment où cette expression se rencontre puni la première fois — c’est du temps d’Amos — elle est une locution populaire, par laquelle le gins des Israélites exprimait la conception que Jahvé viendrait tout à coup les délivrer de leurs ennemis actuels, et de leurs malheurs pour les rendre puissants et heureux. Tous les prophètes sans exception décrivent l’intervention de Dieu comme une théophanie grandiose, et en même temps foudroyante pour ses adversaires. Mais beaucoup d’entre eux, surtout les prophètes préexiliens, se voient obligés de compter parmi ces adversaires, non seulement les païens, mais aussi la plupart des membres de leur propre peuple. C’est pourquoi ils décrivent le jour de Jahvé surtout comme jour de ténèbres et de terreur, ainsi Amos, viii, 9 ; Is., ii, 5 ; xiii, 6 ; Soph., i, 12 sq. ; Mal., iii, 2 ; Joël, i-n. La révélation de Jahvé sera accompagnée de phénomènes effrayants : tremblement du ciel et de la terre, obscurcissement des astres, Amos, viii, 9 ; Is., ii, 19 ; xiii, 10, 13 ; xxxiv, 4 ; Soph., i, 18 ; Agg., ii, 22. Jahvé viendra tout d’abord en juge, Amos, iv, 12 ; Is., ii, 12 ; Mich., vi ; Ez., v, 13 ; vi, 12 ; Mal., iii, 2 sq., comme un guerrier furieux et impitoyable qui est rempli de colère contre toute la terre, contre tous les peuples, Is., xxxiv, 1-3 ; Jer., vii, 20 ; qui leur donne à boire la coupe de sa colère, Jer., vii, 20, qui les foule comme les raisins sous le pressoir, Is., lxiii, 1 sq. Mais il viendra aussi en sauveur. Pour aucun prophète le châtiment n’est le dernier terme du drame mondial. Jahvé ne frappera pas pour anéantir, mais pour purifier, sauver et rendre heureux ceux qui en sont dignes. C’est pourquoi tous les prophètes parlent aussi des soins paternels que Jahvé aura en particulier pour son peuple. Surtout pendant et après l’exil, ils trouvent des paroles touchantes et annoncent que Jahvé viendra comme un pasteur pour reconduire les Israélites dispersés et leur donner tout ce dont ils auront besoin. Mich., ii, 12-17 ; Ez., xxxiv, 10 sq. A la suite de cette manifestation, la majesté de Jahvé sera reconnue. Ézéchiel répète sans cesse qu’alors les païens verront qu’il est le seul vrai Dieu ; les peuples lui feront leur soumission : « tout genou fléchira devant lui », Is., xlv, 24, donc son règne effectif s’établira non seulement en Palestine, mais dansjle monde entier : les empires païens seront remplacés par celui de Dieu, Dan., ii, 44. L’idolâtrie cessera surtout en Israël, les païens se convertiront ; ils viendront en procession à Sion où Jahvé habitera au milieu de son peuple, Is., v, 5 ; xxiv, 23 ; xxv, 6, pour y apprendre la Loi, Is., ii, 2-4 ; Mich., iv, 1-4 ; Zach., xiii, 16-17. Ceux qui ne le reconnaîtront pas, seront anéantis, Is., xli, 11-16 ; Jer., xii, 17 ; Zach., xiv, 18.

2° Personne et œuvre du Messie. —

Tout en étant principalement présenté comme l’œuvre de la toute-puissance divine elle-même, l’établissement du royaume de Dieu est maintes fois aussi attribué à un personnage que Jahvé enverra comme son « oint », son Messie, et qui agira en son nom. C’est au sujet de ce représentant eschatologique de Dieu que les idées émises par les prophètes sont le plus différentes : à peine peut-on les classer autrement que d’après leur suite historique.

Le Messie est entrevu pour la première fois dans la bénédiction de Jacob : il sera non seulement le chef d’Israël, mais des peuples en général, et son règne sera caractérisé par une abondance merveilleuse des produits du sol. Plus tard David, ps. n et cix, le présente comme un prêtre-roi institué par Dieu à Sion, étendant son gouvernement jusqu’aux extrémités de la terre, subjuguant les peuples avec une force impérieuse, irrésistible. — Tandis que le premier prophète-écrivain, Amos, se contente de dire, au sujet du gouvernement d’Israël après le châtiment, que la hutte délabrée de David sera rétablie par Jahvé, ix, 11, sans mentionner la présence d’un roi exceptionnel, Osée semble envisager pour la fin des temps l’apparition d’un prince qui aura une particulière importance : les Israélites, après leurconversion, o chercheront Jahvé leur Dieu et David leur roi », ni, 5 ; le 1545

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prophète pense donc sans doute à un chef assez éminent pour mériter le nom de David.

Aucun prophète n’a décrit le Messie futur aussi bien qu’Isaïe. En face des grands dangers dont Israël est menacé, il le présente comme le sauveur que Jahvé enverra à son peuple. Il naîtra d’une vierge et sera dès le berceau comblé de tous les dons divins. Le Messie est pour Isaïe un être tellement miraculeux qu’il lui donne entre autres noms celui de « Dieu avec nous » et « Dieu fort ». Assis sur le trône de David, il réconciliera toutes les tribus, affermira pour toujours le royaume d’Israël et y fera régner la sainteté, la justice et la félicité. Sa puissance pour maintenir la paix sera tellement grande qu’Isaïe jette une sorte de défi à tous les peuples de la terre. Ceux-ci se garderont bien d’attaquer la Terre sainte. Ils se grouperont au contraire autour du Messie comme autour d’un étendard. Dans le pays du Messie régnera la concorde la plus parfaite même entre les animaux, vu-xi. Michée a dessiné le portrait du Messie d’une manière tout à fait analogue, en relevant en particulier qu’il sortirait de Bethléhem, v, 2 ; de même l’auteur du psaume lxxi.

Sophonie, par contre, ne mentionne pas le Messie et Jérémie ne lui attribue pas un rôle aussi prédominant qu’Isaïe. D’après le prophète d’Anathoth, c’est Jahvé lui-même qui brisera le joug étranger qui pèsera sur Israël durant l’exil et reconduira son peuple en Canaan. Parmi les bienfaits qu’il leur destine, compte celui d’un roi très juste sous lequel Israël vivra en sécurité et servira le Très-Haut fidèlement, xxiii, 5. Ce roi sera tellement parfait que Jérémie ne le désigne pas seulement comme un rejeton issu de la souche de David, mais à l’exemple d’Osée, le nomme David tout court, xxx, 9. Mais, parce que Jérémie ne présente pas ce David redivivus comme le héros qui rétablit l’ordre en Israël, il ne le conçoit pas non plus comme un roi qui étend son royaume jusqu’aux extrémités de la terre. Ézéchiel a absolument la même conception du Messie. Il le nomme également David et relève uniquement son rôle religieux et moral au sein de son peuple, xxxiv, 23-24 ; xxxvii, 24. Il est frappant que dans la grande description du temps messianique qui clôture son livre, xli-xlviii, Ézéchiel ne mentionne plus le Messie : il y parle seulement d’un prince auquel il assigne un rôle assez secondaire.

La seconde partie d’Isaïe donne du Messie une idée toute nouvelle. Après avoir d’abord attribué l’œuvre de la restauration uniquement à Jahvé, dans la suite le prophète la fait accomplir en outre par ce Serviteur de Jahvé, à qui revient la mission de rétablir Israël et d’apporter le salut aux païens. Il s’acquittera de sa tâche non pas d’un seul coup, comme un roi victorieux, mais d’une façon douce, lente et douloureuse. Méconnu par les membres de son propre peuple qu’il veut rendre heureux, le Serviteur de Jahvé sera tué et ce n’est qu’aprè savoir expié par sa mort leurs péchés qu’il sera reconnu et exercera une grande inlluence même sur les rois, lui. Ce Messie souffrant reparaît dans le psaume xxi.

Aggée et Zacharie ont ceci de particulier qu’ « ils décernent à Zorobabel les titres du roi Messie », A. van Hoonacker, Les douze petits prophètes, p. 548.

Dans la seconde partie de Zacharie, le Messie est présenté d’une part comme un roi qui, après la délivrance et le retour d’Israël, fera son entrée triomphale à Jérusalem et établira son règne pacifique sur toute la terre ; d’autre part il apparaît comme un bon pasteur qui, après avoir protégé son peuple contre tous les autres, est méprisé, persécuté et mis à mort comme le Serviteur de Jahvé. Mais ce meurtre criminel ouvrira les yeux à la nation coupable qui, au moins en partie, reviendra à Dieu par le repentir, xii-xiv.

Dans les livres de Malachie et de Joël, il n’est pas question du Messie. Chez Daniel, le fils de l’homme qui apparaît devant l’Ancien des jours, vii, 13, est en premier lieu le symbole de l’empire de Dieu, comme les quatre animaux représentent les quatre empires païens : ce n’est qu’en second lieu et indirectement qu’il figure le chef de cet empire divin, le Messie.

Parmi les livres apocryphes, c’est celui d’Hénoch qui renferme la conception la plus importante et la plus nouvelle du Messie. Tandis que, d’après « les Visions, il naîtra après le grand jugement et n’exercera aucune activité, il est, d’après « les Paraboles », un être humain et céleste tout à la fois : « le fils de l’homme », créé avant le monde. A la fin des temps, il apparaîtra acclamé partout l’univers, pour procéder au jugement universel des anges et des hommes, des défunts et des vivants. Le bonheur suprême des justes consistera dans la communauté intime et éternelle avec lui. Les Testaments des douze Patriarches et les Psaumes de Salomon présentent par contre le Messie tout à fait à la façon d’Isaïe, comme un roi puissant, descendant de David et établissant un royaume mondial. D’après les parties anciennes du III » livre sibyllin, le Messie viendra simplement inaugurer le temps messianique pour disparaître de nouveau ; d’après les parties récentes du même’écrit, il tiendra le sceptre pourtoute l’éternité sur la terre entière. Dans les deux dernières apocalypses, IVe Esdras et Baruch, il est conçu comme un être divin et humain en même temps, qui descend du ciel pour établir le royaume d’Israël, fait succomber tous les ennemis des Juifs et n’épargne que ceux qui se soumettent à lui. Après quelques siècles il mourra avec tous les hommes sans reparaître lors de la résurrection générale. Dans les autres apocalypses la figure du Messie ne se retrouve pas.

La théologie rabbinique place le Messie au premier plan de l’eschatologie nationale, mais ne lui accorde aucun caractère surhumain ; elle n’admet pas non plus de Messie souffrant.

État parfait d’Israël et de l’humanité.

L’intervention

de Jahvé et du Messie aura pour résultat une phase toute nouvelle de l’histoire du monde, un état sous tous les rapports très parfait des Israélites et aussi plus ou moins des autres hommes. L’attente de cette situation idéale forme le fond de tous les textes messianiques, du premier jusqu’au dernier. Quelle expression vigoureuse elle a déjà trouvé dans les quelques rares oracles, si abrupts et si mystérieux, qui nous restent des temps primitifs de l’histoire humaine et israélitel Plus tard, les plus pessimistes même des prophètes ne l’ont jamais abandonnée. La plupart d’entre eux sont inépuisables dans la description de la perfection que doivent atteindre un jour les mortels sur cette terre. Avec quelle fermeté rassurante, avec quel brillant éclat, avec quelle douceur consolante ils ont tour à tour, particulièrement aux temps de grande détresse, fixé l’attention de leurs auditeurs sur cet avenir grandiose !

1. Sainteté.

L’état définitif des hommes sera marqué en premier lieu par une grande sainteté. Cette aspiration formait l’âme du messianisme et lui donnait sa vraie, sa plus haute valeur. Déjà le protévangile, par l’annonce de la victoire sur le serpent, présente la perfection morale comme le but suprême du développement de l’humanité. Kônig, Messianische Weissagungen, p. 89, relève avec raison que dans aucune autre littérature antique cet idéal n’a été conçu d’une façon aussi précise. Dans les autres textes préprophétiques, la réalisation future de la sainteté n’est pas toujours expressément soulignée, mais elle est toujours sous-entendue. Les prophètes, par contre, conformément aux exhortations de Moïse qui avait lié la réalisation du bonheur des Israélites à l’obser1547 MESSIANISME, COMPARAISON DES IDÉES ENTRE ELLES 1548

vation de la Loi, déclaraient sans cesse qu’en dehors de la sainteté la prospérité définitive n’était pas possible. Comme ils voyaient leurs contemporains par suite de leurs péchés non seulement indignes de la faveur de Dieu, mais au contraire dignes au plus haut degré de sa colère, ils annoncent continuellement que la transition de l’état actuel à l’état de bonheur ne se fera qu’au moyen d’un jugement sévère, qui doit épurer Israël et les autres nations pour ne laisser survivre qu’un petit reste. Les voyants préexiliens rivalisent de sévérité. Mais, à partir du moment où le jugement avait commencé, tout en continuant à exiger la sainteté comme condition de la réalisation des antiques promesses, ils se montrent moins rigoristes et présentent la sanctification comme d’accomplissement plus facile et plus universel surtout au sein de leur propre peuple. Chacun a sa façon particulière d’indiquer que ceux qui participeront au salut seront saints. Amos, ix, 9-10, dit tout court que les pécheurs seront exterminés ; Zacharie, v, 1-4, 5-11, voit que non seulement les malfaiteurs seront consumés, mais que toute iniquité sera enlevée de la Palestine. Osée, xi, et Jérémie, xxxi, 3, relèvent la bonté avec laquelle Jahvé pardonnera finalement l’infidélité d’Israël. Isaïe souligne l’effet abondant de ce pardon : « Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils seront blancs comme la neige », i, 18. Ce dernier, xxxii, 15 ; xliv, 3, et plus encore Ézéchiel, xxxvi, 27 ; xxxix, 29, et Joël, ii, 28, sq., soulignent que ce sera l’Esprit de Dieu lui-même qui par sa grâce causera la transformation des hommes. Ce changement sera tel qu’on n’hésite pas à dire que les mortels auront reçu un cœur nouveau, Ez., xi, 19 ; xxxvi, 26. Comme maintenant leur mauvais cœur les pousse à commettre le mal, ainsi un jour leur cœur sanctifié les dirigera constamment vers le bien, Jer., xxxi, 33. Avec la dureté du cœur disparaîtra l’aveuglement de l’esprit qui fera place à une grande sagesse, Is., xxxii, 1-8 ; tous, du plus petit au plus grand, auront une parfaite connaissance de Jahvé, Jer., xxxi, 34.

2. Bonheur.

En même temps qu’ils seront saints,

les bénéficiaires du royaume messianique seront vraiment heureux. Alors « la lumière (c’est-à-dire le bonheur ) poindra comme l’aurore », Is., lviii, 8. Bien des fois les prophètes entonnent des chants d’allégresse en pensant à la félicité messianique ou entendent d’avance les cris de joie de ceux qui en jouiront, Is., xii ; xxiv, 16 ; xxvi, 1-6 ; xlii, 10 sq. ; xliv, 23 ; car la vie sur la terre et surtout en Palestine sera sous tous les rapports aussi agréable que possible.

La joie principale découlera directement de la sainteté ; car celle-ci aura comme suite l’union la plus intime avec Dieu qui, comme au temps de l’exode, sera près de son peuple sous des formes visibles, Is., iv, 5-6 ; Ez., xxxiv, 21 sq., qui préparera dans Sion un festin à tous les peuples, Is., xxv, 6, qui aimera les siens d’un amour éternel, Jer., xxxi, 3, comme un fiancé aime sa fiancée, Is., i.xii, 5, qui leur procurera une sécurité absolue, Soph., ni, 15-17, et les fera exulter en lui, Is., xxix, 19.

Unis et heureux en Dieu, les élus auront entre eux la plus grande paix. Par presque tous les prophètes elle est signalée comme le bien le plus caractéristique du royaume messianique. Tantôt ils disent que l’entente entre les peuples groupés autour d’Israël sera si cordiale que toute guerre sera exclue, Is., ii, 2-4 ; tantôt ils annoncent que les ennemis de la race élue seront soumis ou exterminés, Ez., xxv-xxxii ; Zach., xii, 9. Surtout une fraternité parfaite régnera de nouveau entre les tribus du Sud et du Nord.

Les membres de la théocratie, définitive seront gratifiés d’une santé inaltérable. Aucune maladie ne

les tourmentera plus, Is., xxxiii, 1-24, ils vivront longtemps, Zach., viii, 4, et deviendront innombrables, Jér., xxxiii, 22. Ils jouiront de tous les produits du sol qui seront à leur disposition avec la plus riche abondance. Conformément au caractère terrestre du royaume messianique, la description de ces biens matériels est un des thèmes favoris des prophètes. Elle se rencontre déjà dans la bénédiction de Jacob et occupe une place considérable dans les oracles d’Isaïe lui-même. Pour procurer de riches récoltes, Jahvé donnera à la terre la plus merveilleuse fertilité ; la Palestine en particulier sera transformée en paradis, Is., li, 3 ; Ez., xxxvi, 35. Des pluies régulières et des ruisseaux intarissables fourniront l’humidité nécessaire, Is., xxx, 23-25 ; Joël, iii, 18 ; en outre une source miraculeuse jaillira du temple pour arroser tout le pays, Ez., xlvii, 1 sq. ; Zach., xiv, 8 sq. ; Joël, iii, 18.

Non seulement le sol qui produit les fruits, mais la terre tout entière, ainsi que le ciel qui la couvre, seront changés pour devenir un théâtre plus digne de l’humanité parfaite. Il y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre, Is., lxv, 17 ; lxvi, 22. Les étoiles auront un éclat beaucoup plus grand : le soleil brillera sept fois plus que maintenant et la lune sera aussi lumineuse que le soleil actuel, Is., xxx, 26 ; Zach., xiv, 7. Tout l’univers sera donc embelli et aménagé en faveur des élus.

Ce bonheur durera toujours, comme les prophètes le relèvent bien des fois, par exemple, Is., liv, 9 ; Jer., xxxi, 35-36 ; xxxiii, 20 ; dans Is., xxv, 8, on lit expressément que Dieu détruira la mort.

Privilège d’Israël et salut des païens.

 Il ressort

de tout ce qui précède que le salut messianique sera tout d’abord le partage d’Israël. En effet, le peuple élu se trouve au centre de tous les oracles. Bien que les prophètes soient souvent obligés d’accuser sévèrement leurs coreligionnaires et de leur lancer les plus terribles menaces, finalement ils trouvent toujours pour eux les paroles les plus consolantes et ils leur font des promesses si magnifiques, au sujet de leur avenir définitif, que bien des critiques ont voulu prendre leurs paroles de bienveillance pour des interpolations. Plusieurs des voyants, Amos, Osée, concentrent à tel point leur attention sur leur peuple, qu’ils parlent du bonheur messianique comme s’il était exclusivement réservé aux Israélites.

A la fin des temps, c’est pour Israël que Jahvé aura une plus grande prédilection que maintenant. C’est pour lui qu’il se révélera d’une façon si brillante. C’est au milieu de lui qu’il habitera et qu’il répandra tous les dons de son esprit. C’est son pays qu’il transformera en paradis. C’est sa capitale qu’il rétablira dans un éclat sans pareil pour en faire le centre du monde. C’est de sa famille royale qu’il fera surgir le Messie auquel il donnera tous les pouvoirs. C’est Israël qu’il constituera comme la nation la plus nombreuse et la plus forte. C’est à lui qu’il donnera l’empire du monde, Dan., vii, 18-22. En somme le règne messianique ne sera que l’épanouissement complet de la théocratie juive.

Cette position exceptionnelle d’Israël est pleinement justifiée par la faveur que Jahvé lui avait témoignée, en le préférant aux autres nations et eu se l’attachant par une alliance toute spéciale. Elle se comprend d’autant mieux qu’elle n’a pas empêché les prophètes d’entrevoir aussi le salut pour les autres peuples. Sous ce rapport l’uni vcrsalisme le plus large se rencontre à toutes les époques. Il se montre déjà d’une façon étonnante dans les promesses faites à Abraham : en lui et en sa postérité toutes les nations seront bénies, Gen., xii, , ’i ; lsaïe le professe surtout dans la célèbre vision où il montre le pèlerinage des peuples a Sion, n, 2-4 ; il l’insinue aussi quand il annonce que les peu1549 MESSIANISME, COMPARAISON DES IDÉES ENTRE ELLES 1550

pies se presseront autour du Messie comme autour d’un étendard et que l’Assyrie et l’Egypte elles-mêmes, ces deux puissances qui avaient fait tant de mal à Israël, se convertiront, Is., xix, 22-24. Sophonie et Jérémie enseignent également que tous les peuples adoreront Jahvé, Soph., ii, 11, que les nations viendront à Jahvé des confins de la terre, Jer., xvi, 19. Dans la seconde partie d’Isaïe, le prophète parle en termes exubérants du salut que le Serviteur de Jahvé procurera à tous les hommes, xlii, 1-4 ; xlix, 1, du festin que Jahvé préparera à Sion pour tous les peuples, xxv, 6. Zacharie a des idées non moins universalistes ; il prévoit l’empressement admirable qu’auront les membres de toutes les nations et les habitants des grandes villes, pour se rendre à Jérusalem et accepter la foi israélite, viii, 20-23.

Mais à côté de ces conceptions si élevées concernant le privilège d’Israël et le sort des païens à l’ère messianique, d’autres se rencontrent qui, loin de révéler le même idéalisme, se caractérisent au contraire par un nationalisme vraiment exagéré. Il yen a surtout trois sortes.

Un premier groupe est représenté par quelques textes où la prédominance d’Israël est décrite en des termes excessivement belliqueux. A côté des promesses toutes spirituelles faites à Abraham, on lit que sa descendance possédera les portes de ses ennemis, Gen., xxii, 17. David présente le Messie soumettant les nations rebelles de la manière la plus impitoyable, Ps., ii et cix Dans le livre d’Isaïe, plusieurs passages frappent par la mention du massacre des ennemis, par exemple, xi, 10-16 ; quand les douze tribus se seront réconciliées, elles se jetteront d’un commun accord sur tous leurs voisins pour les subjuguer, xxxiv-xxxv : il y aura un tel carnage "à Édom et dans d’autres pays que les montagnes ruisselleront de sang, xxv, 10 : « Moab sera broyé sur place, comme la paille est broyée dans la mare à fumier. » Michée annonce que, quand les peuples viendront attaquer la ville sainte, Jahvé donnera à la population une corne de fer et des sabots d’airain pour les broyer, iv, 13, et qu’Israël sera un jour aussi fort vis-à-vis des païens qu’un lion parmi les troupeaux, v, 6-8. Ézéchiel prédit que, pour garantir la paix à son peuple, Jahvé exterminera toutes les nations voisines, xxv-xxxii, xxxv ; Zacharie et lui décrivent en détail la défaite sanglante que les ennemis de Jérusalem essuieront devant les murs de cette ville. Ez., xxxviii-xxxix, 1 ; Zach., xm-xiv.

Un second groupe de passages attribue un rôle humiliant aux autres nations vis-à-vis des Israélites, leurs futurs maîtres. Une des bénédictions patriarcales est la suivante : « Des peuples te serviront et des nations se prosterneront devant toi », Gen., xxvii, 29. Isaïe promet qu’après l’exil Israël’aura des rois comme pourvoyeurs et des reines comme nourrices ; ils se prosterneront devant lui et lécheront la poussière de ses pieds, xlix, 23 ; des étrangers reconstruiront ses murs, lx, 10, paîtront ses troupeaux, seront ses laboureurs et ses vignerons, lxi, 5 ; Israël sucera le lait des nations et la mamelle « des royaumes », lx, 16 ; il mangera les richesses des peuples, lxi, 6.

En troisième lieu quelques prophètes ne semblent prévoir aucun salut pour les païens. Ézéchiel ne promet à aucun peuple qu’il prendra part au bonheur messianique. Il répète souvent que le rétablissement merveilleux d’Israël révélera aux autres nations que Jahvé est le seul vrai Dieu ; mais il n’annonce jamais la conversion d’une nation païenne. Abdias conçoit le jour de Jahvé comme le jugement de tous les païens qui seront anéantis, qui « boiront toujours la coupe de la colère divine …et seront comme s’ils n’avaient point été », 16. De même Joël prévoit

pour le jour de Jahvé la réunion de tous les gentils dans la vallée de Josaphat et leur massacre par les anges, sans mentionner qu’une partie au moins d’entre eux serait sauvée.

Cette triple série de passages prouve que le messianisme a parfois reçu l’empreinte d’un particularisme étroit et national.

Résurrection.

- Toutes les prophéties se rapportent

à l’humanité en tant qu’elle séjourne sur la terre. Elles ne visent pas l’au-delà. Le théâtre où les élus vivront heureusement sera le globe terrestre embelli et transformé. D’ordinaire les voyants annonçaient même la félicité uniquement à ceux des mortels qui auraient la chance de vivre au moment où l’ère messianique s’ouvrirait. C’est donc pour ceux-ci que l’âge d’or devait devenir une réalité. De ce chef, et surtout parce que pendant de longs siècles la perspective ultra-terrestre ne comprenait pour le Juif que le sombre schéol, l’espérance messianique renfermait quelque chose de dur et d’inachevé. Mais finalement les prophètes, grâce à de nouvelles révélations, ont abouti à l’en débarasser et à l’élargir pour ainsi dire sans bornes, en y englobant les défunts par la résurrection.

Cette nouvelle croyance se rencontre à deux reprises dans les livres canoniques. Pour la première fois, dans Is., xxiv-xxxvii, où Jahvé promet à ceux qui l’ont servi fidèlement pendant leur vie qu’ils ressusciteront lors de sa grande manifestation, xxvi, 19. La seconde fois dans le livre de Daniel, xii, l sq., où il est prédit que tous les membres du peuple élu, les bons comme les mauvais, reviendront à la vie ; mais que seuls les justes seront glorifiés et que les pécheurs seront au contraire voués à la honte éternelle.

Par cette doctrine de la résurrection l’eschatologie messianique se rapprocha de l’eschatologie transcendante. Toutes deux s’amalgamèrent davantage encore dans la littérature apocryphe. D’après les Paraboles d’Hénoch, dès que l’ère messianique aura commencé, les saints du ciel descendront sur la terre pour prendre part au bonheur, xxxviii, 1 ; xlv, 3, et les morts ressusciteront dans le même but, li, 1-2 ; ciel et terre seront unis ainsi que les élus des temps passés et des temps messianiques. Le IVe livre d’Esdras et l’apocalypse de Baruch placent la résurrection seulement à la fin de l’époque messianique, et la prennent pour l’ouverture de l’état définitif de tous les hommes qui sera fixé par le jugement universel. La plupart des rabbins ont partagé l’opinion d’Esdras et de Baruch.

Date de l’avènement du temps messianique.


Comme le bonheur messianique devra se réaliser sur la terre, il est tout naturel que les Israélites aient eu le désir de voir arriver aussitôt que possible l’époque messianique. A cette légitime impatience semble correspondre la manière dont les prophètes ont promis la venue du royaume de Dieu. Dans aucun oracle, il n’est expressément attendu pour une date éloignée. Au contraire, la plupart des prophètes-écrivains par leur façon de’parler rapprochent le temps messianique de leur époque.

Déjà Amos et Osée annonçaient comme imminente la punition définitive d’Israël par Jahvé, donc l’ouverture du drame eschatologique, néanmoins ils ne liaient pas de façon directe la restauration au châtiment.

Isaïe, en promettant pendant la guerre syroéphraïmite la naissance d’Emmanuel, le mêlait de la manière la plus intime aux événements de son temps, il le présentait donc comme sauveur des dangers dont Jérusalem était menacé de la part des royaumes de Samarie, de Damas et de Ninive. En disant : « avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont tu redoutes les deux rois

sera dévasté », vii, 16, n’a-t-il pas indiqué une date de la vie de Messie comme terme du désastre ? C’est pourquoi M. van Hoonacker, La prophétie relative à la naissance a" 1 mmanu-El, dans Revue biblique, 1909, p. 223, a pu écrire : « Le salut messianique, à raison de la garantie qu’il offre du triomphe final de la nation, se confond, dans l’attente d’Israël et dans les oracles qui s’en font l’écho, avec la victoire sur les ennemis du présent, avec la fin des épreuves sous lesquelles le peuple gémit actuellement. Le phénomène se constate en particulier pour Emmanuel lui-même qui est salué par Isaïe comme le sauveur qui repoussera le flot de l’invasion assyrienne. » Cette conception de M. van Hoonacker a été acceptée par le P. Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 280, qui, non content d’y voir « la solution définitive » de la difficulté que présente Is., vii, 14 sq., ajoute : « Le cas d’Emmanuel n’est pas isolé… Ce sont tous les prophètes qui ont envisagé le salut comme prochain. » M. Tobac, art. Isaïe, t. viii, col. 4, et le P. Calés, Les trois discours prophétiques sur Emmanuel, dans Recherches de science religieuse, 1922, p. 174, ont également donné leur pleine adhésion à cette opinion. « L’apparente proximité de l’avènement d’Emmanuel, écrit ce dernier, n’est qu’un exemple plus frappant et plus corsé, si l’on veut, d’un phénomène ordinaire dans les prophéties messianiques, le défaut de perspective : Le Messie apparaît toujours plus ou moins sur le prochain horizon. .. De quelle efficace eût bien pu être, en effet, son annonce s’il eût été prédit explicitement que la réalisation aurait lieu après plus d’un demi-millénaire ? »

De même à la fin de sa carrière, lors de l’invasion de Sennachérib, Isaïe rapprochait encore la réalisation du bonheur messianique de la défaite de ce roi assyrien : Dès que le cycle des fêtes d’une année se sera encore une fois reproduit, donc dans un an, Jérusalem sera assiégée, xxix, 1 ; mais tout à coup Jahvé la délivrera ; « sous peu », xxix, 17, la situation sera changée du tout au tout, et la sainteté ainsi que le bonheur lui seront accordés dans la plus haute mesure et pour toujours, xxix, 16-24. L’attente de la félicité messianique qui va venir incessamment forme le fond de tous les oracles isaïens de cette époque.

Sophonic, i, 7, Abdias, 15, Joël, i, 15 ; ii, 1, présentent tous le jour de Jahvé comme imminent : « Le jour de Jahvé est proche. » Au sujet de Sophonie, M. van Hoonacker, Les douze petits prophètes, p. 502, s’exprime ainsi : « Comme le jour de Jahvé, c’est-à-dire le jour du bouleversement des nations et du châtiment des coupables en Israël, est imminent, et que ce même jour doit avoir comme conséquence immédiate, qu’il a même pour but la constitution du reste d’Israël dans la possession des gloires et des bienfaits messianiques, il s’ensuit que, d’après les vues dont s’inspire notre livre, l’avènement du règne messianique, est considéré comme prochain. Il coïncide avec l’issue de la catastrophe que présage la situation politique troublée de l’Asie. Cette manière d’envisager les conditions dans lesquelles se réalisera le salut final n’est du reste nullement propre au livre de Sophonic ; voir par exemple, Michée, v, 5 b (6 b). »

Par rapport à Jérémie le P. Condamin fait la même constatation : « Jérémie comme plusieurs autres prophètes paraît attendre l’ère messianique aussitôt après le retour de l’exil », Le livre de Jérémie, p. 217. Cela est aussi vrai pour Ézéchiel. Ces deux prophètes ont toujours présenté la fin de l’exil comme le début du temps messianique. C’est encore davantage le cas pour l’Isaïe de l’exil : » Chez le prophète de l’exil, c’est le rétablissement des tribus après la captivité qui est le signal de la restauration universelle, Is., xux, 5 sq. » A. van Hoonacker, Revue biblique, 1904, p. 223.

Aux Juifs rapatriés Aggée et Zacharie font savoir que, la reconstruction du temple une fois achevée, il n’y aura plus d’empêchement pour la réalisation du salut définitif ; surtout les promesses faites à Zorobabel montrent qu’ils rattachaient l’ère messianique à leur temps.

Dans le livre de Daniel l’établissement de l’empire de Dieu est censé devoir se faire aussitôt après la disparition du quatrième empire païen dont le dernier roi est Antiochus Épiphane. « Le prophète qui a écrit notre livre, dit le P. Bayer, loc. cit., p. 79, voit l’avènement du salut messianique coïncider avec la fin de l’opposition de la religion au temps des Machabées. »

Les livres apocryphes eux aussi décrivent toujours l’ère messianique comme imminente, de même d’ordinaire les écrits rabbiniques.

Il ne peut donc y avoir de doute que les prophètes semblent présenter leurs promesses comme destinées à se réaliser bientôt. Leurs oracles se caractérisent par un manque absolu de perspective. Ce fait est aujourd’hui, comme on vient de le voir, reconnu par les meilleurs exégètes catholiques pour une des lois du genre prophétique. Au milieu du siècle dernier Schegg, Die kleinen Propheten, 1854, p. 168, l’avait déjà très bien formulée en ces termes : « Les prophètes se représentent toujours la période messianique comme proche ; ils tiennent chaque catastrophe pour la dernière. L’Assyrie tombe et, pour le prophète, l’époque messianique suit aussitôt ; Babyïone tombe et les mêmes attentes se placent au premier plan ; et ainsi de suite jusqu’aux jours de l’accomplissement ». Au Moyen Age même, ainsi que le P. Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 289, le relève dans la biographie de sainte Catherine de Sienne, composée par le B. Baymond de Capoue, on reconnaissait sans le moindre scrupule que les prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament annoncent comme très prochains des événements dont ils étaient séparés par des centaines d’années. Ce manque de perspective ainsi que le nationalisme exclusif font partie des contingences dans lesquelles se présente le messianisme en Israël. Voir plus bas. col. 1565 sq.