Dictionnaire de théologie catholique/OLIEU ou OLIVI (Pierre de Jean)

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 500-505).

OLIEU ou OLIVI (Pierre de Jean), frère mineur (1248-1298). I. Vie. II. Écrits et doctrine.

I. Vie.

Né à Sérignan dans le Languedoc, vers 1248, Pierre de Jean Olieu fut reçu, à l’âge de douze ans, au couvent des frères mineurs de Béziers. Après qu’il eut passé les premières années de sa formation religieuse et scientifique dans la province franciscaine de Provence, ses supérieurs l’envoyèrent au Studium générale de l’ordre à Paris. Il y suivit avec succès les leçons de maîtres éminents qui avaient été les disciples de saint Bonaventure, tels que Guillaume de la Mare, Jean Peckham et Guillaume d’Acquasparta. Dès ce moment peut-être, ce dernier conçut pour Olieu l’estime particulière dont il devait donner longtemps après une preuve éclatante. Après avoir passé l’épreuve du baccalauréat, vers 1270, il débuta dans l’enseignement, d’après l’habitude courante, par un exposé sommaire de la Bible et des Sentences. Ensuite, ayant accompli dans ce professorat les quatre années requises, il devint bachelier formé, comme en témoigne Barthélémy de Pise.dans son De conformitate. Mais, soit excès de modestie de sa part, soit défiance de la part de ses supérieurs, Olieu ne parvint pas à la maîtrise.

Il n’en continua pas moins à traiter avec compétence questions et disputes de toute espèce. Nul n’aurait songé à l’en reprendre, s’il ne s’était signalé en même temps comme un chaud partisan des tendances rigoristes et des aspirations joachimites qui depuis une vingtaine d’années troublaient l’ordre franciscain en Italie, en France et en Espagne. En lui le penseur scolastique se compliqua dès le début d’un spirituel ondoyant et d’un subtil expositeur de l’Évangile éternel. Sa personnalité complexe inquiéta bien vite Jes maîtres et les ministres franciscains du groupe de la communauté contraire aux zélateurs, et les prévint en sa défaveur, tant au sujet de sa vie religieuse dont ses admirateurs proclamaient la sainteté, qu’au sujet de ses écrits, qui pourtant sont presque tous orthodoxes et dont la plupart honorent l’école franciscaine.

Jérôme d’Ascoli, devenu ministre général en 1274, s’en prit, sans qu’on sache trop pourquoi, à sa dissertation sur la sainte Vierge et lui ordonna de la brûler : ce qu’il s’empressa de faire sans témoigner le moindre ressentiment. II eut encore à se justifier devant le même supérieur d’autres erreurs qui lui étaient imputées, dont une concernait le sacrement du mariage (sixième question du traité De perfectione evangelica). Sous le ministre général suivant, Bonnegrâce de Saint-Jean in Persiceto, Olivi eut un regain de faveur : en 1279 il était à Borne et y rédigeait, à la demande de son ministre provincial, un mémoire sur la pauvreté collective et individuelle promise dans la règle

franciscaine, que les mwiistres et les docteurs de l’ordre appelés par Nicolas III à délibérer sur la décrétale Exiil qui seminat eurent très probablement sous les yeux. Mais au chapitre général de Strasbourg (1282), les accusations reprirent de plus belle et, cette fois, on confia l’examen des écrits d’Olieu à sept docteurs et bacheliers de Paris, parmi lesquels on remarquait Arlotto de Prato, Richard de Middletown et Jean de Murro.

A la suite de cet examen, ceux-ci remirent au ministre général une lettre munie de leurs sceaux contenant, soi-disant en opposition aux erreurs attribuées à Olieu, 22 propositions orthodoxes auxquelles celui-ci devrait donner adhésion pleine et entière. Outre cette lettre, dite des sept sceaux, ils rédigèrent un Mémoire ou Rotulus qui frappait de censure 34 thèses extraites de ses Questions. De plus, les examinateurs demandèrent que la lecture de ses écrits fût sévèrement défendue. A cette condamnation, faite sans qu’il lui eut été permis de s’expliquer, Olieu répondit avec autant de fermeté que de prudence. Requis par le délégué du ministre général qui l’avait convoqué au couvent d’Avignon (automne 1283), il signa la « Lettre des sept sceaux », tout en distinguant, parmi les propositions qui lui étaient soumises, celles qui étaient de foi et demandaient une adhésion absolue, celles qui contredisaient certaines de ses thèses mal comprises, et enfin celles qui, étant purement philosophiques, ne touchaient en rien au dogme et vis-à-vis desquelles Olieu professait un détachement absolu. Au Rotulus qui censurait 34 de ses thèses, il répondit par un long Mémoire justificatif daté de Nîmes, 1285. Il y déclara que seules les décisions doctrinales du souverain pontife doivent être admises avec une soumission sans réserve ; les jugements prononcés en matière de foi par des docteurs privés, comme celui des maîtres de Paris, ne peuvent prétendre à d’autre adhésion qu’à celle qui découle de l’évidence même des preuves alléguées. Sans nier que des inexactitudes pussent s’être glissées dans certaines Questions, il s’efforça de les rectifier par le contexte et, tout en faisant une rétractation conditionnelle des thèses censurées, il affirma le sens orthodoxe dans lequel il les avait enseignées.

Ces attaques avaient ému ses disciples qui, vers la même époque, le prièrent, par l’entremise de Raymond Gaudredi, de s’expliquer sur ceux des articles condamnés qui semblaient s’éloigner davantage de l’enseignement scolastique traditionnel. Olieu leur répondit par une longue lettre d’allure spirituelle, dans laquelle il se justifia de son mieux de dix-neuf propositions erronées que lui attribuaient ses adversaires. Au reste, il faut bien avouer que ceux-ci exagéraient quelque peu, quand on songe que, sur trente-quatre articles dénoncés, le concile de Vienne en retint seulement trois. Mais, si les explications du théologien provençal étaient admises sans réserve par ses admirateurs, le parti de la communauté au contraire, exaspéré par son succès croissant, n’y voyait que fauxfuyants et sophismes. Le ministre de Provence lui-même, Arnaud de Roccafolio, prit l’initiative d’une nouvelle dénonciation, signée par lui et par trente-cinq confrères, et remise en 1285 au chapitre général de Milan. Olieu y était traité de chef d’une socle superstitieuse qui semait la division et l’erreur. Cette démarche ne resta pas sans succès : en effet, le chapitre, où Arlotto de Prato, l’un des sept censeurs d’Olieu, fut élu général, ordonna aux provinciaux de retirer de la circulation tous les écrits de ce dernier, et défendit aux religieux de s’en servir jusqu’à ce que le ministre général en eût décidé autrement. Celui-ci comptait bien poursuivre le procès ouvert contre Olieu, qui déjà avait été cité à comparaître

à Paris ; mais la mort prématurée du général vint, une fois de plus, ajourner la sentence définitive.

Au chapitre général de Montpellier (1287), Olieu connut une éclatante revanche : devant toute l’assemblée, le ministre général nouvellement élu, Mathieu d’Acquasparta, approuva sans réserve tant sa doctrine théologique que son opinion en matière de pauvreté. De plus, voulant montrer toute la confiance que son enseignement lui inspirait, il le nomma lecteur de théologie au Studiam franciscain de Santa-Croce à Florence. Olieu y compta parmi ses disciples Ubertin de Casale, qui se fera son éloquent défenseur au concile de Vienne. Deux ans plus tard (1289), il fut promu à la chaire de théologie du Studium générale de Montpellier, où son séjour ralluma la querelle entre spirituels et modérés au sujet de l’observance de la pauvreté. Appelé à s’expliquer sur ce thème brûlant au chapitre général de Paris (1292), il le fit de façon à contenter tout le monde, en se retranchant derrière la décrétale Exiit qui seminat de Nicolas III. Pleinement justifié, il se retira au couvent de Narbonne, d’où il continua à exercer une profonde influence sur les milieux joachimites épris de rénovation religieuse, qui, trop facilement et contre son gré, traduisaient en applications pratiques ^es considérations impersonnelles sur la décadence de l’Église. Aussi, lors de la révolte des spirituels d’Italie contre Roniface VIII, il condamna leur attitude en termes énergiques, dans une lettre au bienheureux Conrad d’Offida (14 septembre 1295). La même année, les trois fils dp Charles II de Naples, Louis (le futur saint Louis de Toulouse), Robert et Raymond Rérenger, retenus comme otages en Catalogne, l’invitèrent à plusieurs reprises auprès d’eux, afin qu’il pût les réconforter dans leur épreuve. S’il ne put accéder à leur désir, il leur envoya du moins une longue lettre dans laquelle il leur exposa en s’appuyant surtout sur saint Paul, la nécessité et le sens surnaturel de la souffrance (18 mai 1295).

Peu après, le 14 mars 1298, la mort l’enlevait en pleine maturité. La déclaration qu’il fit après avoir reçu l’extrême-onction, commence par une suprême mise au point de son enseignement sur l’observance de la règle franciscaine, et finit en profession illimitée de foi catholique. Durant une vingtaine d’années, ses partisans purent à loisir le vénérer comme un saint. Au témoignage d’Ange Clareno, la foule qui, le 14 mars 1313, se porta à son tombeau, ne pouvait se comparer qu’à celle qui annuellement se voyait au jour de la Portioncule. Mais Jean XXII ayant retiré aux spirituels les couvents de Narbonne et de Réziers (1318), les frères de la communauté eurent vite fait de mettre fin à son culte : ils détruisirent son tombeau et dispersèrent ses cendres. Ses écrits n’eurent pas un sort meilleur : les ministres généraux Jean de Murro et Gonzalve de Valboa les livrèrent au feu et punirent avec la dernière rigueur les religieux coupables d’en détenir. Ce n’est que vers la fin du xiv «  siècle, lorsque les ardentes polémiques engagées autour de sa doctrine se seront éteintes, qu’un traitement plus équitable sera fait à son œuvre et à sa mémoire.

[I.ÉCRITSET doctrine. — Les écrits de Pierre-Jean Olieu relèvent de la scolastique, de l’exégèse et de l’histoire franciscaine.

1° Au sujet de ses e’cn7s scolastiques, on ignore jusqu’ici s’il a composé une Somme complète, philosophique et théologique, à moins d’entendre par là son Commentaire des quatre livres des Sentences. De ce Commentaire le P. B. Jansen, S. J., a publié récemment, d’après le ms. Valic. lat. 1116, IIS Qiuvstiones in secundum Librum Sententiarum (3 vol., Quaracchi, 1922-1920). Olieu écrivit en outre des Quodlibeta,

édités au début du xvie siècle à Venise par L. Soardi. Les 118 Questions empruntées au IIe Livre des Sentences embrassent presque toute la philosophie spéculativeetmorale. Traitantde la création, Olieu rejette les raisons séminales ainsi que la pluralité des mondes habités, et diffère d’avis avec saint Thomas sur l’extension de la matière aux esprits créés. Sa théorie sur la matière, acte par elle-même, séparable de sa forme sans être homogène, précède celle de Scot qui en sera tributaire. A la Question li, il expose sa théorie sur le mode d’union de l’âme avec le corps, qui souleva une opposition bien justifiée. A la thèse de la pluralité des formes substantielles de l’âme et de l’existence d’une matière spirituelle, dans laquelle s’accomplit leur union, professée aussi de son temps par le dominicain Robert Kilwardby et le franciscain Richard de Middletown, il en ajouta une autre, d’après laquelle seuls les principes de la vie végétative et sensible, formes substantielles distinctes, informent directement le corps humain et s’unissent formellement avec lui. Quant au principe de la vie intellectuelle, il n’informe pas directement, par lui-même, le corps humain, mais se lie à lui par une cohérence substantielle au moyen du principe de la vie sensible. Si l’union de la forme d’être intellectuelle avec le corps humain était directe et formelle, ce dernier deviendrait par le fait même, d’après Olieu, spirituel et immortel. Car la forme, non seulement se communique à la matière, mais en absorbe tout l’être. Cette thèse qui, parmi les disciples d’Olieu ne trouva d’autre partisan que Pierre de Trabibus, avait été blâmée dès 1283 par les sept censeurs de Paris comme malsonnante et dangereuse ; elle fut dénoncée au concile de Vienne. Raymond Gaufredi et Ubertin de Casale, qui y assumèrent la défense d’Olieu, la représentèrent comme une opinion purement philosophique, qui n’entraîne pas communément une erreur dogmatique chez qui professe en tout la doctrine de l’Église. C’est peut-être grâce à leur défense que la mémoire d’Olieu fut préservée d’une condamnation nominale. Mais, sans que sa personne fût mise en cause, le concile réprouva la doctrine incriminée du mode d’union de l’âme avec le corps, qu’Olieu avait enseignée au début de son professorat et qu’il semble n’avoir jamais formellement rétractée. Le décret Fidei catholiese fundamento (6 mai 1312), déclara erronée et contraire à la doctrine catholique l’assertion d’après laquelle la substance rationnelle ou intellective de l’âme n’informe pas vraiment et par elle-même le corps humain. Quisquis deinceps asserere, defendere seu lenere pertinaciler prœsumpserit quod anima rationalis seu intellectiva non sit forma corporis humani per se et essenlialiler, lanquam hæreticus sit censendus. Mais la question du nombre des formes dans l’homme y est laissée entière.

Le même décret contient deux autres déclarations concernant des opinions soi-disant erronées attribuées à Olieu, mais au sujet desquelles tant lui-même que ses défenseurs s’étaient suffisamment expliqués : 1) que dans son récit de la passion, saint Jean a conservé l’ordre historique des faits en rapportant que le coup de lance fut donné après la mort du Christ ; Olieu avait émis l’hypothèse contraire, mais sans vouloir contredire l’Évangile ; 2) touchant la controverse sur l’effet spirituel du baptême administré aux enfants en bas âge, le décret ne la tranche pas définitivement, mais estime qu’il faut suivre comme étant plus probable l’opinion, d’après laquelle ces enfants y obtiennent non seulement la rémission du péché originel mais aussi la grâce et les vertus habituelles (etsi non pro illo tempore quoad usum) ; Olieu avait exposé les deux opinions, sans se prononcer ni pour l’une, ni pour l’autre. En somme, des nombreuses

erreurs qui lui étaient imputées par des adversaires passionnés, le concile de Vienne n’en condamna qu’une seule, et encore en passant sous silence le nom de celui qui l’avait formulée.

C-est aussi dans les 118 Questions qu’Olieu expose sa théorie de la connaissance. Q.lx-lxxiv. Il y définit le rôle des cinq sens, auxquels un sixième sens, interne celui-là et qu’il nomme sens commun, sert de trait d’union avec l’entendement. Tout en conservant son indépendance, il suit de près saint Augustin et saint Anselme, et fait de l’évidence objective, basée sur le réel atteint en lui-même ou dans ses effets, le critère de la certitude. Ses traités sur l’immortalité de l’âme et sur le libre arbitre (q. lu et lvii) sont des modèles d’exposition. Les arguments sur lesquels Olieu fonde le libre arbitre sont, les uns, directs, lumière manifeste de la raison et fruits de l’expérience ; les autres, indirects, exposé des conséquences désastreuses qu’entraînerait l’absence du libre arbitre dans la vie pratique. Dans sa démonstration indirecte, il réfute en outre le déterminisme sous ses différentes formes : physiologique, métaphysique, intellectualiste et théologique. Quant aux arguments directs, il les tire du témoignage de la conscience, de la part qui revient à la volonté dans la recherche de la vérité et dans la réflexion, de la maîtrise de la volonté sur elle-même et du primat de la volonté sur l’entendement. A le lire, on se croirait plutôt en présence d’un philosophe moderne que d’un scolastique du xme siècle.

A propos de son traité des anges (q. xvi sq.), on peut noter que, en vertu de sa thèse sur le mode d’union consubstantiel mais non formel de la forme intellective avec le corps humain, il nie que la forme intellective de l’âme soit spécifiquement distincte de l’esprit pur ou angélique. En psychologue averti, il fait la genèse du vice et se livre à une profonde analyse pour montrer que l’amour désordonné de soi-même est la racine de tout péché. Q. xcvni et cm. Là ou il traite du péché originel, il suit la doctrine de saint Augustin au sujet de sa transmission et de la culpabilité implicite des mouvements involontaires de la concupiscence. Q. ex sq.. Il en dépend aussi dans sa dissertation sur le péché véniel, où il lui emprunte plusieurs thèses, comme celle sur la difficulté de discerner le péché véniel du mortel, sur l’accumulation des péchés véniels, et sur la note variable de leur gravité d’après le degré de perfection qui caractérise ceux qui les commettent. Q. cxvin. Toutefois, il n’a pas réussi à définir clairement l’essence du péché véniel, dont il exagère la malice, influencé qu’il est par les doctrines rigoristes des siècles précédents. Notons aussi l’intérêt spéculatif des Questions cx-cxii dans lesquelles, s’affirmant nettement théocentrique, il montre comment la justice divine. a pu permettre que le péché originel se commît et se translnît. Dans l’appendice De Deo cognoscendo, Olieu examine les trois questions suivantes : 1) Dieu est-il vu par nous ? 2) L’homme connaît-il tout en Dieu ? 3) Dieu est-il connu par lui-même, ou démontrable par des raisons nécessaires, ou objet de croyance par la foi ? Il y expose amplement la théorie de la connaissance de saint Augustin et se montre bien informé de la doctrine de saint Thomas sur la lumière de l’intellect agent et sur son rôle dans l’acte de la connaissance. Les spéculations auxquelles se livre Olivi sur les vérités éternelles sont dignes des plus grands scolastiques : tout le sujet en un mot est traité avec tant de pénétration, de sobriété et de mesure que le censeur moderne le plus averti y trouverait difficilement à redire. Métaphysicien puissant et fin psychologue, il a exposé mieux qu’aucun autre scolastique l’influence des corps sur l’esprit, la relation entre les forces

physiques et les puissances vitales, par laquelle les premières agissent sur les secondes sans qu’intervienne entre les deux une raison de causalité efficiente proprement dite. Suarez s’est mis à son école et traite comme lui des degrés de la connaissance, sensible et intellectuelle, conduisant à l’éveil de l’afïection dans les puissances appétitives. De anima, t. III, c. ix.

2° L’œuvre scripluraire d’Olieu comprend des Apostilles sur tous les livres sacrés, restées inédites jusqu’à présent. Bon nombre de manuscrits sont indiqués dans la nouvelle éd. de J. H. Sbaralea, Supplementum. ad scriptores trium Ordinum S. Francisci, t. ii, Rome, 1921. p. 845 sq. Auparavant, le P. Elirle en avait déjà donné une. brève description dans son étude sur la vie et les écrits d’Olieu qui est le premier travail d’ensemble sur ce personnage. Olivis Leben und Schriftens, dans VArchiv fur Litteratur-und Kirchengeschiehte des Mittelalters, t. iii, 1887, p. 481 sq. De tous ces commentaires, celui qui fit le plus de bruit fut l’Exposition de l’Apocalypse dont Baluze a publié soixante articles censurés vers 1318 par huit maîtres en théologie. Miscellanea, éd. Mansi, t. ii, 1761, p. 258-270. Olieu y expose les théories de Joachim de Flore sur la décadence de l’Église charnelle et sur l’avènement du règne de l’esprit, en faisant ressortir la part prépondérante qui reviendra aux franciscains spirituels dans la rénovation de la chrétienté. Comme le voyant cala-, brais, il divise l’histoire du monde en trois époques, et l’histoire de l’Église en sept états, dont le sixième est celui de la renaissance spirituelle, opérée par saint François et ses fidèles. C’est durant cette période que les ministres de l’esprit propageront la perfection et la sagesse du Christ. Malgré la persécution déchaînée par l’Antéchrist mystique et l’Antéchrist réel, le sixième état se terminera par le triomphe de l’esprit et la défaite de la prostituée de Babylone, c’est-à-dire de l’Église charnelle repue de richesses et de jouissances. La pauvreté apostolique sera mise en honneur, et tout en protestant qu’il n’entend pas la confirmer, Olieu rapporte la rumeur d’après laquelle saint François ressusciterait à l’exemple du Christ, pour combattre les suppôts de l’Antéchrist. A l’ordre des frères-mineurs incombe la mission de recommencer et de parfaire l’œuvre des apôtres : c’est pourquoi ils ont à reprendre la prédication de l’Évangile dans le monde entier. D’après l’opinion commune, l’Antéchrist mystique sera un antipape entouré de pseudoprophètes et l’Antéchrist réel et proprement dit un empereur à la manière de Néron, peut-être un descendant de Frédéric II, qui vaincra les souverains chrétiens et, par la terreur, créera le vide autour du pape légitime. Alors l’Église charnelle régie par l’antipape, ne sera plus que la synagogue de Satan dont il faudra se hâter de sortir afin de se préparer à la venue du Christ qui, à l’avènement triomphal du règne de l’esprit, célébrera ses noces mystiques avec l’Église régénérée.

On peut dire qu’Olieu écrivit ses Apostilles de l’Apocalypse dans l’esprit de Joachim de Flore : sans prétention doctrinale ni intention hostile à l’Église romaine. Attiré par le mirage d’un avenir idéalement parfait, il a fait crédit, comme tant d’autres, à l’oracle de l’Italie mystique, et fermant les yeux aux mérites de son temps, il n’en voulut plus voir que les abus et les vices, qu’il transforma tendancieusement en signes indiscutables d’une décadence fatale. Mais il n’eut jamais le dessein, ni d’attaquer le pape régnant, Bonifnce VIII, ni de s’en prendre à la hiérarchie ecclésiastique, ni de se livrer à n’importe quelle allusion personnelle. Dans ses Apostilles comme dans ses Questions, il reste purement spéculatif. Si ses disciples s’étaient conformés à ses intentions, ils n’auraient lu les Apostilles que pour s’exhorter à

l’observance parfaite de la pauvreté et à l’imitation fidèle de saint François, en vue de coopérer à la réforme de l’Église. Mais, avec la logique des simples, ils les interprétèrent conformément à leur mentalité étroite et rebelle : entre leurs mains, les contemplations apocalyptiques du pieux rêveur provençal devinrent un instrument de combat, tant contre les supérieurs de l’ordre que contre l’autorité ecclésiastique, dont ils proclamèrent effrontément la déchéance en vertu des Apostilles. C’est dans celles-ci que, au témoignage de l’inquisiteur Michel Monachi, les quatre franciscains spirituels condamnés au bûcher en 1318 à Marseille, avaient puisé leurs erreurs. Dans son Arbor vitse, Ubertin de Casale n’a fait qu’appliquer à Boniface VIII et à Benoît XI la description impersonnelle de l’Antéchrist mystique donnée parOlieu. Aussi peut-on dire que toute l’œuvre de ce dernier a souffert durant longtemps du scandale soulevé autour des Apostilles, à cause surtout des interprétations subversives qu’en firent les spirituels et les béguins. C’est ainsi qu’il faut expliquer la condamnation générale des écrits d’Olieu, faite en 1319 au chapitre général de l’ordre à Marseille. Le 8 février 1326, Jean XXII réprouva les Apostilles sur l’Apocalypse en consistoire public, pour hérésie contre l’unité de l’Église catholique et contre l’autorité du souverain pontife. Parmi les constitutions générales de l’ordre, celles de Farinier (1354) et celles d’Alexandre VI (1500) en défendirent la lecture. Mais le célèbre prédicateur franciscain Bernardin de Busto ne craignit pas d’en faire usage dans son Rosarium (part. II, serm. xi, p. 5) et, au témoignage de Marien de Florence cité par Wadding (Annales minorum, an. 1325, n. 24), Sixte IV aurait permis de les lire avec discrétion.

3° Les Apostilles sur l’Apocalypse nous conduisent naturellement aux écrits franciscains d’Olivi. Ceux-ci se rattachent avant tout à deux questions qui, à son époque, furent chaudement discutées dans l’ordre : la parfaite observance de la règle et la renonciation de saint Célestin V à la tiare. — A propos de la première question, il convient de citer, outre les lettres et mémoires déjà mentionnés, VExpositio in Regulam S. Francisci, les dix-sept Quæstiones de perfectione evangelica (à l’exception des Questions xii-xiir qui traitent de l’infaillibilité pontificale et de la renonciation de Célestin V) ainsi que le Tractatus de paupere rerum usu. Dans ces trois ouvrages édités seulement en partie, Olieu, se faisant l’éloquent défenseur de la thèse des franciscains spirituels, réduit l’observance de la règle à l’usage étroit en matière de pauvreté, accentue la vie contemplative au détriment de l’apostolat et du travail manuel, et identifie la pauvreté franciscaine avec la perfection apostolique. C’est dans ces traités que les porte-parole du parti rigoriste chercheront leur arguments lors de la grande controverse sur l’observance franciscaine au concile de Vienne. -Du point de vuede la théologie fondamentale et de l’histoire ecclésiastique, les Questions xii-xiii du traité De per/ectione evangelica et la lettre au bienheureux Conrad d’Offida sur la renonciation de Célestin V (14 septembre 1295), dépassent en im portance les dissertations sur la pauvreté franciscaine. A la Questionxii, Olieu se demande si tous les catholiques doivent obéissance en matière de foi et de mœurs au pontife romain lanquam regulæ inerrabili. Il répond affirmativement, sans aucune réserve, et examine successivement la nécessité d’un seul souverain pontife dans l’Église : la nécessité de la création du siège de Rome et l’étendue de son autorité : le mode d’infaillibilité (modus inerrabilitatis) tant de l’Église en général que du siège de Rome ef du souverain pontife : la mesure et la nécessité de l’obéissance qire le monde catholique doit au souverain

pontife. C’est ainsi qu’il est amené logiquement à traiter de la renonciation de Célestin V et de l’obéissance que les fidèles doivent à son successeur Boniface VIII : c’est le sujet de la Question xiii, composée peu avant la lettre à Conrad d’Ofïida.

Passant du fait personnel de Célestin V à la question de principe, Olivi pose la question : Le pape régnant peut-il renoncer à la papauté, de telle façon que, lui vivant, un nouveau pape lui soit substitué’? Suivant la méthode scolastique, il commence par exposer douze arguments contraires à la licéité de la renonciation, empruntés soit aux Décrets du Pseudo-Isidore, soit aux objections soulevées par les adversaires de Boniface VIII. Ensuite il prouve sa llit’se, d’après laquelle le pape peut renoncer pour mie cause légitime, eu égard à l’utilité générale de l’Église. Son argumentation repose avant tout sur. la plénitude du pouvoir du souverain pontife, en vertu de laquelle il peut promulguerdes lois nouvelles et résoudre les doutes qui pourraient surgir : les fidèles doivent accepter en toute soumission les déclarations pontificales. Quant à la renonciation en cause, clairement définie par le pape démissionnaire lui-même, mise à exécution avec le conseil et l’assentiment des cardinaux et accueillie en esprit d’obéissance par l’Église universelle, elle ne s’oppose ni au droit divin ni au droit ecclésiastique. A ce propos, Olieu exar mine d’abord quel est le pouvoir dogmatique du pape et plus spécialement sa faculté d’établir des normes en vue de sa succession ; ensuite, quelle est à ce sujet la compétence de l’Église et particulièrement du collège des cardinaux auquel revient l’élection du pape ; comment la juridiction tant épiscopale que papale est et doit être mobile et par conséquent, d’après les cas possibles, indépendante des personnes et des lieux ; enfin il montre que la juridiction n’est pas jointe nécessairement à l’ordre sacerdotal ou épiscopal.bien que de l’union de l’ordre avec la juridiction naisse la plénitude respective du pouvoir papal, épiscopal et sacerdotal. C’est surtout à la démonstration de la plénitude du pouvoir papal que s’arrête l’auteur, à l’appui de laquelle il allègue une foule de citations canoniques. Là ou il détermine la part du collège des cardinaux dans la renonciation, il témoigne encore du vif souci de sauvegarder la plénitude du pouvoir pontifical : c’est une part purement passive, en ce sens que le collège des cardinaux peut accepter la renonciation quand celle-ci est évidemment aussi utile et nécessaire que la création d’un nouveau pape à la mort du pontife régnant. Les cardinaux ne pourraient assumer un rôle actif en vue de la renonciation du pape que dans le cas hypothétique, prévu par le Décret de Gratien, où un pape ferait profession publique et obstinée d’hérésie. Cette Question xiii, qui est un véritable traité De renunliaiione papse, éditée pour la première fois en entier par L. Oliger O. F. M. (Archivum franc, hisl., t. xi, 1918, p. 340-366) place Olieu parmi les meilleurs défenseurs de la papauté, à une époque où le pape régnant, Boniface VIII, était combattu âprement par les uns, tandis que l’étendue de la juridiction pontificale était définie d’une façon indécise par les autres. Même Gilles de Rome, tout en admettant dans son De renunliaiione papæ que la part principale dans l’acte de renonciation revient à la volonté du pape, fonde son argumentation sur le principe : Quo quid faclum est, eodem destruitur ; celui que le consentement des cardinaux a mis à la têtede l’Église, peut être amené par un consentement contraire à céder la place à un successeur. Jean de Paris. O. P., ouvrant la voie aux prétentions erronées qui s’affirmeront aux conciles de Pise et de Constance, soutient dans son De potestate regia et papali (1302) que le pape

peut non seulement renoncer mais peut aussi être déposé malgré lui pas ses électeurs. La claire et droite démonstration que fil Olieu de l’inerrabilitas et potes tas papæ in constituendis et definiendis et specialiter super substitutione sui successoris, est d’autant plus méritoire qu’elle l’obligea à prendre position contre bon nombre de spirituels d’Italie qui traitaient Boniface VIII d’antipape. C’est pour réfuter leurs erreurs, tant au sujet de l’élection pontificale qu’en matière de pauvreté, qu’il écrivit le 14 septembre 1295 une lettre remarquable au bienheureux Conrad d’Ofïida. Il y résume excellemment, et d’un ton familier bien fait pour être compris par des exaltés qui raisonnaient fort peu, son argumentation scolastique de la question De renuntiatione papas : « Lis comparent au mariage l’union du pape avec l’Église ; elle est par conséquent indissoluble. Mais que ces téméraires voient donc combien grossière est leur erreur ! Dans leur hypothèse, aucun pape, même s’il était hérétique notoire et destructeur de l’Église, ne pourrait être déposé. De même le souverain pontife ne pourrait jamais destituer un évêque ou le transférer à un autre siège, ni un évêque ne pourrait renoncer à sa juridiction, puisqu’il est uni à son diocèse par un mariage spirituel. » Mais il ne semble pas que cette lettre, dont on admire autant la sûreté doctrinale que la logique serrée et la vigueur de l’expression, ait produit beaucoup d’effet sur des fanatiques hantés par la vision de l’Antéchrist, Archiv. franc, hist., t. xi, 1918, p. 366. Signalons enfin, parmi les écrits franciscains d’Olieu, sa Qusestio de indulgenlia Portiunculse, dont seul un fragment nous est parvenu. Dans cet écrit, qui date au plus tôtde 1279, l’auteur répond à la question : Convient-il de croire que l’indulgence de tous les péchés fut accordée dans l’église de Sainte-Marie-des-Anges, où l’ordre des frères mineurs prit naissance ? Après avoir énuméré neuf arguments contraires, Olieu en commence la réfutation : malheureusement, le seul manuscrit connu de cette question (bibliothèque vaticane, Borghese, 190) s’interrompt après la réponse à la troisième objection. L’auteur y invoque, outre un souvenir personnel assez vague, des considérations apocalyptiques et des raisons de convenance, en vertu de la conformité parfaite de saint François au Christ. Au reste, des allusions de ce genre se rencontrent aussi dans sa Question xiii, De renuntiatione papse, et dans sa lettre à Conrad d’Ofïida.

Bien qu’il soit assez difficile jusqu’ici d’émettre un jugement d’ensemble sur l’œuvre littéraire considérable d’Olieu, étant donnés sa valeur inégale et le caractère inédit d’un bon nombre de ses écrits, il faut reconnaître toutefois qu’elle mérite de retenir l’attention à plusieurs titres. S’adonnant à une production sans répit, le théologien provençal est tantôt diffus et abondant, tantôt sobre et clair. D’autre part, son joachimisme donne une note tendancieuse à ses dissertations sur la règle franciscaine et sur l’avenir de l’Église. Mais sur le terrain scolastique, surtout dans les 118 Questions du deuxième Livre des Sentences, il fait bonne figure à côté des maîtres franciscains de la génération intermédiaire entre saint Bonaventure et Jean Duns Scot. Quant à sa lumineuse démonstration de la validité de l’abdication de saint Célestin V et de la légitimité de Boniface VIII, elle le met au premier rang parmi les apologistes de la papauté à son époque, et l’élève bien au-dessus du commun des franciscains spirituels, dont par ailleurs le sépare aussi son tempérament purement spéculatif. Les spirituels ne lui en conservèrent pas moins une sincère admiration, et il faut avouer que, en prenant la défense de ses écrits, aux char "très généraux de l’ordre et au concile de Vienne, ils ont été sin

gulièrement mieux inspires que ne le fut le parti de la communauté en les vouant à une réprobation générale.

En dehors des ouvrages déjà cités, il convient de mentionner encore : René de Nantes, Histoire des spirituels dans l’ordre de S. François, Paris, 1909, p. 266 sq. ; F. Callæy, L’idéalisme franciscain spirituel au XIV’siècle, Élude sur Ubertin de Casale, Louvain, 1911 ; A. Thomas, Le vrai nom du Frère mineur « Pelrus Johannis Ulivi », Annales du Midi, t. xxxv, 1913, p. 68 ; F. Sarri, Pi’er di Giovanni Olivie Uberlino da Casale, dans Studi francescani, t. xxii, 1925, p. 88 sq. ; Hefele-Leclercq, Histoire des conciles t. vi b, 1915, p. 666 sq. ; Gratien, Une lettre inédite de P. de J. O., Études franciscaines, t. xxix, 1913, p. 414 sq. ; Sentence et dernière déclaration d’Olieu, dans Archiv. franc, hist.. t. xi, 1918, p. 264 sq. Du point de vue scolastique, celui qui a étudié le mieux Olieu est B. Jansen, l’éditeur des 118 Quxsliones in secundum Librum Senleniiarum. Dans les Prolégomènes aux trois volumes que comprend cette édition, il cite les nombreux articles de revues (P/iilosophisches Jahrbuch, Franziskanische Studien, Gregorianum), sa dissertation Die Erkenntnislehre Olivis (Berlin, 1921), dans lesquels il a exposé les théories d’Olieu sur la relation entre le corps et l’âme, sur le libre arbitre, le mouvement, le mécanisme de la connaissance, et a examiné la portée historico-philosophique de ses preuves de l’immortalité de Tâme. Enfin, il taut noter aussi : S. Belmond, Deux penseurs franciscains, Pierre-Jean Olive et Guillaume Occam, dans Études franciscaines, t. xxxv, 1923, p. 188 sq. ; La défense du libre arbitre par Pierre Jean O ive, dans La France franciscaine, t. x, 1927, p. 33 sq. ; Le mécanisme de la connaissance d’après Pierre Olieu, ibid., t.xii, 1929, p. 291 sq. ; W. Pohl, Ein bedeutsames Werk der Franziskanerscholastik des XIII. Jahrhunderts. Bemerkungen zu Janscns Oliviausgabe, dans Franziskanische Studien, t. xvi, 1929, p. 65 sq. ; F. M. Delorme, S. Bonavenlure ete nombre apocalyptique 666, dans La France franciscaine, t. viii, 1925, p. 519 sq. ; P. J. Olivi, Queesiio hucusque inedila de indulgentia Porliunculæ, dans les -4c(a ordinis fr. minorum, t. xiv, 1895, p. 139 sq.

P. F. Callæy.